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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2555/2017

ATAS/596/2018 du 27.06.2018 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2555/2017 ATAS/596/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 27 juin 2018

4ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à MEYRIN, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Marc MATHEY-DORET

 

 

recourante

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS, sise Fluhmattstrasse 1, LUCERNE

 

 

intimée

 


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1973, a été engagée le 1er avril 2006 par B______ SA (ci-après : l’employeur) en qualité de conductrice de minibus scolaire à 25%, soit douze heures par semaine. À ce titre, elle était couverte contre les accidents professionnels et non professionnels par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (Schweizerische Unfallversicherungsanstalt ; ci-après : la SUVA).

2.        Le 17 octobre 2014, l’assurée a glissé sur des feuilles mortes et s’est blessée au niveau de la cheville gauche. Le cas a été annoncé à la SUVA le 28 octobre 2014 et pris en charge. Le versement des indemnités journalières a débuté le 20 octobre 2014.

3.        Dès la date de l’accident, le docteur C______, médecin généraliste FMH et médecin traitant de l’assurée, a certifié d’une incapacité totale de travail à compter du jour de l’accident. Par la suite, il a prolongé l’arrêt de travail de mois en mois et repoussé la reprise du travail d’autant.

4.        Dans un rapport du 31 octobre 2014, le docteur D______, spécialiste FMH en angiologie et médecine interne générale, a indiqué que l’assurée avait subi une entorse à la cheville gauche le 17 octobre 2014, sans fracture, traitée par attelle et sans thromboprophylaxie. Depuis cet accident, elle présentait un œdème du pied avec une froideur et une insensibilité qui avaient régressé, mais qui persistaient au niveau des orteils. L’examen angiologique était tout à fait normal, tant sur le plan artériel que veineux. La froideur du pied et du bas de la jambe était donc en rapport avec un vasospasme consécutif à l’entorse.

5.        Dans un rapport du 3 décembre 2014, le Dr C______ a retenu le diagnostic d’entorse de la cheville et du pied gauche. Il persistait une paresthésie au niveau I du rayon du pied gauche. L’assurée présentait une déchirure du ligament métatarso-sésamoïdien médial. Le pronostic était moyen. Il a joint à son rapport les résultats d’une IRM du pied gauche réalisée le 24 novembre 2014 par la doctoresse E______, spécialiste FMH en radiologie, laquelle a conclu à une déchirure partielle du ligament métatarso-sésamoïdien médial à son attache sésamoïdienne à hauteur de la tête du premier métatarse.

6.        Dans un rapport du 7 janvier 2015, le docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a indiqué que la durée prévue du traitement était de deux à trois mois et que la reprise du travail devrait intervenir dans deux à six semaines. Le 25 février 2015, il a ajouté qu’une algodystrophie floride s’était développée. La reprise du travail était prévue d’ici trois à quatre mois.

7.        Le 27 mars 2015, la doctoresse G_____, spécialiste FMH en chirurgie et médecin d’arrondissement de la SUVA, a considéré que les troubles actuels de l’assurée étaient dus à l’accident. Compte tenu du diagnostic d’algodystrophie, une IRM devait être pratiquée.

8.        Dans un rapport du 30 avril 2015, le Dr C______ a retenu le diagnostic d’entorse du pied et de la cheville gauches avec algoneurodystrophie. L’assurée présentait des parésies et paresthésies au pied gauche ainsi que des douleurs permanentes. Le pronostic était moyen. En sept mois, il y avait eu très peu d’évolution. Le pied était légèrement plus chaud.

9.        Dans un rapport d’IRM de la cheville du 29 mai 2015 adressé à la SUVA le 24 juin 2015, le docteur H_____, spécialiste FMH en radiologie, a constaté qu’hormis un discret œdème hypodermique proximal, les structures ostéoarticulaires étaient d’aspect normal. Il n’y avait pas d’argument pour une algoneurodystrophie dans la région de la cheville.

10.    Le 20 juillet 2015, l’assurée a été examinée par la Dresse G_____. Dans le rapport du 21 juillet 2015 qui s’en est suivi, cette dernière a considéré qu’au vu des lésions subies par l’intéressée, il n’était pas exclu que la reprise de son activité de conductrice de bus (manuel) ne soit plus possible. Une annonce à l’assurance-invalidité devait être faite. En l’état, l’incapacité de travail à 100% était médicalement justifiée.

11.    Dans un rapport du 31 octobre 2015, la doctoresse I_____, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, a retenu le diagnostic de syndrome dystrophique complexe (algo) post fractures des sésamoïdes le 17 octobre 2014. Une évolution favorable de 15 à 20% pouvait être attendue avec de l’ergothérapie. Le pronostic était réservé.

12.    Dans un rapport du 29 février 2016, le Dr C______ a maintenu ses diagnostics et observations précisant pour le surplus que l’assurée présentait un état dépressif réactionnel, que le pronostic était mauvais et que l’incapacité de travail était de 100% depuis le 17 octobre 2014.

13.    Dans un rapport du 4 mars 2016, le docteur J_____, spécialiste FMH en neurologie, a indiqué suivre l’assurée pour une douleur neurogène du pied gauche apparue suite à « une lésion ligamentaire fracture sésamoïde post-traumatique ». Cette douleur conduisait à une impotence complète du pied gauche, présente depuis le mois de mai 2015. Elle pouvait être partiellement soulagée par des patchs, dont la prise en charge était demandée. L’assurée avait été suivie par plusieurs spécialistes du pied, le dernier lui ayant dit ne plus rien pouvoir faire pour elle. Elle était limitée dans les activités de sa vie quotidienne, en totale incapacité de travail et mère de trois enfants en bas âge.

14.    Le 12 mai 2016, le Dr J_____ a requis la prise en charge d’une thérapie de reconditionnement et réhabilitation d’une durée de trois semaines, précisant que le docteur K_____, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, avait reçu l’assurée et confirmé l’algoneurodystrophie fruste du pied gauche, conduisant à la chronicité.

15.    Dans un rapport d’échographie de l’épaule droite du 17 août 2016, le docteur L_____, spécialiste FMH en radiologie, a relevé une bursite sous-acromio-deltoïdienne modérée, avec suspicion de capsulite rétractile en raison de l’épaississement modéré du ligament coraco-huméral et d’une infiltration hétérogène de l’intervalle de la coiffe des rotateurs. Une infiltration intra-articulaire sous contrôle scopique continu avait été effectuée, sans complication immédiate.

16.    Le 29 septembre 2016, la SUVA a demandé au docteur M_____, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur et médecin d’arrondissement de la SUVA, si la prise en charge d’un traitement par Cymbalta devait être acceptée. Le 13 octobre 2016, ce dernier a relevé qu’il ne disposait pas des informations médicales précisant la raison de cette prescription et que la relation de causalité avec l’accident était au mieux possible.

17.    Du 5 au 7 décembre 2016, l’assurée a séjourné au sein de la Clinique romande de réadaptation (ci-après : CRR) où elle a fait l’objet d’une évaluation interdisciplinaire.

18.    Dans un rapport du 9 décembre 2016, les docteurs N_____, spécialiste FMH en neurologie, et O_____, spécialiste FMH en rhumatologie et médecine interne générale, de la CRR ont retenu le diagnostic primaire de douleurs somatoformes de l’avant-pied gauche et de l’épaule droite, ainsi que les comorbidités de dysthymie versus épisode dépressif léger sans syndrome somatique et de status après chirurgie bariatrique en 2005.

Les Drs N_____ et O_____ ont résumé le dossier médical mis à leur disposition, fait état des plaintes de l’assurée, exposé son anamnèse, livré leurs constatations objectives et résumé les documents d’imagerie avant d’apprécier le cas. Leur rapport était fondé sur une évaluation psychiatrique du 7 décembre 2016 du docteur P_____, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, un examen neurologique et un ENMG du 6 décembre 2016 du Dr N_____ et une évaluation des capacités fonctionnelles du 5 décembre 2016 conduite par Madame Q_____, physiothérapeute.

Lors de l’examen physique, des incohérences en cascade étaient relevées. L’assurée prenait spontanément appui sur son pied gauche pour se hisser sur le pèse-personne et rien ne traduisait une douleur si considérable au cours de l’approche clinique. Elle avait pleuré à plusieurs reprises, annoncé des douleurs et montré des autolimitations alors que la situation ne s’y prêtait pas. Il était frappant de constater le maintien en supination du pied et de la cheville gauches qui pouvait être surmonté en effectuant un mouvement d’éversion passive. Une discrète anisothermie des deux avant-pieds était constatée. À l’épaule droite, une contracture du trapèze était observée, sans limitation de la gléno-humérale parlant pour une capsulite. La collaboration était insuffisante et la douleur trop systématiquement annoncée aux mouvements pour que le diagnostic d’une atteinte tendineuse, comme la coiffe, puisse être posé.

L’examen neurologique spécialisé enregistrait une nette diminution de l’activation volontaire des mouvements des orteils à gauche, accompagnée d’une diminution de sensibilité de tous les orteils. Le reste de l’examen était cependant normal, de même que la neurographie sensitivomotrice et l’ultrason des nerfs au niveau du pied gauche. Une atteinte des structures nerveuses périphériques ou centrales ne pouvait donc être retenue.

Les documents d’imagerie ne permettaient pas de retenir une fracture des deux sésamoïdes. Le CT-Scan, abstraction faite de quelques coupes suggérant plutôt une variante de la norme, démontrait qu’il n’y en avait pas. Aucune fracture, ni aucun signal particulier n’avait été signalé sur l’IRM initiale pratiquée cinq semaines après l’entorse. Les radiographies actuelles étaient rassurantes et ne montraient aucune anomalie. Aucun indice d’algodystrophie n’était visible sur les documents mis à disposition. Les Drs N_____ et O_____ savaient la très faible sensibilité et spécificité du diagnostic de capsulite à l’échographie, de sorte qu’ils ne validaient pas l’hypothèse émise sur la base de cet examen. Pour le surplus, le diagnostic de capsulite était avant tout clinique. À ce stade, ils retenaient donc une douleur de l’avant-pied gauche et de l’épaule droite d’origine peu claire.

Lors de l’évaluation des capacités fonctionnelles, l’assurée avait adopté le même comportement qu’au cours de l’approche médicale. Son score aux tests était très faible et correspondait à celui auquel pourrait prétendre un patient paraplégique. Les tests devaient systématiquement être interrompus en raison d’une autolimitation ou pour des raisons sécuritaires. La réalisation de certaines tâches était perturbée par des manifestations comportementales (pleurs) qui en imposaient l’arrêt. La volonté de donner le maximum était jugée insuffisante et le niveau de cohérence moyen. Dans ces conditions, le niveau de performance déterminé par les tests (sédentaire ou essentiellement assis) reflétait l’effort auquel l’assurée avait bien voulu consentir et non ses aptitudes réelles.

Lors de l’entretien psychiatrique, l’assurée avait rapidement démontré une détresse psychique avec, à plusieurs reprises, l’expression de pleurs francs et des interruptions de discours lorsque des sujets sensibles étaient abordés. Les capacités intellectuelles s’avéraient d’un excellent niveau. Son discours était structuré et cohérent. Elle y affichait à plusieurs reprises son sentiment d’incompréhension face à l’ampleur prise par ses troubles et au fait que personne ne trouvait de solution. Il n’y avait pas de méfiance franche, de symptôme phobique, obsessionnel ou compulsif. Il n’y avait pas de thématique délirante, de trouble des perceptions ou de trouble du Moi. Finalement, l’assurée ne mentionnait pas certains symptômes-clé de dépression, même si une tristesse et une fatigabilité pouvaient être observées. La thymie était labile, l’intéressée pouvant alterner sourires et tristesse apparente. Les troubles du sommeil liés à ses douleurs étaient difficilement interprétables. Les troubles de la concentration qu’elle mentionnait pouvaient découler à la fois des symptômes dépressifs et des effets secondaires de sa médication. Si l’on se fiait à la clinique et à une échelle psychométrique de dépression, il fallait admettre que les symptômes dépressifs se situaient entre la dysthymie et l’épisode dépressif léger constitué.

Dans ce contexte, le pronostic d’une reprise professionnelle était mauvais. Pourtant, il n’y avait pas d’atteinte organique susceptible d’expliquer les symptômes douloureux. Les événements ayant mené à la douleur de l’avant-pied gauche et de l’épaule droite étaient insignifiants, ce dont l’assurée convenait. Aucun des multiples diagnostics proposés pour le pied ou l’épaule ne reposait sur une pertinence clinique, en l’absence de fracture des sésamoïdes, d’algodystrophie, de capsulite rétractile et de lésion neurogène objectivée. En d’autres termes, aucune atteinte organique n’expliquait le processus d’invalidation depuis deux ans. Le fait que l’assurée luttait continuellement contre ses émotions et un effondrement dépressif compliquait singulièrement la prise en charge. Elle affichait une attitude combative mais restait bloquée dans un sentiment d’incompréhension et d’injustice par rapport aux traitements médicaux. Elle prenait constamment appui sur ce qu’elle considérait comme des contradictions entre médecins pour expliquer la persistance des symptômes. Elle opposait une pensée factuelle à toute tentative visant à incorporer les dimensions émotionnelles et psychiques de la douleur en arguant qu’elle n’avait jamais eu de problème avant l’accident du 17 octobre 2014. Ainsi, le long entretien qui terminait l’évaluation pluridisciplinaire débouchait sur un discours circulaire, malgré les explications réitérées cherchant à lui faire comprendre que l’application d’un modèle biomédical était dénué de sens dans son cas et comportait un risque iatrogène élevé, comme le démontrait son histoire. Seule une alliance thérapeutique l’amenant à un accompagnement psychothérapeutique et l’engageant vers une rééducation active pourrait enrayer le processus d’invalidation. Celui-ci paraissait cependant cimenté par un sentiment de préjudice, des certitudes diagnostiques erronées et l’impossibilité pour elle d’admettre l’impasse dans laquelle les facteurs contextuels la plongeaient (divorce, licenciement, charge de famille, etc.).

19.    Dans une appréciation psychiatrique du 18 janvier 2017, le docteur R_____, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et médecin d’arrondissement de la SUVA, a considéré qu’il existait une problématique de nature psychosomatique avec un processus d’amplification de symptômes physiques pour des raisons psychiques et un processus d’invalidation en cours. En référence à l’examen pratiqué à la CRR, aucune incapacité de travail ne devait être retenue pour des raisons psychiques car l’intensité des symptômes restait légère. Il ne semblait pas non plus y avoir des raisons somatiques pour lesquelles l’assurée ne pourrait pas reprendre son activité habituelle. Il convenait d’agender la reprise du travail le plus rapidement possible afin de contrer le processus d’invalidation en cours et de maintenir une insertion sociale et professionnelle.

20.    Dans une appréciation médicale du 28 février 2017, le docteur S_____, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d’arrondissement de la SUVA, a retenu que sur le plan somatique le cas était stabilisé en l’absence de lésion objectivable actuellement. Cette stabilisation devait être admise suite à l’évaluation de la CRR. Compte tenu de l’absence de lésion organique objectivable, la reprise de l’activité habituelle était réalisable après l’évaluation de la CRR, étant précisé que dans le contexte de troubles somatoformes de l’avant-pied gauche et de l’épaule droite, le pronostic d’une reprise professionnelle était mauvais. La causalité naturelle entre ces troubles somatoformes et l’accident du 17 octobre 2014 était exclue. Sans atteinte objectivable, l’assurée ne remplissait pas les conditions pour l’octroi d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité (ci-après : IPAI).

21.    Par décision du 10 mars 2017, la SUVA a mis un terme aux prestations avec effet au 31 mars 2017. Selon son service médical, les séquelles organiques ne réduisaient pas la capacité de gain. Un retour à l’emploi dans l’activité de chauffeur dans le parascolaire était tout à fait exigible dès maintenant. En outre, la causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident devait être niée. Compte tenu de ces éléments, aucune autre prestation ne pouvait être allouée (rente d’invalidité et/ou IPAI). Le cas était considéré comme liquidé du point de vue de l’assurance-accidents.

22.    Le 14 mars 2017, l’employeur a résilié le contrat de travail de l’assurée avec effet au 31 mai 2017.

23.    Par courrier du 26 avril 2017, l’assurée a formé opposition à l’encontre de la décision du 10 mars 2017, concluant à son annulation. Elle contestait pouvoir reprendre son activité habituelle. La position de la SUVA reposait uniquement sur l’évaluation de la CRR, dans laquelle force était de constater que ses atteintes avaient été systématiquement sous-estimées, malgré l’importance des éléments médicaux figurant au dossier qui avaient été écartés sans la moindre justification. Les résultats des tests montraient qu’elle pouvait tout au plus effectuer des activités exigeant un niveau d’effort inférieur à sédentaire ou essentiellement assis. Elle avait d’ailleurs été dans l’incapacité de réaliser la plupart des activités demandées en raison de ses atteintes à la santé. Malgré l’évidence, la CRR avait préféré nier la gravité desdites atteintes. Elle rappelait devoir se déplacer au moyen d’une canne, être suivie par plusieurs spécialistes et prendre un traitement lourd. Dans ces conditions, elle n’était pas en mesure de reprendre son travail. À ses problèmes de pied s’ajoutaient d’autres atteintes, notamment au niveau des épaules. La SUVA avait admis le lien de causalité naturelle et adéquate entre ses atteintes et l’accident. Les éléments au dossier confirmaient la gravité et la persistance de ses atteintes à la santé, mais également leur lien de causalité avec l’accident. Son incapacité de travail était totale et son état n’avait connu aucune évolution. La SUVA n’avait donc rendu vraisemblable aucun fait interruptif de causalité, de sorte qu’il lui incombait de prendre en charge les suites de l’accident au-delà du 31 mars 2017.

À l’appui de son opposition, l’assurée a produit plusieurs documents soit :

- un rapport de tomodensitométrie axiale computérisée de l’avant-pied gauche du 17 août 2015 du docteur T_____, spécialiste FMH en radiologie, concluant à un status post-fracture des os sésamoïdes interne et externe sans image de pseudarthrose et à une ostéophytose de la tête du premier métatarse et de la phalange en regard avec une lésion ostéochondrale superficielle de la tête du premier métatarse ;

- un rapport d’arthro-IRM de l’épaule droite du 12 décembre 2016 du docteur U_____, spécialiste FMH en radiologie, concluant à une tendinopathie insertionnelle du tendon infra-épineux. Sur les séquences 3D Merge axiale, on pouvait suspecter la présence d’une image fissuraire interstitielle à l’attache du tendon supra-épineux. Une irrégularité du versant postérieur de la tête humérale était constatée ;

- un courrier du 4 avril 2017 du Dr J_____, lequel retenait le diagnostic d’état douloureux persistant après fracture du sésamoïde et lésion ligamentaire de la cheville gauche en 2014, compliquée d’une algoneurodystrophie partielle, d’état post-traumatique de l’épaule droite suivi par le docteur V_____, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, avec rééducation et d’état anxio-dépressif réactionnel aux douleurs chroniques. La capacité de travail était nulle dans toute activité. L’assurée déambulait avec une canne anglaise depuis bientôt deux ans. Le status algique limitait donc tout déplacement ou activité nécessitant d’alterner les positions. Les douleurs étaient persistantes et semblaient se fixer. Aucune évolution positive n’était intervenue depuis deux ans. L’état douloureux associé à l’état anxiodépressif laissait présager d’un mauvais pronostic ;

- un courrier du 6 avril 2017 du Dr C______, lequel indiquait que l’intéressée présentait une perte de sensibilité et une paralysie de ses orteils du pied gauche, suite à son accident, une douleur à l’appui au niveau du premier rayon du pied gauche avec une décompensation et une tendinite de la hanche gauche due à l’appui du pied gauche sur sa face externe, et une tendinite secondaire du sus-épineux de l’épaule droite avec une abduction limitée à 90°. N’ayant plus la sensibilité du pied gauche, il était dangereux pour l’assurée de conduire un bus, de sorte que sa capacité de travail était nulle dans l’activité habituelle. Une activité adaptée en position assise serait envisageable après récupération de l’épaule droite. Son épaule droite et son pied gauche engendreraient une diminution de rendement. S’agissant des limitations fonctionnelles, l’assurée ne pouvait pas maintenir la station debout prolongée et porter des charges. Au niveau de son pied gauche, il n’y avait pas d’évolution, malgré l’avis de nombreux spécialistes. Elle suivait actuellement un traitement lourd avec morphiniques, neuroleptiques anti-inflammatoires et physiothérapie. Cette dernière soulageait ses douleurs, sous forme de lancées et de chocs électriques, au niveau du pied. À cela s’était ajouté un état anxio-dépressif secondaire. Elle était volontaire et désireuse de reprendre son activité. Le pronostic était mauvais compte tenu de l’évolution négative.

24.    Par décision du 11 mai 2017, la SUVA a rejeté l’opposition de l’assurée et retiré l’effet suspensif à un éventuel recours.

En l’occurrence, les médecins de la CRR avaient relevé chez l’assurée de nombreuses incohérences et des comportements inadaptés aux situations rencontrées. Les documents d’imageries ne permettaient pas de retenir une fracture des deux sésamoïdes. Les radiographies étaient rassurantes et ne montraient aucune anomalie ni aucun indice d’algodystrophie. Au vu de l’insignifiance de l’accident ayant mené à la douleur de l’avant-pied gauche, aucune atteinte organique ne pouvait expliquer le processus d’invalidation de l’assurée. Quant au Dr S_____, il avait exclu le lien de causalité naturelle entre le trouble somatoforme douloureux de l’avant-pied gauche et de l’épaule droite et l’accident.

L’assurée se fondait sur les derniers rapports des Drs C______ et J_____ pour prétendre ne plus être en mesure de reprendre son activité professionnelle. Les médecins de la CRR avaient toutefois démontré que les symptômes douloureux n’avaient pas d’origine organique. Le Dr J_____ avait lui-même constaté que les douleurs étaient persistantes et semblaient se fixer, l’état douloureux chronique associé à l’état anxio-dépressif laissant présager un mauvais pronostic.

L’accident étant insignifiant, la causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques devait être niée.

Dès lors, les troubles présentés par l’assurée au-delà du 31 mars 2017 n’étaient plus en lien avec l’accident.

25.    Par acte du 12 juin 2017, l’assurée a, par l’intermédiaire de son conseil, interjeté recours contre cette décision. Elle a conclu, sous suite de dépens, préalablement à ce qu’une expertise judiciaire soit ordonnée, principalement à l’annulation de la décision, à la prise en charge du cas par l’intimée au-delà du 31 mars 2017 et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 1er avril 2017, et subsidiairement à l’annulation de la décision et au renvoi de la cause à l’intimée pour instruction complémentaire.

La valeur probante du rapport de la CRR et des appréciations des Drs S_____ et R_____ était contestée. Le rapport de la CRR ne reposait ni sur une étude fouillée, ni sur une anamnèse complète. Ses plaintes n’avaient pas été prises en compte mais minimisées. Les conclusions médicales n’étaient pas motivées. Les autres médecins ayant eu à connaître du cas avaient tous constaté qu’elle devait se déplacer avec une canne, boitait et souffrait d’une mobilité très réduite au niveau du membre inférieur gauche et du membre supérieur droit. Ils avaient également pu observer la différence de température et la décoloration du membre inférieur gauche. Les examinateurs de la CRR avaient eu un parti pris contre elle, notamment la physiothérapeute qui concluait à une volonté insuffisante alors qu’elle avait dû arrêter presque toutes les activités pour des raisons de sécurité. Le Dr O_____ de la CRR avait manifestement eu des préjugés à son égard, considérant que ses plaintes et pleurs intervenaient alors que la situation ne s’y prêtait pas. Quant aux Drs S_____ et R_____, ils s’étaient contentés de se rallier aux conclusions de la CRR. Aucun d’entre eux n’avait discuté la position de leurs confrères, en particulier les Drs C______ et J_____. En outre, les Drs S_____ et R_____ allaient à l’encontre de la Dresse G_____ qui avait confirmé une incapacité de travail totale en raison de l’atteinte au membre inférieur gauche et prévu l’impossibilité de reprendre l’activité habituelle. Contrairement aux allégations des Drs S_____ et O_____, les documents d’imagerie avaient mis en évidence des atteintes aux ligaments et os au niveau du pied et une tendinopathie au niveau de l’épaule droite. Dès lors, force était de constater qu’elle présentait des atteintes organiques, lesquelles justifiaient une incapacité totale de travail.

La SUVA avait pris en charge les suites de l’accident, de sorte qu’elle avait admis le lien de causalité naturelle et adéquate entre cet événement et les atteintes subies. Elle avait toutefois mis un terme à ses prestations le 31 mars 2017, alors que les éléments du dossier confirmaient l’existence d’atteintes organiques, la gravité et la persistance de ces atteintes et leur lien de causalité avec l’accident. La SUVA n’avait donc pas rendu vraisemblable un quelconque fait interruptif de causalité.

En tout état de cause, même s’il fallait se fonder sur le rapport de la CRR pour apprécier le cas, il apparaissait que les nouveaux critères jurisprudentiels en matière de trouble somatoforme douloureux n’avaient pas été analysés, de sorte qu’une expertise pluridisciplinaire était nécessaire.

26.    Dans sa réponse du 11 septembre 2017, l’intimée a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision entreprise.

Les griefs invoqués à l’encontre des rapports de la CRR et des Drs S_____ et R_____ étaient infondés. Le rapport de la CRR avait été établi de manière circonstanciée, en considération des antécédents médicaux et à l’issue d’un examen complet de la recourante et d’une étude fouillée de son dossier. Le cas de la recourante n’avait pas été préjugé, les extraits choisis par cette dernière devant être replacés dans le contexte du rapport. Les diagnostics posés par les médecins ayant connu du cas avant la CRR ne reposaient pas sur une pertinence clinique et devaient être écartés sur la base des constations des médecins de la CRR en lien avec les documents d’imagerie à disposition. Dès lors, le rapport de la CRR devait se voir reconnaître une pleine valeur probante.

Le Dr S_____ avait exclu tout lien de causalité naturelle entre le trouble somatoforme douloureux de l’avant-pied gauche et l’accident. Sur le plan somatique, l’état était stabilisé, compte tenu de l’absence de lésion organique objectivable actuellement. Cela n’était pas contradictoire avec les conclusions de la Dresse G_____, laquelle avait considéré en juillet 2015 qu’en l’état, l’incapacité totale de travail était médicalement justifiée, en attendant l’évaluation de la CRR. Le cas s’était simplement stabilisé un an et demi plus tard.

Les derniers rapports des Drs C______ et J_____ n’apportaient pas d’éléments objectifs nouveaux qui auraient été ignorés par les médecins de la CRR.

L’événement du 17 octobre 2014 était insignifiant, de sorte qu’il n’existait aucun lien entre la surcharge psychiatrique de la recourante et l’accident.

S’agissant de l’atteinte à l’épaule droite, elle découlait d’un autre événement, tel que cela ressortait du rapport de la CRR. En effet, en décembre 2015, alors qu’elle utilisait deux cannes anglaises, l’une d’elles était tombée. Dans un mouvement pour la rattraper, la recourante avait ressenti un craquement dans son épaule droite.

Compte tenu de ces éléments, la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire était inutile. Au-delà du 31 mars 2017, les troubles éprouvés par la recourante ne pouvaient plus être reliés à l’accident du 17 octobre 2014.

27.    Dans sa réplique du 3 octobre 2017, la recourante a intégralement persisté dans les termes et conclusions de son recours, précisant certains points pour le surplus.

Le rapport d’IRM du 24 novembre 2014 et le rapport de tomodensitométrie du 17 août 2015 démontraient une atteinte aux sésamoïdes. Les conclusions du Dr S_____ entraient manifestement en contradiction avec celles de la Dresse G_____, cette dernière ayant retenu une déchirure partielle du ligament métatarso-sésamoïdien médial gauche à hauteur du premier rayon, soit une lésion objectivable et objectivée. Son atteinte à l’épaule était en lien avec l’accident puisqu’il l’avait contrainte à utiliser des cannes. En tout état de cause, tant la CRR que le Dr S_____ avaient pris en compte cette atteinte, de sorte qu’elle faisait partie du cas litigieux.

À l’appui de ses écritures, la recourante a produit plusieurs documents, dont :

- un rapport d’IRM du 16 juin 2017 faisant état d’une petite formation nodulaire évaluée à 6 mm de longueur au versant plantaire distal du troisième espace inter-métatarsien compatible avec un névrome de MORTON ; un discret remaniement du premier espace inter-capito-métatarsien évoquant une forme de bursopathie ; des remaniements des tissus mous plantaires en regard des articulations métatarso-phalangiennes des trois premiers rayons et du cinquième rayon évoquant les conséquences de contraintes mécaniques majorées avec une volumineuse bursopathie néoformée sous une forme solide du cinquième rayon et une possible ébauche d’un remaniement similaire sous le deuxièmes rayon ; un modelé pré-arthrosique métatarso-phalangien de l’hallux et pas d’argument pour une algodystrophie ;

- une relecture du 30 juin 2017 de l’IRM du 24 novembre 2014 par le docteur W_____, spécialiste FMH en radiologie, lequel confirmait des remaniements compatibles avec une déchirure de l’insertion sésamoïdienne du ligament métatarso-sésamoïdien médial avec une subluxation distale du sésamoïde et une possible petite avulsion sésamoïdienne sans argument pour une éventuelle algodystrophie ;

- un courrier du 3 juillet 2017 du docteur X_____, spécialiste FMH en anesthésiologie, lequel indiquait que l’IRM du 24 novembre 2014 révélait une déchirure ligamentaire métatarso-sésamoïde. La douleur avait un caractère neurogène (brûlure constante, allodynie diurne et nocturne). La raideur articulaire, la pilosité diminuée et la croissance unguéale ralentie décrites étaient souvent observées dans les syndromes douloureux régionaux complexes (ci-après : SDRC). Le test de perfusion à la Lidocaïne mettait en évidence la composante neuropathique de la douleur dans la mesure où la sensation de brûlure et la raideur articulaire avaient disparu. La douleur résiduelle qui persistait en fin de perfusion correspondait à la composante somatique de la lésion tissulaire ;

- un rapport du 31 juillet 2017 du docteur Y_____, spécialiste FMH en rhumatologie, lequel retenait les diagnostics d’impotence fonctionnelle du pied gauche post-traumatique : entorse de la cheville gauche (une déchirure partielle des ligaments métatarso-sésamoïdiens à la hauteur du premier métatarsien) compliquée d’anomalies vasomotrices et neurogène d’origine indéterminée, névrome de MORTON troisième espace inter-métatarsien, bursite du cinquième rayon et arthrose métatarso-phalangien de l’hallux gauche ; omalgie droite invalidante ; status post bypass en 2005. Le Dr Y_____ a exposé l’anamnèse de la recourante, fait état de ses constatations objectives lors de l’examen clinique et précisé s’être fondé sur l’IRM du 16 juin 2017 et la relecture de l’IRM du 30 juin 2017. La recourante présentait une impotence du pied gauche survenue après entorse de la cheville. Malgré une prise en charge adaptée, l’évolution n’avait pas été favorable et un tableau compatible avec un SDRC s’était constitué. Ce diagnostic avait été retenu par plusieurs médecins. En raison de l’hypersensibilité, de l’asymétrie de température, du changement de la couleur de peau, de l’œdème et de la diminution de la mobilité, le SDRC pouvait être retenu dans le cas de la recourante. La normalité de l’ENMG prouvait l’absence d’un éventuel problème neurologique et confortait le diagnostic de SDRC. Le diagnostic de la CRR ne lui paraissait pas objectif. Les troubles arthrosiques, la bursite et le névrome de MORTON du pied gauche pouvaient être attribués aux complications du SDRC. L’omalgie droite de la recourante s’était nettement améliorée grâce à la physiothérapie. Une bursite sous-arcomio-deltoïdienne pouvait être évoquée, comme l’avait montré l’échographie de l’épaule droite. Le diagnostic de capsulite avait pu être retenu par la doctoresse AC_____, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Une prise en charge multidisciplinaire (physiothérapie, traitement antalgique et soutien psychique) semblait indiquée et tout traitement invasif était déconseillé pour le moment.

28.    Dans sa duplique du 23 novembre 2017, l’intimée a persisté dans ses conclusions. Elle a précisé que si les médecins avaient pris position sur la problématique de l’épaule droite, ils procédaient à un examen médical et non juridique.

À l’appui de ses écritures, l’intimée a produit une appréciation chirurgicale du même jour de la doctoresse Z_____, spécialiste FMH en chirurgie et médecin d’arrondissement de l’intimée, à laquelle elle se référait. La Dresse Z_____ a rappelé le contexte de son appréciation, résumé les documents médicaux mis à sa disposition et énuméré les documents d’imagerie consultés avant de livrer son appréciation du cas. Il était peu plausible, chez la recourante, que l’atteinte du premier sésamoïde soit récente, puisqu’il n’y avait pas eu de chute au niveau du premier rayon. Toutefois, la Dresse G_____ avait décrit une glissade avec entorse en éversion du pied. Dans ce cas de figure, il pouvait être possible que le sésamoïde médial ait été lésé. Lors de la première consultation, le premier rayon du pied gauche ou avant-pied n’avait pas été évoqué. Il n’avait été alors constaté ni hématome, ni œdème au niveau du gros orteil, observations auxquelles on pouvait s’attendre dans le cas d’une fracture ou d’une avulsion ligamentaire du sésamoïde. Par conséquent, si une lésion ligamentaire du sésamoïde existait, elle n’était pas en relation de causalité avec l’accident, au degré de la vraisemblance prépondérante. De plus, ni le rapport de la CRR, ni le CT-Scan de l’avant-pied gauche du 17 août 2017, ni les radiographies du gros orteil gauche du 6 décembre 2016 n’avait rapporté un état après effraction de la corticale osseuse ou d’autres éléments permettant de mettre en exergue des suites actives - pseudarthrose - d’une atteinte aux sésamoïdes. Enfin, une atteinte ligamentaire ou une fracture guérissait généralement en trois mois ou tout au plus six. Ainsi, il était évident que cette possible atteinte du sésamoïde était guérie depuis longtemps.

S’agissant du névrome de MORTON évoqué par les Drs AA_____ et Y_____, il était généralement diagnostiqué par la palpation du pied. Son origine était encore mystérieuse, étant précisé que sa présence était très fréquente. Certaines personnes possédaient parfois un névrome sans le savoir, jusqu’au jour où un traumatisme, par exemple, éveillait la douleur qui revenait régulièrement. L’origine d’un névrome de MORTON était principalement maladive, mais, en poussant à l’extrême, il pouvait être envisagé qu’un traumatisme entraîne un saignement ou un hématome qui réveille le névrome. Dans le cas de la recourante, l’IRM du 24 novembre 2014 n’avait pas révélé de névrome de MORTON, de saignement ou d’hématome. C’était une nouvelle IRM réalisée en juin 2017 qui avait mis cette pathologie en évidence et celle-ci avait été rétrospectivement mentionnée comme déjà présente sur l’IRM du 24 novembre 2014 lors de sa relecture. En outre, les douleurs ou brûlures étaient décrites à la base du gros orteil gauche et non dans les troisième ou deuxième espaces métatarsiens, qui étaient les localisations principales du névrome de MORTON. Enfin, la Dresse Z_____ ne partageait pas l’avis selon lequel ce neurome était une complication ou une suite du SDRC, aucun élément n’illustrant cet état de fait dans la littérature. Par conséquent, il était peu plausible que le neurome de MORTON soit un état séquellaire de l’événement du 17 octobre 2017.

Un SDRC était évoqué dès janvier 2015, mais le Dr F______ n’avait pas livré les critères retenus pour poser ce diagnostic. Il avait fallu attendre le rapport du 31 octobre 2015 de la Dresse I_____ pour obtenir le détail des critères et une confirmation de la présence du SDRC, ce dernier n’étant plus dans sa forme aiguë. En mai 2016, le Dr J_____ rapportait qu’un médecin évoquait une algoneurodystrophie frustre du pied gauche. La Dresse Z_____ comprenait là encore que le SDRC était au décours. La scintigraphie osseuse du 21 avril 2016 mentionnait une régression. Après discussion avec le docteur AB_____, spécialiste en neurologie et médecin d’arrondissement de la SUVA, elle considérait que la recourante avait probablement développé un SDRC suite à l’accident. Ce SDRC était déjà en régression en décembre 2015 et en avril 2016 pour ne plus être apparent en janvier 2017. Ainsi, les troubles présentés par la recourante au-delà du 31 mars 2017 ne pouvaient plus être en relation avec le probable SDRC développé à la suite de l’accident.

En dernier lieu, il était évident que la possible ébauche de névrome de MORTON du troisième espace inter-métatarsien et le remaniement des tissus mous en versant plantaire des articulations méta-tarso-phalangiennes suggérant les conséquences de phénomènes d’hyperpression constatés par le Dr W_____ dans le rapport d’IRM du 16 juin 2017 figuraient déjà dans l’IRM du 24 novembre 2014. Cela étant, il s’agissait de remaniements anciens, dans la mesure où ils mettaient plus que quelques semaines à se développer. Or, l’IRM du 24 novembre 2014 n’avait été réalisée que quelques semaines après l’accident.

Compte tenu de ces éléments, les troubles au pied gauche qui subsistaient au-delà du 31 mars 2017 n’étaient pas liés à l’accident du 17 octobre 2014.

29.    Dans ses observations du 24 janvier 2018, la recourante a persisté dans ses conclusions. La réplique de l’intimée était fondée exclusivement sur l’appréciation chirurgicale de la Dresse Z_____, laquelle consistait principalement en un historique du dossier, aucun examen clinique n’ayant été réalisé. Or, compte tenu de la complexité du cas, un examen clinique était indispensable. La Dresse Z_____ ne formait que des hypothèses mais, contrairement aux médecins de la CRR, admettait le diagnostic d’algodystrophie. Elle ne discutait pas non plus des rapports au dossier. Aucun élément ne permettait d’exclure la causalité avec l’accident à compter du 31 mars 2017. L’intégralité de son état de santé au moment de la décision entreprise devait être prise en compte, y compris son épaule droite. Ainsi, l’appréciation de la Dresse Z_____ était dénuée de valeur probante.

À l’appui de ses observations, la recourante a produit un courrier du 13 décembre 2017 du Dr J_____ et un courrier du 11 janvier 2018 du Dr Y_____.

Le Dr J_____ se disait très surpris que l’on puisse exclure un lien de causalité entre l’accident et les douleurs au pied gauche qui n’avaient jamais cessé depuis l’accident et qui n’existaient pas auparavant. Les conclusions du Dr Y_____ lui semblaient tout à fait raisonnables dans le sens où le diagnostic d’algoneurodystrophie, ou SDRC, pouvait exister en l’absence de signes radiologiques. Les signes cliniques étaient tous présents pour évoquer ce diagnostic. La recourante souffrait toujours de manière importante de sa douleur au pied gauche et utilisait encore des cannes anglaises. Il était convaincu que la douleur existait et qu’elle était consécutive à l’accident. Du point de vue strictement neurologique, il était vrai que qu’il n’y avait pas de lésion objectivable mais ceci ne contredisait pas les considérations précédentes, puisque la normalité des neutrographies n’excluait en aucun cas la possibilité d’un SDRC. D’autre part, si on devait parler de MORTON, il ne se mesurait pas du point de vue électrophysiologique non plus.

Le Dr Y_____ a relevé que la Dresse Z_____ retenait le diagnostic de SDRC contrairement à la CRR. La Dresse Z_____ n’avait ni vu ni examiné la recourante. Sur le plan médical, il n’y avait aucune raison pour considérer que les troubles actuels du pied gauche n’étaient plus en relation avec le SDRC, en particulier d’une manière aussi précise, au 31 mars 2017. Le SDRC intervenait généralement après des fractures ou des traumatismes. Ainsi, même si la fracture du sésamoïde était guérie, le SDRC pouvait persister. Le névrome de MORTON n’était pas connu pour être une complication du SDRC, mais un traumatisme tel celui subi par la recourante pouvait en être la cause.

30.    Dans ses observations du 6 février 2018, l’intimée a intégralement persisté dans les termes et conclusions de ses écritures précédentes. Quoiqu’en dise la recourante, la Dresse Z_____ ne s’était pas contentée d’hypothèses ni d’un historique du dossier, mais avait explicitement pris position sur les pathologies diagnostiquées. Au terme d’une anamnèse circonstanciée, elle avait pris soin d’examiner chacun des diagnostics, soit l’entorse à la cheville gauche, la lésion ligamentaire au niveau du sésamoïde médial, le SDRC et le névrome de MORTON, tout en se référant à la littérature médicale. Elle avait discuté les avis des Drs W_____, Y_____ et J_____. Le fait qu’elle n’ait pas examiné la recourante était sans pertinence, dans la mesure où elle avait eu accès à un dossier médical contenant tous les documents nécessaires pour trancher en connaissance de cause la question de savoir si un lien de causalité persistait au-delà du 31 mars 2017. Ses explications étaient convaincantes.

31.    À la suite de quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

Toutefois, les modifications légales contenues dans la LPGA constituent, en règle générale, une version formalisée dans la loi de la jurisprudence relative aux notions correspondantes avant l'entrée en vigueur de la LPGA; il n'en découle aucune modification du point de vue de leur contenu, de sorte que la jurisprudence développée à leur propos peut être reprise et appliquée (ATF 130 V 343 consid. 3).

3.        Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'accident est survenu avant cette date, le droit de la recourante aux prestations d'assurance est soumis à l'ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016.

4.        Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

5.        Le litige porte sur le droit de l’intimée de mettre un terme aux prestations accordées à la recourante avec effet au 31 mars 2017, singulièrement sur l’existence d’un rapport de causalité entre les troubles présentés et l’accident assuré au-delà de cette date.

6.        a) Aux termes de l'art. 6 al. 1 LAA, l'assureur-accidents verse des prestations à l'assuré en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA).

La responsabilité de l'assureur-accidents s'étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 119 V 335 consid. 1; ATF 118 V 286 consid. 1b et les références) et adéquate avec l'événement assuré (ATF 125 V 456 consid. 5a et les références).

b) L'exigence afférente au rapport de causalité naturelle est remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans l'événement dommageable de caractère accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire, en revanche, que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé; il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte à la santé, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1).

Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l'administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale. Ainsi, lorsque l'existence d'un rapport de cause à effet entre l'accident et le dommage paraît possible, mais qu'elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l'accident assuré doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1; ATF 119 V 335 consid. 1; ATF 118 V 286 consid. 1b et les références).

Le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu'après la survenance d'un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident. Il convient en principe d'en rechercher l'étiologie et de vérifier, sur cette base, l'existence du rapport de causalité avec l'événement assuré (raisonnement «post hoc, ergo propter hoc»; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 consid. 3b).

7.        Les notions de syndrome douloureux régional complexe (CRPS - Complex regional pain syndrome en anglais), algodystrophie ou maladie de Sudeck désignent, en médecine, un état maladif post-traumatique, qui est causé par un traumatisme bénin, qui se transforme rapidement en des douleurs importantes et individualisées avec des sensations de cuisson, qui s’accompagnent de limitations fonctionnelles de type moteur, trophique ou sensori-moteur. Toute une extrémité ou une grande partie d’une zone du corps est touchée. Les causes peuvent non seulement être une distorsion d’une articulation mais aussi, par exemple, un infarctus. La discordance entre le traumatisme à l’origine, qui peut en réalité être qualifié de bagatelle, et les conséquences est importante. L’étiologie et la pathogenèse de ce syndrome ne sont pas claires. C’est pourquoi, selon la jurisprudence, pour qu’un tel syndrome puisse constituer la conséquence d’un accident, les trois critères suivants doivent être réalisés. a) la preuve d'une lésion physique (comme par exemple un hématome ou une contusion) après un accident ou l'apparition d'une algodystrophie à la suite d'une opération nécessitée par l'accident; b) l'absence d'un autre facteur causal de nature non traumatique (comme par exemple : état après infarctus du myocarde, après apoplexie, après ou lors de l’ingestion de barbituriques, lors de tumeurs, de grossesses, etc.) et une courte période de latence entre l'accident et l'apparition de l'algodystrophie, soit au maximum six à huit semaines (arrêts du Tribunal fédéral 8C_871/2010 du 4 octobre 2011 consid. 3.2 et 8C_384/2009 du 5 janvier 2010 consid. 4.2.1 in SVR 2010 UV n° 18 p. 69).

8.        Le droit à des prestations de l'assurance-accidents suppose en outre l'existence d'un lien de causalité adéquate entre l'accident et l'atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et ATF 125 V 456 consid. 5a et les références). En présence d'une atteinte à la santé physique, le problème de la causalité adéquate ne se pose toutefois guère, car l'assureur-accidents répond aussi des complications les plus singulières et les plus graves qui ne se produisent habituellement pas selon l'expérience médicale (ATF 118 V 286 consid. 3a et ATF 117 V 359 consid. 5d/bb; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 351/04 du 14 février 2006 consid. 3.2).

9.        Si le rapport de causalité avec l’accident est établi avec la vraisemblance requise, l’assureur n’est délié de son obligation d’octroyer des prestations que si l’accident ne constitue plus la cause naturelle et adéquate de l’atteinte à la santé. De même que pour l’établissement du lien de causalité naturelle fondant le droit à des prestations, la disparition du caractère causal de l’accident eu égard à l’atteinte à la santé de l’assuré doit être établie au degré habituel de la vraisemblance prépondérante requis en matière d’assurances sociales. La simple possibilité que l’accident n’ait plus d’effet causal ne suffit pas. Dès lorsqu’il s’agit dans ce contexte de la suppression du droit à des prestations, le fardeau de la preuve n’appartient pas à l’assuré mais à l’assureur (RAMA 2000 n° U 363 p. 45
consid. 2). Toutefois, dans le contexte de la suppression du droit à des prestations, la règle selon laquelle le fardeau de la preuve appartient à la partie qui invoque la suppression du droit, entre seulement en considération s'il n'est pas possible, dans le cadre du principe inquisitoire, d'établir sur la base d'une appréciation des preuves un état de fait qui au degré de vraisemblance prépondérante corresponde à la réalité (ATF 117 V 264 consid. 3b et les références). La preuve de la disparition du lien de causalité naturelle ne doit pas être apportée par la preuve de facteurs étrangers à l'accident. Il est encore moins question d'exiger de l'assureur-accidents la preuve négative, qu'aucune atteinte à la santé ne subsiste plus ou que la personne assurée est dorénavant en parfaite santé. Est seul décisif le point de savoir si les causes accidentelles d'une atteinte à la santé ne jouent plus de rôle et doivent ainsi être considérées comme ayant disparu (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances
U 359/04 du 20 décembre 2005 consid. 2).

10.    La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Etant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, le Tribunal fédéral a précisé que lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes suffisants quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 8C_923/2010 du 2 novembre 2011 consid. 5.2,).

Dans la mesure où ils sont requis par la SUVA, les avis médicaux de la Clinique de réadaptation de Bellikon ne constituent pas des expertises de spécialistes indépendants, de sorte que l'art. 44 LPGA n'est pas applicable (ATF 136 V 117 consid. 3.4). Il en va de même des avis médicaux de la Clinique romande de réadaptation, ces deux cliniques ayant été conçues par la SUVA, à teneur du site internet de cette dernière.

Une appréciation médicale, respectivement une expertise médicale établie sur la base d'un dossier n’est pas en soi sans valeur probante. Une expertise médicale établie sur la base d'un dossier peut avoir valeur probante pour autant que celui-ci contienne suffisamment d'appréciations médicales qui, elles, se fondent sur un examen personnel de l'assuré (RAMA 2001 n° U 438 p. 346 consid. 3d). L’importance de l’examen personnel de l’assuré par l’expert n’est reléguée au second plan que lorsqu’il s’agit, pour l’essentiel, de porter un jugement sur des éléments d’ordre médical déjà établis et que des investigations médicales nouvelles s’avèrent superflues. En pareil cas, une expertise médicale effectuée uniquement sur la base d’un dossier peut se voir reconnaître une pleine valeur probante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_681/2011 du 27 juin 2012 consid. 4.1 et les références).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C/973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

11.    a) Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b;
ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

b) Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

Selon la jurisprudence (DTA 2001 p. 169), le juge cantonal qui estime que les faits ne sont pas suffisamment élucidés a en principe le choix entre deux solutions : soit renvoyer la cause à l’administration pour complément d’instruction, soit procéder lui-même à une telle instruction complémentaire. Un renvoi à l’administration, lorsqu’il a pour but d’établir l’état de fait, ne viole ni le principe de simplicité et de rapidité de la procédure, ni la maxime inquisitoire. Il en va cependant autrement quand un renvoi constitue en soi un déni de justice (par exemple, lorsque, en raison des circonstances, seule une expertise judiciaire ou une autre mesure probatoire judiciaire serait propre à établir l’état de fait), ou si un renvoi apparaît disproportionné dans le cas particulier (RAMA 1993 n° U 170 p. 136). À l’inverse, le renvoi à l’administration apparaît en général justifié si celle-ci a constaté les faits de façon sommaire, dans l’idée que le tribunal les éclaircirait comme il convient en cas de recours (voir RAMA 1986 n° K 665 p. 87).

12.    a) En l’espèce, l’intimée considère que les atteintes à la santé de la recourante ne sont plus en rapport de causalité avec l’accident du 17 octobre 2014 au-delà du 31 mars 2017, sur la base des rapports et appréciations de la CRR et des Drs S_____, R_____ et Z_____.

Quant à la recourante, elle soutient que l’ensemble de ses troubles au pied gauche et à l’épaule droite sont d’origine organique et que ceux-ci découlent directement de l’accident du 17 octobre 2014. Elle conteste la valeur probante des rapports et appréciations sur lesquels s’appuie l’intimée, leur préférant en particulier les conclusions des Drs C______, J_____ et Y_____, notamment au sujet des documents d’imagerie figurant au dossier.

Il convient par conséquent d’examiner la valeur probante de ces documents

b) En ce qui concerne le rapport du 9 décembre 2016 de la CRR, les Drs N_____ et O_____ ont résumé le dossier médical mis à leur disposition, fait état des plaintes de l’assurée, exposé son anamnèse, livré leurs constatations objectives et résumé les documents d’imagerie avant d’apprécier le cas. Leur rapport est fondé sur un examen psychiatrique, un examen neurologique et un ENMG ainsi qu’une évaluation des capacités fonctionnelles.

Cela étant, il n’est pas possible de considérer que les Drs N_____ et O_____ ont motivé à satisfaction de droit le diagnostic principal retenu, soit les douleurs somatoformes de l’avant-pied gauche et de l’épaule droite. Malgré le fait que des douleurs soient relevées, leur origine demeure indéterminée. De plus, leur absence d’effet sur la capacité de travail est affirmée sans explication. Or, le fait que l’origine d’une douleur ne soit pas déterminée avec précision ne saurait suffire pour exclure d’emblée toute incapacité de travail, en l’absence d’une motivation circonstanciée.

Les Drs N_____ et O_____ soutiennent que la recourante a pleuré, manifesté des plaintes et limité d’elle-même ses mouvements alors que la « situation ne s’y prêtait pas ». Affirmer qu’un assuré amplifie ses plaintes, voire simule des douleurs, nécessite à tout le moins un développement détaillé des situations dans lesquels un tel comportement a été observé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Cela apparaît ici d’autant plus indispensable que la physiothérapeute a relevé avoir interrompu les tests à plusieurs reprises pour des raisons sécuritaires, ce qui laisse entendre que les interruptions des tests ne peuvent pas toutes être mises sur le compte des autolimitations de la recourante.

Les Drs N_____ et O_____ ont relevé la présence d’une anisothermie et d’une perte de sensibilité aux niveaux des orteils sans toutefois en tirer des conséquences ou expliquer en quoi ces constatations seraient sans effet sur la capacité de travail de la recourante. Sur ce point, il semble pourtant indispensable de connaître l’influence de la perte de sensibilité sur la capacité de la recourante à conduire, dans la mesure où cette activité constitue l’essence même du métier de conductrice de minibus scolaire.

Le diagnostic de SDRC, pourtant retenu par l’ensemble des médecins ayant eu à connaître du cas avant le CRR, est écarté, semble-t-il, en raison de l’absence d’indices allant en ce sens dans les documents d’imagerie. À la lecture de ces documents, il apparaît en effet que les résultats en lien avec un SDRC sont systématiquement négatifs, ce que ne conteste pas la recourante. Toutefois, le Dr J_____ relève que l’absence de signe radiologique ne constitue pas un critère permettant d’exclure le diagnostic de SDRC (courrier du 13 décembre 2017). D’ailleurs, dans son appréciation chirurgicale du 23 novembre 2017, la Dresse Z_____ a admis ledit diagnostic, considérant que les critères pour le retenir étaient réalisés. Cela tend à démontrer que les Drs N_____ et O_____ s’en sont écartés à tort, à tout le moins sans motivation satisfaisante. Sur ce point, on peut également préciser qu’à la lumière de la jurisprudence du Tribunal fédéral et des explications fournies par les Drs J_____ et Y_____, le fait que l’accident du 17 octobre 2017 apparaisse comme insignifiant n’a strictement aucune influence sur la possibilité pour un SDRC de se développer. Pourtant, les Drs N_____ et O_____ retiennent le peu de gravité de l’accident comme un élément démontrant l’absence d’origine organique des douleurs, ce qui ne saurait emporter la conviction de la chambre de céans.

Les Drs N_____ et O_____ considèrent également que les diagnostics retenus par leurs confrères s’agissant du pied gauche et de l’épaule droite ne reposent sur aucune pertinence clinique. Cette appréciation apparaît discutable au vu du nombre de médecins ayant eu à connaître du cas et dont les avis concordent. En outre, l’IRM du 24 novembre 2014 a confirmé la présence d’une déchirure partielle du ligament métatarso-sésamoïdien médial, ce qui a été confirmé par les Drs C______, J_____, W_____ et X_____. Dans la mesure où les Drs N_____ et O_____ balayent les conclusions de leurs confrères, ils devaient étayer leur position et discuter en détails les avis contraires au leur pour permettre à la chambre de céans de comprendre leur position.

De plus, le rapport de la CRR mentionne le licenciement de la recourante comme un facteur influençant sa situation et l’impasse dans laquelle elle se trouvait. Or, à l’époque, son contrat de travail n’avait pas encore été résilié, ce qui sème le doute sur l’analyse des Drs N_____ et O_____.

Enfin, ces derniers considèrent que les atteintes de la recourante ne reposent sur aucune base somatique. Cette conclusion est non seulement contestée par les rapports des Drs C______, J_____, W_____, X_____ et Y_____, mais elle est également contredite par les Dresses G_____ et Z_____, intervenant pourtant en qualité de médecins d’arrondissement de l’intimée.

Compte tenu de ces éléments, le rapport de la CRR ne peut se voir reconnaître de valeur probante.

c) S’agissant des rapports des Drs R_____ et S_____, force est de constater qu’ils se fondent essentiellement sur le rapport de la CRR, de sorte que leur valeur probante doit également être niée.

d) Quant à l’appréciation chirurgicale de la Dresse Z_____, elle ne contient pas d’anamnèse mais un simple résumé des pièces médicales et de la procédure, ce qui est problématique dans la mesure où plusieurs points factuels, comme le nombre de fractures aux sésamoïdes ou l’origine de l’atteinte à l’épaule droite, varient d’un document à l’autre.

On relèvera que les diagnostics de SDRC et de fracture du sésamoïde ont été admis par la Dresse Z_____, et par conséquent l’intimée, alors qu’ils ont été niés dans le rapport de la CRR. Cela étant, il apparaît que la Dresse Z_____ s’écarte de son rôle de médecin-conseil lorsqu’elle considère que si une lésion ligamentaire du sésamoïde existait, elle ne serait pas en relation de causalité avec l’accident, au degré de la vraisemblance prépondérante, car cette appréciation appartient au domaine juridique.

En outre, dans son appréciation du cas, la Dresse Z_____ développe une analyse principalement fondée sur la théorie et la littérature médicales, s’écartant ainsi du cas concret et de sa mission de médecin-conseil devant se prononcer sur le cas de la recourante en particulier.

Enfin, si la Dresse Z_____ retient le diagnostic de SDRC, elle considère que la guérison est acquise dès janvier 2017, sans réellement expliquer sa position ni motiver son analyse, ce qui, compte tenu de l’objet du litige, n’est pas suffisant.

Dès lors, l’appréciation chirurgicale de la Dresse Z_____ ne peut pas non plus se voir reconnaître de valeur probante.

e) S’agissant des rapports des Drs C_____, J_____ et Y_____, leur contenu est de nature à remettre en question les conclusions des Drs N_____ et O_____, R_____, S_____ et Z_____. Cela est d’autant plus vrai qu’ils sont concordants pour l’essentiel, comme sur l’interprétation des documents d’imagerie. Toutefois, ces rapports ne sont pas suffisamment motivés pour permettre à la chambre de céans de trancher le litige, notamment en ce qui concerne la capacité de travail de la recourante dans une activité habituelle ou le lien de causalité entre les différentes atteintes et l’événement accidentel. En outre, on relèvera une contradiction dans les conclusions du Dr Y_____, lequel retient à la fois que le névrome de MORTON peut être attribué aux complications du SDRC (rapport du 31 juillet 2017) et que ledit névrome n’est pas connu pour être une complication du SDRC, étant précisé qu’un accident tel que celui subi par la recourante peut en être la cause (11 janvier 2018).

f) Eu égard à l’analyse de la valeur probante des documents précités, la chambre de céans ne peut trancher le litige en l’état. L’instruction de l’intimée se révèle lacunaire, dans la mesure où le dossier contient un nombre important de pièces médicales, dont aucune ne répond aux réquisits jurisprudentiels en matière de valeur probante. Les différents documents se contredisent manifestement et les médecins ont adopté des conclusions antagonistes, de sorte que l’intimée aurait dû clarifier la situation avant de rendre sa décision.

Dans ces circonstances, il convient de renvoyer la cause à l’intimée, afin qu’elle mette en œuvre les mesures d’instruction nécessaires. Compte tenu de la complexité du cas et des positions des différents médecins, la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en médecine interne générale, psychiatrie, neurologie et orthopédie se justifie. Il conviendra notamment de déterminer si et quand le SDRC est apparu, si un ou plusieurs sésamoïdes ont été atteints et de quelle manière, si le traitement de la recourante est adapté et justifié (morphiniques, neuroleptiques, antiinflammatoires et physiothérapie), si l’origine des douleurs de la recourante est somatique ou psychique, si son état de santé est stabilisé, si elle présente des limitations fonctionnelles et une incapacité de travail et si la causalité est donnée entre ses atteintes et l’accident du 17 octobre 2014. La question des circonstances entourant l’atteinte à l’épaule droite et le névrome de MORTON devra en outre être clairement élucidée.

13.    Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision du 11 mai 2017 annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants.

La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 2'500.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 11 mai 2017.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 2'500.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le