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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3173/2021

ATAS/154/2022 du 18.02.2022 ( PC ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3173/2021 ATAS/154/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 18 février 2022

9ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié c/o M. B______, à GENÈVE

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Le 4 août 2021, Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé), ressortissant espagnol né le ______ 1960 à Alicante (Espagne), marié, a formé une demande de prestations transitoires pour les chômeurs âgés auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC).

b. À l’appui de sa demande, l’intéressé a notamment joint un extrait de son compte individuel suisse, ainsi qu’un extrait de compte établi par la sécurité sociale espagnole.

B. a. Par décision du 13 août 2021, le SPC a rejeté la demande de prestations transitoires. À la lecture de l’extrait de son compte individuel, l’intéressé n’avait pas été assuré à l’AVS pendant au moins 20 ans, dont au moins cinq ans après avoir atteint l’âge de 50 ans.

b. Le 25 août 2021, l’intéressé a formé opposition à cette décision. Contrairement à ce qu’avait retenu le SPC, il convenait de tenir compte de l’ensemble de ses cotisations à l’AVS suisse et à la sécurité sociale espagnole. Il ressortait en effet du texte clair des art. 27 al. 1 de la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés du 19 juin 2020 (LPtra – RS 837.2) et 6 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.1 ; ci-après : règlement 883/2004) qu’il était nécessaire de prendre en considération toutes les cotisations effectuées en Suisse et au sein de l’Union européenne. Les prestations transitoires ne pouvaient, au demeurant, être considérées comme des prestations de préretraite au sens de l’art. 66 du règlement 883/2004, dans la mesure où, contrairement aux prestations de préretraite, les prestations transitoires étaient subordonnées à la condition de se mettre à la disposition des services de l’emploi. Les prestations transitoires pour chômeurs âgés étaient, en outre, conçues comme faisant partie d’un train de mesures visant à améliorer l’employabilité des seniors et d’encourager le potentiel de main-d’œuvre indigène, ce qui n’était pas le cas des prestations de préretraite prévues par le règlement 883/2004. Ainsi, en tenant compte des cotisations à la sécurité sociale espagnole, il remplissait la condition d’avoir cotisé pendant au moins 20 ans, dont au moins cinq ans après avoir atteint l’âge de 50 ans.

C. a. En parallèle, par courriel du 24 août 2021, l’intéressé s’est enquis auprès de l’office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) de la possibilité de comptabiliser les cotisations à la sécurité sociale espagnole dans le cadre des prestations transitoires pour les chômeurs âgés.

b. Par courriel du 25 août 2021, la représentante de l’OFAS a informé l’intéressé de ce que la prestation transitoire prévue à l’art. 27 LPtra constituait une prestation de préretraite au sens du règlement 883/2004. Ainsi, selon l’art. 66 du règlement 883/2004, les périodes d’assurance accomplies dans un État de l’Union européenne ou de l’AELE n’étaient pas prises en compte pour l’accomplissement de la période de cotisation de 20 années.

c. L’intéressé a répondu par courriel du 26 août 2021, en reprenant les explications contenues dans son opposition devant le SPC du 25 août 2021.

d. Par courriel du 30 août 2021, la représentante de l’OFAS a relevé que la volonté du législateur était claire sur ce point. La prestation transitoire constituait une prestation de préretraite malgré son lien avec le chômage. Cet aspect avait été approfondi dans le message relatif à la LPtra.

e. Le 2 septembre 2021, la représentante de l’OFAS a transmis au SPC l’échange de courriels entre l’OFAS et l’intéressé.

D.           Par décision sur opposition du 15 septembre 2021, le SPC a maintenu sa décision du 13 août 2021. La prestation transitoire constituait une prestation de préretraite au sens du règlement 883/2004. Les périodes d’assurance accomplies dans un État membre de l’Union européenne ou de l’AELE n’étaient dès lors pas prises en compte pour l’accomplissement de la période de cotisation de 20 années. Une personne pouvait seulement avoir droit à la prestation transitoire si elle avait accompli 20 ans dans le système suisse en cotisant effectivement à l’AVS. Toutefois, les bénéficiaires de la prestation transitoire pouvaient emporter cette prestation en cas de départ dans un État de l’UE/AELE, conformément au règlement 883/2004, sous certaines conditions. Par conséquent, les périodes de cotisation effectuées en Espagne, et non dans le système suisse, ne pouvaient pas être prises en compte pour cette prestation.

E. a. Par acte du 16 septembre 2021, l’intéressé a interjeté recours à l’encontre de cette décision par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant à son annulation. Il a repris, en substance, la motivation de son opposition du 25 août 2021.

b. Par réponse du 14 octobre 2021, le SPC a conclu au rejet du recours. La décision était en adéquation avec la loi et les directives de l’OFAS, ce qui avait été du reste confirmé par ce dernier.

c. Par réplique du 19 octobre 2021, l’intéressé a relevé que, lors d’une conversation téléphonique avec la représentante de l’OFAS du 22 juin 2021, celle-ci avait confirmé que ses années de cotisation en Espagne seraient prises en compte dans le calcul de l’acquisition du droit à la prestation transitoire. Cet échange avait motivé l’intéressé à déposer sa demande de prestations transitoires. La représentante était ensuite revenue sur sa position. Ni le SPC, ni l’OFAS, n’avaient répondu à ses arguments concernant l’incompatibilité de traitement des prestations transitoires comme une prestation de préretraite au sens du règlement 883/2004 avec la condition de démontrer que les bénéficiaires des prestations transitoires étaient obligés de poursuivre leurs efforts d’intégration du marché du travail. Pour le reste, il a persisté dans les conclusions de son recours.

d. Par duplique du 26 octobre 2021, le SPC a confirmé que la volonté du législateur, confirmée à maintes reprises par l’OFAS, était claire, de sorte qu’il ne pouvait que confirmer sa position.

e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 11 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à LPtra.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les formes et les délais légaux, le recours est recevable (art. 60 et 61 LPGA), étant précisé que les dispositions de LPGA s’appliquent aux prestations transitoires versées en vertu de la LPtra, à moins que celle-ci ne déroge expressément à la LPGA (art. 1 LPtra).

3.             Le litige porte sur le droit du recourant aux prestations transitoires, singulièrement sur la question de savoir si les cotisations effectuées par l’intéressé en Espagne peuvent être comptabilisées dans le calcul de la durée minimale de 20 ans de cotisations à l’AVS requise par le droit fédéral pour l’octroi des prestations transitoires.

3.1 Le 19 juin 2020, le Parlement fédéral a adopté la LPtra, dont le but est d’améliorer la protection sociale des personnes, âgées, qui sont arrivées en fin de droit dans l’assurance-chômage, en complément avec les mesures de la Confédération visant à promouvoir l’emploi des travailleurs âgés (art. 2). Cette loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2021 (RO 2021 373).

Selon l’art. 3 al. 1 LPtra, les personnes âgées de 60 ans ou plus qui sont arrivées en fin de droit dans l’assurance-chômage ont droit à des prestations transitoires destinées à couvrir leurs besoins vitaux jusqu’au moment où elles atteignent l’âge ordinaire de la retraite dans l’assurance-vieillesse et survivants (AVS ; let. a) ou ont droit au plus tôt au versement anticipé de la rente de vieillesse, s’il est prévisible qu’elles auront droit à des prestations complémentaires au sens de la loi fédérale sur les prestations complémentaires du 6 octobre 2006 (LPC – RS 831.30) à l’âge ordinaire de la retraite (let. b). Une personne est arrivée en fin de droit lorsqu’elle a épuisé son droit aux indemnités de l’assurance-chômage ou lorsque son droit aux indemnités de l’assurance-chômage s’est éteint à l’expiration du délai-cadre d’indemnisation et qu’elle n’a pas pu ouvrir un nouveau délai-cadre d’indemnisation (al. 2).

Selon l’art. 4 al. 1 LPtra, les prestations transitoires se composent de la prestation transitoire annuelle (let. a) et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (let. b).

Le droit aux prestations transitoires est régi par l’art. 5 LPtra. Selon l’al. 1, ont droit aux prestations transitoires les personnes ayant leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse (art. 13 LPGA) : qui sont arrivées en fin de droit dans l’assurance-chômage au plus tôt pendant le mois au cours duquel elles ont atteint l’âge de 60 ans (let. a) ; qui ont été assurées à l’AVS pendant au moins 20 ans, dont au moins cinq ans après 50 ans, et ont réalisé un revenu annuel provenant d’une activité lucrative qui atteint au moins 75 % du montant maximal de la rente de vieillesse prévu à l’art. 34 al. 3 et 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1946 sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS), ou qui peuvent faire valoir des bonifications pour tâches d’assistance et tâches éducatives correspondantes selon la LAVS (let. b) et qui disposent d’une fortune nette inférieure à la moitié des seuils fixés à l’art. 9a LPC (let. c).

L’art. 5 al. 5 LPtra précise que le Conseil fédéral peut prévoir que les bénéficiaires de prestations transitoires doivent démontrer qu’ils poursuivent leurs efforts d’intégration du marché du travail. Sur la base de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 5 de l’ordonnance sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés du 11 juin 2021 (OPtra – RS 837.21), intitulé « efforts d’intégration », et selon lequel les bénéficiaires de prestations transitoires doivent démontrer chaque année qu’ils font des efforts pour s’intégrer sur le marché du travail. Selon les directives concernant les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (DPtra) du 1er juillet 2021, édictées par l’OFAS, les efforts d’intégration sont définis au sens très large. Il peut s’agir de candidatures au sens habituel du terme ou d’autres engagements. Ces derniers doivent favoriser la participation de la personne à la société ou être favorables à son activité. Il peut s’agir par exemple de travail bénévole dans différents domaines (engagement lors de [grandes] manifestations, participation à des groupes de protection de l’environnement, engagement social, etc.), de soins et de soutien accordés à des proches ou à des connaissances, de cours de langue, de coaching (ch. 2470.02). La preuve des efforts d’intégration fournis doit être présentée au moment de l’adaptation annuelle des prestations. Elle doit attester de manière adéquate les efforts qui ont été déployés. Le formulaire « Preuve du respect des efforts d’intégration » (annexe 5) peut être utilisé à cette fin (ch. 2470.03). Si une personne ne fournit pas la preuve des efforts d’intégration, cela n’a aucun effet sur sa prestation transitoire (ch. 2470.09).

Le droit aux prestations transitoires prend naissance le premier jour du mois au cours duquel la demande est déposée, pour autant que toutes les conditions légales soient remplies (art. 14 al. 1 LPtra).

Sont compétents pour la réception et l’examen des demandes, pour la fixation des prestations transitoires et pour leur versement les organes désignés en vertu de l’art. 21 al. 2 LPC par le canton dans lequel le bénéficiaire est domicilié (art. 19 al. 1 LPtra). D’après l’art. 21 al. 2 LPC, les cantons désignent les organes chargés de recevoir et d’examiner les demandes, de fixer et de verser les prestations. Ils peuvent confier ces tâches aux caisses cantonales de compensation, mais non aux autorités compétentes en matière d’aide sociale. À Genève, il s’agit du service des prestations complémentaires (art. 3 al. 1 de la loi sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 14 octobre 1965 [LPFC – J 4 20]).

Enfin, pour les personnes qui sont ou qui ont été soumises à la législation sur la sécurité sociale de la Suisse ou d’un ou de plusieurs États de l’Union européenne et qui sont des ressortissants suisses ou des ressortissants de l’un des États de l’Union européenne, le règlement 883/2004, dans sa version qui lie la Suisse en vertu de l’annexe II, section A, de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681) est applicable (art. 27 al. 1 let. a LPtra).

3.2 Pour être couvert par le champ d'application personnel du règlement 883/2004 prévu par son art. 2 par. 1, il faut, d'une part, que soit réalisée la condition de la nationalité (respectivement du statut d'apatride ou de réfugié avec résidence dans l'un des États membres de l'Union européenne ou en Suisse) ou du statut familial (« membres de la famille ») et, d'autre part, que la cause présente une situation transfrontalière (élément d'extranéité; ATF 143 V 81 consid. 8.1 p. 88; ATF 141 V 521 consid. 4.3.2 p. 525). 

Le règlement 883/2004 prévoit en particulier, à son art. 6, qu’à moins que le règlement n’en dispose autrement, l’institution compétente d’un État membre dont la législation subordonne l’acquisition, le maintien, la durée ou le recouvrement du droit aux prestations à l’accomplissement de périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique.

Selon l’art. 66 du règlement, intitulé « préretraite », lorsque la législation applicable subordonne le droit aux prestations de préretraite à l’accomplissement de périodes d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée, l’art. 6 ne s’applique pas.

Le terme « prestation de préretraite » désigne toutes les prestations en espèces, autres qu’une prestation de chômage ou une prestation anticipée de vieillesse, servies à partir d’un âge déterminé au travailleur qui a réduit, cessé ou suspendu ses activités professionnelles jusqu’à l’âge auquel il peut être admis à la pension de vieillesse ou à la pension de retraite anticipée et dont le bénéfice n’est pas subordonné à la condition de se mettre à la disposition des services de l’emploi de l’État compétent. Le terme « prestation anticipée de vieillesse » désigne une prestation servie avant que l’intéressé ait atteint l’âge normal pour accéder au droit à la pension et qui, soit continue à être servie une fois que cet âge est atteint, soit est remplacée par une autre prestation de vieillesse (art. 1 let. x du règlement 883/2004).

3.3 Selon le message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés du 30 octobre 2019 (FF 2019 7797), la prestation transitoire garantit un passage à la retraite sûr et en toute dignité aux personnes de plus de 60 ans pour lesquelles aucune réinsertion n’est possible malgré tous leurs efforts et en dépit des mesures d’accompagnement mises en place (FF 2019 7797 p. 7820). Le projet devait permettre de réduire le risque de pauvreté des personnes âgées. Tous les partisans ont néanmoins souligné que la prestation transitoire ne devait pas conduire à un retrait prématuré du marché du travail et qu’elle devait uniquement servir de solution de dernier recours lorsque tous les efforts d’intégration s’étaient avérés vains (FF 2019 7797 p. 7821). Le système des prestations transitoires est conçu de telle sorte que celles-ci se présentent sous la forme de prestations de préretraite au sens de l’ALCP. Une prestation de préretraite peut certes être exportée, mais les périodes d’assurance accomplies à l’étranger ne sont pas prises en compte pour déterminer le droit à la prestation. Si le versement de la prestation transitoire était soumis aux obligations de contrôle dans l’assurance-chômage, la prestation devrait être qualifié de prestation de chômage. Elle ne serait alors certes pas exportée, mais les périodes d’assurance accomplies hors de Suisse seraient prises en considération, ce qui alourdirait et compliquerait le système (FF 2019 7797 p. 7823).

La prestation transitoire proposée par la LPtra peut être qualifiée de prestation de préretraite au sens du règlement européen : elle est octroyée à partir d’un âge déterminé (60 ans) à un travailleur qui a cessé ses activités professionnelles ; elle est versée jusqu’au moment où le bénéficiaire peut avoir droit à une rente de vieillesse et son octroi n’est pas subordonné à la condition que le bénéficiaire se mette à la disposition des services de l’emploi. Malgré son lien avec le chômage – les bénéficiaires doivent être sans emploi et être arrivés en fin de droit dans l’assurance-chômage –, la prestation transitoire ne peut être qualifiée de prestation de chômage au sens du règlement européen : elle ne constitue pas un remplacement de l’ancien salaire ; elle n’a pas pour objectif de réinsérer le bénéficiaire sur le marché du travail et ne prévoit aucune mesure dans ce sens ; le bénéficiaire ne doit pas être inscrit dans un office régional de placement (ORP) ni être à disposition d’un tel service de placement (FF 2019 7797 p. 7856).

4.             Selon la jurisprudence, la loi s'interprète en premier lieu d'après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique), du but poursuivi, de l'esprit de la règle, des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation (ATF 147 V 242 consid 7.2 ; ATF 146 V 87 consid. 7.1).  

5.             Dans la décision entreprise, l’intimé a refusé d’accorder des prestations transitoires au recourant, au motif que l’intéressé ne remplissait pas la condition d’avoir été assuré à l’AVS pendant au moins 20 ans. Le recourant avait certes cotisé, mais pour une partie en Espagne et pour une partie en Suisse. Or, les périodes de cotisations effectuées en Espagne ne pouvaient pas être prises en compte dans le calcul de la durée minimal de 20 ans de cotisations requis par l’art. 5 al. 1 let. b LPtra.

Le recourant conteste ce raisonnement. Il fait valoir que selon l’art. 6 du règlement 883/2004, la Suisse était tenue de prendre en compte les périodes d’assurance accomplies en Espagne. D’après l’intéressé, l’exception à cette disposition que l’art. 66 du règlement 883/2004 réserve aux prestations de préretraite ne s’applique pas, les prestations transitoires prévues par la LPtra ne répondant pas à la définition de prestations de préretraite prévue à l’art. 1 let. x du règlement. En effet, pour être qualifié de « prestation de préretraite » au sens du règlement, l’octroi de la prestation ne doit pas être subordonné à la condition de se mettre à la disposition des services de l’emploi de l’État compétent. Or, il ressort de l’art. 5 OPtra que les bénéficiaires de prestations transitoires doivent démontrer chaque année qu’ils font des efforts pour s’intégrer sur le marché du travail.

En l’occurrence, il n’est pas contesté que le recourant n’a pas été assuré à l’AVS suisse pendant au moins 20 ans. Il est toutefois constant que l’intéressé a également cotisé à un régime de sécurité sociale en Espagne. La question se pose donc de savoir si le recourant remplit, en cela, la condition de l’art. 5 al. 1 let. b LPtra.

En tant que ressortissant de l’un des États membres de l’Union européenne et affilié à un régime national de sécurité sociale de la Suisse, le recourant entre dans le champ d’application personnel de l’annexe II ALCP et du règlement 883/2004 (cf. art. 2 par. 1 de ce règlement et 27 al. 1 LPtra). Du point de vue de son objet, le règlement s’applique aux branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de vieillesse (art. 3 al. 1 let. d), chômage (let. h) et de préretraite (let. i). Ainsi, qu’elle constitue une prestation de vieillesse, de chômage ou de préretraite – ce qui sera examiné ci-après –, la prestation transitoire entre dans le champ d’application matériel de l’annexe II ALCP et du règlement 883/2004 (cf. aussi art. 27 al. 1 LPtra selon lequel le règlement 883/2004 est applicable aux prestations comprises dans la LPTra).

L’art. 5 al. 1 let. b LPtra, qui subordonne l’octroi de prestations transitoires à une durée de cotisations minimale à l’AVS de 20 ans, doit ainsi être conforme au règlement 883/2004 relatif à la totalisation des périodes. Or, à s’en tenir à son art. 6, le SPC devrait, en principe, tenir compte des périodes d’assurance accomplies en Espagne dans le calcul des périodes d’assurance nécessaires à l’acquisition du droit aux prestations, comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation suisse.

L’art. 66 du règlement 883/2004 prévoit toutefois une exception à ce principe en cas de prestations de préretraite. Dans ce cas, il n’est pas tenu compte des cotisations effectuées dans un autre État membre de l’ALCP. La question se pose donc de savoir si les prestations transitoires répondent à cette définition.

D’après le règlement, les prestations de préretraite désignent toutes les prestations en espèces, autres qu’une prestation de chômage ou une prestation anticipée de vieillesse, servies à partir d’un âge déterminé au travailleur qui a réduit, cessé ou suspendu ses activités professionnelles jusqu’à l’âge auquel il peut être admis à la pension de vieillesse ou à la pension de retraite anticipée et dont le bénéfice n’est pas subordonné à la condition de se mettre à la disposition des services de l’emploi de l’État compétent (art. 1 let. x du règlement 883/2004). Or, comme le souligne pertinemment le recourant, l’art. 5 OPtra, adopté sur la base de l’art. 5 al. 5 LPtra, prévoit que les bénéficiaires de prestations transitoires doivent démontrer chaque année qu’ils font des efforts pour s’intégrer sur le marché du travail. Il convient donc de définir ce qu’il faut entendre par « efforts pour s’intégrer sur le marché du travail ».

L’intimé, suivi en cela par l’OFAS, soutient qu’il ressort clairement du message du Conseil fédéral que la volonté du législateur était de concevoir les prestations transitoires comme des prestations de préretraite au sens du règlement européen. Selon le Conseil fédéral, malgré son lien avec le chômage, la prestation transitoire ne peut être qualifiée de prestation de chômage au sens du règlement européen, notamment parce qu’elle n’a pas pour objectif de réinsérer le bénéficiaire sur le marché du travail (FF 2019 7797 p. 7857). Or, il ressort des travaux parlementaires que les Chambres fédérales ont adopté une approche différente sur ce dernier point. C’est d’ailleurs le lieu de relever que l’art. 5 al. 5 LPtra, sur la base duquel l’art. 5 OPtra a été adopté, ne figurait pas dans le projet initial présenté par le Conseil fédéral. La formulation actuelle de l’art. 5 al. 5 LPtra, qui prévoit une délégation au Conseil fédéral pour prévoir l’obligation d’apporter les preuves des efforts d’intégration, résulte d’une proposition du Conseil national (Conseil national, session de printemps 2020, troisième séance 4.3.2020, BO 2020 N 87). Elle a été préférée à la proposition du Conseil d’État qui prévoyait, directement dans la loi fédérale, que les bénéficiaires de prestations transitoires devaient prouver chaque année qu’ils s’efforçaient d’intégrer le marché du travail (BO 2019 E 1152, Conseil des États, session d’hiver 2019, septième séance 12.12.19).

La majorité du Conseil national estimait en effet qu’il était important d’exiger des bénéficiaires qu’ils poursuivent leurs efforts d’intégration dans le marché du travail. Selon M. RODUIT, la preuve que des efforts pour se réinsérer ont été accomplis était « un point important ». Il était « indispensable que le projet relatif à la prestation transitoire pour les chômeurs âgés donne à la population l’assurance que ce dernier améliore la situation des bénéficiaires et, surtout, qu’il n’affaiblit pas la volonté de ceux-ci de faire des efforts personnels pour s’intégrer dans le marché du travail ». En dispensant le bénéficiaire de toute contrainte, la minorité PRELICZ-HUBER prenait « le gros risque de susciter une incompréhension complète au sein de la population active » (Conseil national session de printemps 2020, troisième séance, 4.3.20, BO 2020 N 83). Selon M. NANTERMOD, « le but de la commission n’était pas de pousser des gens qui pourraient travailler à choisir une prestation qui les sortirait définitivement du marché du travail jusqu’à l’âge de la retraite ». Le Conseil fédéral devait « s’assurer que les personnes cherchent autant que possible, entre 60 et 65 ans, à se réintégrer sur le marché du travail, à faire tout ce qui leur est possible pour rester sur le marché du travail. On n’est pas retraité quand bien même on touche une prestation transitoire » (Conseil national, session de printemps 2020, troisième séance, 4.3.2020, BO 2020 N 86).

Seule une minorité, représentée par Mme PRELICZ-HUBER, soutenait qu’il ne fallait pas exiger des bénéficiaires de prestations transitoires de prouver des efforts d’intégration sur le marché du travail. Cet avis a été appuyé par le Conseil fédéral, représenté par M. BERSET, qui a attiré l’attention des parlementaires sur le souhait du Conseil fédéral « de pouvoir verser une prestation transitoire très ciblée aux personnes qui ont travaillé en Suisse et qui ont cotisé pendant au moins vingt ans à un certain niveau de revenu ». La totalisation des années de cotisation ne devait concerner uniquement les années réalisées en Suisse, sans tenir compte des années de cotisation réalisées à l’étranger, « parce que cela entraînerait évidemment un élargissement très important des personnes qui pourraient être concernées ». Or, pour éviter la totalisation des années réalisées à l’étranger, il convenait de « renoncer à la preuve des efforts d’intégration, parce que la preuve des efforts d’intégration [ ] conduit dans une logique d’assurance-chômage pour laquelle on doit totaliser les années de cotisation réalisées à l’étranger » (BO 2020 N 84 et 85, Conseil national session de printemps 2020, troisième séance, 4.3.20 ; voir aussi Conseil des États, session de printemps 2020, sixième séance, 10.3.2020, BO 2020 E 102).

Il apparait ainsi clairement des débats parlementaires que la volonté du législateur était de maintenir l’objectif de réinsertion sur le marché du travail dans le cadre de la LPtra, et cela contrairement à ce qui avait été proposé par le Conseil fédéral. En revanche, on ne trouve pas, dans les travaux préparatoires, le souhait de maintenir les obligations de contrôle dans l’assurance-chômage pendant la durée de perception de la prestation transitoire. Cela a du reste été confirmé par les directives de l’OFAS, selon lesquelles les efforts d’intégration sont définis « au sens très large ». Selon les directives, il peut s’agir de candidatures au sens habituel du terme ou d’autres engagements servant à favoriser la participation de la personne à la société ou être favorables à son activité. Sont cités à titre d’exemples le bénévolat dans différents domaines (engagement lors de [grandes] manifestations, participation à des groupes de protection de l’environnement, engagement social, etc.), des activités de soins et de soutien accordés à des proches ou à des connaissances, des cours de langue et le coaching. Par ailleurs, les directives énoncent clairement que si une personne ne fournit pas la preuve des efforts d’intégration, cela n’a aucun effet sur sa prestation (cf. supra consid. 3.1.1). Il appert ainsi que l’exigence de prouver des efforts d’intégration prévue à l’art. 5 OPtra, en lien avec l’art. 5 al. 5 LPtra, a un caractère purement incitatif et n’influe pas sur l’octroi ou non des prestations transitoires. Elle ne suppose, en tous les cas, pas que le bénéficiaire se mette à disposition d’un ORP ou d’un service de placement similaire (cf. FF 2019 7797 p. 7857).

Il suit de là que, contrairement à ce que soutient le recourant, l’octroi des prestations transitoires n’est pas subordonné à la condition de se mettre à disposition des services de l’emploi de l’État compétent au sens de l’art. 1 let. x du règlement 883/2004. Pour le reste, il n’est pas contesté que les prestations transitoires sont servies à partir d’un âge déterminé au travailleur qui a réduit, cessé ou suspendu ses activités professionnelles jusqu’à l’âge auquel il peut être admis à la pension de vieillesse ou à la pension de retraite anticipée. De telles prestations entrent, partant, dans la définition de prestations de préretraite de l’art. 1 let. x du règlement. C’est par conséquent, à bon droit, que l’intimé, se fondant sur l’art. 66 du règlement, n’a pas tenu compte des périodes d’assurance réalisées en Espagne dans le calcul de la cotisation minimale à l’AVS prévue à l’art. 5 al. 1 let. b LPtra. La décision attaquée doit partant être confirmée.

6.             Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

La procédure est gratuite.

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le