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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18641/2010

DCPR/44/2011 (3) du 17.03.2011 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ; SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE)
Normes : CPP 263; CPP.268
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18641/10 ACPR/44/2011

 

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 17 mars 2011

statuant sur le recours déposé par :

 

N______, actuellement détenue à la Prison de Champ-Dollon, recourante comparante par Me François CANONICA, avocat, Rue François-Bellot 2, 1206 Genève, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,


recourante;

contre l’ordonnance du Ministère public du 19 janvier 2011.

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1231 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

 

 

intimé.

 


A. Par acte du 24 janvier 2011, déposé le même jour au greffe, N______, ressortissante camerounaise domiciliée à Annemasse (F), recourt contre la décision par laquelle, le 19 précédent, le Ministère public a ordonné la mise sous séquestre de son automobile Mercedes. Elle conclut « avec suite de frais et dépens » à l’annulation de cette décision. Par le même acte, elle déclare également recourir contre son placement en détention provisoire par le Tribunal des mesures de contrainte (TMC).

B. Il résulte du dossier les faits pertinents suivants :

a) Le 17 janvier 2011, dans le cadre d’une enquête pour trafic de stupéfiants, N______ a été interpellée au volant de sa Mercedes, sur la banquette arrière de laquelle la police a trouvé, dans un sac à dos, plus de 3 kg de cocaïne. N______ détenait CHF 1190.40, EUR 182.76 et deux téléphones portables. Elle a admis avoir déjà conduit à deux reprises auparavant son passager, O______, d’Annemasse à Genève ; elle l’avait fait à nouveau le 17 janvier 2011. O______ s’était alors fait conduire par elle à Vernier, où il avait eu rendez-vous avec une personne inconnue d’elle qui était montée à bord quelques instants avant de s’éloigner ; c’est en se rendant à la gare Cornavin que la police était intervenue.

b) N______ a contesté savoir que le sac à dos de O______ contenait de la cocaïne. Au Ministère public, elle indiquera que, selon son souvenir, O______ était aussi porteur d’un sac à dos les deux fois précédentes.

c) Dans son ordonnance, querellée, le Ministère public a retenu un lien de connexité entre le véhicule et les faits poursuivis, ainsi que la nécessité de garantir le paiement des frais de la procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités.

C. a) À l’appui de son recours, N______ affirme que les charges portées contre elle sont « infimes » et qu’elle avait en réalité transporté « non pas des stupéfiants mais le dénommé O______ qui était en possession d’un sac, qui contenait » la cocaïne. Elle avait besoin du véhicule, sitôt remise en liberté, pour se rendre aux audiences d’instruction, s’occuper de son enfant et se rendre chez le médecin.

b) Au terme de ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours.

EN DROIT

En tant qu’il est dirigé contre la détention provisoire d’N______, le recours sur ce point a été traité séparément, par décision de la Chambre de céans en date du 4 février 2011.

Les décisions du Ministère public peuvent faire l’objet d’un recours (art. 393 al. 1 let. a CPP). La mise sous séquestre d’un véhicule est une mesure que son détenteur a un intérêt juridique à contester, indépendamment de son statut simultané de prévenu. Déposé dans les forme et délai prescrits (art. 396 CPP), le recours de N______ est par conséquent recevable.

La recourante conteste l’existence de charges suffisantes à l’appui du séquestre de son véhicule. Sur ce point, la Chambre de céans s’est exprimée dans sa décision précitée, à laquelle il est renvoyé. Il est établi que la Mercedes de la recourante a objectivement servi au transport de stupéfiants découvert par la police le 17 janvier 2011. En objectant que la cocaïne se trouvait dans le sac de O______ plutôt que dans le véhicule, la recourante joue sur les mots.

La recourante considère que les motifs retenus par le Ministère public sont « non pertinents » et que la mesure de séquestre est disproportionnée.

Selon l’art. 263 al. 1 CPP, des objets peuvent être mis sous séquestre lorsqu’il est probable qu’ils seront utilisés comme moyens de preuve (let. a) ou comme garantie de paiement (let. b) ou lorsqu’ils devront être confisqués (let. d). La première hypothèse habilite le Ministère public à saisir tout objet utile à la manifestation de la vérité ; cette saisie, probatoire, sert à réunir et à retenir les objets dont la vision ou l'examen peuvent être utiles à la manifestation de la vérité en rapport avec l'infraction poursuivie et les pièces qui peuvent servir à la conviction du magistrat instructeur; elle concerne non seulement les objets mobiliers proprement dits et les écrits, mais aussi tout support matériel de nature à prouver un fait ou à le rendre vraisemblable. Sa nécessité doit en outre être examinée à la lumière du principe de la proportionnalité. Ainsi, cette mesure doit être nécessaire et appropriée pour atteindre le but de l'instruction (adéquation); en outre, il ne doit pas y avoir de mesures moins incisives permettant de parvenir au même but (subsidiarité). En sa qualité de mesure provisoire, elle doit être levée dès que les conditions qui ont motivé sa mise en œuvre ne sont plus réalisées, en particulier lorsqu’elle ne présente plus d’intérêt pour les besoins de l’enquête (Piquerez, Traité de procédure pénale suisse, Schulthess 2006, n. 924). Quant au séquestre en couverture des frais, au sens de l’art. 268 CPP, il peut être ordonné uniquement pour garantir la couverture de ce qui devra vraisemblablement être payé (Message du Conseil fédéral, FF 2006 1229), que ce soit à titre de frais de procédure, de peines pécuniaires ou amendes ou d’indemnités. Enfin, dans la troisième hypothèse susmentionnée, doivent être confisqués les objets qui ont servi à commettre une infraction, s’ils compromettent la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public (art. 69 al. 1 CP).

À la lumière de ce qui précède, il est manifeste que le séquestre, lorsqu’il a été prononcé, se justifiait en tout cas à des fins probatoires. Au demeurant, la recourante n’en conteste pas sérieusement la nécessité, puisque, dans une argumentation particulièrement succincte, elle se limite, en réalité, à contester l’existence de charges suffisantes. Toutefois, à teneur du rapport d’arrestation (p. 9), la fouille du véhicule n’a rien donné ; et, dans ses observations, elles aussi particulièrement succinctes sur ce point, le Ministère public n’explique pas quelle autre investigation devrait encore être menée en relation sur cet objet. La Chambre de céans ne peut pas retenir, non plus, que le véhicule compromettrait, en lui-même et sans autre indice, la sécurité des personnes, la morale ou l’ordre public (cf., s’agissant de téléphones portables appartenant à de présumés trafiquants de stupéfiants : BJP 2010 n° 749 ; s’agissant d’automobiles utilisées pour des cambriolages : BJP 2009 n° 598). Quant aux sanctions pécuniaires, la Chambre de céans, en l’absence de toute indication concrète mais en se fondant sur l’état du dossier qui lui a été remis, n’a pas à conjecturer la quotité pouvant entrer en considération ; mais elle observera que la recourante est prévenue d’avoir participé à un trafic aggravé de cocaïne, au sens de l’art. 19 ch. 1 et ch. 2 LStup, soit d’avoir commis un crime, passible d’une peine privative de liberté, et non d’une peine pécuniaire ou d’une amende (cf. art. 10 al. 2 CP).

S’agissant des frais de l’État, il sied d’observer tout d’abord qu’à la différence de l’ancien droit (art. 181A al. 1 aCPP), l’art. 268 CPP ne prévoit pas de montant minimum des frais présumés, au-delà duquel le séquestre serait admissible. En outre, la mesure ne présuppose pas que le bien séquestré ait un lien quelconque avec l’infraction reprochée. Elle est en particulier envisageable lorsque, comme en l’espèce, le prévenu est domicilié à l’étranger (Lembo / Berthod, Commentaire romand CPP, n. 12 ad art. 268 CPP). En revanche, la décision querellée ne permet pas de se convaincre que le Ministère public aurait tenu compte du revenu et de la fortune de la recourante et de sa famille, ni non plus qu’il ait envisagé si la fourniture de sûretés (art. 238 CPP) eût permis de se passer de la mesure (cf. Lembo / Berthod, loc. cit.). Ces questions sont d’autant moins secondaires en l’espèce que la prolongation du stationnement du véhicule en fourrière, i.e. le coût du séquestre, est en soi susceptible d’accroître les frais que cette mesure devrait garantir, ce qui ne serait guère efficient ni économique. Sur ce point, le recours doit être admis.

La Chambre de céans n’est toutefois pas en mesure de statuer, faute des précisions sur les points précités. Aussi la cause sera-t-elle renvoyée au Ministère public pour complément et nouvelle décision (art. 397 al. 2 CPP).

Vu l’issue du recours, la recourante n’a pas à supporter de frais (art. 428 al. 1 CPP). Pour le surplus, elle a, certes, conclu à des « frais et dépens », soit au paiement d’une indemnité au sens de l’art. 429 al. 1, let. a, CPP (cf. art. 436 al. 1 CPP) ; mais, faute par elle de l’avoir chiffrée et d’en avoir justifié les postes, il ne sera pas entré en matière.

 

 

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

À la forme :

Reçoit le recours formé par N______ contre l’ordonnance rendue le 19 janvier 2011 par le Ministère public.

Au fond :

Admet le recours partiellement, annule la décision attaquée et renvoie la cause au Ministère public pour qu’il statue à nouveau, au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l’État.

 

Siégeant :

Messieurs Christian COQUOZ, président, Louis PEILA et Christian MURBACH, juges ; Jean-Marc ROULIER, greffier.

 

Le Greffier :

Jean-Marc ROULIER

 

Le Président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.