Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision
AARP/148/2025 du 28.04.2025 sur JTDP/1432/2024 ( PENAL ) , RENVOYE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE P/21805/2023 AARP/148/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale d'appel et de révision Arrêt du 28 avril 2025 |
Entre
A______, domiciliée ______, Roumanie, comparant par Me Dina BAZARBACHI, avocate, BAZARBACHI LAHLOU & ARCHINARD, rue Micheli-du-Crest 4, 1205 Genève,
appelante,
contre le jugement JTDP/1432/2024 rendu le 27 novembre 2024 par le Tribunal de police,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8.
intimés.
EN FAIT :
A. a.a En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1432/2024 du
27 novembre 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable de mendicité (art. 11A al. 1 let. c de la Loi pénale genevoise [LPG]) et condamnée à une amende de CHF 260.- (peine privative de liberté de substitution : deux jours), frais à sa charge.
a.b. A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant, principalement, à son annulation ainsi qu'à celle des ordonnances pénales ayant conduit à sa condamnation, et, subsidiairement, à son acquittement.
a.c. Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.
b. Selon les ordonnances pénales des 20 juillet, 7 août 2023, 9, 31 octobre et
1er novembre 2023, il est reproché à A______ de s'être adonnée à la mendicité dans un lieu proscrit, soit :
- les 2 et 23 juin 2023, à 09h20 et à 11h30, aux abords immédiats d'un bureau de poste, sis chemin 1______ no. ______, [code postal] B______ [GE] (ordonnances pénales n°2______ et n°3______) ;
- le 17 juillet 2023, à 10h50, aux abords immédiats d'un bureau de poste, sis rue 4______ no. ______, C______ [GE] (ordonnance pénale n°5______) ;
- les 3 août et 15 septembre 2023, à 10h55 et 12h10, aux abords immédiats d'un magasin, sis rue 4______ no. ______, [code postal] C______ (ordonnances pénales n°6______ et n°7______) ;
- le 3 octobre 2023, à 16h37, aux abords immédiats d'un magasin D______, sis chemin 1______ no. ______, [code postal] B______ (ordonnance pénale n°8______).
B. Les faits suivants, encore pertinents au stade de l'appel, ressortent de la procédure :
a. Selon les rapports de contravention des 5, 23 juin, 11, 24 août, 9 et 16 octobre 2023, A______ s'est adonnée à la mendicité en tendant un gobelet aux passants aux dates et dans les lieux susmentionnés (cf. supra A.b.).
b. Ces faits ont fait l'objet des ordonnances pénales prononcées par le SDC énumérées ci-dessus (cf. A.b.), déclarant A______ coupable de mendicité au sens de l'art. 11A al. 1 let. c de la Loi pénale genevoise (LPG) et la condamnant à une amende de CHF 100.-, majorée de CHF 60.- d'émolument, pour chacune d'elles.
Lesdites ordonnances pénales portent le facsimilé d'une signature manuelle, au-dessus de la mention dactylographiée "la Direction".
c. A______ a formé une opposition, non motivée, à ces décisions, par courriers de sa conseil des 25 juillet, 11 août, 17 octobre et 8 novembre 2023. Le Service des contraventions (SDC) les a maintenues, les ordonnances de maintien ayant été signées par un juriste du service.
d. Par-devant le TP, la défense a invoqué, à titre préjudiciel, que les ordonnances pénales en cause ne respectaient par les art. 80 al. 2 et 353 al. 1 let. k du Code de procédure pénale (CPP) ainsi que l'art. 8 de la Loi genevoise d'application du Code pénal (LaCP). Elle a conclu à leur annulation et au renvoi de la procédure au SDC pour notification de nouvelles ordonnances signées. Le TP a rejeté la question préjudicielle au motif que la situation de SDC n'était pas comparable à celle du MP, de sorte que la signature en facsimilé ne justifiait pas l'annulation des ordonnances pénales rendues par le service (cf. procès-verbal de première instance p. 2).
C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite
(art. 406 al. 1 let. c CPP).
b. Selon son mémoire d'appel, A______ conclut, principalement, à l'annulation du jugement entrepris, à la "constatation de la nullité" des ordonnances pénales ayant conduit à sa condamnation et à son acquittement, et, subsidiairement, à une exemption de peine.
c. Dans leurs courriers de réponse, le TP et le SDC concluent au rejet de l'appel, se référant intégralement aux motifs du jugement de première instance. Le SDC soutient que le grief formel a été invoqué tardivement et est irrecevable.
d. Les arguments plaidés seront examinés ci-après en fonction de leur pertinence.
EN DROIT :
1. 1.1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]). La magistrate exerçant la direction de la procédure de la juridiction d'appel est compétente pour statuer lorsque seules des contraventions font l'objet de l'appel (art. 129 al. 4 de la Loi sur l'organisation judiciaire [LOJ]).
1.2. En matière contraventionnelle, l'appel ne peut être formé que pour le grief selon lequel le jugement est juridiquement erroné ou l'état de fait établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).
2. 2.1. L'ordonnance pénale contient la signature de la personne qui l'a établie (art. 353 al. 1 let. k CPP).
Lorsque des autorités administratives sont instituées en vue de la poursuite et du jugement des contraventions, elles ont les attributions du ministère public
(art. 357 al. 1 CPP).
Les dispositions sur l'ordonnance pénale sont applicables par analogie à la procédure pénale en matière de contraventions (art. 357 al. 2 CPP).
Dans cette hypothèse, les cantons ne peuvent pas prévoir de dispositions de procédure contraires ou complémentaires (ATF 140 IV 192 consid. 1.3 ; arrêts du
Tribunal fédéral 6B_1051/2017 du 23 mars 2018 consid. 1.1 et 6B_845/2015 du
12 février 2016 consid. 5.1 [non publié dans l'ATF 142 IV 70]).
2.2. Le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition (art. 356 al. 2 CPP).
Seul le tribunal de première instance est compétent pour statuer sur la validité de ces actes (ATF 142 IV 201 consid. 2 ; 140 IV 192 consid. 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_883/2020 du 15 avril 2021 consid. 2.1.2).
Si l'ordonnance pénale n'est pas valable, le tribunal l'annule et renvoie le cas au ministère public en vue d'une nouvelle procédure préliminaire (art. 356 al. 5 CPP).
2.3. Selon l'ATF 148 IV 445 rendu le 22 juin 2022 par le Tribunal fédéral :
- la signature personnelle manuscrite constitue en matière d'ordonnances pénales une exigence de validité formelle érigée dans l'intérêt de la sécurité du droit. Elle permet de connaître l'identité de son auteur, soit la personne qui a prononcé la condamnation et fixé la peine, et de confirmer que l'acte correspond à sa volonté réelle
(consid. 1.4.1) ;
- une ordonnance pénale munie d'une signature en facsimilé, et non de la signature manuscrite de son auteur, n'est pas nulle, mais annulable (consid. 1.4.2) ;
- une telle ordonnance pénale doit être annulée par le tribunal et renvoyée à l'autorité de poursuite en vue d'une nouvelle procédure préliminaire, dans la mesure où le prononcé d'une ordonnance pénale valable constitue une condition préalable pour que le tribunal puisse juger l'affaire sur le fond (consid. 1.5.1) ;
- le vice ne peut être guéri par la transmission de l'ordonnance pénale au tribunal si le non-respect des exigences de forme repose sur une pratique établie (consid. 1.5.1).
2.4. Le 4 décembre 2024, le Conseil d'État a adopté le Règlement concernant les modalités de signature des ordonnances pénales rendues par le SDC (RMSOP), lequel est entré en vigueur le 11 décembre suivant. Il prévoit que les ordonnances pénales rendues par le service précité sont munies d'une signature manuscrite ou d'une signature électronique qualifiée (art. 2 RMSOP).
2.5. En l'espèce, les ordonnances pénales rendues par le SDC ne présentent ni l'identité ni la signature de leur auteur, ce qui ne remplit pas les exigences de l'art. 353 al. 1
let. k CPP (cum art. 357 al. 2 CPP). Dès lors, elles sont viciées sur le plan formel.
L'absence de signature résultait d'une pratique établie et appliquée au plus tard jusqu'à l'entrée en vigueur du RMSOP, en décembre 2024, et non d'une inadvertance ponctuelle. Aucune réparation du vice n'est partant envisageable, pas même par le biais des ordonnances de maintien signées par un juriste du service.
Contrairement à ce que plaide la défense dans son mémoire d'appel, le vice de forme n'est pas tel qu'il annihilerait tous leurs effets juridiques des ordonnances pénales litigieuses. Aussi, ces décisions ne sont pas nulles, mais annulables. C'est du reste ce que l'appelante soutenait en première instance ainsi que dans sa déclaration d'appel.
Cela étant, on ne saurait reprocher à l'appelante d'avoir soulevé le moyen de manière tardive puisque l'opposition d'une prévenue ne nécessite pas de motivation (art. 354 al. 2 CPP) et que sa conseil l'a plaidé lors des premiers débats sur question préjudicielle, étant rappelé que c'est précisément à ce stade de la procédure qu'il peut être demandé du juge qu'il tranche un grief portant sur la validité de l'acte d'accusation (art. 339 al. 2 let. a CPP), et partant, sur la validité de l'ordonnance pénale qui en tient lieu.
2.6. En conclusion, le grief formel, invoqué en temps utile, est bien fondé et l'appel doit être admis.
Vu la nature du vice, il n'est pas possible d'y remédier en appel, de sorte que le premier jugement sera annulé et la cause renvoyée au TP pour qu'il annule les ordonnances pénales litigieuses dans le sens des considérants et renvoie la cause au SDC (art. 409 al. 1 et al. 2 CPP).
2.7. Les arguments au fond de la défense ne seront par conséquent pas examinés.
Il en va de même des reproches formulés par la défense à l'égard du RMSOP, dit règlement n'ayant pas été appliqué dans la présente affaire.
3. Les frais de la procédure d'appel et ceux de la procédure de première instance seront laissés à charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).
4. La décision sur les frais préjuge en principe de la question de l'indemnisation
(ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 ; 137 IV 352 consid. 2.4.2).
Aucune indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP ne sera cependant allouée à l'appelante pour l'ensemble de la procédure, puisque, bien qu'enjointe de le faire
par-devant le TP et par la Cour (cf. courrier du 14 janvier 2025), l'appelante n'a pas pris de conclusion en indemnisation, ce qui équivaut, selon la jurisprudence fédérale, à une renonciation tacite, faute d'avoir rempli son devoir de collaboration
(ATF 146 IV 332 consid. 1.3).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1432/2024 rendu le 27 novembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/21805/2023.
L'admet.
Annule ce jugement.
Renvoie la cause au Tribunal de police pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Laisse les frais de première instance et d'appel à la charge de l'État (art. 408 al. 4 CPP).
Notifie le présent arrêt au Tribunal de police et aux parties.
Le communique, pour information, à l'Office office cantonal de la population et des migrations (OCPM).
La greffière : Sonia LARDI DEBIEUX |
| La présidente : Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.