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Décisions | Tribunal pénal

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P/3095/2024

JTDP/1524/2024 du 13.12.2024 ( OPCTRA ) , JUGE

Normes : LCR.90
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

 

Chambre 5


13 décembre 2024

 

SERVICE DES CONTRAVENTIONS

contre

Mme A______, née le______ 1980, domiciliée ______ [France], prévenue, assistée de Me B______


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Service des contraventions conclut au maintien de son ordonnance pénale.

Me B______, conseil de A______, conclut à l'acquittement de sa mandante et à ce qu'il soit fait droit à sa demande d'indemnisation.

*****

Vu l'opposition formée le 13 octobre 2023 par A______ à l'ordonnance pénale rendue par le Service des contraventions le 3 octobre 2023;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 30 janvier 2024;

Vu les art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lesquels le tribunal de première instance statue sur la validité de la contravention et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables l'ordonnance pénale du Service des contraventions du 3 octobre 2023 et l'opposition formée contre celle-ci par A______ le 13 octobre 2023;

et, statuant à nouveau :

EN FAIT

A. Par ordonnance pénale du 3 octobre 2023 du Service des contraventions, valant acte d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir, le 30 mars 2023 à 17h26, sur la route de Gy, à Meinier, alors qu'elle conduisait un véhicule automobile de marque C______ immatriculé 1______ [France], modifié sa direction de marche sans égard aux véhicules venant en sens inverse ou à ceux qui suivent, avec accident et blessé(s) grave(s), comportement constitutif d'infraction à l'art. 90 al. 1 LCR, en relation avec les art. 26 et 34 LCR.

B. Les faits suivants ressortent du dossier :

a. Aux termes du rapport de renseignements du 31 mars 2023, A______, circulant en tant qu'automobiliste sur la route de Gy en provenance de la route de Corsinge, se dirigeait vers le chemin de la Reine Marie-Josée-d'Italie. Elle était suivie par les véhicules de D______ et de E______. Parvenue à la hauteur de ce chemin, elle a ralenti et enclenché son clignotant gauche pour signaler son intention de s'y engager. Elle a ensuite amorcé son virage à gauche pour effectuer son changement de direction.

Au cours de cette manœuvre, A______ n'a pas remarqué l'arrivée de F______, motocycliste circulant sur le même axe et dans le même sens. Ce dernier était en train d'effectuer une manœuvre de dépassement impliquant les trois véhicules le précédant : d'abord celui de E______, puis celui de D______, et enfin celui de A______. Alors qu'il venait de finir de dépasser le véhicule de D______, F______ n'a pas pu éviter la collision entre l'avant de son motocycle et l'arrière de la voiture de A______, lorsque celle-ci a obliqué à gauche.

La manœuvre de dépassement de F______ était autorisée à cet endroit et déjà largement engagée lorsque A______ a obliqué à gauche. A la suite de la collision, F______ a chuté, subissant des blessures graves, soit une fracture du bras gauche et un traumatisme à la jambe gauche.

A teneur de ce rapport du 31 mars 2023, il n'apparaît pas qu'une faute aurait été retenue à l'égard de F______ et qu'il aurait fait l'objet d'une contravention.

b. La police a fourni un croquis de l'accident ainsi qu'un cahier photographique, comportant notamment des clichés (numérotés 18 et suivants) des dégâts subis par le véhicule de A______. Ces dégâts sont situés sur l'arrière, au niveau de la fin du premier tiers du pare-chocs, dans le sens gauche-droite, ainsi qu'au niveau du pare-brise.

c. Dans un courriel du 8 mai 2023, A______ a transmis sa version des faits au Service juridique de l'Office cantonal des véhicules: selon celle-ci, le 30 mars 2023, elle circulait sur la route de Gy lorsqu'elle avait commencé à ralentir et enclenché son clignotant pour tourner sur sa gauche et s'engager dans le chemin de la Reine Marie-Josée-d'Italie. Alors qu'elle s'apprêtait à amorcer son virage, elle avait été percutée à l'arrière par un motocycliste. Tout s'était passé très rapidement. Selon les témoins, qui avaient également rapporté ces faits à la police, le motocycliste avait voulu dépasser le véhicule se trouvant directement derrière elle. Il avait déboité sans remarquer qu'elle avait enclenché son clignotant et ralenti pour tourner, avant de heurter violemment l'arrière de son véhicule.

d. Par courrier du 13 octobre 2023, A______ a formé opposition à l'ordonnance pénale en précisant que ses motivations parviendraient ultérieurement par courrier.

e. Par courrier du 24 novembre 2023, A______, sous la plume de son conseil, a soutenu qu'elle circulait dans le respect des limitations de vitesse et que la route, à cet endroit, était étroite, en pente ascendante, et comportait un long virage à droite, limitant la visibilité des usagers. Elle avait anticipé sa manœuvre de bifurcation à gauche en ralentissant, notamment pour laisser le temps à un véhicule circulant en sens inverse de passer. Une fois celui-ci passé, elle avait enclenché son clignotant gauche et marqué la présélection, autant que possible compte tenu de l'étroitesse de la route et de la présence du véhicule venant en sens inverse.

Elle a précisé qu'avant d'amorcer son virage, elle avait vérifié son rétroviseur intérieur et extérieur, ainsi que son angle mort en tournant la tête à gauche. Constatant qu'aucun obstacle n'était visible, elle avait alors commencé sa manœuvre. C'est à cet instant que le motocycliste avait percuté l'arrière de sa voiture.

Selon elle, le motocycliste circulait à une vitesse excessive. Il avait approché le groupe des trois voitures et entrepris de les dépasser successivement, sans bénéficier de la visibilité nécessaire pour effectuer une telle manœuvre, sa vision étant obstruée par les trois véhicules et la courbure de la route en pente ascendante. C'était donc par témérité et en violation des règles élémentaires de prudence que le motocycliste avait sciemment pris le parti de dépasser les trois véhicules, alors qu'il ne pouvait pas voir qu'elle-même était en train de ralentir, de mettre son clignotant, et de tourner à gauche. En raison de sa vitesse excessive, le motocycliste n'avait pas été en mesure de freiner ou d'éviter la collision. Elle avait agi conformément aux règles de prudence et de la circulation routière, ne pouvant pas anticiper l'arrivée du motocycliste, qui était masqué par les véhicules la précédant et qui était arrivé à une vitesse inappropriée.

f. A ce courrier, A______ a joint une déclaration écrite de D______ datée du 1er novembre 2023, dans laquelle ce dernier expliquait que, le 30 mars 2023, alors qu’il remontait la route de Gy en direction du chemin de la Reine Marie-Josée-d’Italie, un motocycliste l’avait doublé sur sa gauche. Après l’avoir dépassé, le motocycliste était resté sur la voie de gauche pour dépasser également le véhicule qui se trouvait environ 20 métres devant lui. Cependant, au moment où le motocycliste venait de dépasser son véhicule [celui de D______], la conductrice située devant lui avait entamé son virage en direction du chemin de la Reine Marie-Josée-d'Italie. Le motocycliste avait alors percuté l'arrière de la voiture en train de tourner.

Le tronçon de route était en rase campagne avec une pente ascendante constante. Les conditions météorologiques étaient favorables, avec un après-midi ensoleillé offrant une bonne visibilité. Il roulait à une vitesse de 80 km/h lorsque le motocycliste l'avait dépassé. Selon lui, le motocycliste avait effectué cette manœuvre rapidement, à une vitesse estimée à un minimum de 100 km/h.

Il relevait également que le chemin de la Reine Marie-Josée-d'Italie constituait une voie étroite et une déviation aigüe de la route de Gy qui nécessitait un virage lent et calculé. Ce type de manœuvre ne pouvait pas être réalisé à grande vitesse et obligeait le conducteur à ralentir, presque jusqu'à s'arrêter, sur la route de Gy avant de s'engager dans le chemin de la Reine Marie-Josée-d'Italie. Il fallait également être attentif aux véhicules circulant en sens inverse. Selon lui, il allait de soi que la conductrice qui le précédait avait correctement signalé son intention de tourner sur le chemin de la Reine Marie-Josée-d'Italie.

g. Le 13 décembre 2023, après avoir pris connaissance du courrier du 24 novembre 2023 de A______, le gendarme intervenu lors de l'accident du 30 mars 2023 a déclaré maintenir les conclusions de son rapport. Il relevait notamment que les arguments avancés par A______ étaient dénués de fondement et de pertinence, les considérant comme de simples spéculations sur la vitesse supposée du motocycliste, sans preuve aucune. Il ajoutait que A______ ne contestait pas le déroulement des faits, mais cherchait uniquement à se dédouaner de sa responsabilité en incriminant à tort le motocycliste.

Les témoignages produits par A______ n'étaient pas authentifiés et devaient être écartés. Il s'interrogeait par ailleurs sur la manière dont la main courante de la police – pièce n°4 produite par A______ à l'appui de son courrier du 24 novembre 2023 – avait pu être obtenue par elle et son conseil.

C.a. A l'audience de jugement du 11 novembre 2024, A______ a confirmé son opposition à l'ordonnance pénale prononcée à son encontre le 3 octobre 2023 par le Service des contraventions. Elle a maintenu contester tant les faits que la sanction prononcée. Au moment de l'accident, elle sortait du travail, allait récupérer sa fille à l'école et rentrait chez elle. C'était une journée normale, elle était détendue. Elle prenait cette route quotidiennement, du lundi au vendredi. Elle roulait à une vitesse normale, sans excès.

Confrontée aux divergences entre les explications qu'elle avait fournies le 8 mai 2023 au Service juridique de l'Office cantonal des véhicules et celles formulées par son avocat, notamment l’absence, dans son propre récit, de toute mention explicite de l’utilisation des rétroviseurs et de la vérification de l’angle mort, elle a précisé qu’elle n’avait pas décrit les événements dans le détail. Elle a expliqué qu'elle avait relaté les faits de manière succincte, sans savoir comment présenter les choses précisément.

S'agissant de sa visibilité au moment des faits, les conditions étaient claires: il faisait jour et elle voyait bien ce qui se trouvait devant elle. Il y avait un virage à droite et elle devait tourner à gauche. Elle avait vu F______ pour la première fois lorsqu'il avait atterri devant elle, après le choc. Elle ne s'expliquait pas comment elle avait pu ne pas voir le motocycliste en train de dépasser, bien qu’elle ait regardé dans ses rétroviseurs. Toutefois, elle savait qu’elle ne l'avait pas vu.

Elle avait manifesté son intention d'obliquer à gauche, ayant vu un véhicule circulant en sens inverse. Elle avait ralenti pour laisser passer ce véhicule, enclenché son clignotant, vérifié ses rétroviseurs et contrôlé l’angle mort. Elle avait été percutée alors qu'elle amorçait seulement sa manœuvre de virage.

S'agissant de la photo n°18 figurant au dossier de la procédure, elle a expliqué que l'impact sur l'arrière de son véhicule avait été causé par le choc avec le motocycliste, qui avait été projeté. Elle avait entendu le bruit de la vitre se briser avant de voir le motocycliste devant son véhicule. Cela l'avait beaucoup choquée. Il n'y avait eu aucun impact sur le côté gauche de son véhicule. Tout s'était produit à l'arrière.

Elle a également relevé que la route était étroite et dépourvue de marquage au sol, ce qui l’avait conduite à se positionner en voie de présélection et à se déporter légèrement pour laisser passer le véhicule venant en sens inverse. Elle avait effectué ses contrôles habituels avant de commencer à tourner, mais la moto l'avait percutée à l'arrière avant qu'elle ne puisse entamer pleinement sa manœuvre.

Elle avait contacté D______ après avoir reçu les ordonnances afin de connaître sa version des faits et comprendre ce qui s'était passé. Ce dernier lui avait d’abord relaté verbalement sa perception des événements avant de lui fournir une déclaration écrite à sa demande.

Concernant le croquis de la police, elle a indiqué qu'elle ne reconnaissait pas la position attribuée à son véhicule, mais elle a confirmé que deux véhicules se trouvaient derrière elle. Elle a supposé qu’elle n’avait pas vu le motocycliste en raison de son léger déport et du fait qu’il devait être masqué par l’un des véhicules. Compte tenu de la courbure de la route et de l’angle droit du virage à gauche, il n’était pas possible d’effectuer une telle manœuvre à grande vitesse.

b. Entendu en qualité de témoin, F______ a déclaré avoir été blessé lors de l'accident. Il avait dû interrompre son apprentissage d'horloger pendant deux mois et demi. Il avait été opéré et on lui avait posé une plaque et une broche, en raison d'une fracture du radius et d'un ligament déchiré. Il n'avait pas souffert d'autres fractures. Trois semaines auparavant, il avait dû faire retirer la plaque pour intégrer la marine française, mais il était tombé lors d’un footing la semaine précédente et s’était fracturé le bras au même endroit. Une nouvelle opération était prévue pour le lendemain de l'audience. Il espérait toujours intégrer la marine française en janvier 2025, mais estimait désormais que cela était compromis et qu’il devrait attendre une expertise médicale.

Sur le plan psychologique, il avait été marqué par l'accident, qui l'avait perturbé pendant un certain temps. Il avait fait des cauchemars. Rien ne lui avait été reproché et il n'avait pas reçu d'amende.

Concernant sa vitesse, il roulait, selon lui, aux alentours des 85 km/h, car c’était la vitesse qu’il avait vue sur son compteur juste avant l’accident, mais pas nécessairement celle qu’il avait atteinte au début du dépassement. Il se souvenait avoir donné ce chiffre à une policière qui l'avait interrogé dans l'ambulance. Il reconnaissait avoir dépassé rapidement, mais il contestait avoir roulé à 100 km/h, estimant cette affirmation inexacte. Il faisait encore jour et il bénéficiait d'une bonne visibilité. Il se souvenait vaguement avoir aperçu une lumière orange, ressemblant à un clignotant, environ une seconde avant la collision, mais il avait réalisé trop tard que le véhicule allait tourner. À ce moment-là, il s’était retrouvé trop proche de la voiture pour éviter la collision.

Il avait vu la voiture déjà bien engagée dans le virage. Pour éviter la collision, avec le recul, il aurait dû tenter de jeter sa moto sur le côté pour éviter l’impact, mais, sur le moment, il n’avait pas vu de solution. Il avait été surpris et il savait qu'il allait percuter la voiture. Dans ses souvenirs, il avait effectué un vol plané lors de l'impact. Sa moto s'était encastrée dans le véhicule, et, sauf erreur, sa tête avait touché la vitre avant qu'il ne chute sur le côté gauche. Il était titulaire de son permis de moto depuis moins de six mois au moment de l’accident. S'agissant de son dépassement, il a reconnu avoir voulu profiter de l’élan pour dépasser les trois véhicules d’une seule traite.

c. Entendu en qualité de témoin, D______ a confirmé qu'il circulait dans un véhicule qui suivait celui de A______ le 30 mars 2023 vers 17h30 sur la route de Gy.

S'agissant de son témoignage écrit, il l'avait rédigé à la demande de A______. Il roulait à une vitesse de 80 km/h ce jour-là, comme son tableau de bord l'indiquait. Il était avec sa fille qu'il ramenait de l'école. Le motard l'avait dépassé à une vitesse assez élevée, qu'il avait estimée à au moins 20 km/h supérieure à la sienne. Il avait également perçu le bruit élevé du moteur de la moto, ce qui avait attiré son attention.

Concernant le comportement de la prévenue avant d'obliquer à gauche, il ne pouvait pas être affirmatif. Il se souvenait que le motard l'avait lui-même dépassé rapidement. Il y avait en plus le bruit du moteur. Selon lui, une fois que le motard l’avait dépassé, il était évident que celui-ci tentait de dépasser également la prévenue et n’avait pas remarqué qu’elle amorçait son virage. Pour sa part, il avait anticipé l’accident et il l'avait vu se dérouler sous ses yeux. Il souhaitait lui-même prendre la même direction que A______, mais il avait été distrait par le bruit de la moto et n'avait pas remarqué si elle avait enclenché son clignotant.

Quand il avait écrit son témoignage sept mois après l'accident, certains détails lui paraissaient flous. Il n'était pas en mesure de confirmer si la prévenue avait regardé dans ses rétroviseurs ou vérifié son angle mort avant de tourner, car il avait été distrait par le motard. Il souhaitait lui-même emprunter le même virage et avait ralenti en conséquence. Il s’agissait d’une journée ensoleillée, mais il ne savait pas si le soleil avait pu altérer sa visibilité. Il n'était pas concentré sur la conductrice à ce moment-là et il n’avait pas pu observer un éventuel mouvement de sa tête. Selon lui, elle avait probablement freiné pour prendre le virage, qui formait un angle assez aigu par rapport à la route de Gy. A______ avait dû signaler sa manœuvre, compte tenu de l’endroit où elle tournait, mais il n’en était pas certain et ne pouvait l’affirmer avec assurance.

Il ne savait pas s'il avait vu un clignotant et ne pouvait pas l'affirmer. Il se trouvait à une distance de 15-20 m derrière le véhicule de A______. Il avait vu la moto dans son rétroviseur gauche et entendu son moteur avant de remarquer, en regardant à nouveau dans ce même rétroviseur, que le motard était en train de le dépasser.

A la question de savoir qui, selon lui, portait la faute dans cet accident, il a répondu qu'il était clair que le motard souhaitait dépasser les deux véhicules – le sien et celui de la prévenue – en une seule manœuvre. C'était un accident malheureux, mais le motard conduisait un peu vite et avait pris le risque de dépasser les deux véhicules consécutivement. Selon lui, la moto roulait forcément à vitesse supérieure à 85 km/h.

Il imaginait qu'il y avait une voiture derrière lui, car c'était l'heure de pointe, mais il n’avait pas remarqué de véhicule spécifique. Il avait simplement observé que des bouchons s’étaient formés après la chute du motocycliste, ce qui corroborait son impression qu’il devait y avoir d’autres voitures derrière lui.

d. Entendue en qualité de témoin, E______ a confirmé qu'elle circulait dans un véhicule qui suivait un ou deux véhicules lorsqu'un accident était survenu le 30 mars 2023, aux alentours de 17h30, sur la route de Gy. Elle n'était pas elle-même au volant, mais assise en tant que passagère du deuxième ou troisième véhicule de la file. Elle se souvenait qu'elle roulait sur cette grande route et que sa vitesse était modérée, car sa collègue respectait les limitations de vitesse.

Une moto les avait dépassées sur la gauche et à un moment donné, elle avait vu une voiture rouge tourner sur la gauche et la moto percuter cette voiture. Elle avait vu le motard être projeté dans les airs. En revanche, elle ne pouvait rien dire sur la vitesse de la moto. Sa collègue, qui conduisait, lui avait dit qu'il était passé vite, mais elle n'avait elle-même pas la perception suffisante pour évaluer la vitesse du motocycliste. Elle a précisé que sa collègue et elle étaient en train de discuter. Elle savait que le motard les avait doublées, mais elle ne pouvait pas dire à quelle vitesse il roulait.

S'agissant des gestes que la conductrice de la voiture rouge avait effectués, elle a expliqué que sa collègue avait mentionné que la conductrice avait mis son clignotant, mais elle ne l'avait pas vu d'elle-même dans la mesure où elle était assise du côté droit du véhicule. Elles étaient principalement préoccupées par le motocycliste, qui avait été projeté dans les airs, et leur attention s’était davantage portée sur cet aspect.

D. A______, ressortissante suisse, est née le ______ 1980. Elle est mariée et mère de deux enfants mineurs. Elle travaille en qualité d'opératrice de saisie à un taux d'activité de 50 %, pour un revenu brut de CHF 2'900.- versé treize fois par an. Elle paie une prime d'assurance-maladie de CHF 180.- et est propriétaire d'un bien immobilier financé par un crédit hypothécaire. Elle n'a aucun antécédent, en Suisse et à l'étranger.

 

EN DROIT

Culpabilité

1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 Cst. et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 127 I 28 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_804/2017 du 23 mai 2018, consid. 2.2.3.1).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 138 V 74 consid. 7 ; ATF 127 I 38 consid. 2a ; ATF 124 IV 86 consid. 2a).

2.1.1. L'art. 90 LCR constitue la base légale pour réprimer la violation des règles de la circulation routière (ATF 100 IV 71 consid. 1). Selon l'art. 90 al. 1 LCR, celui qui viole les règles de la circulation fixées par ladite loi ou par les prescriptions d'exécution émanant du Conseil fédéral est puni de l'amende.

2.1.2. L'art. 39 al. 1 let. a LCR prévoit qu'avant de changer de direction, le conducteur manifestera à temps son intention au moyen des indicateurs de direction ou en faisant de la main des signes intelligibles. Cette règle vaut notamment pour se disposer en ordre de présélection, passer d’une voie à une autre ou pour obliquer.

2.1.3. L'art. 34 al. 3 LCR prévoit que le conducteur qui veut modifier sa direction de marche, par exemple pour obliquer, dépasser, se mettre en ordre de présélection ou passer d’une voie à l’autre, est tenu d’avoir égard aux usagers de la route qui viennent en sens inverse ainsi qu’aux véhicules qui le suivent.

2.1.4. À cette obligation s'ajoute celle prévue par l'art. 36 al. 1 LCR et l'art. 13 OCR, qui imposent au conducteur souhaitant tourner à gauche de se mettre correctement en ordre de présélection, c'est-à-dire en se positionnant près de l'axe de la chaussée.

2.1.5. A teneur de l'art. 26 al. 1 LCR, chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies.

L'art. 26 al. 1 LCR énonce une règle de prudence. Si elle n'a qu'une valeur subsidiaire par rapport aux règles spéciales de circulation, elle n'en est pas moins importante pour l'interprétation des règles spéciales. Elle indique qu'elle est l'idée conductrice du comportement des usagers dans la circulation (ATF 94 IV 124, JdT 1969 I 408).

2.1.6. En vertu du principe de la confiance, déduit de l'art. 26 al. 1 LCR, l'usager, qui se comporte réglementairement, peut attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l'en dissuader, qu'ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c'est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (ATF 143 IV 500 consid. 1.2.4; 143 IV 138 consid. 2.2.2). Seul celui qui s'est comporté réglementairement peut invoquer le principe de la confiance. Celui qui viole des règles de la circulation et crée ainsi une situation confuse ou dangereuse ne peut pas attendre des autres qu'ils parent à ce danger par une attention accrue. Cette limitation n'est cependant plus applicable lorsque la question de savoir si l'usager a violé une règle de la circulation dépend précisément de la possibilité qu'il a d'invoquer le principe de la confiance, en d'autres termes, si et dans quelle mesure il pouvait se fonder sur le comportement de l'autre usager (ATF 143 IV 500 consid. 1.2.4; ATF 125 IV 83 consid. 2b).

Le principe de la confiance peut en règle générale être invoqué par le conducteur qui, roulant sur un axe principal, entend obliquer à gauche vers un axe secondaire. Si la situation du trafic le lui permet sans mettre en danger le trafic qui vient de l'arrière, on ne peut lui reprocher d'avoir contrevenu aux règles de la circulation lorsque sa manœuvre ne compromet en définitive la sécurité du trafic qu'en raison du comportement imprévisible d'un autre usager venant de l'arrière. En l'absence d'indice contraire, celui qui oblique ne doit en particulier pas compter avec l'éventualité d'être surpris par un véhicule survenant à une allure largement excessive, qui entreprend de le dépasser, ou par l'accélération brusque d'un conducteur qui était déjà visible et tente de le dépasser par la gauche. Dans l'intérêt de la sécurité du trafic, on n'admettra cependant pas facilement que le conducteur qui oblique à gauche puisse se fier à l'interdiction de dépasser par ce côté-là qui s'impose aux véhicules qui le suivent, car sa manœuvre gène la fluidité du trafic et crée une situation de nature à accroître le risque d'accidents en particulier pour les usagers arrivant de l'arrière. La manœuvre consistant à obliquer à gauche doit en particulier être effectuée avec les plus grandes précautions, parce que les intentions de celui qui oblique, même dûment signalées, peuvent aisément échapper aux autres usagers ou être mal comprises. Néanmoins, lorsque le conducteur s'est mis correctement en ordre de présélection et a enclenché son indicateur de direction gauche, il peut - sans être tenu de prêter attention une nouvelle fois, au moment où il oblique, au trafic qui le suit - compter en règle générale qu'aucun usager de la route ne le dépassera illicitement par la gauche (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1177/2017 du 16 avril 2018, consid. 2.7.1 et les références citées).

2.2. En l'espèce, il est établi que le 30 mars 2023, sur la route de Gy, une collision est survenue entre le véhicule automobile conduit par la prévenue et le motocycle conduit par F______, l'arrière du premier véhicule ayant été touché par l'avant du second. L'impact a été suffisamment fort pour causer des dommages matériels aux deux véhicules, ainsi que de sérieuses blessures au motocycliste (fracture du radius et déchirure du ligament). Cette collision est intervenue à l'occasion d'un changement de direction opéré par la prévenue, ce qu'elle ne conteste pas.

Le Tribunal constate que les circonstances de l’accident, telles qu'elles résultent des diverses déclarations, ne permettent pas d’établir une faute de la prévenue. En effet, rien ne permet de retenir avec une vraisemblance suffisante que celle-ci aurait omis de respecter ses obligations légales, en ne signalant pas son intention de tourner à gauche, en ne ralentissant pas, en n'enclenchant pas son clignotant et en ne positionnant pas son véhicule en ordre de présélection au centre de la chaussée.

Il est en outre établi que la prévenue n’avait pas progressé dans sa manœuvre de bifurcation au moment de la collision, puisque les traces de celle-ci sont visibles sur la partie arrière de son véhicule et non sur son côté gauche, ce qui confirme que ladite voiture, lors du choc, était encore alignée sur la chaussée et non pas perpendiculaire.

Par ailleurs, il est patent que la prévenue a dû ralentir fortement, d'une part pour laisser passer un véhicule circulant en sens inverse, et d'autre part en raison de la configuration du virage à gauche, particulièrement serré. Ce comportement est conforme aux règles de priorité applicables.

Un doute subsiste néanmoins quant à la question de savoir si la prévenue aurait pu voir le motocycliste, compte tenu de la courbure de la route et de la dynamique du dépassement. Bien que la vitesse exacte du motocycliste ne puisse être déterminée avec certitude, son intention déclarée de dépasser trois véhicules consécutivement, évoquée par lui-même, suggère qu’il adoptait une conduite qui réduisait sa prévisibilité pour la prévenue. La route étant également courbée vers la droite et en pente ascendante, la visibilité du motocycliste pour entreprendre un dépassement était limitée. Cette configuration, combinée à la déclaration des témoins affirmant que celui-ci roulait vite, suscite un doute quant à la pertinence, la sécurité et la prévisibilité du dépassement tenté par ce dernier. Ce doute est renforcé par le fait que le motocycliste a tenté de dépasser trois véhicules automobiles consécutivement, comportement qui s’écarte de ce que l’on peut raisonnablement attendre d’un conducteur prudent dans de telles conditions.

Ces éléments montrent que la prévenue a agi conformément aux règles de circulation et avec prudence. Sans attribuer de faute au motocycliste, en conformité avec l'appréciation de la police telle qu'elle ressort du rapport du 31 mars 2023, le Tribunal considère que son comportement a néanmoins joué un rôle prépondérant dans la survenance de l’accident.

Dans ce contexte, et en l’absence de preuve établissant que la prévenue aurait commis un manquement à ses devoirs de prudence ou de sécurité, le Tribunal l'acquittera du chef de violation simple des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 LCR cum art. 26 al. 1 et art. 34 al. 3 LCR).

Indemnités et frais

3.1. Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie, il a droit, notamment, à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

Le Message du Conseil fédéral indique que "cette disposition transpose la jurisprudence selon laquelle l'Etat ne prend en charge ces frais que si l'assistance était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail était ainsi justifié" (FF 2006, p.1313).

Au moment de déterminer si le recours à un avocat revêt un caractère raisonnable, la durée de la procédure et ses effets sur les relations personnelles et professionnelles du prévenu doivent être pris en considération, à côté de la gravité de l'accusation et de la complexité du cas en fait et en droit (ATF 138 IV 197 consid. 2.3.5, JdT 2013 IV 184). En ce qui concerne le caractère proportionné du volume de travail de l'avocat, ce dernier devra se limiter à un minimum dans les cas juridiquement simples. Lorsqu'il s'agit de crimes ou de délits, le concours d'un avocat ne pourra qu'exceptionnellement être considéré en tant que tel comme un exercice non raisonnable des droits de procédure (ATF 138 IV 197 consid. 2.3.5, JdT 2013 IV 184).

3.2. En l’espèce, sur la base de la note de frais et honoraires de son conseil, la prévenue a conclu à une indemnité au sens de l’art. 429 al. 1 let. a CPP d’un montant total de CHF 7'078.88 TTC, décomposée en des honoraires de CHF 6'872.20 correspondant à plus de dix-sept heures de travail, et des frais administratifs de CHF 206.18.

Au vu de l'infraction reprochée à la prévenue, du montant de l'amende en jeu et des aspects juridiques, l’assistance d'un conseil était nécessaire et raisonnable. Toutefois, la procédure a trait à une affaire de circulation routière d’ampleur modeste, ne nécessitant pas une activité extensive de la part de l’avocat. C'est aussi le lieu de rappeler que l'indemnité fondée sur l'art. 429 CPP ne saurait concerner une activité relative au volet administratif de l'affaire.

Ainsi, il ne saurait être fait droit sans autre à une indemnité correspondant à l’intégralité de la note produite. En effet, certains postes facturés apparaissent exagérés ou non indispensables. À titre d’exemple, on notera les entrées enregistrées sous la mention "rôle" dont on ne sait pas à quoi elles correspondent. Par ailleurs, le nombre important de courriels échangés avec la cliente et d’activités déclarées comme "étude du dossier", apparaissent disproportionnés au vu de la taille du dossier et des étapes de la procédure, qui se sont limitées à une opposition et à la suite judiciaire impliquée par celle-ci. Deux courriers principaux – l’opposition à l’ordonnance pénale et les réquisitions de preuves – ont été rédigés et il a fallu préparer l'audience de jugement et y prendre part, étant à cet égard précisé que les débats ont duré environ une heure et quarante minutes.

En tenant compte de ces éléments, le Tribunal retient, ex aequo et bono, que l’activité raisonnable, c’est-à-dire nécessaire et suffisante pour défendre les intérêts de la prévenue, doit être fixée à 9 heures de travail à un taux de CHF 450.-/h, soit un montant de CHF 4'050.-. À ce montant s’ajoutent les frais de CHF 206.18.

Par conséquent, l’indemnité allouée à la prévenue sera arrêtée au montant de CHF 4'256.18.

4. Compte tenu du verdict d'acquittement, les frais seront laissés à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

***


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant contradictoirement :

Acquitte A______ de violation simple des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 LCR cum art. 26 al. 1 et art. 34 al. 3 LCR).

Condamne l'Etat de Genève à verser à A______ CHF 4'256.18 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Office cantonal de la population et des migrations, Service cantonal des véhicules, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

 

La Greffière

Meliza KRENZI

La Présidente

Dania MAGHZAOUI

 

 

 

 

Voies de recours

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Lorsque seules des contraventions ont fait l'objet de la procédure de première instance, l'appel ne peut être formé que pour le grief que le jugement est juridiquement erroné ou que l'état de fait a été établi de manière manifestement inexacte ou en violation du droit. Aucune nouvelle allégation ou preuve ne peut être produite (art. 398 al. 4 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

Etat de frais

Frais du Service des contraventions

CHF

150.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

90.00

Frais postaux (convocation)

CHF

44.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

21.00

Total

CHF

655.00 laissés à la charge de l'Etat

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Notification à A______, soit pour elle son Conseil, au Service des contraventions et au Ministère public par voie postale.