Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1385/2016

ATAS/870/2016 (3) du 20.10.2016 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR LES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES À L'AVS ET À L'AI ; IMMEUBLE ; DROIT D'HABITATION
Normes : LPC.11.1.c
Résumé : Du point de vue des prestations complémentaires, le droit d'habitation et l'usufruit en faveur d'un tiers ont des effets analogues sur la faculté du propriétaire de disposer librement de son bien et, partant, d'affecter cet élément de fortune à la couverture de ses besoins courants. Par conséquent, la valeur vénale de l'immeuble de l'assuré faisant l'objet d'un droit d'habitation en faveur de son ex-conjointe ne doit pas être prise en considération à titre de fortune transformée en revenu au sens de l'art. 11 al. 1 let. c LPC.
En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1385/2016 ATAS/870/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 octobre 2016

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à Aïre, représenté par CARITAS GENEVE

 

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLEMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENEVE

intimé

 


EN FAIT

1.        Monsieur A______ (ci-après l’assuré ou le recourant), ressortissant portugais né en 1963, est au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité depuis le 1er octobre 1994.

Il a été marié à Madame A______. Deux enfants sont nés de cette union, soit B______ en 1992 et C______ en 1996.

2.        Le 22 avril 2015, l’assuré a déposé une demande de prestations complémentaires auprès du Service des prestations complémentaires (ci-après le SPC ou l’intimé). Il a indiqué « Néant » sous la rubrique afférente aux biens immobiliers. L’assuré a notamment joint à sa demande un acta de conferência du Conservatória do Registo Civil/Predial/Comercial Golegà du 19 novembre 2008, document en portugais prononçant le divorce par consentement mutuel de l’assuré et de son épouse.

3.        Par décision du 23 avril 2015, le SPC a nié le droit aux prestations de l’assuré au motif que ce droit était subordonné au domicile et à la résidence habituelle en Suisse, condition non réalisée en l’espèce.

4.        L’assuré a adressé un nouveau formulaire de demande de prestations au SPC, qui l’a reçu le 28 juillet 2015. Il a précisé que les rentes complémentaires d’invalidité pour enfants étaient versées en mains de son ex-femme depuis son divorce. Il a inscrit « Néant » sous la rubrique afférente aux biens immobiliers. 

L’assuré a produit un bail établi à son nom, portant sur un logement de 2 pièces sis à Genève, courant dès le 1er août 2015.

5.        Le 4 août 2015, le SPC a sollicité certaines pièces du recourant, dont la copie du jugement de divorce en français.

6.        Par courrier du 2 septembre 2015, l’assuré a notamment transmis au SPC les pièces suivantes :

a.       déclaration de biens immobiliers, mentionnant trois immeubles sis à D______ _______au Portugal, soit deux rustiques et un « Urbano T3 ».

b.      convention-promesse de partage du 8 novembre 2008 entre l’assuré et son ex-épouse, rédigée en portugais, portant notamment sur des biens immobiliers dont une maison d’habitation d’une valeur de EUR 11'005.01 sise à Tomar, une oliveraie de 720 m2 d’une valeur de EUR 66.75, et un immeuble comprenant un terrain à oliveraie, des figuiers et une construction rurale d’une valeur de EUR 473.36;

c.       bordereau de taxation municipale sur les biens immobiliers sis à Tomar, en portugais, portant sur deux biens dont la valeur patrimoniale était estimée à respectivement EUR 55'900.- et EUR 473.36 ;

d.      extrait du Caderneta predial urbana du 25 août 2015, en portugais, portant sur une maison d’habitation, propriété de l’assuré, sise D______ ______, Tomar, évaluée à EUR 55'900.- ;

e.       extrait du Caderneta predial rustica, en portugais, portant sur une construction rurale, propriété de l’assuré, sise E______, Tomar, évaluée à EUR 473.36.

7.        Par courrier du 28 septembre 2015, l’assuré a fait parvenir au SPC une traduction du jugement de divorce. Il a attiré l’attention du SPC sur le fait que son épouse avait tous les droits sur la maison familiale jusqu’au départ des deux enfants de cette maison.

La traduction comprenait notamment une annexe 1 relative aux responsabilités parentales, selon laquelle l’assuré était tenu de verser pour l’entretien de ses fils la somme de CHF 1'560.- par mois, correspondant aux allocations familiales en Suisse (sic). Elle contenait également une annexe 2 relative à l’utilisation et à la destination du foyer conjugal, précisant que la maison familiale, sise à D______, Tomar, était attribuée à l’épouse qui en assumerait tous les frais. L’épouse et les enfants pourraient y habiter jusqu’à ce que le dernier des enfants quitte la maison, pour cause de mariage ou pour toute autre raison. L’épouse s’engageait à quitter cette maison lorsqu’elle se remarierait ou vivrait en concubinage, que les enfants aient quitté la maison ou non. Une annexe 3, intitulée « Relation des biens », mentionnait une maison d’habitation d’une valeur de EUR 11'005.01 ; une oliveraie de 720 m2 d’une valeur de EUR 66.75 ; un immeuble comprenant un terrain à oliveraie, des figuiers et une construction rurale d’une valeur de EUR 473.36.

8.        Le 21 octobre 2015, le SPC a invité l’assuré à lui transmettre les estimations officielles de ses biens immobiliers et terrains au Portugal par un architecte, un notaire ou un agent immobilier.

9.        L’assuré a notamment transmis au SPC, qui l’a reçu le 9 novembre 2015, un extrait du Caderneta predial urbana du 15 juillet 2008 portant sur une maison d’habitation dont il était propriétaire, sise D_____, Tomar, évaluée à EUR 11'005.01.

10.    Par décision du 13 novembre 2015, le SPC a reconnu le droit de l’assuré à des prestations complémentaires fédérales et cantonales dès le 1er juillet 2015. Parmi les dépenses reconnues, il a pris en considération une pension alimentaire de CHF 9'912.-. Il a notamment tenu compte dans les revenus déterminants d’un montant de CHF 2'607.60 pour les prestations fédérales et de CHF 4'889.25 pour les prestations cantonales, correspondant à une épargne de CHF 3'845.45 et à une fortune immobilière de CHF 72'768.65. La décision précisait que les immeubles ne servant pas d’habitation aux bénéficiaires étaient pris en compte à leur valeur vénale.

11.    Le 11 décembre 2015, le SPC a adressé un nouveau plan de calcul des prestations complémentaires dues dès le 1er janvier 2016 à l’assuré, tenant compte des montants de primes moyennes cantonales de l’assurance-maladie pour l’année 2016 et reprenant la pension alimentaire et les éléments de fortune retenus dans sa décision du 13 novembre 2015.

12.    Le 16 décembre 2015, l’assuré, par son mandataire, s’est opposé à la décision du 13 novembre 2015. Il a indiqué qu’il n’était que nu-propriétaire du bien immobilier au Portugal et qu’il ne pouvait en disposer librement depuis sa séparation. Son ex-femme avait en effet obtenu le droit d’y habiter. Elle s’opposait à la mise en œuvre d’une expertise immobilière, et l’assuré avait mandaté un avocat à cette fin. En 2013, l’administration portugaise avait fixé de manière relativement arbitraire des estimations de référence aux biens immobiliers sis dans le pays. L’ex-femme du recourant ne s’y était pas opposée, si bien que le montant de EUR 55'900.- figurant sur les documents officiels semblait supérieur à la valeur réelle du bien immobilier. Il a en outre signalé que les pensions alimentaires reconnues dans les dépenses étaient « payées intégralement par l’assurance-invalidité ».

L’assuré a notamment joint à son écriture un courrier du 12 novembre 2015 d’un avocat de Tomar, indiquant que le droit d’habiter la maison familiale avait été attribué à l’épouse lors du divorce. Cette dernière en refusait l’accès à l’assuré, et une demande en justice pour procéder à une évaluation était en cours de préparation.

13.    Par décision du 6 janvier 2016, le SPC a écarté l’opposition. En l’absence d’une estimation de leur valeur vénale actuelle, les biens immobiliers devaient être pris en compte à la valeur fiscale déterminée par les autorités portugaises de EUR 67'678.37 (soit EUR 55'900.-, EUR 11'005.01 et EUR 473.36) convertis en francs suisses par un facteur 1.08, soit CHF 72'768.65. Dans le courrier accompagnant sa décision, le SPC a signalé que l’erreur concernant les pensions alimentaires ferait l’objet d’une nouvelle décision afin de mettre à jour la situation de l’assuré dès le 1er février 2016.

14.    Par décision du 21 janvier 2016, le SPC a établi le droit aux prestations complémentaires de l’assuré dès le 1er février 2016 sans tenir compte d’une pension alimentaire dans les dépenses et en calculant les revenus déterminants en fonction des mêmes éléments de fortune que ceux pris en considération dans ses précédents calculs.

15.    Le 22 février 2016, l’assuré s’est opposé à la décision du 21 janvier 2016, relevant que la mise à disposition de la maison devait être apparentée à une contribution d’entretien en faveur des siens. Les plans de calcul ne devaient, en conséquence, pas tenir compte d’une fortune immobilière à hauteur de CHF 72'768.65.

16.    Le SPC a écarté l’opposition par décision du 21 mars 2016. S’agissant de la valeur des biens immobiliers, il a indiqué qu’il rectifierait la valeur retenue à réception d’une expertise immobilière. Il a affirmé qu’il avait bien tenu compte du fait que l’assuré ne pouvait disposer du bien, puisqu’il n’avait retenu aucun revenu immobilier.

17.    Par écriture du 3 mai 2016, l’assuré a interjeté recours contre la décision du 21 mars 2016 auprès de la chambre de céans. Il a conclu, sous suite de dépens, à son annulation et au renvoi à l’intimé pour nouveau calcul ne tenant pas compte d’une fortune immobilière. Il a souligné que selon la pratique administrative, les immeubles grevés d’un usufruit ou d’un droit d’habitation ne devaient pas être pris en compte à titre de fortune. La jurisprudence excluait des revenus déterminants la valeur de la fortune grevée d’un usufruit, et ce principe était applicable mutatis mutandis au droit d’habitation. En l’espèce, le droit d’habitation octroyé à l’ex-épouse du recourant par la convention de divorce n’était pas arrivé à son terme. Par surabondance, la mise à disposition de la maison d’habitation découlait d’une obligation légale, puisqu’elle se fondait sur une convention homologuée. Partant, aucun dessaisissement ne pouvait être pris en compte.

18.    Dans sa réponse du 6 juin 2016, l’intimé a conclu au rejet du recours. Après avoir rappelé comment le montant de la fortune immobilière avait été établi, il a répété que l’incapacité du recourant à disposer de son bien avait été prise en compte dès lors qu’aucun revenu immobilier n’était pris en considération. Il a ajouté que la valeur retenue pour l’immeuble était selon toute vraisemblance inférieure à la valeur du marché.

19.    Par observations du 13 juin 2016, le recourant a maintenu ses conclusions. Il a relevé que l’intimé n’avançait aucun argument justifiant de s’écarter de la pratique administrative qu’il avait invoquée.

20.    La chambre de céans a transmis copie de cette écriture à l’intimé le 16 juin 2016.

21.    Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        a) En matière de prestations complémentaires fédérales, les décisions sur opposition sont sujettes à recours dans un délai de 30 jours (art. 56 al. 1 et 60 al. 1er LPGA; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité [LPFC - J 7 10]) auprès du tribunal des assurances du canton de domicile de l’assuré (art. 58 al. 1 LPGA).

b) S’agissant des prestations complémentaire cantonales, l’art. 43 LPCC ouvre les mêmes voies de droit.

c) En l’espèce, le recours a été interjeté dans les forme et délai légaux, de sorte qu'il est recevable (art. 38 al. 4 let. a et art. 56ss LPGA).

3.        Les dispositions de la LPGA, en vigueur depuis le 1er janvier 2003, s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n'y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC).

Il en va de même en matière de prestations complémentaires cantonales (cf. art. 1A let. b LPCC).

4.        Dans la procédure juridictionnelle administrative, la décision détermine l'objet de la contestation qui peut être déféré en justice par voie de recours (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 417/05 du 28 septembre 2006 consid. 1.1).

Le litige porte sur le droit aux prestations complémentaires dès le 1er février 2016, eu égard à la décision du 21 janvier 2016 confirmée le 21 mars 2016 sur opposition qui fait l’objet du recours, plus particulièrement sur le montant retenu à titre de fortune immobilière.

5.        Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de l'assurance-invalidité, conformément à l'art. 4 al. 1 let. c LPC.

Les prestations complémentaires fédérales se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (art. 3 al. 1 LPC). L’art. 9 al. 1er LPC dispose que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants.

Ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes dont le revenu annuel déterminant n’atteint pas le revenu minimum cantonal d’aide sociale applicable (art. 4 LPCC).

6.        Au niveau fédéral, les revenus déterminants comprennent, notamment, le produit de la fortune mobilière et immobilière (art. 11 al. 1 let. b LPC), un quinzième de la fortune nette, un dixième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse 37 500 francs pour les personnes seules (art. 11 al. 1 let. c LPC dans sa teneur en force depuis le 1er janvier 2011), les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l’AVS et de l’AI (art. 11 al. 1 let. d LPC), et les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi (art. 11 al. 1 let. g LPC).

Sur le plan cantonal, la LPCC renvoie à la réglementation fédérale pour le calcul du revenu déterminant et des dépenses, sous réserve de certaines adaptations. Ainsi, l’art. 5 let. c LPCC prévoit qu’en dérogation à l'article 11, alinéa 1, lettre c, de la loi fédérale, la part de la fortune nette prise en compte dans le calcul du revenu déterminant est d’un huitième, respectivement d’un cinquième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, et ce après déduction des franchises prévues par cette disposition (ch. 1), du montant des indemnités en capital obtenues à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice corporel, y compris l'indemnisation éventuelle du tort moral (ch. 2).

7.        Aux termes de l'art. 17 OPC-AVS/AI, la fortune prise en compte doit être évaluée selon les règles de la législation sur l'impôt cantonal direct du canton de domicile (al. 1); lorsque des immeubles ne servent pas d'habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul de la prestation complémentaire, ils seront pris en compte à la valeur vénale (al. 4).

La manière de déterminer la valeur vénale est laissée aux cantons. Diverses solutions ont été consacrées par la jurisprudence: établissement de la valeur vénale par la commission cantonale d'estimation, addition de la valeur temporelle des immeubles de la propriété foncière concernée et de la valeur vénale du sol, valeur moyenne entre la valeur fiscale et la valeur de l'assurance immobilière et valeur officielle (Pratique VSI 1998, p. 279). En ce qui concerne les frais d'entretien des bâtiments, l'art. 16 al. 1 1ère phrase OPC-AVS/AI dispose que la déduction forfaitaire prévue pour l'impôt cantonal direct dans le canton de domicile s'applique aux frais d'entretien des bâtiments. A Genève, le règlement d'application de la loi sur l'imposition des personnes physiques (RIPP - D 3 08.01) prévoit à son art. 20 qu'au lieu du montant effectif des frais et primes ainsi que des investissements destinés à économiser l’énergie et à ménager l’environnement, qui sont assimilés aux frais d’entretien, le contribuable peut, pour son propre logement, faire valoir une déduction forfaitaire (al. 1). L'art. 20 al. 2 RIPP prévoit que cette déduction forfaitaire, calculée sur la valeur locative selon l’article 24 al. 2 LIPP, est la suivante : 10 %, si l’âge du bâtiment au début de la période fiscale est inférieur ou égal à 10 ans (let. a); 20 %, si l’âge du bâtiment au début de la période fiscale est supérieur à 10 ans (let. b).

Lorsque le bénéficiaire n’habite pas le bien immobilier et que celui-ci n’est pas loué, un loyer conforme à l'usage local ou le revenu moyen reflétant le rendement pendant la durée de vie des bâtiments situés sur le terrain doit être retenu. Selon la doctrine, ce revenu moyen peut être estimé à 5 %. Il y a lieu de déduire de ce revenu hypothétique les frais d’entretien forfaitaires et les intérêts hypothécaires (Erwin CARIGIET / Uwe KOCH, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, 2ème éd. 2009, p. 172).

8.        Les prestations complémentaires ont pour but de garantir la couverture des besoins vitaux des personnes qui, malgré les prestations de l’AVS ou de l’assurance-invalidité, ne disposent pas de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins. Si elles disposent d’une fortune leur permettant de couvrir tout ou une partie de ces besoins, il n’appartient pas aux prestations complémentaires d’y pourvoir. Le législateur a en effet estimé qu’il était équitable que les bénéficiaires de prestations complémentaires emploient, sous réserve des franchises prévues par la loi, une partie de leur fortune pour la couverture de leur entretien courant. La part de la fortune qui dépasse le montant de la franchise est ainsi « transformée en revenu » (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, 2015, p. 142, n° 42 ad art. 11). Pour l’assuré au bénéfice d’une rente d’invalidité, cette transformation s’opère en tenant compte à titre de revenu du quinzième de la fortune nette après déduction de la franchise prévue à l’art. 11 al. 1 let. c LPC.

La transformation de la fortune en revenu suppose que celle-ci se compose – à tout le moins s’agissant de la partie prise en considération à titre de revenu – de liquidités (argent liquide ou créances exigibles). Il en résulte qu’outre les liquidités effectivement disponibles, seules les valeurs patrimoniales qui peuvent être transférées à des tiers de manière onéreuse, cédées ou converties en liquidités d’une autre manière, peuvent être prises en compte lors de la fixation du revenu déterminant. Les éléments de fortune qui ne peuvent être convertis en argent ne doivent pas être retenus lors de la détermination de la fortune au sens de l’art. 11 al. 1 let. c LPC, dès lors qu’ils ne peuvent être affectés au financement des besoins vitaux (Ralph JÖHL / Patricia USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Band XIV, Soziale Sicherheit, 3ème éd. 2016, pp. 1842-1843 n. 161).

Ces principes ont donné lieu à la jurisprudence suivante en matière d’usufruit. Le Tribunal fédéral a relevé que l’usufruitier peut user et jouir de la chose mais qu’il ne peut en disposer, et que partant, un élément patrimonial grevé d’usufruit ne peut être considéré comme fortune. Cette conclusion est également valable pour le nu-propriétaire, qui ne peut se voir imputer son immeuble à titre de fortune. Une pratique contraire aurait pour résultat qu’un revenu serait admis par le biais de la fortune transformée, alors même que le nu-propriétaire ne peut disposer de son immeuble au vu des droits de l’usufruitier (ATF 122 V 394 consid. 6a). Cette jurisprudence a été reprise par une partie de la doctrine (VALTERIO, op. cit., pp. 144-145, n° 45 ad art. 11 ; CARIGIET / KOCH, op. cit. p. 163). Elle se heurte en revanche à une critique de JÖHL et USINGER-EGGER, qui considèrent que le fait qu’un usufruit grève un bien immobilier n’en exclut ni la vente ni la mise en gage, et qu’on ne peut partir du principe qu’il est impossible de trouver un acquéreur pour un immeuble grevé d’un usufruit. Selon ces auteurs, le propriétaire d’un immeuble grevé d’un usufruit doit se voir imputer une fortune transformée en revenu, dont le montant sera toutefois sensiblement inférieur à la valeur qu’aurait l’immeuble sans usufruit (JÖHL / USINGER-EGGER, op. cit., note de bas de page 683 p. 1843).

Certains auteurs étendent l’application de la jurisprudence en matière d’usufruit aux immeubles grevés d’un droit d’habitation (VALTERIO, op. cit., pp. 144-145, n° 45 ad art. 11 ; Urs MÜLLER, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum ELG, 3ème éd. 2015, p. 129 n. 333 ad art.11 ELG), à l’instar de la pratique administrative, selon laquelle les immeubles qui appartiennent au bénéficiaire mais qui sont grevés d’un droit d’habitation qui s’étend sur tout l’immeuble ne sont pas pris en considération comme composantes de la fortune (Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI [DPC] valables dès le 1er avril 2011 dans leur version au 1er janvier 2016, ch. 3443.06).

9.        En l’espèce, l’intimé a notamment retenu à titre de fortune de biens immobiliers de EUR 55'900.- et de EUR 11'005.01 dans sa décision litigieuse.

Ce faisant, il apparaît avoir tenu compte deux fois de la maison de Tomar, les montants précités correspondant à la valeur de cette habitation réévaluée à 7 ans d’intervalle selon les extraits du Caderneta predial urbana.

De plus, il est établi que la maison du recourant est habitée par son ex-épouse.

Sur ce point, il convient de rappeler que lorsque l’obligation d’entretien a été fixée par le juge civil, les organes des assurances sociales sont liés et ne peuvent statuer de manière autonome sur ce point, entré en force de chose jugée (ATF 120 V 442 consid. 3b et les références). En revanche, les organes d’exécution de la loi doivent vérifier le caractère adéquat des contributions alimentaires fixées par convention, en se fondant sur les critères de droit civil, pour examiner si un éventuel dessaisissement doit être retenu eu égard au fait que la contribution est trop élevée par rapport aux capacités financières du bénéficiaire (JÖHL / USINGER-EGGER, op. cit. p. 1795 n. 113). En l’espèce, l’intimé n’allègue pas que le recourant aurait consenti une contribution alimentaire trop importante à son ex-épouse en lui concédant un droit d’habitation sur la maison familiale.

On se trouve ainsi dans un des cas visés par la doctrine et la pratique administrative précitées, soit celui où un droit d’habitation – dont l’octroi ne relève pas d’un dessaisissement – porte sur l’ensemble du bien immobilier. Il n’existe aucun motif de s’écarter de la doctrine majoritaire et de la pratique administrative, qui assimilent ce cas de figure à celui d’un usufruit frappant un immeuble dans son entier. En effet, ces deux servitudes personnelles présentent des similitudes, et les règles concernant l’usufruit sont applicables au droit d’habitation, sauf disposition contraire de la loi (art. 776 du code civil [CC – RS 210]). Du point de vue des prestations complémentaires, le droit d’habitation et l’usufruit en faveur d’un tiers ont des effets analogues sur la faculté du propriétaire de disposer librement de son bien et, partant, d’affecter cet élément de fortune à la couverture de ses besoins courants. Il se justifie donc d’appliquer par analogie la jurisprudence citée relative aux immeubles frappés d’un usufruit à ceux qui font l’objet d’un droit d’habitation. Partant, contrairement à ce qu’affirme l’intimé, l’existence d’un droit d’habitation en faveur d’un tiers ne doit pas se traduire uniquement par la non-prise en compte dans les revenus déterminants des loyers que l’assuré propriétaire du bien pourrait en tirer si son immeuble n’était pas grevé d’une telle servitude, mais implique également de renoncer à tenir compte de la valeur de l’immeuble à titre de fortune transformée en revenu.

Il n’y a pas lieu de tenir compte dans la fortune de la maison sur laquelle l’épouse du recourant bénéficie d’un droit d’habitation.

10.    Eu égard à ce qui précède, le recours sera admis, la décision de l’intimé annulée et la cause renvoyée à ce dernier pour calcul des prestations complémentaires au sens des considérants.

Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens qui seront fixés en l’espèce à CHF 2'000.- (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA et art. 89H al. 1 LPA).


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision du 21 mars 2016.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour calcul des prestations complémentaires au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimé à verser au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 – LTF - RS 173.110) aux conditions de l’art. 95 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Irene PONCET

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le