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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/549/2011

DCSO/274/2011 du 25.08.2011 ( PLAINT ) , ADMIS

Descripteurs : Etat de collocation; Vice de procédure.
Normes : LP.244; 247; 250; OAOF.59.3; 63
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/549/2011-AS DCSO/274/11

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Autorité de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 25 AOÛT 2011

Plainte 17 LP (A/549/2011-AS) formée en date du 21 février 2011 par D______, élisant domicile en l'étude de Me Alexandre DE WECK, avocat.

 

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

- D______
c/o Me Alexandre DE WECK, avocat
Borel & Barbey Rue de Jargonnant 2 Case postale 6045 1211 Genève 6.

 

- Office des faillites

(Faillite n° 2010 xxxx30 R)


EN FAIT

A. a) La faillite personnelle de M. E______ (n° 2010 xxxx30 R /OFA 2), architecte, a été ouverte par jugement prononcé le 5 février 2010 par le Tribunal de première instance de Genève.

b) Le 2 septembre 2010, la D______ a produit dans cette faillite à l'encontre de M. E______ une créance de 7'808'506 fr., soit la contre-valeur de 5'983'300 €, avec intérêt à 5 % dès le 22 février 2006, fondée sur des contrats conclus entre les précités en avril 2004 en vue de la rénovation, notamment par M. E______, du complexe immobilier du Domaine X______ à Z______/France.

Ce montant se décomposait ainsi :

montants réclamés en justice [à la D______] par certains sous-traitants : 3'341'453 €

montant des créances cédées [à la D______] par certains sous-traitants : 1'111'524 €

- montants réclamés [par la D______ à M. E______] à titre de levée des réserves et réparations des désordres : 1'000'000 €

- pénalités contractuelles de retard [dues par M. E______ à la D______] au 22 février 2006 : 222'000 €

TVA payée [par la D______] suite à un redressement : 308 323 €.

c) L'Office des faillites (ci-après : l'Office) a fait publier l'état de collocation de cette faillite dans la FOSC du 9 février 2011.

La créance globale de la D______ y était admise en troisième classe sous le titre « créance résultant de contrats en relation avec le Domaine X______ à Z______ » et avec la mention suivante : « Votre créance est admise en 3ème classe pour mémoire. La collocation de production créance est réservée en raison de procédures pendantes diligentées contre le failli à savoir : 1) demande de paiement pendante devant le Tribunal de grande instance de B______, avec demande reconventionnelle. L'administration de la faillite décide de poursuivre ce procès. Les créanciers sont invités à faire connaître leur avis dans le délai de 10 jours dès la présente publication étant entendu que ceux qui ne répondront pas ou ne déclareront pas par écrit s'abstenir seront considérés comme approuvant la proposition de l'administration ».

B. a) Par acte expédié le 21 février 2011 au greffe de l'Autorité de surveillance de céans, la D______ forme une plainte contre cet état de collocation et conclut à ce que l'Office soit invité à en dresser un nouveau, qui devait admettre sans réserve ses créances en 3'341'453 €, 222 000 € et 308 323 €, les montants de 1'111'524 € et de 1'000'000 € pouvant y être mentionnés « pour mémoire » comme dans l'état de collocation contesté.

La D______ fait en effet valoir, en substance, que, dans le cadre du litige global l'opposant au failli en relation avec les travaux confiés à ce dernier dans le cas de la rénovation du Domaine X______ à Z______, seuls ces deux derniers montants font l'objet de procédures judiciaires - intentées par la D______, respectivement, les 7 mai 2007 et 16 mai 2008 - à l'encontre de M. E______ et pendantes devant les autorités compétentes françaises au moment de l'ouverture de la faillite de ce dernier, au sens de l'art. 63 al. 1 OAOF.

En revanche, les trois autres montants n'étant pas concernés par ces procédures judiciaires, ils doivent être admis sans autre à l'état de collocation de la faillite de M. E______.

b) Il ressort du courrier de production de ses créances, adressé par la D______ à l'Office le 2 septembre 2010, qu'elle avait formulé les remarques suivantes :

- les entreprises sous-traitantes mises en oeuvre par M. E______, qui n'avaient pas réglé leurs factures, réclamaient en l'état à la D______ un montant global de 3'341'453 €, qui correspondaient non seulement au paiement des travaux effectués, mais également au remboursement de « pots-de-vin » exigés par le failli de la part de ces sous-traitants comme condition à l'adjudication des travaux en question.

- M. E______ ne s'était pas acquitté de la TVA française due à hauteur de 308 323 € sur des montants qu'il avait pourtant, conformément aux accords contractuels d'avril 2004, facturés TTC à la D______.

- ces accords avaient en outre fixé la fin de l'ensemble des travaux de rénovation au 15 juillet 2005, échéance qui n'avait pas été respectée par M. E______, de sorte qu'il devait à la D______ les pénalités contractuelles de retard produites à hauteur de 222'000 €.

c) Dans ses observations déposées le 19 avril 2011, l'Office souligne que la D______ et M. E______ sont en litige, non seulement au sujet des modalités ainsi que des défauts et des dépassements de délais allégués par la D______ dans le cadre des travaux de rénovation du Domaine de X______, mais également sur la qualification du contrat ayant lié les parties, et, partant, de l'identité du débiteur devant payer les fournisseurs.

Cette dernière question est, aux yeux de l'Office, essentielle pour la résolution des litiges portés devant le Tribunal de grande instance de B______ par la D______, s'agissant des productions de créances en 1'111'524 € (montants payés par la D______ à certains sous-traitants, avec subrogation) et en 1'000'000 € (estimation du prix de réparation des malfaçons).

À cet égard, l'Office estime avoir valablement inscrit avec la mention « pour mémoire » ces deux productions de la D______ à l'état de collocation contesté, cela en application de l'art. 63 al. 1 OAOF.

Quant aux trois autres productions de créances formulées par la D______ et faisant l'objet de la présente plainte, l'Office se détermine comme suit :

- créance alléguée en 3'341'453 € : ce montant est, en l'état, réclamé à la D______ dans le cadre de 13 procédures distinctes initiées par des sous-traitants devant les tribunaux français. Ces procédures sont pendantes, de sorte que tant le principe que le montant de la créance de la D______ dans le cadre de la présente faillite - correspondant, cas échéant, à son droit de recours contre le failli à la suite de sa condamnation par les tribunaux français au paiement de tout ou partie de ce montant - sont encore hypothétiques.

Cette créance ne peut dès lors être admise en l'état pour ce motif à l'état de collocation.

- créances alléguées en 222 000 € (pénalités de retard) et en 308 323 € (TVA) : l'Office admet implicitement - en mentionnant que ces créances ont été suspendues - que l'incertitude sur la personne du débiteur de ces montants, question qui dépend de la qualification juridique du contrat conclu entre la D______ et M. E______, aurait dû le conduire à expressément mentionner la suspension de la collocation de ces deux créances en application de l'art. 59 al. 3 OAOF.

Enfin, l'Office souligne, en se référant à des pièces qu'il produit, soit un courrier de son avocat français et une expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal de grande instance de B______, que la D______ pourrait se voir opposer en compensation de ces créances ci-dessus alléguées à l'encontre du failli la somme de 1'784'628 € qui pourrait être invoquée par l'administration de la faillite le moment venu.

EN DROIT

1. 1.1. La présente plainte a été interjetée dans le délai de dix jours prévu par l'art. 17 al. 2 LP.

1.2. L'état de collocation peut être contesté par la voie de la plainte devant la présente Autorité de surveillance - et non par la voie de l'action en contestation de l'état de collocation devant le juge au sens de l'art. 250 LP - s'il y a eu un vice de procédure lors de l'établissement de cet acte.

En effet, les autorités de surveillance sont seules compétentes pour connaître des griefs visant la procédure suivie pour dresser et déposer l'état de collocation, à savoir pour déterminer ce qu'il peut ou doit contenir (Pierre-Robert Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, 2001, ad art. 247 LP n° 48 et jurisprudences citées).

En l'espèce, la D______, dont la qualité pour agir en tant que créancière du failli n'est pas contestée, se plaint d'un vice d'ordre formel, puisqu'elle estime que l'Office, administrateur de la faillite de M. E______, a violé l'art. 63 OAOF, en mentionnant seulement " pour mémoire " dans l'état de collocation contesté, l'ensemble des créances qu'elle a produites, alors qu'elle devait y admettre sans réserve au moins trois des montants produits.

1.3. La présente plainte est dès lors recevable.

2. 2.1. L'administration de la faillite, en l'occurrence l'Office, doit, sur la base de la liste des productions (art. 244 LP), prendre pour chaque prétention une décision quant au montant admis et au rang à lui assigner, et l'inscrire dans l'état de collocation. A la suite de chaque production, mention est faite de la décision prise par l'administration sur son admission ou son rejet.

S’agissant plus particulièrement des créances faisant l’objet d’un procès au moment de l’ouverture de la faillite, l’art. 63 al. 1 OAOF prévoit que l’administration de la faillite n’a pas à statuer sur l’admission au passif de ce type de prétentions, mais doit les mentionner pour mémoire dans l’état de collocation. Si le procès est continué par la masse en faillite, la créance sera, selon le jugement rendu, ou radiée ou colloquée définitivement. Les créanciers n’ont alors plus le droit d’attaquer l’admission de la créance au passif et l’état de collocation ne fait pas l’objet d’une nouvelle publication (art. 63 al. 3 OAOF).

En l'espèce, la plaignante admet, à juste titre, que ses prétentions en 1'111'524 € et 1'000'000 € à l'encontre du failli peuvent être mentionnées « pour mémoire » dans le nouvel état de collocation dont elle demande l'établissement, comme elles le sont déjà dans le cadre de l'état de collocation contesté.

En effet, ces créances font l'objet de procédures judiciaires devant les autorités compétentes françaises, qui étaient déjà pendantes lors de l'ouverture de la faillite.

2.2. Selon l'art. 247 LP, l'état de collocation doit être dressé dans les soixante jours qui suivent l'expiration du délai pour les productions. Il doit contenir, en principe, une décision au sujet de chaque créance produite, de manière à permettre une vue d'ensemble.

Si, exceptionnellement, l'administration de la faillite n'est pas encore en mesure de se déterminer au sujet d'une production, elle est autorisée, en application de l'art. 59 al 3 OAOF, à surseoir à statuer sur cette production et à compléter ultérieurement l'état de collocation, ou à suspendre le dépôt de cet acte. Elle ne peut toutefois procéder de la sorte qu'en présence de difficultés ou d'obstacles sérieux (Pierre-Robert Gilliéron, op. cit. n° 25 et les réf. citées).

En l'espèce, il apparaît que, lors de l'établissement de l'état de collocation contesté, l'Office ne pouvait se déterminer définitivement sur l'admission ou le rejet des trois créances en 3'341'453 €, 222 000 € et 308 323 €, dont la plaignante demande aujourd'hui l'admission pure et simple à un nouvel état de collocation.

En effet, les litiges opposant la D______ à M. E______ au sujet de ces montants, même s'ils ne faisaient pas l'objet d'une procédure judiciaire proprement dite lors de l'ouverture de la faillite de ce dernier, ne permettaient pas à l'Office de prendre une position claire à l'égard de ces productions, avec toutes les conséquences légales en découlant.

C'est la raison pour laquelle il a d'ailleurs reconnu dans le cadre de ses observations au sujet de la présente plainte que la créance en 3'341'453 € ne pouvait pas être admise, ni dans son principe ni dans son montant, à l'état de collocation, alors que la décision au sujet des créances produites en 222'000 € et en 308'323 € aurait dû être suspendue jusqu'à plus ample précision sur la qualification juridique du rapport contractuel ayant lié la D______ au failli.

Dans ces circonstances, l'Autorité de surveillance considère qu'il s'impose d'attendre le prononcé du jugement français qui devrait statuer définitivement, non seulement sur la question des deux créances de la D______ admises « pour mémoire » à l'état de collocation contesté, mais également de facto clarifier la qualification juridique du rapport contractuel ayant lié la D______ au failli ainsi que les modalités d'exécution de ce rapport contractuel, ce qui permettra tout d'abord à l'Office de déterminer la suite à donner aux prétentions de la D______ à l'encontre de la masse en faillite, relatives à des pénalités de retard et à un remboursement de TVA.

De même, il y a lieu d'attendre l'issue des procédures en paiement de leurs factures initiées à l'encontre de la D______ par les sous-traitants mis en oeuvre par le failli, avant d'admettre le principe ainsi que la quotité d'une éventuelle créance récursoire de la D______ à l'encontre de la masse en faillite, dans le cadre des rapports contractuels ayant lié ladite D______ au failli.

Dans l'intervalle, l'Office sera invité à inscrire en 3ème classe ces prétentions de la D______ en 3'341'453 €, 222 000 € et 308 323 €, dans le cadre d'un nouvel état de collocation, avec l'indication que la décision définitive à leur sujet restera suspendue jusqu'à droit jugé en application de l'art. 59 al. 3 OAOF.

 

3. Conformément aux art. 20a al. 1 LP, 61 al. 2 let. a et 62 al. 2 OELP, il n’y a pas lieu de percevoir d’émolument de justice, ni d’allouer des dépens.

 

 

 

 

 

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
L'Autorité de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée par la D______ à l'encontre de l'état de collocation établi le 9 février 2011 par l'Office dans la faillite de M. E______ et publié le même jour dans la FOSC.

Au fond :

Invite l'Office des faillites à établir un nouvel état de collocation rectifié conformément au considérant sous ch. 2. in fine ci-dessus de la présente décision.

Siégeant :

Madame Valérie LAEMMEL-JUILLARD, présidente; Madame Florence CASTELLA et Monsieur Mathieu HOWALD; juges assesseur(e)s; Madame Véronique PISCETTA, greffière.

 

La présidente :

Valérie LAEMMEL-JUILLARD

 

La greffière :

Véronique PISCETTA

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par l'Autorité de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.