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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/23355/2020

AARP/175/2024 du 29.05.2024 sur JTCO/4/2024 ( PENAL ) , RECEVABLE

Descripteurs : RECOURS JOINT
Normes : CPP.401; CPP.403
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23355/2020 AARP/175/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt préparatoire du 24 mai 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

appelant,

intimé sur appel joint,

 

contre le jugement JTCO/4/2024 rendu le 12 janvier 2024 par le Tribunal correctionnel,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé,

appelant sur appel joint,


et

C______, partie plaignante,

D______, partie plaignante, comparant par Me Francesco MODICA, avocat, Harari Avocats, rue Ferdinand-Hodler 23, case postale, 1211 Genève 3.

 

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 12 janvier 2024, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO), après avoir classé plusieurs infractions, l'a reconnu coupable d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 let. c et d LStup), de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 du code pénal [CP]), de tentative de lésions corporelle simples aggravées (art. 22 cum art 123 ch. 2 al. 1 CP), de dommages à la propriété (art. 144 ch. 1 CP) et de menaces (art. 180 al. 1 CP) et l’a condamné à une peine privative de liberté de 24 mois, sous déduction de la détention avant jugement et avec imputation des mesures de substitution (art. 40 CP). Le TCO a également révoqué le sursis octroyé le 22 juin 2018 par le Ministère public de Genève à la peine de 120 jours-amende (art. 46 al. 1 CP).

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement des faits décrits dans l’acte d’accusation sous chiffre 1.3.1. let. c), d), e) et g), qualifiés d’infraction à la LStup, sous chiffre 1.3.4 let. a et 1.3.6, qualifiés de menaces au sens de l’art. 180 CP, sous chiffre 1.3.5, qualifiés de dommages à la propriété. Il conclut au constat de la violation du principe de célérité, à l’imputation des mesures de substitution subies en 2018, à ce que la peine prononcée n’excède pas la détention et les mesures de substitution subies et à la restitution de divers objets.

b. Dans le délai légal, le Ministère public (MP) forme un appel joint, concluant au prononcé d’une expulsion facultative au sens de l’art. 66abis CP, pour une durée de trois ans et sans inscription au SIS.

c. A______ conclut à l'irrecevabilité de l'appel joint et forme une demande motivée de non-entrée en matière.

L'appel joint du MP, qui sollicitait le prononcé d’une expulsion facultative, n'avait que pour objectif d'obtenir le retrait de l'appel principal et, partant, que le condamné renonce à toute voie de droit. Son acte traduisait ainsi un abus de droit, voire un moyen de pression intolérable – référence étant faite à l'ATF 147 IV 505 – dès lors qu'il n'avait fourni aucune explication dans sa déclaration d'appel sur les raisons du dépôt de son acte et qu'aucun fait nouveau ne venait justifier sa décision sur appel joint uniquement. La question de l’expulsion facultative n’avait aucun lien avec l’appel principal puisque la mesure demandée par le MP pourrait être prononcée même en cas d’admission de celui-ci. L'irrecevabilité devait être retenue au vu de l'unique objectif poursuivi.

d. Le MP conclut au rejet de la demande de non-entrée en matière et, partant, à la recevabilité de son appel joint.

Il avait utilisé, sans nullement abuser et en aucun cas par moyen de pression, une voie de contestation légale dès lors qu'il n'avait pas obtenu intégralement gain de cause par-devant le TCO, étant relevé qu’il avait conclu au prononcé d’une expulsion obligatoire au sens de l’art. 66a let. o CP devant les premiers juges, considérant que les faits décrits dans son acte d’accusation étaient constitutifs d’une infraction grave à la LStup. Les conclusions prises sur appel joint étaient plus limitées que celles requises en première instance puisqu’il tenait compte du verdict des premiers juges.

e. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions. Le MP n’expliquait pas pourquoi il formait appel joint.

B. Les faits pertinents à la décision sur la recevabilité de l'appel joint sont les suivants :

a. L'acte d'accusation du MP du 25 juillet 2023 qualifie les faits retenus sous chiffre 1.3.1 à l'encontre de A______ d’infraction grave à la LStup ; le TCO a toutefois retenu la qualification d’infraction simple à cette loi.

b. Aux débats de première instance, le MP avait conclu à un verdict de culpabilité pour les infractions non classées et conclu au prononcé d'une peine privative de liberté ferme pour une durée de 3 ans ainsi qu'à son expulsion du territoire suisse pour une durée de 5 ans avec inscription dans le système SIS.

EN DROIT :

1. Conformément à l'art. 403 al. 1 let. a du Code de procédure pénale (CPP), une décision écrite sur la recevabilité de l'appel doit être rendue lorsque la direction de la procédure ou une partie invoque l'un des moyens prévus par l'art. 403 al. 1
let. a à c CPP.

2. 2.1. L'art. 401 CPP prévoit que l'art. 399, al. 3 et 4, s'applique par analogie à l'appel joint (al. 1) ; l'appel joint n'est pas limité à l'appel principal, sauf si celui-ci porte exclusivement sur les conclusions civiles du jugement (al. 2) ; si l'appel principal est retiré ou fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière, l'appel joint est caduc (al. 3).

2.2.1.  Contrairement à ce qui prévaut pour les autres parties à la procédure (cf. 
art. 382 al. 1 CPP), la légitimation du MP pour entreprendre une décision ne dépend pas spécifiquement d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision. Il est ainsi admis que le ministère public, vu son rôle de représentant de la société, en charge de la sauvegarde des intérêts publics, peut en principe librement recourir, tant en faveur qu'en défaveur du prévenu ou du condamné (cf. art. 381 al. 1 CPP), sans avoir besoin de justifier au surplus d'être directement lésé par le jugement attaqué (ATF 147 IV 505 consid. 4.4.1 et arrêts du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022 consid. 5.2 ; 6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.1 ; 6B_715/2022 du 22 mars 2023 consid. 2.1.1).

2.2.2. Pour autant, si ces considérations sont susceptibles de valoir pleinement s'agissant d'un recours (cf. art. 393 CPP) ou d'un appel principal (cf. art. 398 CPP) déposé par le ministère public, on ne saurait d'emblée admettre qu'il doive en aller de même en toutes circonstances pour un appel joint (cf. art. 401 CPP), dont le caractère exclusivement accessoire par rapport à l'appel principal et les possibilités d'en abuser supposent une approche plus nuancée de la légitimation du ministère public.

Ainsi, le dépôt d'un appel joint implique, par définition, que son auteur ait précisément renoncé à former un appel principal et qu'il s'était dès lors accommodé du jugement entrepris, à tout le moins sur le point soulevé dans l'appel joint. Émanant du ministère public, l'appel joint présente dans ce contexte le danger de pouvoir être utilisé essentiellement comme un moyen visant à intimider le prévenu et dès lors être une source potentielle d'abus dans l'exercice de l'action publique. Il en va ainsi en particulier lorsque l'appel joint est interjeté par le ministère public dans le seul et unique but de faire obstacle à l'application de l'interdiction de la reformatio in pejus, au détriment du prévenu auteur de l'appel principal (cf. art. 391 al. 2,
1e phrase, a contrario CPP), et d'inciter indirectement ce dernier à le retirer
(ATF 147 IV 505 consid. 4.4.2 et arrêts du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022 consid. 5.3 ; 6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.2 ; 6B_715/2022 du 22 mars 2023 consid. 2.1.2).

2.2.3. Le législateur fédéral a introduit l'appel joint (cf. art. 401 CPP), tout en obligeant le ministère public à comparaître aux débats dans une telle hypothèse (cf. art. 405 al. 3 let. b CPP), afin de réduire les cas, constatés comme étant fréquents en pratique, dans lesquels l'appel joint était interjeté pour amener le prévenu à retirer son appel principal. S'il en ressort que le législateur avait ainsi bien conscience des potentiels abus susceptibles de survenir dans le cadre du recours à l'appel joint, il demeure en l'état loisible au ministère public, sans qu'une comparution à l'audience consacre une perspective réellement dissuasive, d'interjeter un appel joint à la suite de tout appel principal d'un prévenu. Cela ne saurait toutefois être admis si le seul et unique but de l'appel joint est de faire pression sur le prévenu (ATF 147 IV 505 consid. 4.4.3 et arrêts du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022 consid. 5.4 et 6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.3).  

2.2.4. Un exercice adéquat et raisonné de l'action publique implique en effet, pour le ministère public, s'il est d'avis que la sanction prononcée en première instance n'est pas équitable, de former lui-même un appel principal, qui exercera alors un effet dévolutif complet (cf. art. 398 al. 2 et 3 CPP), sans que le sort de ses réquisitions dépende d'un éventuel retrait de l'appel principal du prévenu, qui aurait pour conséquence de rendre son appel joint caduc (cf. art. 401 al. 3 CPP). Dans ce contexte, si, au regard de l'art. 381 al. 1 CPP, il n'y a pas matière à exiger du ministère public qu'il puisse justifier d'un intérêt juridiquement protégé lors du dépôt d'un appel joint, il convient de se montrer particulièrement strict s'agissant de la légitimation du ministère public à former un appel joint lorsque le dépôt d'un tel acte dénote une démarche contradictoire susceptible de se heurter au principe de la bonne foi en procédure (cf. art. 5 al. 3 Cst. ; art. 3 al. 2 let. a CPP). Il en va en particulier ainsi lorsque le ministère public forme, sans motivation précise et en l'absence de faits nouveaux dont il entendait par hypothèse se prévaloir (cf. art. 391 al. 2, 2e phrase, CPP), un appel joint sur la seule question de la peine en demandant une aggravation, alors que ses réquisitions à cet égard avaient été intégralement suivies par l'autorité de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_918/2022 du
2 mars 2023 consid. 1.3 et les références citées).

2.3. En l'occurrence, l'appel joint formé par le MP sur l’expulsion n'est pas abusif.

En effet, la jurisprudence est claire : il s'agit d'éviter que le MP forme, sans motivation précise et en l'absence de faits nouveaux, un appel joint sur la seule question de la peine en demandant une aggravation, alors que ses réquisitions en première instance ont été intégralement suivies par l'autorité de première instance.

Or, tel n'est pas le cas ici dès lors que le MP n'a pas obtenu gain de cause par-devant le TCO, tant sur le prononcé de l’expulsion – qu’il remet en cause – que sur la peine – qu’il ne conteste plus. Il s'ensuit que les deux jurisprudences citées par l'appelant ne lui sont d'aucun secours, étant relevé que le Tribunal fédéral a même souligné dans son arrêt 6B_68/2022, que l'appel joint aurait été recevable si le ministère public s'était limité à solliciter la peine requise en première instance (12 mois) au lieu de juger utile de demander une peine plus sévère sur appel joint (16 mois) (consid. 5.5).

Ceci est d’autant plus vrai que le MP sollicite ici une expulsion moins longue que celle requise en première instance, sans inscription au SIS, et a ainsi adapté ses conclusions au verdict de première instance. Dans ces conditions, le MP n'avait nullement besoin de motiver son appel joint ou de s'appuyer sur un fait nouveau. L'appelant savait que le MP avait la possibilité de faire appel, tant principal que joint, pour réclamer une condamnation plus sévère, basée sur son réquisitoire lors des premiers débats.

Dans un de ses récents arrêts (6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.4), le Tribunal fédéral a d'ailleurs confirmé ce principe en déclarant recevable l'appel joint par lequel le MP avait requis une peine privative de 18 mois, conformément à ses conclusions lors des premiers débats, alors que seule une peine pécuniaire de 140 jours-amende avait été prononcée en première instance. Le MP avait en outre utilisé cette voie pour contester un classement prononcé par le tribunal de première instance, alors même qu'il avait renoncé à déposer un appel principal sur ce point, tout comme sur la faible peine initialement fixée au regard de la peine requise.

Il ne peut en aller différemment du prononcé de l’expulsion, qui est une conséquence de la condamnation et doit, de ce point de vue, être assimilée à une sanction même s’il s’agit en réalité d’une mesure.

Au vu de ce qui précède, l'appel joint n'apparaît nullement abusif et l'existence d'une démarche contradictoire susceptible de se heurter au principe de la bonne foi est exclue. La demande de non-entrée en matière sera partant rejetée et l'appel joint déclaré recevable.

3. 3.1. Les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé (art. 428 al. 1 CPP).

3.2. La demande de non-entrée en matière formée par l'appelant est rejetée de sorte qu'il se justifie de mettre à sa charge les frais occasionnés par la présente décision, comprenant un émolument de décision arrêté à CHF 500.- (art. 14 du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale du 22 décembre 2010 [RTFMP]).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare recevable l'appel joint formé par le Ministère public contre le jugement JTCO/4/2024 rendu le 12 janvier 2024 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/23355/2020.

Condamne A______ aux frais de la présente décision par CHF 595.-, qui comprennent un émolument de CHF 500.-.

Réserve la suite de la procédure.

Notifie le présent arrêt aux parties.

 

La greffière :

Sarah RYTER

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

 

 

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

20.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

595.00