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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/791/2001

ATA/840/2001 du 18.12.2001 ( FIN ) , REJETE

Descripteurs : IMPOT; PREUVE; ETABLISSEMENT DES FAITS; IMPOT SUR LES SUCCESSIONS ET LES DONATIONS; FIN
Normes : LDS.29; LDS.30
Résumé : Faute d'éléments probants, l'hoirie ne peut prouver que la moitié de l'actif (CHF 2 millions) appartenait à la conjointe du decujus. En conséquence, l'actif entier est soumis aux droits de succession. En particulier, les revenus tirés du trust de la conjointe sont insuffisants pour admettre qu'ils auraient permis la constitution de la moitié de l'actif. Les art. 29 et 30 LDS s'appliquent en lieu et place des présomptions de droit civil (art.247 et 610 ss CC).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 18 décembre 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame H. P__________

Madame X. P__________

Monsieur N. P__________

Monsieur D. P__________

représentés par Bastions Conseils S.A., mandataire

 

 

contre

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE GENEVOISE

 

 

et

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

 

 

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur N. P__________, sujet britannique, né à Checkendon (Grande-Bretagne) le __________1909, est décédé à Genève le __________ 1997.

 

Il avait épousé le 3 janvier 1948, à Montréal, Mademoiselle H. C., selon un contrat de mariage reçu le 31 décembre 1947 par un notaire de la province du Québec, officiant dans la ville de Montréal. Il résulte notamment de ce contrat de mariage que les époux resteraient séparés de biens, s'agissant tant de leurs propriétés au jour de leur union que des biens qu'ils pourraient acquérir par la suite, les droits et obligations en résultant devant également être distingués dans les limites des règles du droit civil applicable. Le 22 septembre 1993, M. P__________ avait rédigé ses dernières volontés, selon lesquelles il était domicilié à Genève, après avoir abandonné son domicile précédent en Angleterre, et faisait élection du droit anglais pour régler la dévolution de sa succession. Il résulte notamment de ce testament que Mme H. P__________, née C., recevait l'intégralité de la succession, sous réserve de quelques legs expressément décrits.

 

2. Le 2 juin 1998, Messieurs P__________, banquiers à Genève (ci-après : MM. P__________), ont déposé la déclaration de succession concernant feu M. P__________. Il y était fait référence au contrat de mariage du 31 décembre 1947, emportant le régime de la séparation de biens et au testament du 22 septembre 1993. L'actif net matrimonial s'élevait à CHF 2'767'245.-, les reprises du conjoint survivant à CHF 1'383'623.- et les dettes à CHF 6'529.-.

 

3. Le 23 novembre 1998, l'administration fiscale cantonale (AFC) a arrêté le total des droits concernant la succession de M. P__________ à CHF 95'621,60.

 

4. Le 1er décembre 1998, MM. P__________ se sont adressés à l'AFC. Au jour du mariage, aucun des deux époux n'avait de fortune personnelle. Seule Mme P__________ était issue d'une famille fortunée et elle avait, au cours des années, hérité en différentes occasions de biens provenant de sa famille. Elle n'avait toutefois gardé aucune trace de ses successions, liquidées à l'étranger depuis de nombreuses années. Il y avait lieu dès lors de considérer le compte ouvert dans les livres de MM. P__________ ainsi que les actions de la SI B__________ S.A. comme appartenant aux époux P__________ et de retrancher de la succession de feu P__________ la somme de CHF 1'600'400.-, l'actif net imposable s'élevant dès lors à CHF 1'593'971,50.

 

5. Le 17 mars 1999, l'AFC a rejeté cette réclamation au motif qu'il appartenait au contribuable de fournir à l'autorité tous les éléments nécessaires pour établir la décision de taxation au sens de l'article 29 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS - D 3 25) et de l'article 22 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 1). Au regard des documents remis à l'AFC (contrat de mariage, testament, déclaration fiscale de la SI B__________ S.A.) les actifs déclarés appartenaient au seul feu P__________.

 

6. Le 19 avril 1999, MM. P__________ ont recouru au nom de Mmes H. et X. P__________ ainsi que de MM. N. P__________ et D. P__________ (ci-après : l'hoirie P__________) contre la décision rendue sur réclamation par l'AFC. Mme veuve P__________ avait hérité de son père et de sa mère en 1955 ainsi qu'en 1971. La majeure partie des avoirs bancaires au nom de feu P__________ provenait de la succession des parents de son épouse. En vertu du droit civil, soit les règles du partage successoral selon les articles 610 et suivants du Code civil suisse du 10 décembre l907 (CC - RS 210), les héritiers avaient un droit égal à tous les biens de la succession. Une application analogique des règles sur la séparation de biens en droit suisse conduisait à admettre la copropriété des époux P__________ sur les biens litigieux. MM. P__________ ont conclu à l'annulation de la décision entreprise et à la notification d'un nouveau bordereau comportant un avoir net imposable de CHF 1'377'093.-.

 

Le 30 septembre 1979, dans le cadre de l'instruction du recours, MM. P__________ ont exposé que Mme P__________ bénéficiait de revenus provenant d'un trust à auteur de $ can. 20'000 environ par année, soit plus de $ can. 120'000 dollars canadiens de 1994 à 1999 y compris.

 

7. Le 20 avril 2000, l'AFC a répondu au recours déposé auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : CCRMI). Lorsqu'il édictait des règles de droit fiscal, le législateur n'était pas lié par les notions et les solutions du droit civil fédéral. L'hoirie recourante ne pouvait donc se prévaloir d'une présomption légale de droit civil pour fonder sa prétention à une réduction de la taxation. L'AFC a conclu au rejet du recours.

 

8. Le 21 juin 2001, la CCRMI a rejeté le recours au motif que Mme P__________ avait été dans l'incapacité de démontrer qu'elle aurait disposé des fonds nécessaires notamment pour l'acquisition de 21 actions de la SI B__________ S.A. et qu'elle a contribué à l'accroissement des fonds gérés par MM. P__________. Elle a encore relevé que si la veuve de feu P__________ avait bien hérité en 1955 de son père et en 1971 de sa mère, elle n'avait pas été en mesure de chiffrer cet héritage, ni d'indiquer ce qu'elle avait ainsi reçu. Quant à la somme de $ can. 20'000 par an, elle était bien insuffisante pour permettre soit l'acquisition d'un bien immobilier, soit pour fournir les fonds expliquant que le compte tenu par MM. P__________ présentait un solde positif de plus de CHF 2'000'000.- au jour du décès de M. N. P__________.

 

9. Le 27 juillet 2001, la société Bastions Conseils S.A. a recouru au nom de l'hoirie P__________ contre la décision de la CCRMI. Elle conclut à l'annulation de la décision entreprise et à ce qu'un nouveau bordereau de succession soit établi, comportant un avoir net imposable à hauteur de CHF 1'539'712.-.

 

10. Le 8 août 2001, la CCRMI a déposé son dossier, sans autres observations. Le 16 août 2001, l'AFC conclut au rejet du recours.

 

11. Le 23 août 2001, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56) de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Chacune des parties aux prises dans le rapport de droit fiscal doit établir les faits dont elle entend faire dériver des droits à son avantage et, bien entendu, supporter le fardeau de la preuve de ces faits. Ainsi, l'autorité fiscale doit-elle, par exemple, établir l'existence des conditions d'assujettissement et l'existence des faits constituant le fondement d'une imposition (ATA C. du 22 avril 1997).

 

Il existe cependant des circonstances où un renversement du fardeau de la preuve devient légitime (ATA C. précité). Ainsi, lorsque des indices précis rendent vraisemblable l'existence des conditions fondant l'obligation fiscale, il n'est pas arbitraire pour l'autorité d'exiger du contribuable qu'il apporte la preuve du contraire et qu'il étaye sa position par des pièces (Walter RYSER et Bernard ROLLI, Précis de droit fiscal suisse : impôts directs, Berne 1994, 3ème éd., p. 58; Archives de droit fiscal suisse, vol. 39, p. 288 et SJ 1979 p. 434).

 

3. Selon les articles 29 et 30 de la loi sur les droits de succession du 29 novembre 1960 (LDS - B 3 25), la déclaration de succession est l'énonciation des biens délaissés par le défunt; elle comporte notamment le régime matrimonial applicable et sa justification (al. 3 let. d) ainsi que les reprises des époux (al. 3 let. f). L'administration est en droit d'exiger la production des pièces justificatives, notamment des reprises matrimoniales (art. 30 al. premier).

 

En l'espèce, l'hoirie recourante soutient que les biens délaissés par le défunt sont la propriété par moitié de sa veuve. Aucune pièce justificative n'a toutefois été fournie pour asseoir cette prétention de l'intéressée vis-à-vis de l'hoirie. En particulier, l'hoirie admet elle-même que si la veuve a bien hérité de ses propres parents en 1955 et en 1971, aucune pièce n'est disponible pour attester de la réalité et de l'importance des biens ainsi acquis. Il a certes été allégué au cours de la procédure de réclamation que l'intéressée était la bénéficiaire d'un trust lui rapportant environ $ can. 20'000 par an. Une telle somme, convertie en francs suisses, s'élève à CHF 22'000.-- par an. Ce montant est manifestement impropre à financer l'acquisition d'un bien immobilier et la constitution de la fortune gérée par MM. P__________, qui s'élève à environ CHF 2'000'000.--. Faute d'éléments probants, l'hoirie échoue donc, comme la CCRMI l'a retenu, dans sa démonstration visant à prouver que seulement la moitié de l'actif net de la succession doit être soumise aux droits correspondants.

 

4. L'hoirie recourante soutient encore que, faute de preuve permettant d'asseoir sa version des faits, il convient de faire application des présomptions de droit civil contenus dans les articles 247 et suivants CC (de la séparation de biens) ainsi que 610 et suivants CC (mode du partage).

 

5. a. Il est de jurisprudence que le législateur cantonal est libre de retenir d'autres notions et solutions que celles du droit civil fédéral concernant sa propre législation fiscale. Ainsi, le Tribunal fédéral a admis qu'en droit tessinois, les prestations versées par l'assurance entrent dans la succession, respectivement dans les parts héréditaires objet de l'impôt, non seulement dans le cas - réglé par le droit civil - où manque la désignation du bénéficiaire, mais aussi - contrairement à ce que prévoit le droit civil - lorsque la clause bénéficiaire existe mais qu'elle concerne un héritier ou un légataire (ATF 123 Ia 124 consid. 4b p. 127; ATA B. et autres du 2 mars 1999).

 

b. Dans l'affaire précitée, le tribunal de céans a admis que les prestations dues par un assureur en raison ou à l'occasion du décès de l'assuré sont soumises aux droits de succession. Quant aux règles du droit civil fédéral, elles n'étaient applicables que si la LDS ne prévoyait pas de règles différentes.

 

6. Appliqué au cas d'espèce, les principes rappelés ci-dessus conduisent à confirmer la décision entreprise. En effet, la loi applicable contient des règles précises quant à l'imposition de la masse successorale et à la manière de déterminer la composition de cette masse. Comme il n'est ni contesté, ni contestable que la succession du de cujus est soumise au droit genevois, il y a lieu de faire application des règles contenues dans les articles 29 et 30 LDS sans s'attacher aux présomptions de droit civil, car le droit fiscal contient précisément des règles différentes. L'hoirie n'étant pas en mesure de prouver que la veuve du de cujus aurait financé pour moitié le bien immobilier et la fortune mobilière litigieux, il y a lieu de les soumettre entièrement aux droits de succession. Par surabondance de moyens, il faut relever que les renseignements fournis en procédure de réclamation par l'hoirie ne permettent pas d'arriver à une autre solution; en effet, les revenus tirés du trust sont manifestement insuffisants pour permettre la constitution des biens précités.

 

7. Entièrement mal fondé, le recours doit être rejeté. Les membres de l'hoirie, qui succombent, seront condamnés, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure, arrêtés en l'espèce à CHF 3'000.-.

 

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 27 juillet 2001 par Mmes H. et X. P__________ ainsi que par MM. N. et D. P__________ contre la décision du 21 juin 2001;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 3'000.-;

dit qu'il ne sera pas alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Bastions Conseil S.A., mandataire des recourants, ainsi qu'à l'administration fiscale cantonale genevoise et à la commission cantonale de recours en matière d'impôts.



Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin et Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Marisa Oranci