Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/22495/2023

AARP/259/2025 du 27.06.2025 sur JTDP/1429/2024 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : REPRÉSENTATION DE LA VIOLENCE
Normes : CP.135; CP.69
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22495/2023 AARP/259/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 27 juin 2025

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Benjamin GRUMBACH, avocat, GRUMBACH Sàrl, rue Saint-Léger 6, 1205 Genève,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1429/2024 rendu le 27 novembre 2024 par le Tribunal de police,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1429/2024 du 27 novembre 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de représentation de la violence (art. 135 al. 1 du Code pénal [CP]), l'a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 170.- l'unité, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans), a ordonné la confiscation et la destruction de son téléphone portable et l'a condamné aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'540.-, y compris un émolument de jugement complémentaire de CHF 600.-.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement et à la restitution de son téléphone portable, frais de la procédure à la charge de l'État.

b. Selon l'ordonnance pénale du 27 octobre 2024, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, le 2 octobre 2023, obtenu par voie électronique et possédé dans la mémoire de son téléphone portable un enregistrement visuel d'une décapitation.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______ exploite un commerce de tabacs, boissons, épicerie et alimentation sis au no. ______, rue 1______ à Genève.

b. Le 3 octobre 2023, à la suite de plaintes de clients l'accusant d'escroquerie, la police a procédé, avec l'autorisation de A______, à la fouille des locaux et du contenu de tous les appareils électroniques s'y trouvant ou étant en sa possession.

c. Dans le téléphone portable de A______ a été retrouvée une vidéo d'une durée de 22 secondes, datée du 2 octobre 2023 à 22h35, montrant un homme en train de se faire décapiter, un texte en farsi dénonçant, à la fin, la sauvagerie des talibans en Afghanistan.

d. Entendu par la police, A______, qui est d'origine afghane, a expliqué que la vidéo lui avait été envoyée par un ami, actif dans la résistance de ce pays, pour dénoncer les exactions commises par les talibans. Dans ce même but, il avait essayé de la diffuser sur Facebook, mais le site avait immédiatement stoppé l'opération et lui avait imposé une restriction jusqu'au 9 octobre 2023. Il ignorait le caractère illicite de ce type d'images.

A______ est revenu partiellement sur ses déclarations devant le Ministère public (MP) : en réalité, il n'avait jamais dit avoir voulu diffuser la vidéo, mais uniquement que Facebook bloquait ce genre d'images si quelqu'un tentait de les diffuser. C'était la première fois qu'il recevait une telle vidéo, qu'un ami d'école lui avait envoyée via WhatsApp. Il ne l'avait pas immédiatement effacée car elle s'était enregistrée directement dans la galerie d'images de son téléphone. Le but de la vidéo était bien de dénoncer les actes des talibans – qui avaient notamment détenu et blessé son jeune frère – et non d'en faire l'apologie. Il travaillait de 08h00 à 18h00, puis de 21h00 à 01h00 ; il avait été interrogé alors que la police était intervenue dans son kiosque à 22h30, avait perquisitionné le commerce jusqu'à 02h00, puis l'avait amené au poste, où son audition avait duré de 07h25 à 11h20, sans même qu'il puisse boire un café. Il était par ailleurs concentré sur les agissements que lui reprochaient ses clients et n'avait relu que les deux premières pages de son audition, afin de sortir le plus vite possible du poste. La police avait par ailleurs refusé de lui remettre une copie du procès-verbal.

Devant le premier juge, il a maintenu ces dernières déclarations, justifiant les propos consignés par la police par son état de fatigue et une possible mauvaise compréhension mutuelle, son intention étant de dire qu'il existait des vidéos de ce type sur Facebook, mais que ce réseau social bloquait toute tentative de diffusion. Il avait bien reçu et visionné la vidéo, mais n'avait pas eu le temps de la supprimer, car il était très occupé, et submergé de vidéos, mails et poursuites.

e. Devant le premier juge, A______ a par ailleurs déclaré s'être acquitté de l'amende qui lui avait été infligée par ordonnance pénale du Service des contraventions du 20 juin 2024 pour excès de bruit nocturne au sens de l'art. 11D de la loi pénale genevoise (LPG). L'opposition qu'il avait formée contre celle-ci – procédure qui avait été jointe à la présente par le TP – pouvait dès lors être considérée comme retirée.

C. a. Lors de l'audience d'appel, A______ a exposé que sa famille et lui-même avaient été victimes des talibans. Il avait pu se réfugier en Suisse en 2000 ; un de ses frères avait été enlevé en 2021 durant cinq semaines, puis relâché, et résidait désormais en Turquie ; un autre frère avait été enlevé peu après et était décédé en Iran, lors d'une opération rendue nécessaire par les tortures subies aux mains des talibans. Après avoir fouillé son magasin, les policiers l'avaient menotté, conduit au poste et laissé dans une pièce fermée, comme une prison, sans le laisser ni appeler son épouse, ni prendre ses médicaments pour la tension. Il pensait que ce serait rapide, mais il avait dû attendre le lendemain matin pour être entendu par un policier qui avait l'air énervé, lui avait refusé un café et demandé s'il soutenait les talibans. La vidéo n'était accompagnée d'aucun message et n'avait fait l'objet d'aucune discussion avec son ami. Ce type d'envoi était fréquent de la part des résistants en Afghanistan, pour illustrer ce qu'il se passait dans le pays, et il n'en était probablement pas le seul destinataire. De telles vidéos étaient d'ailleurs courantes, y compris en Europe, où il avait constaté qu'elles circulaient sur les réseaux sociaux, sans pour autant considérer que cela soit normal ou qu'il n'en soit pas choqué. Il avait l'intention de supprimer la vidéo reçue, mais n'en avait pas eu le temps ; avec tous les messages WhatsApp, "des fois, ça restait". Maintenant qu'il savait que ces images étaient illicites, il les supprimait immédiatement et bloquait le numéro. Son compte Facebook n'avait pas été bloqué ; il l'avait toutefois été en 2011 ou 2013 après qu'il y eut publié, pour dénoncer la situation, une photo du mariage d'une fillette avec un taliban âgé, raison pour laquelle il connaissait la procédure suivie par ce réseau social.

b. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions et renonce à déposer un état de frais.

Il s'était présenté devant le premier juge sans que son avocate l'assiste et en ignorant les enjeux de l'audience. Il ne contestait pas que le caractère de la vidéo la rendait susceptible de tomber sous le coup de l'art. 135 CP. Le but de celle-ci n'était toutefois pas de faire l'apologie de l'acte représenté ou de le banaliser, mais au contraire de le dénoncer et d'éveiller le sens critique. Il n'en avait par ailleurs pas sollicité l'envoi, ne l'avait pas diffusée et s'était tout au plus montré négligent en ne la supprimant pas immédiatement. Il n'était dès lors pas établi que les éléments constitutifs, tant objectifs que subjectif, de l'infraction de représentation de la violence, fussent réalisés. L'erreur sur l'illicéité, évoquée dans le jugement entrepris, n'avait pas non plus été examinée par le premier juge. En tout état, condamner un opposant pour apologie de la violence de personnes dont sa famille avait été victime heurtait le sentiment de justice.

c. Le MP conclut au rejet de l'appel. A______ avait admis savoir qu'il détenait la vidéo incriminée, qu'il avait visionnée et dont le caractère violent était indiscutable. Son auteur ne pouvait être que les talibans eux-mêmes, en vue de choquer ou se vanter de leurs "exploits", de sorte qu'aucune valeur de prévention ne pouvait lui être imputée. Au demeurant, l'intérêt culturel ou scientifique ne devait pas servir de prétexte à de la cruauté gratuite et le fait de détenir de telles images, sans s'en servir, ne permettait en rien de dénoncer celle des talibans. A______ n'ignorait au surplus pas le caractère illicite de la vidéo, puisqu'il avait été à même de dire qu'elle aurait été bloquée par Facebook, ainsi qu'il en avait déjà fait l'expérience par le passé. L'infraction était consommée, à tout le moins par dol éventuel, les conditions posées par l'art. 21 CP n'étant pas réalisées.

d. A______ réplique. Il ne pouvait être considéré comme un complice des talibans pour avoir reçu la vidéo. Le fait que les conditions générales de Facebook étaient violées ne signifiaient par ailleurs pas nécessairement que les images avaient un caractère pénal ; partant, l'on ne pouvait en déduire qu'il aurait dû connaître leur caractère illicite.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2.1. L'art. 135 al. 1 CP punit quiconque fabrique, importe, prend en dépôt, met en circulation, promeut, expose, offre, montre, rend accessible, met à disposition, acquiert, obtient par voie électronique ou d'une autre manière ou possède des enregistrements sonores ou visuels, des images, d'autres objets ou des représentations qui illustrent avec insistance, notamment, des actes de cruauté envers des adultes portant gravement atteinte à la dignité humaine, sans présenter aucune valeur d'ordre culturel ou scientifique digne de protection.

La raison d'être de cette disposition est que la visualisation de scènes de violences extrêmes tend à amener certains esprits à se désinhiber des actes ainsi commis et à banaliser leur réalisation et influencer le comportement, des jeunes en particulier, d'une manière nocive, à la fois pour eux et pour la société, dans la mesure où il y aurait lieu de craindre un phénomène d'incitation à un comportement brutal qui répéterait de telles scènes (Message concernant la modification du Code pénal et du Code pénal militaire du 26 juin 1985, in FF 1985 II 1059).

2.2.2. Par cruauté envers les êtres humains, il faut entendre le fait d'infliger, par la violence, des souffrances physiques ou psychiques aiguës, avec une intensité et une brutalité particulières, sans que les moyens employés ni les motivations n'importent. L'élément essentiel se rapporte ici au caractère réaliste et suggestif de la représentation, au fait qu'elle soit de nature à heurter le spectateur, à rester gravée dans sa conscience et au fait qu'elle dénote une froideur affective particulière (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 7 ad art. 135).

Tel est le cas de scènes d'exécutions, de fusillades, de décapitations, de massacres, d'égorgements, de profanation de cadavre, de coups, coupures, perforations, ou brûlures, d'utilisation de produits chimiques et de chocs électriques, en particulier lorsque la victime n'est pas en mesure d'opposer de la résistance (arrêts du Tribunal pénal fédéral SK.2022.56 consid. 3.1.4.2 et SK.2007.4 du 21 juin 2007 consid. 6.2.1).

2.2.3. L'art. 135 CP n'est pas applicable si les objets ou représentations concernés comportent une valeur d'ordre culturel ou scientifique digne de protection. En sont dépourvues les représentations qui se bornent à montrer des actes de cruauté pour divertir ou amuser. Elles ne doivent pas être confondues avec les documentaires ou les œuvres artistiques dont le but est d'illustrer, pour les prévenir, les conséquences de la violence individuelle ou collective, et d'éveiller ou de renforcer le sens critique à son égard. Lorsque la représentation de ces actes ne déborde pas ce cadre, et qu'elle ne glorifie ni ne minimise la violence, on peut dire qu'elle a une valeur d'ordre culturel (FF 1985 II p. 1060).

Des images assimilables à celles d'un reportage de guerre ou des images commentées, se référant à un fait d'actualité et poursuivant le but de dénoncer l'action représentée, ne constituent ainsi en principe pas un contenu entraînant l'application de l'art. 135 CP (arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2007.4 du 21 juin 2007 consid. 6.2.4).

Il faut en revanche refuser toute protection aux films faisant des séquences violentes représentées une fin en soi, et ceci d'autant plus qu'ils ne sont pas accompagnés par une quelconque approche critique, pédagogique ou psychologique (signification sociale, conséquences d'une telle violence, etc.). Il en va de même si la représentation n'est pas de nature à susciter, au moins chez le spectateur ouvert et sensibilisé, une réflexion sur la violence représentée ou une réaction de rejet à l'égard de cette dernière (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 64 ad art. 135).

Il ne peut être retenu de valeur digne de protection lorsque les contenus ont pour unique objectif l'apologie ou la banalisation de la violence ou le divertissement du public (arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2022.56 du 14 avril 2023 consid. 3.1.4.4). Or, il est à cet égard notoire que nombre d'organisations terroristes abusent d'internet pour véhiculer leur propagande à travers la diffusion d'enregistrements audio ou vidéo ou pour poursuivre sur le plan psychologique la guerre qu'elles mènent, notamment par la diffusion de messages de menace et d'images représentant l'exécution d'otages civils (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_650/2007 du 2 mai 2008 consid. 7.3.2). Le contexte de la diffusion de contenus à caractère de propagande doit néanmoins être pris en considération pour déterminer si ledit contenu, tel que partagé, a pour vocation d'informer et éclairer les destinataires afin que ceux-ci se forgent leur propre opinion ou si, au contraire, la diffusion d'un contenu, même s'il apparaît de prime abord neutre, vise à influencer ses destinataires (arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2022.57 du 6 avril 2023 consid. 3.3.8). L'absence d'intérêt digne de protection doit toutefois être manifeste ; en cas de doute, l'illicéité doit être déniée (arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2019.49 du 3 septembre 2020 consid. 6.3.6).

2.2.4. La possession entre en ligne de compte lorsqu'une personne détient la maîtrise effective d'une image informatique sur une chose et, subjectivement, la volonté de l'exercer (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], op. cit., n. 17 ad art. 135 ; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op.cit., n. 30 ad art. 135).).

Selon la jurisprudence rendue en matière de possession de pornographie (applicable par analogie à l'infraction de l'art. 135 al. 1 CP vu l'identité du comportement réprimé), est notamment punissable celui qui, dans un premier temps, est entré sans le vouloir en possession de matériel interdit et qui continue à le conserver après avoir pris connaissance de son contenu, la répression de ce comportement étant justifiée par la possibilité de perpétuer l'atteinte au bien juridique protégé, l'enregistrement pouvant à tout moment être porté à la connaissance de tiers (ATF 131 IV 64 consid. 11.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1325/2023 du 11 janvier 2024 consid. 1.2.2). Il est sans importance à cet égard que l'accusé ait envisagé ou non une diffusion publique des vidéos qu'il avait enregistrées, une telle éventualité n'étant pas un élément constitutif de l'infraction prévue et punie par l'art. 135 CP et l'auteur étant punissable, même s'il n'a agi qu'à des fins personnelles, notamment pour sa propre consommation (ATF 124 IV 106 consid. 3c ; arrêt du Tribunal fédéral 6S.311/2004 du 11 octobre 2004 consid. 5.1.4).

La Chambre de céans a notamment retenu une telle infraction à l'égard d'un auteur qui avait reçu de nombreuses vidéos d'une extrême violence (exécutions, immolations, passage à tabac d'un homme sans défense et photographies rapprochées de nombreux cadavres) sur divers groupes WhatsApp, estimant qu'il avait ainsi volontairement gardé la maîtrise sur ces vidéos conservées sur l'application et, partant, qu'il les avait possédées au sens de cette disposition (AARP/304/2024 du 20 août 2024 consid. 3.4.1).

2.2.5. La représentation de la violence est une infraction intentionnelle, le dol éventuel étant suffisant. L'auteur doit avoir conscience, au moins sous la forme d'une appréciation qui serait communément admise par des non-juristes, du caractère gravement attentatoire à la dignité humaine des objets ou des représentations visées et de leur absence de valeur culturelle ou scientifique (arrêt du Tribunal pénal fédéral SK.2022.56 du 14 avril 2023 consid. 3.1.5).

2.2.6. En l'espèce, le caractère cruel et dégradant de l'image reçue par l'appelant est indéniable. Il ne le conteste du reste pas.

L'appelant ne nie par ailleurs pas que la séquence a été vraisemblablement filmée par les talibans eux-mêmes, en vue de choquer ou de vanter leurs "exploits" et ne s'insère donc pas dans un contexte documentaire. Une simple légende de quelques phrases ne saurait sur ce point être assimilée à l'utilisation d'un texte d'accompagnement ou d'une voix de narrateur, qui expliquerait au spectateur le contexte géographique, politique et historique du contenu. La vidéo n'était en outre accompagnée d'aucun message et n'avait fait l'objet d'aucune discussion avec l'ami qui la lui avait envoyée, susceptible de pallier cette absence d'information. Aucune valeur culturelle ou scientifique ne saurait dès lors être attachée à ces images.

Pour le surplus, objectivement, l'appelant est entré en possession de cette vidéo, puisqu'il l'a visionnée à réception et l'a sciemment laissée dans les enregistrements de son téléphone.

Cela étant, il ne fait aucun doute, au vu de l'origine de l'appelant, du parcours qui l'a amené en Suisse et des divers préjudices vraisemblablement subis par sa famille de la part des talibans, qu'il ne souscrit aucunement au discours de ces derniers et que la vidéo incriminée n'a été échangée que dans la seule optique de dénoncer les agissements de ce groupement, de sorte que toute volonté de la conserver en vue d'une "consommation" personnelle doit être écartée. Bien qu'à teneur des procès-verbaux, force soit de constater que l'appelant a varié dans ses déclarations relatives à son intention de la diffuser sur les réseaux sociaux, il n'est pas établi à satisfaction de droit qu'il aurait tenté de le faire. L'enregistrement n'a en outre été reçu par l'appelant que 24 heures avant son arrestation : au vu de ses horaires de travail et de l'importante quantité de messages qui lui parvenait régulièrement – allégué qui n'est pas remis en cause –, l'explication selon laquelle il n'entendait pas conserver la vidéo, mais ne l'avait pas immédiatement effacée par pure négligence, est plausible.

La version la plus favorable à l'accusé devant être privilégiée, en application du principe in dubio pro reo, la réalisation de l'élément subjectif de l'art. 135 CP doit être niée.

Il n'est dans ces conditions pas nécessaire d'examiner si l'existence d'une erreur sur l'illicéité du comportement reproché pourrait être retenue.

L'appelant doit dès lors être acquitté et le jugement entrepris annulé sur ce point.

3. 3.1. Conformément à l'art. 69 al. 1 CP, même si aucune personne déterminée n'est punissable, le juge prononce la confiscation des objets qui ont servi ou devaient servir à commettre une infraction ou qui sont le produit d'une infraction, si ces objets compromettent la sécurité des personnes, la morale ou l'ordre public.

Le juge peut ordonner que les objets confisqués soient mis hors d'usage ou détruits (art. 69 al. 2 CP).

Lorsque l'objet en cause est un support électronique, tel un téléphone portable, le tri systématique des données licites et illicites n'est pas envisageable pratiquement, de sorte que la destruction totale de l'appareil s'impose (arrêt du Tribunal fédéral 6B_500/2024 du 14 novembre 2024 consid. 1.1.2).

3.2. En l'occurrence, l'acquittement de l'appelant de l'infraction de représentation de la violence repose sur l'élément subjectif de l'art. 135 CP, et non sur l'absence de caractère illicite de la vidéo litigieuse.

Il s'ensuit que les conditions d'une confiscation et d'une destruction du téléphone portable sur laquelle elle était enregistrée sont réalisées.

L'appel sera dès lors rejeté sur ce point.

4. 4.1. L'appel ayant été admis pour l'essentiel, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 CPP a contrario).

Dans la mesure où la procédure devant le TP portait également sur une infraction d'excès de bruit nocturne, que l'appelant n'a déclaré renoncer à contester qu'au stade de son audition par le premier juge, il y a néanmoins lieu de laisser à sa charge une partie des frais de la procédure de première instance, laquelle sera arrêtée à CHF 300.-.

4.2. Il sera donné acte à l'appelant de ce qu'il renonce à réclamer une indemnité pour les frais d'avocat induits par la présente procédure.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1429/2024 rendu le 27 novembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/22495/2023.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Prend acte du retrait de l'opposition formée contre l'ordonnance pénale du Service des contraventions n° 2______ du 20 juin 2024.

Dit que l'ordonnance pénale n° 2______ du 20 juin 2024 est assimilée à un jugement entré en force.

Acquitte A______ du chef de représentation de la violence (art. 135 al. 1 CP).

Ordonne la confiscation et la destruction du téléphone portable figurant sous chiffre 19 de l'inventaire n° 43020820231004 (art. 69 CP).

Condamne, à hauteur de CHF 300.-, A______ aux frais de la procédure de première instance, qui s'élèvent à CHF 940.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art.  426 al. 1 CPP) et laisse le solde à la charge de l'État.

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l'État.

Donne acte à A______ de ce qu'il renonce à réclamer une indemnité pour les frais d'avocat induits par la présente procédure.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et au Service des contraventions.

 

La greffière :

Linda TAGHARIST

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.