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Décisions | Tribunal pénal

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P/7217/2021

JTDP/97/2023 du 26.01.2023 ( PENAL ) , JUGE

Normes : CP.123
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

 

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

26 janvier 2023

 

 

 

MINISTÈRE PUBLIC

contre

X______, né le ______, domicilié ______, prévenu et partie plaignante, assisté de Me Andreas DEKANY

Y______, né le ______, domicilié ______, France, prévenu et partie plaignante, assisté de Me Yann LAM

 


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut à :

-       un verdict de culpabilité à l'encontre de X______ des chefs de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP) et de voies de fait (art. 126 CP), à ce qu'il soit condamné à une peine pécuniaire de 50 jours-amende à CHF 80.- l'unité, avec un sursis de 3 ans, ainsi qu'à une amende de CHF 500.-;

 

-       l'acquittement de Y______ du chef de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP).

Y______, par la voix de son Conseil, conclut à son acquittement, à un verdict de culpabilité de X______ et persiste dans ses conclusions civiles et en indemnisation.

X______, par la voix de son Conseil, conclut à son acquittement, persiste dans ses conclusions en indemnisation, à un verdict de culpabilité de Y______, à sa condamnation aux frais de la procédure et à ce qu'il soit débouté de ses conclusions en tort moral.

* * *

EN FAIT

A.a. Par acte d'accusation du 10 mai 2022, il est reproché à X______ d'avoir :

- le 11 septembre 2020, sur le chantier du Théâtre de Carouge, alors que Y______ passait sous un échafaudage, versé de l'eau sale sur sa tête pour faire rire ses collègues;

faits qualifiés de voies de fait au sens de l'art. 126 CP.

- le 14 septembre 2020 aux environs de 07h00, sur le chantier du Théâtre de Carouge, touché les fesses de Y______ avec sa main pour plaisanter, puis lui avoir enfoncé une boulonneuse entre celles-ci. Il lui est également reproché, alors qu'il avait été repoussé par Y______ suite à son geste, d'avoir frappé ce dernier à plusieurs reprises au moyen de son outil au niveau du front, du bras et de la hanche gauche, et de lui avoir asséné un coup de poing dans le ventre, lui causant de la sorte une voussure au coude gauche avec deux plaies, des dermabrasions au visage, une contusion au genou gauche, ainsi qu'un hématome sur le ventre;

faits qualifiés de lésions corporelles simples au sens de l'art. 123 ch. 1 CP.

b. Par ce même acte d'accusation, il est reproché à Y______, d'avoir, le 14 septembre 2020 aux environs de 07h00, sur le chantier du Théâtre de Carouge, asséné un coup de genou sur la cuisse gauche de X______, lui causant de la sorte une contusion. Il avait agi ainsi après que X______ lui eut touché les fesses avec sa main, enfoncé une boulonneuse entre les fesses et frappé à plusieurs reprises au moyen de cet outil au niveau du front, du bras et de la hanche gauche:

faits qualifiés de voies de fait au sens de l'art. 126 CP.

B. Les éléments pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Le 14 septembre 2020, Y______ a déposé une plainte pénale (A-1ss) à l'encontre de X______ (ci-après : X______).

Y______ avait été placé chez A______ SARL par la société B______ SA pour y travailler en qualité de grutier. Le 14 septembre 2020, il s'était rendu au travail vers 6h45 et avait retrouvé ses collègues sur un chantier au théâtre du Carouge. Alors qu'il s'habillait, X______ avait mis sa main "entre les fesses" de Y______. Ce fait a été admis par X______ au cours de la procédure (B-9, C-9).

a.b. Une altercation avait suivi, et c'est après l'épisode de la main sur les fesses que les versions des intéressés divergent.

Y______ a déclaré qu'il était allé chercher du matériel et que X______ avait pris une boulonneuse et la lui avait enfoncée dans son derrière, ce qui, sans causer de lésions, avait été douloureux (A-2). Y______ avait repoussé X______ avec ses mains et ce dernier s'était alors "déchaîné" sur lui et l'avait frappé à plusieurs reprises avec la boulonneuse. Il avait été blessé au front, au bras et à la hanche gauche. Y______ avait repoussé violemment X______ et lui avait mis un coup de genou dans la jambe, avant que des collègues n'interviennent pour les séparer (C-10).

Après cet évènement, Y______ avait immédiatement dit à son chef de chantier qu'il ne pouvait plus rester travailler : il avait souhaité faire les choses bien car il était sur le chantier en tant qu'intérimaire, mais il ne pouvait accepter ce qu'il subissait (A-2).

a.c. Outre cet évènement particulier, Y______ a déclaré que X______ et d'autres collègues avaient pour habitude de ne jamais l'appeler par son prénom. On le surnommait "la souffleuse", "preto", qui signifie noir en portuguais, ou encore "pédé" (A-17, B-17). Ces humiliations, auxquelles il fallait ajouter que ses collègues lui demandaient régulièrement de payer à boire après la journée de travail, duraient depuis le mois de juin, date à laquelle ses collègues avaient appris qu'il entendait se faire embaucher par l'entreprise. Y______ avait beaucoup souffert de toutes ces petites humiliations quotidiennes (A-3). Durant sa période de travail chez A______ SARL, il avait demandé à plusieurs reprises à X______ d'arrêter de lui taper les fesses (B-17).

Y______ a déclaré que ces évènements l'avaient empêché de dormir pendant 3 mois (C-8). Il a confirmé que "ça n'avait jamais été", qu'il avait tout fait pour être accepté, et que ses collègues, conscients qu'il espérait être recruté par l'entreprise, lui avaient fait du mal. De son côté, il n'avait jamais répondu aux insultes. Il n'y avait jamais eu de relation d'amitié entre Y______ et ses collègues et il avait été blessé d'entendre X______ prétendre le contraire devant le Ministère public (C-13).

b. Selon X______ (B-8ss), Y______ et ses collègues avaient toujours rigolé ensemble. Ils appelaient Y______ "Souffleuse" pour rire. X______ a d'abord déclaré que Y______ avait réagi au fait que ce matin-là, il l'avait appelé "Souffleuse". Y______ s'était retourné pour lui donner un coup de genou dans les parties génitales, qu'il avait manquées, lui touchant ainsi la jambe. Après avoir reçu le coup, X______ avait repoussé Y______ des deux mains, mais ce dernier avait tenté de le frapper à nouveau et X______ lui avait donné un coup de poing dans le ventre. Leurs collègues avaient fini par les séparer. Il n'avait jamais mis la boulonneuse dans les fesses de Y______. Il ne l'avait pas non plus appelé "preto" car il n'était pas raciste (B-10, A-23).

Devant le Ministère public, X______ a admis que l'altercation avait débuté après qu'il eut donné une petite tape sur les fesses de Y______, lequel lui avait répondu avec un coup de genou dans le haut de la cuisse gauche (C-9). S'agissant de sa réponse, devant le Ministère public X______ a d'abord contesté avoir donné un coup à Y______ (C-9). Confronté à ses précédentes déclarations, il s'était dit "un peu confus", puis avait finalement admis avoir donné un coup de poing dans le ventre de Y______ (C-9, C-10). Lors de l'audience de jugement, X______ admettra avoir donné deux coups de poing.

c.b.a. C______, chef de chantier, n'avait pas été capable de décrire précisément l'altercation car il ne l'avait pas vue. Il était tout de même capable d'affirmer qu'il n'avait pas vu d'outil dans les mains de X______ (C-10). Il avait ajouté que la baraque à outils n'était pas encore ouverte à l'heure où les faits s'étaient déroulés (C-11).

c.b.b. D______ avait assisté à l'altercation. Il avait vu X______ mettre sa main sur les fesses de Y______ et ce dernier se retourner pour lui donner un coup de genou. X______ et Y______ s'étaient agrippés et leurs collègues les avaient séparés. Aucun outil n'avait été utilisé pendant la bagarre et il n'avait pas entendu d'insultes à l'égard de Y______ (C-62ss).

c.b.c. E______ avait également assisté à l'altercation. Devant le Ministère public, il avait reconnu Y______, dont il ne connaissait pas le prénom, et qu'il appelait "Souffleuse" (C-66). Selon ses déclarations, le 14 septembre 2020, X______ avait passé sa main sur les fesses de Y______, "comme il le faisait d'habitude pour plaisanter". Y______ avait donné un coup de genou à X______, puis les deux s'égaient agrippés (C-67). Aucun outil n'avait été utilisé durant la bagarre (C-68).

Selon E______, il était fréquent que X______ mette la main aux fesses de Y______, geste qu'il ne faisait toutefois pas à tout le monde (C-68, C-69).

d.a. Le 14 septembre 2020, une séance extraordinaire avait été ordonnée par le gérant de A______ SARL en raison de la bagarre qui avait eu lieu le jour-même sur le chantier du théâtre de Carouge. X______ avait expliqué qu'il était habituel entre collègues "de jouer la provoque" et il n'avait pas compris la réaction de Y______. Selon le rapport de cette séance, X______ avait commencé avec un geste inapproprié, auquel Y______ avait répondu par un coup de pied dans la cuisse, et X______ avait ensuite rendu coup pour coup. Le gérant de A______ SARL avait relevé que ce n'était pas la première fois que des éclats survenaient avec X______. C'est à cette occasion qu'il avait été proposé à X______ de présenter ses excuses formellement et par écrit à Y______. Il s'agissait d'un conseil qui lui était donné pour sa propre protection, même s'il estimait ne pas être responsable (C-27).

Cette lettre d'excuses, signée par X______ et datée du 14 septembre 2020, a été versée au dossier (C-29, C-30). A son sujet, X______ a d'abord déclaré ne pas avoir envoyé de mot d'excuses à Y______, avant d'admettre avoir seulement écrit son nom et sa signature car il avait été mis sous pression pour le faire, puis de finalement concéder qu'il était l'auteur de ce mot, mais qu'il avait été obligé de l'écrire. Il l'avait fait pour que les choses "restent entre amis". C'est son patron qui l'avait forcé à écrire ce mot pour éviter des problèmes avec la société intérimaire (C-12). La traduction de ce mot écrit en portugais était jointe à la version originale : "Moi, X______, présente mes immenses excuses pour ce qui est arrivé ce jour avec Y______ au chantier. Je promets que cela ne se reproduira plus".

d.b. Le 15 septembre 2020, une table ronde s'était tenue et Y______ avait été rassuré de voir que la situation était prise au sérieux. Y______ avait fait part à sa société de placement de la situation de harcèlement qu'il vivait depuis plusieurs semaines de la part de X______. Il n'en avait pas informé son agence plus tôt car il avait pensé pouvoir gérer la situation (C-16).

Y______ s'était dit disposé à retirer sa plainte, jusqu'à un échange téléphonique, le soir-même, avec son chef de chantier C______. Lors de cet échange, C______ s'était montré menaçant, avait rigolé quand Y______ lui avait demandé la raison de son appel et lui avait répondu "si tu reviens travailler ce sera dent pour dent, œil pour œil" (A-16).

Entendu par la police le 1er décembre 2020, C______ s'est défendu d'avoir tenu de tels propos. Il a déclaré qu'il avait effectivement appelé Y______ le 14 septembre 2020 au soir pour prendre des nouvelles. Il avait dit à Y______ que celui-ci était fatigué car son fils avait passé la nuit à l'hôpital. Cela avait fâché Y______, qui avait raccroché (A-15ss).

La lettre d'avertissement qu'elle avait adressée à X______ le 15 septembre 2020 a été remise au Ministère public par A______ SARL (C-25). Il en ressort que X______ avait été prié de ne plus se rendre sur le chantier jusqu'à nouvel ordre et que celui-ci s'était vu adresser un "sévère avertissement". Les actes de violence verbale, psychologique (harcèlement) ou physique n'étaient "justifiables en aucun cas" et ce n'était pas la première fois que X______ était mis en garde sur cette question. Le lien de confiance entre X______ et son employeur était rompu et la relation de travail sérieusement compromise.

d.c. Le 16 septembre 2020, Y______ avait appelé sa société de placement, qui lui avait expliqué qu'il fallait pour le moment laisser tomber l'emploi fixe qui lui avait été promis (A-17). Ses espoirs d'être engagé – lesquels étaient fondés, selon le délégué à la direction de A______ SARL (C-47) – s'étaient effondrés suite à l'évènement du 14 septembre 2020 (C-13).

e. S'agissant de l'épisode du seau d'eau, Y______ a déclaré que la semaine qui précédait l'évènement du 14 septembre 2020, X______ avait versé de l'eau sale sur sa tête alors qu'il passait sous un échafaudage, dans le but de faire rire ses collègues, tout en leur disant "regardez preto" (A-3, B-18). X______ a contesté ces faits (C-12) dont, relève le tribunal, aucun témoin n'a pu attester (C-62ss).

f.a. A l'appui de sa plainte, Y______ a produit un constat médical de l'unité des urgences ambulatoire (ci-après : UIMPV) des HUG du 14 septembre 2020 (A-8). Il ressort de ce constat que Y______ présentait des douleurs au coude gauche, au bas du ventre, au front et au genou gauche. L'examen médical avait mis en évidence, sur le plan physique : une voussure et deux plaies millimétrique au coude gauche, des dermabrasions au visage, une contusion locale au genou gauche, ainsi qu'un hématome sur le ventre. Il avait bénéficié d'un arrêt de travail pour une durée de 7 jours à partir du 14 septembre 2020.

Sur le plan psychique, Y______ présentait une réaction aigue face à un stress. Il vivait un sentiment d'humiliation, d'injustice et de tristesse, une anticipation anxieuse liée au travail, des ruminations anxieuses avec impact sur le sommeil et des répercussions diurnes (concentration, attention). Il avait une inappétence sur le lieu de travail et il somatisait. Il avait diminué ses loisirs depuis une semaine. Il trouvait de la ressource dans les échanges avec sa femme et de la motivation pour ses enfants. Il n'avait pas d'idéation suicidaire.

Y______ avait continué son suivi et, le 22 novembre 2021, il avait été vu à 15 reprises par l'UIMPV. A cette date, une évolution favorable avait été observée mais le suivi devait se poursuivre, au vu notamment des recrudescences des symptômes liés à la procédure pénale (C-50).

f.b. S'agissant de X______, un constat médical du 14 septembre 2020 attestait de douleurs abdominales diffuses ainsi que de douleurs à la cuisse gauche. Sur le plan psychique, X______ était en état d'interrogation, ne comprenant pas ce qui avait pu causer l'épisode de violences (C-37). Un certificat médical attestait d'une incapacité complète de travail pour une durée de 7 jours à partir du 14 septembre 2020 (C-39).

C.a Lors de l'audience de jugement du 26 janvier 2023, X______ a en substance confirmé ses déclarations précédentes : il avait donné (deux) coups de poing dans le ventre de Y______, mais n'avait jamais utilisé de boulonneuse et ne lui avait jamais versé d'eau dessus.

b. Y______ a également confirmé ses déclarations précédentes. Il a reconnu avoir asséné un coup de genou à X______. Il a confirmé, tel que déclaré au cours de la procédure, que X______ l'avait frappé à l'aide d'une boulonneuse. Les "plaisanteries" évoquées par X______ était un "jeu forcé", que celui-ci ne pratiquait qu'avec lui et pas avec les autres ouvriers. Il avait encore des douleurs au coude aujourd'hui et continuait son suivi psychologique. Il avait éprouvé du stress à l'approche de l'audience de jugement et il s'était senti mal. Y______ aurait aimé que X______ lui présente des excuses.

c. En complément des pièces déjà versées au dossier sur ce sujet, Y______ a déposé le rapport de consultation ambulatoire du 25 janvier 2023. Il en ressort que depuis le 24 septembre 2020, il avait consulté à 18 reprises. En substance, Y______ avait expliqué à ses soignants que depuis le début de son travail chez A______ SARL, la collaboration avec X______ avait été compliquée, celui-ci faisant beaucoup de blagues et de commentaires à ses dépens. Y______ n'avait jamais été appelé par son prénom, mais surnommé "Souffleuse" ou "preto" notamment. Il avait subi des brimades qu'il avait supportées pour se faire accepter par le groupe car il espérait se faire engager par l'entreprise A______ SARL. L'évènement du 14 septembre 2020 l'avait amené à chercher du travail ailleurs car les conditions n'étaient plus réunies pour qu'il puisse retourner sur le chantier du théâtre de Carouge.

Au début du suivi, Y______ avait présenté les symptômes psychiques suivants : troubles du sommeil, ruminations anxieuses, sentiment d'échec, de honte, de culpabilité, de profonde humiliation, découragement, thymie basse, auto-culpabilisation, difficultés de concentration, perte d'appétit, tristesse, irritabilité, flashbacks, souvenirs envahissants, pensées centrées sur les faits de violences. Ces symptômes étaient compatibles avec un état de stress aigu, qui correspondait au diagnostic initial, ainsi qu'un état anxio-dépressif. Un diagnostic de trouble de stress post-traumatique était également retenu. Au niveau somatique, Y______ s'était régulièrement plaint de douleurs centrées sur la partie gauche de son corps, en particulier son coude.

Y______ avait bénéficié d'un suivi psychologique individuel et spécialisé dans la prise en charge des violences subies. Grâce à un accompagnement médico-psychologique, aux ressources de Y______, ainsi qu'à son éloignement du lieu des violences, une évolution favorable avait été observée. Des recrudescences des troubles du sommeil et des symptômes traumatiques avaient toutefois été observées en lien avec la procédure, ce qui avait conduit Y______ à reprendre contact avec l'UIMPV.

En conclusion, les violences avaient eu un impact important sur la santé physique, psychique et sociale de Y______.

D.a. X______, né le ______1970, est de nationalité portugaise, titulaire d'un permis C. Il est marié et père de 2 enfants, nés en 2000 et 2007. Il est maçon et perçoit un revenu mensuel brut mensuel de CHF 5'272. Ses charges s'élèvent à CHF 1'640.- pour le loyer, CHF 1'015.- pour son assurance maladie, celle de sa femme et celle de son fils. Il est endetté à hauteur de CHF 40'000.-.

X______ est sans antécédent judiciaire.

b. Y______, né le ______ 1970, est de nationalité française et tunisienne. Il est au bénéfice d'un permis B. Il est marié et père de 4 enfants, nés en 2005, 2007, 2012 et 2019. Il est grutier et perçoit un revenu mensuel brut de CHF 5'750.-. Ses charges s'élèvent à EUR 750.- de loyer en France pour sa femme et ses enfants, CHF 560.- pour son logement à Bulle, CHF 230.- d'assurance-maladie pour lui et EUR 220.- pour sa femme et ses enfants. Il est endetté à hauteur d'EUR 6'000.-.

Y______ est sans antécédent judiciaire.

 

EN DROIT

Culpabilité

1.1.1. Selon l'art. 126 CP, celui qui se sera livré sur une personne à des voies de fait qui n’auront causé ni lésion corporelle ni atteinte à la santé sera, sur plainte, puni d’une amende.

L'art. 126 CP n'indique pas ce qu'il faut entendre par voies de fait. Dans un premier temps, le Tribunal fédéral a considéré qu'il s'agissait d'un acte qui fait quelque mal. Un changement de jurisprudence est intervenu en ce sens que le critère trop restrictif et subjectif du mal ressenti par la victime a été abandonné; désormais, constitue une voie de fait une atteinte physique excédant ce qu'il est admis de supporter selon l'usage courant et les habitudes sociales et qui ne cause ni lésions corporelles ni atteintes à la santé. Une telle atteinte peut exister même si elle n'a causé aucune douleur physique et qu'elle peut consister en un désagrément psychique; à titre d'exemples sont cités la gifle, le coup de poing ou de pied, les fortes bourrades avec les mains ou les coudes, les projections d'objets durs d'un certain poids, l'arrosage de la victime au moyen d'un liquide et le fait d'ébouriffer une coiffure soigneusement élaborée (ATF 117 IV 14 c. 2a avec la jurisprudence et la doctrine citées).

1.1.2. Selon l'art. 123 ch. 1 CP, celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne une autre atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

L'art. 123 CP réprime les lésions du corps humain ou de la santé qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP. Cette disposition protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique; ces objets de la protection pénale sont lésés par des atteintes importantes à l'intégrité corporelle, comme l'administration d'injections ou la tonsure totale; sont en outre interdits la provocation ou l'aggravation d'un état maladif, ou le retard de la guérison; ces états peuvent être provoqués par des blessures ou par des dommages internes ou externes, comme une fracture sans complication guérissant complètement, comme une commotion cérébrale, des meurtrissures, des écorchures, des griffures provoquées par des coups, des heurts ou d'autres causes du même genre, sauf si ces lésions n'ont pas d'autres conséquences qu'un trouble passager et sans importance du sentiment de bien-être; en revanche, lorsque le trouble, même passager, équivaut à un état maladif, il y a lésion corporelle simple.

1.1.3.  A teneur de l'art. 15 CP, quiconque, de manière contraire au droit, est attaqué ou menacé d'une attaque imminente a le droit de repousser l'attaque par des moyens proportionnés aux circonstances; le même droit appartient aux tiers.

Selon l'art. 16 al. 1 CP, si l'auteur, en repoussant une attaque, a excédé les limites de la légitime défense au sens de l'art. 15, le juge atténue la peine.

La légitime défense sera disproportionnée si elle ne tend pas seulement à repousser l’attaque, mais aussi à infliger une punition à l’attaquant (CR CP I, 2009, Art. 16 CP).

1.2.1. En l'espèce, le tribunal retient qu'il est établi que le 14 septembre 2020 une bagarre a éclaté entre X______ et Y______. Lors de celle-ci, des coups ont été portés de la part des deux intéressés. Tant X______, que Y______, ont été blessés et leurs lésions ont été attestées par des certificats médicaux. En revanche, il n'est pas établi que X______ aurait porté des coups à l'aide d'une boulonneuse, ce fait ayant été contesté par le prévenu et les déclarations des témoins à ce sujet ayant été catégoriques.

En conséquence, il sera retenu qu'après que X______ a mis la main aux fesses de Y______, celui-ci lui a asséné un coup de genou dans la jambe, et que X______ a répliqué en assenant à tout le moins 2 coups de poing dans le ventre de Y______.

Les infractions de lésions corporelles simples sont caractérisées par les lésions constatées de part et d'autre, ainsi que par le fait que les deux prévenus ont bénéficié d'un arrêt de travail d'une durée de 7 jours.

Le coup donné par Y______ en réponse à la main aux fesses a excédé ce qui était de nature à faire cesser l'attaque, si bien que l'état de légitime défense ne lui bénéficiera pas. En revanche, il sera tenu compte de son état de défense excusable dans la fixation de la peine.

Vu ce qui précède, les prévenus seront reconnus coupables de lésions corporelles simples.

1.2.2. S'agissant de l'épisode du seau d'eau, le prévenu a toujours contesté les faits et les témoins entendus ont déclaré ne jamais avoir vu X______ jeter de l'eau sur Y______.

Au bénéfice du doute, X______ sera acquitté du chef de voies de fait.

Peine

2.1.1. Selon l'art. 47 al. 1 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur, en tenant compte des antécédents et de la situation personnelle de ce dernier, ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir.

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP).

2.1.2. Selon l'art. 34 al. 1 CP, sauf disposition contraire, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende. Le juge fixe leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur. L'alinéa 2 précise que le jour-amende est généralement fixé entre CHF 30.- et CHF 3'000.-, en fonction de la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de ses revenus et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital.

2.1.3. Selon l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

2.2.1. S'agissant de X______, la faute n'est pas négligeable. Il s'en est pris à l'intégrité corporelle d'autrui pour des motifs futiles. Il a agi sous l'emprise d'une colère mal maîtrisée.

Rien dans sa situation personnelle n'explique, ni ne justifie son comportement.

Sa collaboration à la procédure n'a pas été bonne, il minimise les faits et reporte sa faute sur autrui.

Sa prise de conscience est inexistante et les excuses qui figurent à la procédure ne sont que de pure circonstance.

Il n'a pas d'antécédent judiciaire, facteur neutre sur la fixation de la peine.

Vu ce qui précède, X______ sera condamné à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à CHF 50.- le jour, peine qui sera assortie du sursis, le prévenu en remplissant les conditions au vu de l'absence de pronostic défavorable.

2.2.2. S'agissant de Y______, la faute n'est pas négligeable non plus. Il s'en est pris à l'intégrité corporelle d'autrui. Il a agi pour faire cesser une atteinte, mais a excédé les limites de la légitime défense.

Rien dans sa situation personnelle n'explique, ni ne justifie son comportement.

Sa collaboration à la procédure, tout comme sa prise de conscience, ont été excellentes.

Il n'a pas d'antécédent judiciaire, facteur neutre sur la fixation de la peine.

Vu ce qui précède, Y______ sera condamné à une peine pécuniaire réduite à 30 jours-amende, à CHF 50.- le jour, peine qui sera assortie du sursis, le prévenu en remplissant les conditions au vu de l'absence de pronostic défavorable.

Conclusions civiles

3.1.1 Selon l'art. 122 al. 1 CPP, en qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale.

En vertu de l'art. 126 al. 1 let. a CPP, le tribunal statue sur les prétentions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu.

3.1.2 Aux termes de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale. Les circonstances particulières évoquées dans la norme consistent dans l'importance de l'atteinte à la personnalité du lésé, l'art. 47 CO étant un cas d'application de l'art. 49 CO. Les lésions corporelles, qui englobent tant les atteintes physiques que psychiques, doivent donc en principe impliquer une importante douleur physique ou morale ou avoir causé une atteinte durable à la santé. Parmi les circonstances qui peuvent, selon les cas, justifier l'application de l'art. 47 CO, figurent avant tout le genre et la gravité de la lésion, l'intensité et la durée des répercussions sur la personnalité de la personne concernée, le degré de la faute de l'auteur, ainsi que l'éventuelle faute concomitante du lésé (ATF 141 III 97 c. 11.2 et les références citées).

3.2. En l'espèce, l'attaque subie par Y______ lui a causé une importante souffrance, qu'il a détaillée tout au long de la procédure, et qui est attestée par les constats produits. Y______ a été suivi psychologiquement durant toute la procédure et à un rythme régulier. Les symptômes qu'il a décrits étaient compatibles, à dires d'expert, avec un état de stress aigu, ainsi qu'avec un état anxio-dépressif. Un diagnostic de trouble de stress post-traumatique était également retenu. Selon ses médecins et psychologue, les violences subies avaient eu un impact important sur sa santé physique, psychique et sociale.

Compte tenu de l'infraction commise à son préjudice et des circonstances l'ayant entourée, un montant de CHF 1'500.- apparaît équitable.

Frais et indemnités

4. Vu l'issue de la procédure, les prévenus seront condamnés pour moitié chacun aux frais de celle-ci (art 426 CPP). Leurs conclusions en indemnisation, fondées sur l'art. 429 CPP, seront rejetées.

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant contradictoirement :

Acquitte X______ de voies de fait (art. 126 CP).

Déclare X______ coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch.  1 CP).

Condamne X______ à une peine pécuniaire de 40 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 50.-.

Met X______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit X______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne X______ à payer à Y______ CHF 1'500.-, avec intérêts à 5% dès le 14 septembre 2020, à titre de réparation du tort moral (art. 49 CO).

Rejette les conclusions en indemnisation de X______ (art. 429 CPP).

 

Déclare Y______ coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch.  1 CP).

Condamne Y______ à une peine pécuniaire de 30 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 50.-.

Met Y______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit Y______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Rejette les conclusions en indemnisation de Y______ (art. 429 CPP).

 

Condamne X______ et Y______ aux frais de la procédure, à raison d'une moitié chacun, qui s'élèvent à CHF 1'628.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Casier judiciaire suisse, Office cantonal de la population et des migrations, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

 

La Greffière

Silvia ROSSOZ-NIGL

La Présidente

Alexandra JACQUEMET

 

 

Vu le jugement du 26 janvier 2023 ;

Vu l'annonce d'appel formée par le Conseil de X______ le 2 février 2023 et par le Conseil de Y______ le 6 février 2023 (art. 82 al. 2 let. b CPP) ;

Vu la nécessité de rédiger un jugement motivé (art. 82 al. 2 let. b CPP) ;

Considérant que selon l'art. 9 al. 2 RTFMP, l'émolument de jugement fixé est en principe triplé en cas d'appel ;

Qu'il se justifie, partant, de mettre à la charge de X______ et de Y______ un émolument complémentaire.

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL DE POLICE

Fixe l'émolument complémentaire de jugement à CHF 1'200.-.

Met cet émolument complémentaire à la charge de X______ et de Y______.

 

La Greffière

Silvia ROSSOZ-NIGL

La Présidente

Alexandra JACQUEMET

 

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

Etat de frais

Frais du Ministère public

CHF

1160.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

90.00

Frais postaux (convocation)

CHF

21.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

7.00

Total

CHF

1'628.00

==========

Emolument de jugement complémentaire

CHF

600.00 à la charge de

X______

600.00 à la charge de Y______

==========

Total des frais

CHF

 

CHF

1'414.00 à la charge de

X______

 

1'414.00 à la charge de Y______

 

Notification par voie postale à X______, soit pour lui son Conseil, Me Andreas DEKANY

Notification par voie postale à Y______, soit pour lui son Conseil, Me Yann LAM

Notification par voie postale au Ministère public