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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/248/2017

DCSO/261/2017 du 04.05.2017 ( PLAINT ) , REJETE

Descripteurs : REVENDICATION
Normes : LP.106
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/248/2017 DCSO/261/17

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 4 MAI 2017

Plainte 17 LP (A/248/2017) formée en date des 23 et 26 janvier 2017 par A______ SA, élisant domicile en l'étude de Me Rocco RONDI et Me Karin VALENZANO ROSSI, avocats.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 4 mai 2017
à :

- A______ SA
c/o Me Rocco RONDI et
Me Karin VALENZANO ROSSI, avocats
BMG Avocats
Case postale 385
1211 Genève 12.

- B______
c/o Me Christian GIROD et
Me Blaise STUCKI, avocats
Etude Schellenberg & Wittmer
Rue des Alpes 15 bis
Case postale 2088
1211 Genève 1.

 

- C______ Co
c/o Me Albert RIGHINI, avocat
RVMH Avocats
Rue Gourgas 5
Case postale 31
1211 Genève 8.

- Office des poursuites.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA (ci-après : A______), société de trading en matières premières ayant son siège au D______ (Suisse), et E______ INC (ci-après : E______), compagnie maritime enregistrée aux Iles Marshall mais basée en Ukraine, ont conclu quatre contrats de Forward Freight (Swap) Agreements entre mars et août 2008 portant sur des routes maritimes définies par la bourse baltique (l'une des bourses de fret maritime mondial).

b. Considérant que E______ avait violé les termes et conditions de ces accords en requérant sa faillite le 15 octobre 2008 auprès des tribunaux grecs (laquelle a été rejetée compte tenu de l'incompétence du tribunal saisi), A______ a entamé une procédure judiciaire par-devant les juridictions londoniennes en novembre 2010. Par jugement définitif et exécutoire du 13 décembre 2010, la Commercial Court de la Queen's Bench Division de la High Court of Justice à Londres a condamné E______ à verser à A______ la somme de 19'907'118.36 USD.

B. En vue de recouvrer cette créance et de préserver ses droits, A______ a requis plusieurs séquestres et initié plusieurs procédures à l'encontre de E______ ainsi qu'à l'encontre de B______ et plusieurs sociétés du groupe F______, soutenant que B______, résident ukrainien, avait usé de sa position dominante au sein de E______ pour vider cette société de sa substance en transférant frauduleusement ses avoirs à des entités du groupe F______, dont il était le seul ayant droit économique.

Le groupe F______, actif dans le shipping international, réunit une soixantaine de sociétés maritimes, dont G______ LTD (ci-après : G______; enregistrée aux Iles Marshall), C______ Co (ci-après : C______; enregistrée aux Iles Marshall), H______ LTD (ci-après : H______; enregistrée aux Iles Vierges britanniques) et I______ LTD (ci-après : I______; enregistrée à Hong Kong; détenue par G______).

a. En date du 22 novembre 2013, A______ a saisi les autorités de l'Etat de Virginie (Etats-Unis d'Amérique) d'une requête de séquestre visant le navire «J______» qui y était amarré. La demande a été dirigée contre E______, H______ et K______ LTD (ci-après : K______; enregistrée à Singapour; détenue par G______; propriétaire présumée du navire).

Par jugement du 19 septembre 2014, rendu après instruction complète de la cause, la United States District Court for the Eastern District of Virginia Norfolk Division a ordonné le séquestre et la vente forcée du bateau. Elle a notamment considéré que E______, H______ et B______ étaient des «alter egos» en application du droit américain et que E______ avait frauduleusement transféré ses actifs ainsi que le contrat d'affrètement du navire à H______ dans le but de se soustraire à ses créanciers. Compte tenu des circonstances et des liens entre les parties, cette juridiction est également parvenue à la conclusion que E______, H______, K______ et B______ étaient solidairement et conjointement responsables de leurs dettes, en particulier de celle contractée par E______.

Ce jugement a été confirmé par la United States Court of Appeals for the Fourth Circuit le 24 novembre 2015.

b. Le 25 août 2014, A______ a saisi les autorités de ce même Etat américain d'une demande au fond visant à condamner B______ et les sociétés du groupe F______ au paiement à titre solidaire de sa créance reconnue par jugement anglais. Cette procédure a toutefois été retirée le 24 novembre 2014.

c. A______ a également requis sept séquestres sur des avoirs situés en Suisse.

c.a. Deux d'entre eux ont été ordonnés le 7 octobre 2014 par le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal). L'un était dirigé contre C______ (séquestre n° 14 xxxx41 S; C/1______) et l'autre contre B______ (séquestre n° 14 xxxx40 T; C/2______), mais tous deux portaient sur les mêmes avoirs, à savoir ceux «appartenant ou relatifs» à C______ «et/ou» à B______ en mains de L______ SA et M______, à concurrence de 19'247'800 fr. (au taux de change de USD 1 = CHF 0.96688). Les titres des créances invoquées étaient les jugements anglais et américains rendus les 13 décembre 2010 et 19 septembre 2014.

L'Office des poursuites (ci-après : l'Office) a exécuté ces deux séquestres le jour-même par avis adressés aux établissements bancaires précités, puis a adressé les procès-verbaux de séquestre aux parties le 28 octobre 2014.

A______ a validé lesdits séquestres le 6 novembre 2014 par l'introduction de deux poursuites, l'une à l'encontre de C______ (poursuite n° 14 xxxx35 E) et l'autre à l'encontre de B______ (poursuite n° 14 xxxx36 D). Le commandement de payer relatif à poursuite n° 14 xxxx35 E a été notifié le 14 décembre 2016 à C______ aux Iles Marshall. Le délai d'opposition est de 90 jours. Le commandement de payer relatif à la poursuite n° 14 xxxx36 D a été notifié le 6 mars 2015 à B______ en Ukraine et le 17 juin 2015 à son domicile élu à Genève. Il a été frappé d'opposition.

Parallèlement, B______ et C______ ont formé opposition aux séquestres le 10 novembre 2014. Par jugements OSQ/3______ (C/2______) et OSQ/4______ (C/1______) du 17 avril 2015, le Tribunal a rejeté ces oppositions. Faisant sien le raisonnement juridique retenu par le juge américain, il a considéré que B______ et les sociétés du groupe F______, dont C______, étaient des «alter egos» de E______, de sorte qu'ils étaient débiteurs solidaires de sa dette. A______ avait ainsi rendu vraisemblable la titularité des biens dont les séquestres avaient été requis. Ces deux jugements ont été portés devant la Cour de justice par les débiteurs séquestrés. Par arrêts du 14 septembre 2015, cette juridiction a rayé les causes du rôle ensuite du retrait des recours.

Par acte introduit le 25 janvier 2016 au Tribunal après échec de conciliation, A______ a agi en reconnaissance de dette à l'encontre de B______, C______, H______ et I______ en validation du séquestre n° 14 xxxx40 T (C/2______). Cette procédure, référencée sous C/5______, est actuellement pendante.

c.b. Les cinq autres séquestres ont été ordonnés les 10 avril, 4 mai, 11 juin et 26 juin 2015 par le Tribunal. Trois d'entre eux ont été requis au préjudice de B______, le quatrième au préjudice de H______ et le dernier contre I______. Ils visent tous les mêmes biens, à savoir une créance en mains de N______ SA en relation avec l'affrètement du navire «O______», propriété présumée de I______.

c.c. A plusieurs reprises, les débiteurs ont requis l'Office de prononcer le non-lieu des séquestres.

Pardécision du 13 juillet 2016, l'Office a maintenu les cinq séquestres en mains de N______ SA sur la créance telle que décrite dans les ordonnances de séquestre. B______, I______, H______ et A______ ont porté plainte contre cette décision le 25 juillet 2016. Les débiteurs reprochaient notamment à l'Office de ne pas avoir statué sur les indications contradictoires de A______ quant à la titularité des biens à séquestrer, lesquelles auraient dû entraîner la nullité des mesures d'exécution des séquestres en l'absence de propriété en main commune ou de solidarité des poursuivis.

Par décision du 26 juillet 2016, l'Office a maintenu le séquestre n° 14 xxxx40 T à l'encontre de B______, se déclarant incompétent pour se prononcer sur la titularité des comptes et renvoyant les intéressés à faire valoir leurs droits dans la procédure d'opposition à séquestre et, dans l'hypothèse où leur requête venait à être rejetée, par le biais de la procédure de revendication au sens des art. 106 ss LP. B______ a porté plainte contre cette décision le 8 août 2016, arguant que A______ ne pouvait pas attribuer la titularité des biens à séquestrer à plusieurs débiteurs, hormis le cas de propriété en main commune ou la solidarité.

Par décisions DCSO/6______ et DCSO/7______ du 10 novembre 2016, la Chambre de surveillance a rejeté les plaintes précitées. Elle a notamment relevé que les indications multiples de la créancière au sujet de la titularité de la créance à séquestrer dénotaient qu'elle hésitait à l'attribuer à l'un ou à l'autre de ses débiteurs, dont elle avait confirmé qu'elle les poursuivait solidairement. Or, il n'appartenait ni à l'Office ni à l'autorité de surveillance de trancher la question de savoir si les comptes bancaires séquestrés appartenaient à leur titulaire formel ou à B______ en vertu de leur identité économique. Au demeurant, le Tribunal avait déjà constaté que la créancière était légitimée à solliciter plusieurs séquestres pour la même créance, au vu de l'identité économique des poursuivis. Le Tribunal avait également retenu que la créancière avait rendu vraisemblable la titularité des biens dont le séquestre avait été requis.

C. a. Par courrier du 29 décembre 2016 adressé à l'Office, C______ a revendiqué l'intégralité des avoirs visés par le séquestre n° 14 xxxx40 T.

b. Après avoir obtenu la confirmation, par les tiers séquestrés, de ce que les comptes ouverts auprès de L______ SA et de M______, l'avaient été au nom de C______, l'Office a fixé à A______ un délai de vingt jours pour agir en contestation des prétentions du tiers revendiquant devant le juge compétent, faute de quoi celles-ci seraient réputées admises dans la poursuite en cause.

Ces avis (l'un relatif aux avoirs séquestrés en mains de L______ SA et l'autre relatif aux avoirs séquestrés en mains de M______) ont été adressés le 13 janvier 2017 à B______ ainsi qu'à A______. Ils ont été reçus par cette dernière le 16 janvier 2017.

c. Par courrier électronique du 23 janvier 2017, l'Office a refusé de reconsidérer sa décision et d'annuler le délai imparti pour ouvrir actions, ainsi que le requérait A______, au motif que les actifs séquestrés étaient détenus nominalement par C______, de sorte que cette dernière ne pouvait être privée de la faculté de les revendiquer.

D. a. Par acte expédié les 23 et 26 janvier 2017 au greffe de la Chambre de céans, A______ forme plainte contre les avis de revendication du 13 janvier 2017, concluant à leur annulation.

Préalablement, elle a sollicité l'octroi de l'effet suspensif, ce qui lui a été accordé par ordonnance de la Chambre de surveillance du 1er février 2017.

b. B______ et C______ ont conclu à l'irrecevabilité de la plainte, subsidiairement à son rejet.

c. L'Office a conclu au rejet de la plainte.

d. A______,B______ et C______ ont persisté dans leurs conclusions respectives dans le cadre de leur réplique et dupliques respectives.

e. Dans ses dernières déterminations, l'Office s'en est rapporté à justice.

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 al. 1 LP; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP; art. 125 et 126 al. 1 let. a et al. 2 let. c LOJ) contre des mesures de l'Office non attaquables par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP), telle la décision de l'Office fixant le rôle des parties dans la procédure de revendication (Tschumy,
in Commentaire romand, Poursuite et faillite, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], 2005, n. 7 ad art. 107 LP et n. 3 ad art. 108 LP, et les références citées).

A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). Le plaignant doit dans tous les cas poursuivre un but concret; il doit être matériellement lésé par les effets de la décision attaquée et avoir un intérêt digne de protection à sa modification ou à son annulation (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 120 II 5
consid. 2a, in JdT 1995 I p. 189). C'est en principe toujours le cas du débiteur poursuivi et du créancier poursuivant (Erard, in Commentaire romand, Poursuite et faillite, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], 2005, n. 25 et 26 ad art. 17 LP; Dieth/Wohl, in Kurzkommentar, Schuldbetreibungs- und Konkursgesetz, Hunkeler [éd.], 2e éd. 2014, n. 11 et 12 ad art. 17 LP).

La plainte doit être déposée selon les formes requises (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans un délai de dix jours à compter du moment où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut être formée lorsqu'une mesure de l'Office est contraire à la loi ou ne paraît pas justifiée en fait (art. 17 al. 1 LP).

1.2 En l'espèce, la plainte est dirigée contre des décisions de l’Office ne pouvant être contestées par la voie judiciaire. Celles-ci répartissent le rôle des parties ensuite de la déclaration de revendication de l’intimée. Contrairement à ce que soutient l’intimé, l’annulation de ces décisions, telle que requise par la plaignante, suffit à bloquer la déclaration de revendication de l’intimée, puisque sa prétention ne peut être admise dans la poursuite en question qu’après l’écoulement du délai prévu par l’art. 108 al. 2 LP, qui doit être imparti à la plaignante pour agir en contestation de la prétention de l’intimée.

La plainte répond en outre aux exigences de forme légales et a été déposée dans les dix jours suivant la réception des actes attaqués.

La plaignante dispose par ailleurs d'un intérêt digne de protection à obtenir l'annulation des décisions contestées, dès lors que l'admission de sa plainte aurait pour effet d'éviter l'ouverture d'une procédure de tierce opposition au sens des art. 106 ss LP devant le juge civil, laquelle serait soumise à une procédure ordinaire qui peut s'avérer longue et coûteuse. En outre, en tant que créancière séquestrante, la plaignante a intérêt à contester la répartition du rôle procédural des intéressés telle qu'opérée par l'Office et à remettre en cause la prise en compte par ce dernier de la déclaration de revendication et de l'allégation du droit la fondant. Enfin, en soutenant que l'ouverture de la procédure de tierce opposition n'aurait aucun sens, la plaignante argue que les décisions querellées seraient injustifiées, motif dont elle est autorisée à se prévaloir et qui sera analysé ci-après sous ch. 3. Ses arguments ne sont donc pas dénués de toute pertinence.

La plainte est dès lors recevable et n'est pas constitutive d’un abus de droit.

2. La présente affaire s’inscrit dans le cadre d’un important litige de trading maritime aux ramifications internationales, opposant la plaignante à celui qu'elle tient pour débiteur solidaire de la créance qu'elle possède à l'encontre de l'une des sociétés que ce dernier contrôlerait, ensuite de la violation par cette entité de quatre contrats maritimes.

Après avoir obtenu un jugement anglais condamnant sa cocontractante défaillante à lui verser la somme de 19'907'118.36 USD, la plaignante a introduit plusieurs procédures de séquestre, aux Etats-Unis puis en Suisse, afin de recouvrer sa créance et éviter que ses biens ne soient soustraits aux procédures d’exécution forcée qu’elle intenterait.

En Suisse, sept séquestres ont été requis au préjudice du «débiteur solidaire» et/ou des sociétés dont il est le seul ayant droit économique.

La présente plainte est dirigée contre la décision de l’Office d’impartir un délai à la créancière séquestrante pour agir en contestation de la revendication de l’une des sociétés du «débiteur solidaire».

3. La plaignante s’oppose à l’ouverture d’une procédure en contestation de la revendication.

3.1 En tant que mesure conservatoire urgente destinée à éviter que le débiteur ne dispose de ses biens pour les soustraire à la poursuite pendante ou future de son créancier (ATF 116 III 111 consid. 3a; 107 III 33 consid. 2; Stoffel/Chabloz, in Commentaire romand, Poursuite et faillite, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], 2005, n. 1 ad art. 271 LP), le séquestre doit être validé, en ce sens que le créancier doit obtenir un titre exécutoire (commandement de payer non frappé d'opposition ou dont l'opposition a été définitivement levée; arrêt du Tribunal fédéral 5A_220/2013 du 6 septembre 2013 consid. 5.2; Ochsner, La validation et la conversion du séquestre, SJ 2016 II p. 1 ss p. 3; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Articles 271-352, 2003, n. 8
ad art. 279 LP).

Le créancier qui a fait opérer un séquestre sans poursuite ou action préalable doit requérir la poursuite ou intenter action (art. 279 al. 1 LP). Si le débiteur forme opposition, le créancier doit requérir la mainlevée de celle-ci ou intenter action en reconnaissance de la dette (art. 279 al. 2 LP). Si le créancier a intenté l'action en reconnaissance de dette sans poursuite préalable, il doit requérir la poursuite dans les dix jours à compter de la notification du jugement (art. 279 al. 4 LP).

Aux termes de l'art. 272 al. 1 ch. 3 LP, le séquestre ne peut être ordonné que si le créancier rend vraisemblable que les biens à séquestrer appartiennent effectivement au débiteur, puisque celui-ci ne répond en principe de ses obligations que sur les biens qui lui appartiennent (ATF 126 III 95 consid. 4a; RO 109 III 126 et les références citées, résumé in JdT 1986 II 53/54; ATF 105 III 107 consid. 3). Ne sont des biens du débiteur que les choses et droits qui, selon les allégations que le créancier rend vraisemblables dans sa requête (RO 109 III 125, résumé in JdT 1986 II 53), lui appartiennent juridiquement – et pas seulement économiquement – (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2011 du 26 avril 2012 consid. 5.1). Doivent donc être considérés comme biens de tiers tous ceux qui, en vertu des normes du droit civil, appartiennent à une personne physique ou morale autre que le débiteur; en principe, seule l'identité juridique est déterminante en matière d'exécution forcée (arrêts du Tribunal fédéral 5A_873/2010 du 3 mai 2011 consid. 4.2.2; 5A_654/2010 du 24 novembre 2011 consid. 7.3.1). L'ordonnance de séquestre du juge (art. 272 et 274 LP) et les conditions de fond du séquestre, en particulier l'existence de biens appartenant au débiteur (art. 272 al. 1 ch. 3 LP), sont contrôlés par le juge dans la procédure d'opposition (art. 278 al. 1 LP).

Le juge du séquestre statue en se basant sur la simple vraisemblance des faits. Il ne doit pas trancher de manière définitive, en particulier, la question de la titularité des biens dont le séquestre est demandé. S'il admet le séquestre et le confirme sur opposition en considérant que les biens appartiennent vraisemblablement au débiteur, le tiers devra faire valoir ses droits dans la procédure de revendication, qui aboutira à une décision définitive sur la titularité des biens (Stoffel/Chabloz, op. cit., n. 28 ad art. 272 LP et n. 13 in fine ad art. 278 LP; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Articles 271-352, 2003, n. 87 ad art. 278 LP; Reiser, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs II, 2ème éd. 2010, n. 11 ad art. 278 LP; Reeb, Les mesures provisoires dans la procédure de poursuite, in RDS 116/1997 II p. 425 ss, p. 489/490 et les auteurs cités).

De son côté, l'Office est tenu, en principe, d'exécuter l'ordonnance de séquestre (art. 275 LP). Dans les cas où il serait douteux ou improbable que les avoirs indiqués fassent partie du patrimoine du débiteur, l'Office ne peut refuser d'agir : il doit séquestrer les biens et donner au tiers qui s'en déclare propriétaire la possibilité de faire valoir ses droits dans le cadre d'une revendication conformément aux art. 106 ss LP. L'Office ne peut renoncer au séquestre que si la situation est tout à fait claire, lorsqu'il est évident que l'objet litigieux appartient à un tiers (RO 109 III 126, résumé in JdT 1986 II 54). Il n'appartient donc ni à l'Office, ni aux autorités de surveillance, de se prononcer sur la propriété des biens ou la titularité des créances (arrêts du Tribunal fédéral 5A_925/2012 et 5A_15/2013 du 5 avril 2013 consid. 4.3).

3.2 La procédure de revendication des art. 106 à 109 LP a pour but la résolution des conflits relatifs au sort des biens faisant partie du patrimoine du débiteur et dont la condition juridique est incertaine ou litigieuse. Elle tend à élucider la question de savoir quels sont les droits des tiers sur les objets compris dans une exécution forcée (ATF 127 III 115 consid. 3; Tschumy, La revendication de droits de nature à soustraire un bien à l'exécution forcée, thèse Lausanne 1987, p. 46 n. 66 s.; le même, in Commentaire romand, Poursuite et faillite, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], 2005, n. 2 ss ad art. 106 LP; le même, La procédure de revendication des art. 106 à 109 et 242 LP, in BlSchK 2016, p. 168 ss, 169 et les références citées).

Elle comporte deux phases. La première phase, de nature administrative, permet au tiers revendiquant d'annoncer sa prétention et à l'Office de déterminer la position procédurale des parties (procédure préalable de tierce opposition ou procédure préliminaire). La seconde phase, de nature judiciaire, permet de trancher le conflit au fond, lequel est de la compétence du juge (procédure judiciaire; Tschumy, La procédure de revendication des art. 106 à 109 et 242 LP, in BlSchK 2016, p. 168 ss, 170 et les références citées).

La procédure préalable de tierce opposition débute par la déclaration de revendication (art. 106 LP par renvoi de l'art. 275 LP). L'Office doit ensuite répartir le rôle des parties au procès en s'en tenant aux déclarations du débiteur ou du tiers revendiquant, sans se faire juge du bien-fondé de la prétention alléguée (ATF 123 III 367 consid. 3b; 120 III 83 consid. 3b et les références citées). Le critère permettant cette répartition est la «possession» du bien revendiqué. Lorsque le bien meuble se trouve en possession ou copossession du tiers, l'Office assigne au débiteur et au créancier un délai de 20 jours pour contester la prétention du tiers, c'est-à-dire s'opposer à sa déclaration et contester le motif de revendication invoqué (art. 108 al. 1 ch. 3 et al. 2 LP; arrêt du Tribunal fédéral 5A_638/2008 du 5 décembre 2008 consid. 5; RFJ 2010 p. 61 consid. 2b). Si aucune action n'est introduite, la prétention est réputée admise dans la poursuite en question (art. 108 al. 3 LP).

Le procès en revendication ou en contestation de revendication fait partie intégrante de la procédure d'exécution forcée au cours de laquelle il a lieu. Partant, seule la justice suisse est compétente, les règles de for de l'art. 109 LP étant impératives (Tschumy, La procédure de revendication des art. 106 à 109 et 242 LP, in BlSchK 2016, p. 168 ss, 183 et les références citées). Le procès est soumis à la procédure ordinaire des art. 219 ss CPC lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. Il n'y a pas de conciliation préalable (art. 198 let. e ch. 3 CPC) et la maxime des débats est applicable (art. 55 CPC).

Il appartient à l'office des poursuites et, par la voie de la plainte ou du recours, aux autorités de surveillance, de décider de ne pas ouvrir la procédure de tierce opposition lorsqu'une contestation n'aurait pratiquement aucun sens (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Articles 89-158, 2000, n. 82 ad art. 106 LP). Tel est notamment le cas, selon cet auteur, lorsque la créance de codébiteurs, poursuivis simultanément, en remboursement d'un compte joint est séquestrée pour garantir le recouvrement de la prétention déduite dans les poursuites simultanées contre les co-poursuivis titulaires du compte joint (ATF 112 III 52, in JdT 1988 II p. 73), ou lorsque le poursuivant, qui a introduit simultanément des poursuites contre des débiteurs solidaires pour recouvrer une même prétention, requiert la mise sous main de justice de droits patrimoniaux identiques dans des requêtes de séquestre simultanées (ATF 115 III 134 consid. 5, précisant l'ATF 107 III 155).

3.3 En l'occurrence, les séquestres exécutés le 7 octobre 2014 frappent les mêmes biens au détriment de deux débiteurs différents, de sorte que chacune des mesures porte sur des avoirs qui sont tour à tour attribués à l'un des débiteurs.

Ce procédé est admissible lorsque, comme en l'espèce, la créancière a exposé être dans l’incertitude sur la titularité – commune ou non – des biens dont elle demande le séquestre par deux procédures parallèles contre ses débiteurs solidaires. Une telle situation n'est en effet pas contradictoire et ne conduit pas à l’impossibilité de continuer la poursuite, puisque celle-ci mènera, dans tous les cas, à la réalisation des biens séquestrés, qu’ils appartiennent à l’un des débiteurs solidaires ou à l’autre, dans la mesure où tous deux sont simultanément poursuivis.

Statuant sur la base de la simple vraisemblance des faits, le Tribunal était donc en droit d'admettre le séquestre, et l'Office était, quant à lui, tenu de l'exécuter, puisqu'il n'était pas évident que l'objet litigieux appartenait à un tiers eu égard aux liens existant entre les débiteurs.

La répartition du rôle des parties ensuite de la déclaration de revendication de l'intimée ne prête également pas le flanc à la critique, puisqu'en se fondant sur le meilleur droit apparent, l'Office a eu raison de considérer que les biens étaient en possession du tiers revendiquant au sens de l'art. 108 LP.

La présente procédure de plainte porte exclusivement sur l’ouverture, en tant que telle, de la procédure en contestation de la revendication.

3.3.1 La plaignante soutient que l'Office n’aurait pas dû lui fixer un délai pour agir en contestation de la revendication, dès lors que la question de la titularité des biens séquestrés est du ressort du juge actuellement saisi de l'action condamnatoire en validation du séquestre.

Or, ces deux actions n'ont pas le même but et les jugements qui seront prononcés n'auront pas les mêmes effets juridiques.

En effet, l'action en reconnaissance de dette, introduite le 25 janvier 2016 par la plaignante ensuite de l'opposition formée par l'intimé à son commandement de payer dans le cadre de la poursuite n° 14 xxxx36 D, vise à maintenir en force le séquestre n° 14 xxxx40 T dirigé contre l'intimé par l'obtention d'un jugement portant condamnation de ce dernier à payer une somme d'argent qui lui permettra ensuite de requérir une poursuite dans laquelle elle pourra obtenir un titre exécutoire qui valide le séquestre (un commandement de payer non frappé d'opposition ou dont l'opposition a été définitivement annulée) et qui lui permettra de requérir la saisie et la réalisation des droits patrimoniaux séquestrés. Dans la mesure où la plaignante fonde son action condamnatoire sur la solidarité des débiteurs séquestrés pour les dettes d'une société tierce, le juge sera amené à trancher cette question.

Le juge saisi de l'action en contestation de la revendication se limitera, quant à lui, à examiner la propriété des biens séquestrés et à déterminer dans le cadre de quelle poursuite les biens revendiqués devront être réalisés. Il ne tranchera pas la question de savoir qui est débiteur – solidaire ou non – de la créance alléguée.

Il s'ensuit que l'action au fond pendante devant le Tribunal ne rend pas sans objet l'action en revendication.

Il appartiendra, le cas échéant, au juge saisi de l'action en contestation de la revendication, s'il l'estime opportun, de surseoir à statuer jusqu'à droit jugé sur l'action en reconnaissance de dette formée par la plaignante.

Par ailleurs, les biens continueront à être séquestrés nonobstant l'issue de la procédure de revendication, dès lors que les intimés sont tous deux poursuivis simultanément. Cette procédure permettra toutefois à l’intimée d’empêcher que ses biens soient réalisés dans la poursuite intentée contre l’intimé dans l’hypothèse où le juge du fond venait à nier sa qualité de débitrice de la plaignante.

Le grief de la plaignante sera donc rejeté.

3.3.2 Invoquant deux arrêts du Tribunal fédéral ainsi qu'un avis de doctrine se référant à ceux-ci, la plaignante soutient que la procédure de tierce opposition n'aurait aucune portée lorsque le débiteur et le tiers revendiquant sont poursuivis simultanément pour une dette dont ils sont tenus solidairement.

Le premier arrêt cité par la plaignante, à savoir l'ATF 115 III 134, ne traite cependant pas de la problématique de la revendication. Il se limite à préciser qu'il est loisible au créancier ayant introduit simultanément des poursuites contre ses débiteurs solidaires pour le recouvrement d'une même créance de requérir la mise sous main de justice des mêmes biens dans toutes les procédures de séquestre ouvertes parallèlement. C’est l’auteur de doctrine précité qui en tire pour conséquence qu'une contestation n'aurait pratiquement aucun sens.

Le second arrêt cité, à savoir l'ATF 112 III 52, concerne le séquestre d'un compte joint dont des époux étaient co-titulaires avec signatures individuelles. Il diffère toutefois du cas qui nous occupe par le fait qu’il était établi que les époux étaient créanciers solidaires envers la banque, alors qu’en l’occurrence cet élément n’a pas – encore – été prouvé. En effet, les décisions rendues par le Tribunal ou la Chambre de surveillance dans le cadre des procédures opposant la plaignante aux débiteurs séquestrés n'ont pas statué définitivement sur cette question. Les juridictions concernées n’ont examiné cette problématique que sous l’angle de la vraisemblance. Comme indiqué précédemment, cette question fait l'objet de la procédure en validation du séquestre actuellement pendante devant le Tribunal.

Ainsi, contrairement aux faits à l’origine de l’ATF 112 III 52 – et également de l'ATF 115 III 134 –, il n’est pas certain dans l'affaire qui nous occupe que les poursuites consécutives aux séquestres conduiraient dans tous les cas à la saisie des biens, que ceux-ci appartiennent à l’un ou à l’autre des débiteurs. A ce stade, seule l’existence d’une créance de la plaignante envers sa cocontractante défaillante est établie. Les questions de savoir si les intimés sont débiteurs de cette dette et, dans l'affirmative, s'ils le sont à titre solidaire, font l’objet de l’action en validation du séquestre pendante.

L’action en revendication conserve donc toute son importance.

Le grief de l'appelante sera ainsi rejeté.

3.3.3 Enfin, s'il est vrai que la procédure en contestation de la revendication peut s'avérer lourde et coûteuse compte tenu de la complexité des faits de la cause, de l'existence d'éléments d'extranéité justifiant l'examen du droit étranger (marshallais et/ou américain) ainsi que des questions juridiques qu'elle soulève, de telles considérations ne sont pas pertinentes pour décider de l'ouverture ou non d'une procédure de contestation de la revendication.

3.4 Il résulte de ce qui précède que l’Office était fondé à entrer en matière sur la revendication de l’intimée et fixer à la plaignante le délai prévu par la loi pour ouvrir action en contestation de cette prétention.

La plainte sera par conséquent rejetée.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucun dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée les 23 et 26 janvier 2017 par A______ SA contre les avis de revendication établis le 13 janvier 2017 par l'Office des poursuites dans la poursuite n° 14 xxxx36 D.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Denis KELLER, juges assesseur(e)s; Madame Marie NIERMARECHAL, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Marie NIERMARECHAL

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.