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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/236/2020

ATAS/321/2023 du 11.05.2023 ( LAA )

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/236/2020 ATAS/321/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 11 mai 2023

Chambre 2

 

En la cause

A______

représentée par Me Christian DANDRES, avocat

 

recourante

 

contre

SUVA - CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

intimée

 


 

 

Attendu en fait que Madame A______ (ci-après: l'assurée, l'intéressée ou la recourante), née en 1992, travaillait comme hôtesse de l'air depuis le 4 juillet 2016 au service B______ SA (ci-après: la compagnie aérienne), sise à Genève, et était assurée à ce titre auprès de la SUVA Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après: SUVA, l'assureur-accidents ou l'intimée);

Qu'à la suite d'un vol du 3 octobre 2017, elle a ressenti une confusion, des céphalées et des troubles respiratoires, et s'est rendue en urgence le 4 octobre suivant au pôle médecin d'urgences du CHU de Toulouse, qui a mentionné une probable inhalation de gaz, puis, le 7 octobre, au pôle urgences du CH Annecy, qui a retenu une alcalose respiratoire non compensée;

Qu'elle a été mise en arrêt-maladie par sa médecin généraliste traitante, la doctoresse C______ (avec cabinet à Versonnex, France), ainsi que par la doctoresse D______ (du Médicentre Balexert);

Que ce cas, annoncé par l'assurée comme intoxication aux gaz sur le lieu de travail, a, sur la base d'une appréciation médicale du 6 février 2018 de la médecin-conseil de la SUVA, la doctoresse E______, été pris en charge au titre de maladie professionnelle par l'assureur-accidents (sinistre n° 1______);

Que par déclaration d'accident-bagatelle LAA du 23 juillet 2018, la compagnie aérienne a annoncé à l'assureur-accidents une intoxication de l'intéressée le 16 juillet 2018 par émanation d'huiles de moteur dans la cabine d'avion (syndrome aérotoxique);

Que, dans le cadre de l'instruction de ce nouveau cas (sinistre n° 2______), des rapports ont été établis en particulier par le docteur F______ (FMH en médecine interne; le 20 juillet 2018), le docteur G______ (pneumologue en Italie; le 2 août 2018), la Dresse C______ qui a diagnostiqué une intoxication aigue aux émanations d'huiles de moteur ainsi qu'un stress post-traumatique (notamment le 26 octobre 2018), les docteurs H______ et I______ des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) qui ont retenu une probable intoxication à l'huile de moteur d'avion, sans argument clinique pour une intoxication sévère nécessitant une surveillance hospitalière (le 17 juillet 2018), le docteur J______ qui a considéré que l'intéressée présentait, depuis l'événement en cause dans l'avion, un syndrome d'hypersensibilité chimique multiple – T78.4 de la CIM-10 – qui était selon lui la conséquence de l'intoxication aux huiles de moteur (les 21 septembre 2018 et 28 janvier 2019);

Que la SUVA, sur la base d'une appréciation médicale du 14 janvier 2019 de sa médecin-conseil la Dresse E______, a, par décision du 16 janvier 2019, refusé d'allouer des prestations de l'assurance-accidents, retenant l'absence d'un accident, d'une lésion corporelle assimilée à un accident ou d'une maladie professionnelle;

Qu'une procédure d'opposition a ensuite eu lieu, dans le cadre de laquelle l'assurée a d'abord été représentée par le Cabinet K______ (en France), puis par son conseil actuel, le dossier pertinent de la compagnie aérienne a été produit (avec la traduction en français de certaines pièces), et la Dresse E______ a établi une appréciation médicale le 31 juillet 2019;

Que par décision sur opposition rendue le 4 décembre 2019, la SUVA a rejeté l'opposition et confirmé sa décision du 16 janvier 2019;

Que par acte du 20 janvier 2020, l'intéressée a formé recours contre cette décision sur opposition, concluant, préalablement, notamment à la mise en œuvre d'une expertise médicale pour déterminer l'état de la science à propos du syndrome aérotoxique, principalement, à l'annulation de ladite décision sur opposition et, cela fait, à sa mise au bénéfice des prestations de l'assurance-accidents, subsidiairement au renvoi de la cause à l'intimée pour qu'elle statue dans le sens des considérants et la mette au bénéfice desdites prestations;

Qu'après la réponse de l'intimée du 24 mars 2020, des écritures ont été échangées entre les parties;

Que, le 7 mai 2021, à la demande de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après: la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans), l'assureur-accidents a produit une traduction française libre de l'entier des documents techniques pertinents rédigés en anglais par la compagnie aérienne concernant les événements du 3 octobre 2017 et 16 juillet 2018, en particulier les pièces 90, 91, 92 et 138 du chargé de pièces de l'intimée, lesquelles, comme possiblement d'autres documents émanant de la compagnie aérienne, décrivent le déroulement de ces événements, mentionnent une odeur de vieilles chaussettes et le fait que plusieurs membres de l'équipage ont eu aux mêmes moments des symptômes (notamment maux de tête, étourdissement, difficulté à respirer, plus troubles de la vision et fatigue);

Que le 18 mai 2021 s'est tenue devant la chambre de céans une audience de comparution personnelle des parties, avec production par la recourante d'un nouveau chargé de pièces consistant en une ordonnance et un certificat de sa nouvelle médecin traitante, la doctoresse L______, ainsi que d'audition, à titre de témoins, des Drs J______ et C______;

Que le 21 mai 2021, l'intimée a produit le dossier relatif à l'événement du 3 octobre 2017;

Que le 27 mai 2021, l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève
(ci-après : OAI) a transmis le dossier de l'intéressée auprès de lui, dont il ressort que celle-ci a déposé le 2 mai 2019 une demande de prestations de l'assurance-invalidité
(ci-après : AI) ; que le 11 mai 2020, le service médical régional de l'AI (ci-après: SMR) a rendu un rapport final retenant une migraine en rapport avec une hypersensibilité aux huiles de moteur ainsi qu'une anosmie et un trouble de la concentration (atteintes à la santé incapacitantes), de même qu'une capacité de travail nulle dans l'activité habituelle d'hôtesse de l'air et entière dans une activité adaptée, et que, par projet de décision du 12 mai 2020 puis décision du 6 juillet 2020, l'OAI a refusé à l'intéressée des mesures professionnelles et une rente d'invalidité, étant précisé que la recourante a déclaré lors de la seconde audience ne pas avoir le souvenir d'avoir recouru contre cette décision;

Que le 22 juin 2021 a eu lieu une seconde audience de comparution personnelle des parties;

Que lors des deux audiences précitées, la recourante a notamment décrit les événements des 3 octobre 2017 et 16 juillet 2018 et les circonstances les entourant, ainsi que les symptômes subis, les problèmes de santé subséquents, l'évolution de son état de santé et l'évolution de sa situation personnelle et professionnelle (avec la mention d'un emploi d'hôtesse d'accueil auprès de la bijouterie M______ depuis le 3 janvier 2020);

Que l'intimée a de son côté entre autres indiqué qu'il y a eu des demandes de prestations LAA d'autres membres du personnel naviguant de la compagnie aérienne à la suite de problèmes survenus en 2017 et 2018 pour des raisons similaires à celles de l'assurée, à savoir à chaque fois le syndrome aérotoxique, que certains cas ont été traités comme des accidents bagatelle, et que tous les cas ont été clôturés, la seule affaire qui a dépassé le cadre de la décision sur opposition étant le cas de l'intéressée (procès-verbal de l'audience du 22 juin 2021, p. 2);

Qu'à la suite de la dernière audience du 22 juin 2021, l'intimée a déposé le 20 juillet 2021 de nouvelles pièces, dont une appréciation médicale du 5 juillet 2021 de son médecin-conseil le docteur N______;

Que le 28 septembre 2021, l'assurée a déposé son dossier médical émanant de la Dresse C______;

Que de nombreuses pièces, non mentionnées ci-dessus, figurent également au dossier, parmi lesquelles plusieurs articles de la littérature scientifique afférents à la problématique médicale ici en cause;

Que, par pli du 7 avril 2022, la chambre des assurances sociales a communiqué aux parties son intention de confier une mission d'expertise à UNISANTÉ – Centre universitaire de médecine générale et santé publique –, Département Santé au Travail et Environnement (DSTE), en lien avec l'Unité d'expertise médicales (UEM) d'UNISANTÉ, ainsi que les questions qu'elle comptait poser aux experts d'UNISANTÉ, en impartissant aux parties un délai pour faire valoir une éventuelle cause de récusation et se déterminer sur les questions posées ;

Que, le 26 mai 2022, la recourante s'est déclarée d'accord avec les questions posées et a proposé l'ajout que les experts soient invités à examiner la littérature médicale;

Que, le 27 mai 2022, l'intimée a produit de nouvelles pièces relatives à l'événement du 16 juillet 2018, a fait part de réticences par rapport au choix d'UNISANTÉ et a proposé, à la place, le professeur O______ et le docteur P______, tous deux pneumologues FMH, de même qu'elle a complété une question figurant dans le projet de mission d'expertise (ajout des termes "Au cas où la notion d'accident serait admise" avant "les atteintes constatées sont-elles dans un rapport de causalité avec les événements en cause ? Plus précisément ce lien de causalité est-il seulement possible [probabilité de moins de 50%], probable [probabilité, [vraisemblance prépondérante] de plus de 50%] ou certain [probabilité de 100%] ?");

Que, le 13 juin 2022, la chambre de céans a transmis ces deux écritures aux parties, avec la précision qu'une décision serait prochainement rendue concernant la question de l'expertise;

Que, le 7 juillet 2022, l'intéressée s'est opposée à l'éventuel choix comme experts des Drs O______ et P______ et a indiqué d'ores et déjà souhaiter s'exprimer sur les courriers adressés par un cadre de la compagnie aérienne à l'avocat collaborateur et représentant de la SUVA (échanges de courriels échangés en mai 2022 et produits, avec leurs annexes, avec l'écriture de la caisse du 27 mai 2022);

Que, le 5 août 2022, la chambre de céans a fait part aux parties de ce que, compte tenu notamment du caractère souhaitable d'un choix des experts judiciaires qui soit le plus consensuel possible, elle pourrait plutôt confier la mission d'expertise, notamment, à l'Institut de médecine aéronautique (ci-après: IMA), Bettlistrasse 16, CH-8600 Dübendorf (rattaché à l'Armée suisse; site internet : https://www.vtg.admin.ch/
fr/organisation/cdmt-op/fa/ima.html#ui-collapse-363), qui figure dans la "liste des Médecins-conseils (AeMC-AME)" - en réalité "Aeromedical Centers (AeMC) et médecins-conseil (AME)" (téléchargeable depuis "https://www.bazl.admin.ch/bazl/fr/
home/personal/service-de-medecine-aeronautique.html") avec pour médecin-chef le Docteur Denis BRON);

Que, le 11 août 2022, l'assureur-accidents s'est déclaré en faveur du choix comme expert de l'IMA, en se référant notamment à une note de son médecin-conseil du 10 août 2022 allant dans le même sens;

Que, le 6 septembre 2022, la chambre des assurances sociales a informé les parties que ni l'Aeromedical Center Geneva La Tour (ci-après: AeMC) de l'Hôpital de La Tour à Meyrin ni Centre Médical Multidisciplinaire de l'Aéroport SA & Centre genevois d'expertises médicales du personnel navigant (ci-après: CMMA) – envisagés comme possibles experts dans la lettre de la chambre des assurances sociales du 5 août 2022 – n'étaient disposés à se charger d'une expertise judiciaire LAA;

Que, le 3 octobre 2022, la recourante a fait savoir ne pas s'opposer au choix de l'IMA;

Que, le 1er décembre 2022, la chambre de céans a notifié la mission d'expertise, avec les pièces du dossier, à l'IMA;

Que, le 2 février 2023, le Dr Q_______, responsable de l'IMA, a indiqué devoir se récuser en raison de son activité au sein de l'Armée suisse, et a proposé, comme expert, le docteur R______, spécialiste FMH en médecine interne générale et spécialisé et avec notamment des spécialisations en cardiologie et en médecine du sport, exerçant dans un hôpital privé à Fribourg et au bénéfice de diplôme et expérience en médecine aéronautique (dans la liste des médecins-conseil [AME] de l'Office fédéral de l'aviation civile; https://www.bazl.admin.ch/bazl/fr/home/personal/service-de-medecine-aeronautique.html);

Que, les 22 et 15 mars 2023, l'intimée, respectivement la recourante ont indiqué ne pas avoir de motifs de récusation à l'encontre du Dr R______;

Que, le 21 mars 2023, la chambre des assurances sociales a adressé la mission d'expertise, avec les pièces du dossier, au Dr R______;

Que, par lettre du 28 mars 2023 envoyée en pli recommandé le 4 avril 2023 – et transmise pour information aux parties –, le Dr R______ s'est déclaré d'accord de prendre en charge ce mandat d'expertise, à la seule condition de pouvoir effectuer l'expertise durant la deuxième moitié du mois d'août 2023, et a énoncé des estimations d'heures (avec tarif horaire) à probablement lui consacrer;

Attendu en droit que dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales est compétente, en instance unique, en matière de contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20) ;

Que la loi sur la partie générale des assurances sociales (LPGA), entrée en vigueur le 1er janvier 2003, est applicable au cas d’espèce ;

Que le recours, déposé dans les formes et délai prévus par la loi est recevable à la forme (art. 56 et 60 LPGA) ;

Que l'art. 6 al. 1 LAA dispose que, si la présente loi n’en dispose pas autrement, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle;

Qu'aux termes de l'art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort;

Qu'en vertu de l'art. 9 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux, le Conseil fédéral établissant la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent (al. 1); sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (al. 2); sauf disposition contraire, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s’est déclarée; une maladie professionnelle est réputée déclarée dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler (art. 6 LPGA; al. 3);

Que la différence essentielle entre l'accident (au sens des art. 6 à 8 LAA ainsi que 4 LPGA) et la maladie professionnelle (au sens de l'art. 9 LAA) paraît résider, pour l'accident, dans la soudaineté de l'atteinte – en ce sens que, si l'atteinte dommageable ne doit pas nécessairement durer qu'un instant, elle doit cependant se dérouler sur une période relativement courte, survenir soudainement et revêtir un caractère unique (ATF 140 V 220 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2014 du 12 novembre 2014 consid. 4.2) –, et aussi l'exigence du caractère extraordinaire du facteur extérieur;

Que selon l'art. 14 de l'ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202) intitulé "maladies professionnelles", les substances nocives et les maladies dues à certains travaux au sens de l’art. 9 al. 1 LAA sont énumérées à l’annexe 1 (qui figure vers la fin de ladite ordonnance);

Que le Conseil fédéral a dressé à l'annexe 1 de l'OLAA la liste des substances nocives, d'une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d'autre part;

Que, sous l'angle de l'art. 9 al. 1 LAA, d'après la jurisprudence, l'exigence d'une relation prépondérante est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l'action d'une substance nocive mentionnée dans la première liste, ou que, dans la mesure où elle figure parmi les affections énumérées dans la seconde liste, elle a été causée à raison de plus de 50% par les travaux indiqués en regard; en revanche, l'exigence d'une relation exclusive signifie que la maladie professionnelle est due pratiquement à 100% à l'action de la substance nocive ou du travail indiqué (ATF 119 V 200 consid. 2a et la référence citée; arrêt du Tribunal fédéral 8C_306/2014 du 27 mars 2015 consid. 3);

Que, s'agissant de l'art. 9 al. 2 LAA, selon la jurisprudence, l'existence d'une relation exclusive ou nettement prépondérante au sens de cet alinéa, qui s'apprécie principalement au vu de données épidémiologiques médicalement reconnues, n'est réalisée que si la maladie professionnelle a été causée à 75% au moins par l'exercice de l'activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b; ATF 119 V 200 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 8C_91/2007 du 26 janvier 2008 consid. 4);

Que le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante; il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références); aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a);

Que par ailleurs, selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux; en cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre; l'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu; à cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3); il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références);

Qu'enfin, selon le principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge doit établir (d'office) les faits déterminants pour la solution du litige, avec la collaboration des parties, administrer les preuves nécessaires et les apprécier librement (art. 61 let. c LPGA; cf. ATF 125 V 193 consid. 2) ;

Qu’il doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier ;

Qu’en particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3) ;

Que lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4) ;

Que les coûts de l'expertise peuvent être mis à la charge de l'assureur social (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2) ;

Que dans le cas présent, il semble prima facie que la recourante a subi un syndrome aérotoxique, comme plusieurs autres membres de l'équipage, lors des événements des 3 octobre 2017 et/ou 16 juillet 2018;

Que les questions préalables à l’examen d’éventuelles prestations de l'assurance-accidents à résoudre sont de savoir si la recourante souffrirait d'une maladie professionnelle – voire aurait été victime d'un accident – au sens de la LAA en lien de causalité avec lesdits événements dans l'avion et, si oui, laquelle, de quelle intensité et gravité, avec quelle évolution aux plans des traitements et quels effets en termes de capacité de travail et d'indemnité pour atteinte à l'intégrité;

Qu'il n'est en l'état pas possible de se prononcer sur ces questions, vu l'absence d'avis d'experts médicaux indépendants et aptes à formuler des appréciations tenant compte de l'état de la recherche scientifique, même si les scientifiques ont le cas échéant des divergences au sujet de la présente problématique (caractère médical et incapacitant ou non d'un syndrome aérotoxique, notamment);

Qu’il convient dès lors d’ordonner une telle expertise;

Que les parties sont d'accord avec la désignation comme expert Dr R______, concernant lequel aucun motif de récusation ne ressort du dossier et qui – comme évoqué dans les lettres de la chambre de céans du 7 février 2023 – apparaît disposer des compétences nécessaires pour effectuer l'expertise judiciaire (ce à quoi s'ajoute le fait qu'il pourra si besoin faire appel à d'autres spécialistes);

Que la période durant laquelle cet expert a indiqué pouvoir établir l'expertise apparaît acceptable au regard notamment de la complexité du cas;

Que, pour ce qui est des questions à poser aux experts, les propositions de compléments faites par les parties dans leurs dernières écritures, pertinentes, sont reprises ci-après d'une manière adaptée et adéquate, étant notamment relevé que, concernant la proposition de la SUVA (en p. 2 de son écriture du 27 mai 2022), la qualification d'accident ou de maladie professionnelle, ou leur absence, devraient être établies en même temps que l'examen du lien de causalité plutôt qu'avant.

***

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

 

I. Ordonne une expertise médicale. La confie au Docteur R______, spécialiste FMH en médecine interne générale, ______, 1700 Fribourg.

Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A.  Prendre connaissance du dossier de la cause, y compris des documents techniques émis par la compagnie aérienne (notamment quant aux événements en cause) et des articles scientifiques (en particulier de littérature médicale) produits par les parties avant et après le dépôt du recours (par exemple article "Exposure to aircraft bleed air contaminants among airline workers" d'avril 2009 produit en pièce 8 le 20 janvier 2020 par la recourante) et de toutes contributions scientifiques qui auraient été écrites depuis lors relativement à l'exposition du personnel naviguant des compagnies aériennes à des vapeurs ou émanations d'huiles ou autres substances, ainsi que des écritures et procès-verbaux d'auditions des parties dans le cadre de la présente procédure de recours.

B.  Si nécessaire prendre tous renseignements auprès des médecins ayant examiné/traité la personne expertisée, notamment ceux mentionnés dans les considérants ci-dessus (ce qui devra être mentionné dans le rapport d'expertise).

C.    Dans tous les domaines médicaux pertinents, y compris notamment la médecine interne et la pneumologie, examiner la personne expertisée et, si nécessaire, ordonner d’autres examens, voire éventuellement s'entourer des compétences d'autres centres ou spécialistes (étant précisé que tous éventuels avis de tiers susceptibles d'avoir une influence sur les propres conclusions de l'expert devraient être mentionnés dans son rapport d'expertise).

D.  Établir un rapport comprenant les éléments et les réponses aux questions suivants :

1.             Anamnèse détaillée

2.             Plaintes de la personne expertisée

3.             Status et constatations objectives

4.             Diagnostics

4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail.

4.1.1 Dates d’apparition.

4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail.

4.2.1 Dates d’apparition.

4.3 L’état de santé de la personne expertisée est-il stabilisé ?

4.3.1 Si oui, depuis quelle date ?

4.4 Les atteintes et les plaintes de la personne expertisée correspondent-elles à un substrat organique objectivable ?

4.5 L'expertisée a-t-elle été exposée à des substances nocives (par exemple des gaz ou huiles de moteur d'avion), en général et/ou lors de l'événement du 3 octobre 2017 et/ou celui du 16 juillet 2018 survenus dans l'avion (ci-après: les événements en cause) ?

4.5.1 Si oui, quelles substances nocives sont-elles ?

4.5.2 Ces substances nocives ont-elles selon vous une origine à l'intérieur de l'avion (laquelle précisément), ou viennent-elles de l'extérieur de l'avion (et alors d'où précisément) ?

4.5.3 Figurent-elles sous ch. 1 de l’annexe 1 de l’OLAA ?

4.6 L'assurée souffre-t-elle d'une hypersensibilité à certaines substances et dans quelle mesure et avec quelle intensité ?

5. Causalité

5.1 Les atteintes constatées (en réponses aux questions posées sous ch. 4 ci-dessus) sont-elles dans un rapport de causalité avec les événements en cause et constituent-elles une maladie professionnelle (au sens de l'art. 9 al. 1 ou 2 LAA) ou un accident (au sens de l'art. 4 LPGA) ? Plus précisément ce lien de causalité est-il exclu (0% de probabilité), seulement possible (probabilité de moins de 50%), probable (probabilité, [vraisemblance prépondérante] de plus de 50%), très probable (d'au moins 75%), ou certain (probabilité de 100%) ?

5.1.1 Veuillez motiver votre réponse pour chaque diagnostic posé, et avec chaque fois la précision si la source du problème provient de l'intérieur ou de l'extérieur de l'avion et de quel endroit plus précisément.

5.1.2 S'agit-il d'une causalité entière (exclusive) ou partielle (en concours avec d'autres causes) ?

5.2 L’exposition aux substances nocives a-t-elle conduit à ce qu’une maladie professionnelle (au sens de l'art. 9 al. 1 ou 2 LAA) – ou un accident (au sens de l'art. 4 LPGA) – se déclare – ou survienne – ?

5.2.1 Si oui, quelle est cette maladie professionnelle (qu'elle soit d'ordre somatique et/ou même éventuellement psychique) ?

5.2.2 À partir de quel moment cette maladie professionnelle s’est-elle déclarée ?

5.2.3 Quelles sont son intensité et sa gravité ?

5.2.4 Avec quelle évolution ?

5.2.5 Le cas échéant, s'agit-il d'une affection au sens du ch. 2 de l’annexe 1 de l’OLAA (affections dues à certains travaux au sens de l’art. 9 al. 1 LAA) ?

5.3 D'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, les événements en cause étaient-ils propres à entraîner des effets du genre de ceux qui se sont produits, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (causalité adéquate) ?

5.4 À partir de quel moment le statu quo ante a-t-il été éventuellement atteint (moment où l’état de santé de la personne expertisée est similaire à celui qui existait immédiatement avant les événements en cause) ?

5.4.1 Veuillez indiquer la date du statu quo ante pour chaque diagnostic posé.

5.5 Des maladies préexistantes ont-elles, au moins au degré de la vraisemblance prépondérante, été aggravées ou décompensées exclusivement ou de manière prépondérante (soit plus de 50% de l’ensemble des causes) par les substances nocives ?

5.5.1 Si oui, à partir de quel moment le statu quo sine a-t-il été atteint (moment où l’état de santé de la personne expertisée est similaire à celui qui serait survenu tôt ou tard, même sans les événements en cause par suite d’un développement ordinaire) ?

6. Traitement

6.1 Examen des traitements suivis par la personne expertisée (en particulier à la suite des événements en cause) et analyse de leur adéquation.

6.2 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée.

6.3 Peut-on attendre de la poursuite du traitement médical une notable amélioration de l’état de santé de la personne expertisée, ou une telle amélioration a-t-elle été déjà atteinte ?

6.4 Si non, à partir de quel moment ne peut-on plus attendre de la continuation du traitement médical une notable amélioration de l’état de santé de la personne expertisée (état final atteint) ?

6.5 Existe-t-il des troubles physiques et/ou éventuellement psychiques persistants malgré les traitements ? Depuis quand ? Atteignent-ils une intensité particulière ?

7. Limitations fonctionnelles

7.1 Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic (y compris s'il y a une hypersensibilité à certaines substances chimiques et, si tel est le cas, quelles substances).

7.1.1 Dates d’apparition.

7.1.2 Notamment, l'éventuelle hypersensibilité à certaines substances est-elle gênante dans une activité professionnelle et/ou dans la vie quotidienne ? Si oui, dans quelle mesure ?

8. Capacité de travail

8.1 Quelle est la capacité de travail de la personne expertisée (et de quel taux) dans son activité habituelle (hôtesse de l'air), compte tenu des seules atteintes en rapport de causalité (au moins probable – probabilité de plus de 50%) avec les événements en cause et comment cette capacité de travail a-t-elle évolué depuis cet accident ?

8.1.1 Si la capacité de travail est seulement partielle, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ? Depuis quelle date sont-elles présentes ?

8.2 Quelle est la capacité de travail de la personne expertisée (et de quel taux) dans une activité adaptée, compte tenu des seules atteintes en rapport de causalité (au moins probable – probabilité de plus de 50%) avec les événements en cause ?

8.2.1 Si cette capacité de travail est seulement partielle, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ? Depuis quelle date sont-elles présentes ?

8.3 Y aurait-il une éventuelle diminution de rendement dans le travail (activités habituelle et adaptée), en plus ou à la place de limitations fonctionnelles ?

9. Atteinte à l’intégrité

9.1 La personne expertisée présente-t-elle une atteinte à l’intégrité définitive, en lien avec les atteintes en rapport de causalité au moins probable (probabilité de plus de 50%) avec la déclaration de la maladie professionnelle ?

9.2 Si oui, quel est le taux applicable selon les tables de la SUVA ?

9.3 Si une aggravation de l’intégrité physique est prévisible, veuillez en tenir compte dans l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité et l’expliquer en détaillant le pourcentage dû à cette aggravation, étant précisé que seules les atteintes à la santé en lien probable (probabilité de plus de 50%) avec les substances nocives doivent être incluses dans le calcul du taux de l’indemnité.

10. Appréciation d’avis médicaux du dossier

10.1 Êtes-vous d’accord avec les appréciations médicales des médecins-conseils de la SUVA (Dresse E______ et Dr N______) ?

10.2 Êtes-vous d’accord notamment avec les appréciations du Dr J______ (cf. ses rapports et le procès-verbal de son audition du 18 mai 2021) ?

11. Quel est le pronostic ?

12. Des mesures de réadaptation professionnelle sont-elles envisageables ?

13. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles.

 

II.      Invite l’expert à déposer son rapport en trois exemplaires dans les meilleurs délais auprès de la chambre de céans.

III.   Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

La greffière

 

 

 

Diana ZIERI

 

Le président

 

 

 

Blaise PAGAN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le