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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2129/2018

DCSO/461/2018 du 13.09.2018 ( PLAINT ) , ADMIS

Descripteurs : Nullité de poursuite
Normes : LP.22.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2129/2018-CS DCSO/461/18

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 13 SEPTEMBRE 2018

 

Plainte 17 LP (A/2129/2018-CS) formée en date du 21 juin 2018 par A______, comparant en personne.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 14 septembre 2018
à :

- A______

______

______ (GE).

- B______

______

______ (VD).

- Office des poursuites.

 

 


EN FAIT

A.           a. A______ expose que la société C______ SA, dont il est l'administrateur, a été mandatée en 2012-2013 par B______ pour effectuer des travaux d'électricité dans le cabinet ______ de ce dernier.

Il produit divers courriers échangés entre les parties à la relation contractuelle, dont il ressort que ces travaux ont été facturés à un prix supérieur au montant initialement devisé – selon A______, en raison de l'exécution de travaux non compris dans le devis, ce que B______ conteste – et que les parties sont en litige au sujet du solde de 8'525 fr. réclamé à celui-ci.

b. Le 20 janvier 2017, C______ SA a fait notifier à B______, domicilié à ______ (Vaud), un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur le montant de 8'525 fr. au titre de "solde sur facture 2______".

Ce commandement de payer a été frappé d'opposition totale.

c. Par courrier du 10 avril 2017, B______ a reproché à A______ de l'avoir mis en poursuite, "par l'intermédiaire de [sa] société C______", alors que le montant réclamé était contesté. Il lui demandait de procéder "au retrait pur et simple de cette poursuite" sous quinzaine, faute de quoi il confierait le dossier à son avocat.

d. Le 18 mai 2018, B______ a formé une réquisition de poursuite contre A______, à son domicile privé situé à Genève, pour la somme de 8'525 fr., avec intérêts à 5% dès le 13 juillet 2013, au titre de "solde facture 2012".

Le 19 juin 2018, l'Office des poursuites (ci-après : l'Office) a notifié le commandement de payer idoine, poursuite n° 3______, en mains de l'épouse de A______.

Le 20 juin 2018, A______ a formé opposition totale à cette poursuite.

B.            a. Par plainte expédiée au greffe de la Chambre de surveillance le 21 juin 2018, A______ conclut, de façon implicite, à ce que la nullité de la poursuite
n° 3______ soit constatée. Il relève que le montant poursuivi correspond au solde que B______ doit à C______SA et que lui-même ne doit rien au précité. En lui notifiant la poursuite querellée, B______ cherchait uniquement à lui nuire, à titre personnel, ce qui procédait d'un abus de droit.

b. Dans ses observations du 3 juillet 2018, l'Office a conclu au rejet de la plainte, en soulignant qu'il n'était pas compétent pour se prononcer sur le bien-fondé des créances déduites en poursuite.

c. Invité à se déterminer sur la plainte, B______ a réitéré contester devoir le solde de 8'525 fr. que A______ lui réclamait pour les travaux effectués dans son cabinet ______ en 2013. Il ne comprenait pas comment la facture finale pouvait dépasser de 60 % le devis qu'il avait signé, alors que son attention n'avait jamais été attirée sur un éventuel dépassement. Ayant déjà versé une somme totale de 13'284 fr. 60 au plaignant, il estimait ne plus rien lui devoir. Il l'avait donc sommé de retirer la poursuite n° 1______, faute de quoi "une action judiciaire serait entreprise". Et d'ajouter : "La partie poursuivante n'ayant pas réagi après plus d'un an, je me suis vu dans l'obligation de passer à l'acte en le mettant en poursuite afin que lui-même initie la plainte devant les autorités judiciaires ainsi nous irons nous expliquer".

d. Par avis du 13 juillet 2018, les parties ont été informées que l'instruction de la cause était close.

EN DROIT

1. La plainte est recevable pour avoir été déposée auprès de l'autorité compétente (art. 17 al. 1 LP; 6 al. 1 et 3 LaLP), par une partie lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), dans le délai utile de dix jours (art. 17 al. 2 LP) et selon la forme prescrite par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), à l'encontre d'une mesure de l'Office – la notification du commandement de payer – sujette à plainte.

2. 2.1.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).

Selon la jurisprudence, la nullité d'une poursuite pour abus de droit ne doit être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi. Cette éventualité est, par exemple, réalisée lorsqu'il fait notifier plusieurs commandements de payer reposant sur la même cause et pour des sommes importantes, mais sans jamais requérir la mainlevée, ni la reconnaissance judiciaire de sa créance, qu'il procède par voie de poursuite dans l'unique but de détruire la bonne réputation du poursuivi, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'Office, voire le poursuivi lui-même, ne pas s'en prendre au véritable débiteur (ATF 115 III 8 consid. 3b).

En revanche, la voie de la plainte au sens des art. 17 ss LP ne permet pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le moyen pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la réclamation litigieuse, car la décision à ce sujet est réservée au juge ordinaire. En effet, c'est une particularité du droit suisse de l'exécution forcée que de permettre l'introduction d'une poursuite sans avoir à prouver l'existence de la créance invoquée; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même, ni le titre qui l'incorpore éventuellement, mais seulement le commandement de payer passé en force (ATF 113 III 2 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_250/2015 du
10 septembre 2015 consid. 4.1 et références citées).

2.1.2 Le débiteur qui entend contester la créance fondant la poursuite devra donc agir par le biais de l'opposition et faire valoir ses griefs dans le cadre de la procédure de mainlevée et, le cas échéant, dans le cadre d'une action en libération de dette. Suivant les circonstances, il a également la faculté d'agir en constatation de l'inexistence de la créance poursuivie (action négatoire de droit), en annulation ou en suspension de cette poursuite (art. 85 et 85a LP), voire, en dernier ressort, en répétition de l'indu (art. 86 LP). Ces actions relèvent cependant toutes de la compétence exclusive du juge ordinaire.

2.1.3 Pour le surplus, la notification d'un commandement de payer représente un moyen légal d'interrompre la prescription (art. 135 ch. 2 CO), ce qui implique qu'une réquisition de poursuite peut donc poursuivre uniquement cette fin, qui est en règle générale légitime à elle seule (cf. notamment DCSO/581/2017 du
9 novembre 2017 consid. 3.3.1 in fine).

2.2 En l'espèce, il ressort des pièces produites et des déterminations de B______ (ci-après : l'intimé) qu'un différend est né entre celui-ci et la société dont le plaignant est l'administrateur. Le premier conteste devoir à la seconde, respectivement au troisième, le montant de 8'525 fr. qui lui est réclamé pour des travaux d'électricité effectués en 2012-2013. C'est dans le cadre de ce différend que la société a mis l'intimé en poursuite pour le solde impayé de sa facture finale. La poursuite n° 1______ ne présente dès lors aucun élément permettant de conclure que la société aurait abusivement recouru à la procédure d'exécution forcée contre l'intimé, une telle démarche ayant notamment pour vocation d'interrompre la prescription.

Ces éléments font cependant défaut s'agissant de la poursuite intentée par l'intimé à l'encontre du plaignant. Au contraire, le montant (8'525 fr.) et le titre de la créance (solde de facture) invoqués – qui correspondent à ceux de la poursuite
n° 1______ – ainsi que la proximité temporelle entre la poursuite requise par la société et celle intentée par l'intimé démontrent que la seconde intervient uniquement en réaction à la première. C'est d'ailleurs ce que l'intimé admet lui-même, puisqu'il ne prétend pas détenir une créance contre le plaignant (qu'il confond avec la société ayant devisé et facturé les travaux), mais expose qu'il a mis ce dernier en poursuite afin de le contraindre à porter le litige devant les juridictions compétentes. Ce faisant, l'intimé n'utilise pas la voie de droit adéquate (cf. consid. 2.1.2 supra) et agit dans un but totalement étranger au droit de l'exécution forcée : en effet, il ne cherche pas à obtenir le paiement d'une somme d'argent ou à interrompre la prescription, mais uniquement à faire pression sur le plaignant, respectivement à lui faire subir la même atteinte que celle dont il s'estime victime.

Or, la procédure d'exécution forcée n'a pas pour objectif de ternir la réputation d'une personne ou de la tourmenter délibérément; elle ne peut servir à cette fin. Dans cette mesure, la poursuite litigieuse présente un caractère purement chicanier.

En conséquence, la plainte sera admise et la nullité de la poursuite n° 3______ constatée par la Chambre de céans.

3. La procédure de plainte est gratuite et il ne peut être alloué de dépens (art. 61
al. 2 let. a et art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 21 juin 2018 par A______ contre le commandement de payer, poursuite n° 3______.

Au fond :

L'admet.

Constate la nullité de la poursuite n° 3______.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Natalie OPPATJA et Monsieur Christian CHAVAZ, juges assesseur(e)s; Madame Véronique PISCETTA, greffière.

 

La présidente :

Nathalie RAPP

 

La greffière :

Véronique PISCETTA

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.