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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/397/2004

ATA/830/2004 du 26.10.2004 ( TPE ) , ADMIS

Recours TF déposé le 26.10.2004, rendu le 26.10.2004
Descripteurs : AMENAGEMENT DU TERRITOIRE; AUTORISATION DE CONSTRUIRE; CHANGEMENT D'AFFECTATION; PLAN D'UTILISATION DU SOL
Normes : LEXT.15; LAT.14
Résumé : Demande d'autorisation déposée par une régie immobilière en vue de transformer un arcade pour y déployer une activité de bureaux ouverts et d'accueil. Examen du plan d'utilisation du sol adopté par la VG qui détermine l'affectation du rez-de-chaussée de l'arcade litigieuse. Cette dernière, telle que conçue par les recourants, doit s'analyser comme un "bureau ouvert au public". Recours admis pour tenir compte notamment de l'absence d'intérêt public prépondérant.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/397/2004-TPE ATA/830/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 octobre 2004

dans la cause

 

REGIE Z. S.A.
représentée par Me Guillaume Ruff, avocat

contre

DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT


et

VILLE DE GENEVE


1. a. Par demande d’autorisation en procédure accélérée, datée du 20 mars 2003, et enregistrée sous APA 21’504-6, la régie Z. S.A. (ci-après : la régie) a requis la délivrance d’une autorisation de construire portant sur l’aménagement de bureaux au rez-de-chaussée et au sous-sol d’un immeuble sis rue Richemont, sur la parcelle 10, feuille 1, de la commune de Genève, section Petit-Saconnex.

Les plans déposés à l’appui de cette requête répartissaient les espaces concernés de la manière suivante : au rez-de-chaussée espace d’accueil, bureau, bureau/assistante de direction, bureau/direction, salle de petite conférence et local à photocopie et au sous-sol salle de réunion.

b. La régie est locataire desdits locaux ainsi que d’une surface de 278 m2, à usage de bureaux, située au 1er étage de l’immeuble au question. Elle souhaite affecter l’ensemble de ces locaux à l’activité d’une régie immobilière.

c. Les locaux du rez-de-chaussée de l’immeuble sis rue Richemont étaient précédemment exploités par des commerces qui ont été déclarés en faillite. La dernière activité dans ces locaux a été celle d’un café restaurant, voire d’une bijouterie.

2. La parcelle en cause se trouve dans le secteur 3, soumis au règlement transitoire relatif au plan d’utilisation du sol de la ville de Genève (ci-après : la ville), adopté le 21 juin 1988 (PUS).

3. a. Le 12 mai 2003, dans le cadre de l’instruction de la requête, la ville a rendu un premier préavis défavorable, au motif que le projet n’était pas conforme au PUS dans la mesure où il visait à supprimer des surfaces d’activités ouvertes au public (café) en vue de créer des surfaces de bureaux.

b. Suite à cela, la régie a déposé une demande de dérogation et des plans modifiés ont été enregistrés auprès du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (ci-après : DAEL ou département) le 13 juin 2003 destinant les locaux du rez-de-chaussée comme suit : espaces « accueil », « baux et gestion des ventes », « assistante de vente » salle de « petite conférence », local à photocopies et local informatique.

c. La ville a rendu, au vu de ce projet modifié, un nouveau préavis défavorable le 21 juillet 2003.

En conséquence, par décision datée du 19 août 2003, le département a refusé de délivrer l’autorisation de construire sollicitée et ce en application de l’article 8 PUS.

4. Par recours daté du 26 août 2003, la régie a saisi la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission).

Le but de ces nouveaux locaux était d’y aménager une arcade commerciale ouverte au public au rez-de-chaussée et de conserver le premier étage pour les services administratifs. Cela ressortait clairement des plans, notamment eu égard à la dimension des espaces accueil et attente pour les clients et la présence d’un grand desk de réception.

5. Par courrier du 29 septembre 2004, la ville a demandé à pouvoir intervenir dans le cadre de la procédure. Elle a fait parvenir ses observations au recours le 20 octobre 2003.

6. Le 29 octobre 2003, le conseil administratif de la ville a formellement refusé l’octroi d’une dérogation au sens de l’article 9 PUS, considérant que le projet querellé consistait dans la création de bureaux fermés au public.

Il relevait par ailleurs que le DAEL n’était pas entré en matière sur la demande de dérogation de la régie, raison pour laquelle il n’avait pas été invité par l’autorité cantonale à prendre position.

7. Une audience s’est tenue le 12 décembre 2003 devant la commission, lors de laquelle les représentants de la régie ont indiqué que cette dernière était déjà locataire de locaux, trop petits, au 1er étage. Elle y disposait d’une salle de réception, recevant plus de cent personnes par jour cherchant des appartements à louer ou à vendre.

8. Par décision datée du 9 janvier 2004, la commission a rejeté le recours au motif que l’aménagement projeté n’était pratiquement pas ouvert au public, puisqu’il s’agissait d’activités de bureaux et que, de surcroît, les vitrines seraient fermées par des jalousies. Elle relevait par ailleurs qu’aucune dérogation au PUS n’était envisageable en raison du refus exprès du conseil administratif de la ville.

Cette décision a été notifiée par pli recommandé du 26 janvier et reçue par la régie le 28 janvier 2004.

9. Le 27 février 2004, la régie a recouru par devant le Tribunal administratif contre ladite décision. Elle conclut à son annulation ainsi qu’au versement d’une équitable indemnité de procédure.

a. La décision de la commission était arbitraire et violait le principe de l’égalité de traitement. De nombreuses régies avaient réalisé des locaux d’accueil, de présentation et des bureaux ouverts au public dans des arcades sises au rez-de-chaussée, dans des zones pourtant couvertes par les restrictions découlant des PUS. De même, dans d’autres activités et services, il existait une infinité d’arcades affectées à des activité commerciales et administratives.

b. Par ses larges vitrines donnant sur des publicités et maquettes, et sur un espace affecté à la fois à la circulation des personnes et à des bureaux réalisés en « open space », avec ses portes vitrées que les passants pourront simplement pousser pour pénétrer dans l’espace ainsi créé, le local tel que conçu par la régie devait s’analyser comme un « bureau ouvert au public ».

c. Enfin, l’interprétation restrictive de l’article 8 chiffre 1 PUS faite au détriment de la recourante était incompatible avec les garanties constitutionnelles de la propriété privée et de la liberté du commerce et de l’industrie dont elle était titulaire.

10. Le DAEL a répondu le 14 avril 2004.

a. L’aménagement projeté visant en un changement d’affectation, seule restait litigieuse la question de savoir si l’activité envisagée pouvait être assimilée à une activité de bureaux ouverte au public. Or, il ne ressortait ni du premier ni du deuxième projet que tel serait le cas. Partant, c’était à juste titre que le département avait refusé l’autorisation de construire sollicitée ni délivré d’autorisation dérogatoire en application de l’article 9 PUS.

b. Sous l’angle de l’égalité de traitement, les situations dont se prévoyait la recourante n’étaient pas assimilables à l’espèce litigieuse. Enfin, le principe de la proportionnalité n’avait pas été violé.

11. Le 29 avril 20004, la ville a présenté ses observations. Il ne saurait en l’espèce y avoir d’inégalité de traitement, les autres cas mis en exergue par la recourante étant différents. De même, c’était à tort que cette dernière invoquait la garantie de la propriété privée alors même qu’elle n’était que locataire des locaux. Enfin, les dispositions du PUS constituaient une base légale pouvant parfaitement restreindre sa liberté économique.

12. La régie a encore fait parvenir des observations aux écritures du département et de la ville le 30 juin 2004 qui y ont répondu respectivement les 18 et 30 août 2004.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Le plan d’utilisation du sol est un règlement municipal approuvé par le Conseil d’Etat et entré en vigueur le 1er septembre 1988. Il repose sur une délégation de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt – L 1 40 ; art. 15 et ss LExt). Il bénéficie de ce fait d’une base légale suffisante dont la validité a été constatée à maintes reprises par le tribunal de céans (ATA/553/2002 du 17 septembre 2002 ; ATA TTP c/ C. F. du 5 février 1992 et les références citées).

b. Ce dernier a également admis que les plans d'utilisation du sol étaient des plans d'affectation au sens de l'article 14 alinéa premier de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), disposition restée inchangée malgré la novelle du 23 mars 1998 (RO 2000 p. 2042).

c. Le PUS a pour objectif essentiel la gestion des surfaces brutes de plancher supplémentaires obtenues, soit par des constructions nouvelles, soit par la transformation de bâtiments (art. 1 al. 1 PUS). Il détermine également l’affectation des rez-de-chaussée des immeubles sis dans les secteurs 1 à 5 de la ville (art. 8 PUS). Le PUS divise la ville en différents secteurs (art. 2 PUS) qu’il soumet à des réglementations différentes quant à la construction et à l’affectation. Le PUS édicte également des normes de constructions et d’affectations différentes selon le type d’immeuble ou de parcelle concerné (art. 4 à 7 PUS).

3. a. A teneur de l’article 8 alinéa 1 PUS, dans les secteurs 1 à 5, en cas de changement d’affectation des locaux, les surfaces au rez-de-chaussée donnant sur des lieux de passage ouverts au public ne peuvent être affectés à des bureaux fermés au public. Cette disposition vise des locaux susceptibles d’un changement d’affectation, donc déjà utilisables.

b. Selon la jurisprudence, le passage de l’affectation d’un magasin à celle de bureaux ouverts au public constitue un changement d’affectation au sens de la disposition précitée. En effet, même s’il contribue à assurer une certaine animation au quartier, un bureau ouvert ne la favorise pas autant qu’un commerce (ATA TTP c/ C. F. précité).

En l’espèce, le projet litigieux destine les locaux du rez-de-chaussée - exploités précédemment comme café-restaurant et bijouterie - à des espaces « accueil », « baux et gestion des ventes », « assistante de vente », à une salle de « petite conférence » ainsi qu’à des locaux à photocopies et informatique. La transformation projetée constitue sans conteste un changement d’affectation des locaux. Il reste cependant à déterminer si l’activité envisagée par la recourante peut être assimilée à une activité de bureaux ouverte au public qui ne tomberait alors pas sous le coup de l’article 8 PUS.

4. a. Ni la LExt ni le PUS ne définissent la notion de « bureaux fermés » soit a contrario « ouverts au public ». Les travaux préparatoires et la doctrine sont également muets sur ce point. En tant que norme de portée générale, le PUS doit être interprété conformément au principe de la hiérarchie des règles. Si plusieurs interprétations sont conformes à la règle de rang supérieur, l’interprète choisira celle qui correspond le mieux au sens de cette dernière, à l’intérêt public recherché par elle, à la pratique suivie jusque là et aux circonstances de fait (ATA Z. du 25 août 1992 et les références citées).

b. L’interdiction d’affecter à des bureaux fermés au public, les surfaces au rez-de-chaussée donnant sur des lieux de passage ouverts au public, afin de lutter contre les « vitrines mortes », constitue manifestement un but d’intérêt public, en particulier dans les zones fréquentées et animées (ATA/553/2002 précité et les références citées). Cet intérêt s’oppose à celui privé de la recourante - qui s'appuie sur la liberté économique telle que garantie par l’article 27 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. féd. – RS 101) - à pouvoir affecter ses locaux à des espaces de travail supplémentaires, notamment pour mieux recevoir la clientèle et disposer d’une grande salle de conférence ainsi que d’importantes surfaces vitrées sur lesquelles afficher les annonces relatives notamment aux appartements à vendre ou à louer. Il s’agira donc d’examiner s’il y a un intérêt public prépondérant à ce que les arcades en cause soient strictement affectées à des bureaux ouverts au public ou si une activité que l’on peut qualifier de mixte (administrative et commerciale), telle que celle envisagée par la recourante doit être admise.

c. A cet égard, le tribunal de céans a jugé que l’obligation imposée à une société anonyme d’affecter le rez-de-chaussée de son immeuble à des commerces au sens strict ne correspondait pas à un intérêt public prépondérant et violait le principe de la proportionnalité, lorsque l’immeuble se trouvait sur une route de transit et peu passante où ne se déroulaient que peu d’activités. Un commerce y rencontrerait de graves difficultés, de sorte que l’installation d’une activité administrative, en l’occurrence un bureau d’ingénieur, était possible (ATA DTP c/ S.I. T. du 10 octobre 1990). Il a adopté la même solution, s’agissant d’un médecin désireux d’installer son cabinet dans une arcade donnant à l’angle de rues peu fréquentées (ATA Z. précité).

En l’espèce, les vitrines de l’arcade litigieuse s’ouvrent sur l’angle des rues Richemont et Rothschild. Ces deux rues sont peu fréquentées par les piétons et il ne s’y déroule pas une activité commerciale intense. Les trottoirs sont étroits et entrecoupés par plusieurs sorties de parkings privés, ce qui rend la promenade peu aisée. D’ailleurs, dans le périmètre considéré, seuls quelques rez-de-chaussée sont affectés à des activités commerciales ouvertes sur la rue et l’on y trouve essentiellement des immeubles d’habitation.

Comme vu ci-dessus, l’activité envisagée par la recourante est mixte et vise à la fois les personnes déjà clientes de la régie (public captif) et celles de passage attirées par les annonces d’appartements à vendre et/ou louer visibles de l’extérieur (public non captif). Loin de porter atteinte à une animation de quartier quasi inexistante, l’affectation des locaux telle que souhaitée par la recourante devrait au contraire contribuer à la diversité des activités présentes dans les alentours qui comprennent notamment plusieurs cafés-restaurants, dancings et hôtels, une agence de voyage, des entreprises de location de véhicules et un salon de coiffure.

A l’heure où Genève traverse une grave crise du logement, l’activité de régie immobilière intéresse une clientèle toujours plus large. Partant, le tribunal de céans considère qu’une interprétation stricte de la notion de « bureaux ouverts au public », dans la présente cause, ne correspond manifestement pas à un intérêt public prépondérant, ni aux circonstances de fait, mais tient compte de la vocation plutôt résidentielle de ce secteur des Pâquis.

Au vu de ce qui précède, c’est donc à tort que le DAEL puis, la commission, ont considéré que l’activité envisagée par la recourante dans ses locaux du rez-de-chaussée tombait sous le coup de l’article 8 PUS. L’aménagement proposé sera ainsi déclaré conforme à cette dernière disposition. Néanmoins, afin d’assurer le respect du projet soumis à appréciation, le Tribunal administratif renverra le dossier au département, lequel devra assortir l’autorisation de transformer d’une charge par laquelle toute utilisation des locaux devra être conforme au projet autorisé.

5. Vue l’issue du litige, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les autres griefs invoqués par la recourante.

6. Le recours sera admis. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 février 2004 par la régie Z. S.A. contre la décision du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du 9 janvier 2004 ;

au fond :

l’admet ;

invite le département à délivrer l’autorisation sollicitée assortie d’une charge par laquelle toute utilisation des locaux devra être conforme au projet autorisé ;

alloue à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1'500.- , à la charge de l’Etat de Genève ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

communique le présent arrêt à Me Guillaume Ruff, avocat de la recourante, au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement et à la ville de Genève.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio Siegrist

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :