Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/616/2002

ATA/790/2002 du 10.12.2002 ( FIN ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : EMPLOYE PUBLIC; RESILIATION; PROCEDURE; REINTEGRATION PROFESSIONNELLE; FIN
Normes : LPAC.21; LPAC.27 al.3
Résumé : Licenciement d'un employé d'état, les règles prévues par la loi n'ont pas été respectées par l'employeur, partant la résiliation est contraire au droit. Le TA propose la réintégration du recourant dans le service.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 10 décembre 2002

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur S. D. S.

représenté par Me Guy Zwahlen, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

OFFICE DU PERSONNEL DE L'ETAT

 



EN FAIT

 

1. Monsieur S. D. S. a été engagé en qualité d'huissier auxiliaire au service "Intendance et logistique" des services généraux du département des finances (ci-après : le département) pour une durée de dix-huit mois, dès le 16 août 1999.

 

2. Un entretien périodique et de développement a eu lieu le 16 novembre 1999, soit après trois mois. Toutes les prestations ont été évaluées comme étant très bonnes, le supérieur direct de M. D. S., M. R. C., indiquant que les objectifs relatifs à la fonction étaient déjà atteints.

 

3. Le 2 mars 2000, M. D. S. a été engagé en qualité d'employé par le même service. Sa fonction était celle d'agent logistique et d'entretien du département.

 

4. Un second entretien périodique et de développement a eu lieu le 23 août 2000. A nouveau, toutes les prestations de l'intéressé ont été évaluées comme étant très bonnes. M. C. précisait qu'en raison de ses capacités et de son engagement, M. D. S. aurait pu occuper un poste comprenant davantage de responsabilités.

 

5. Au bout de deux années, soit le 25 septembre 2001, un troisième entretien d'évaluation a été réalisé par M. Y., M. C. étant malade. Les sous-critères "rythme et quantité de travail" ainsi que "comportement et coopération" ont été considérés comme bons, les objectifs étant atteints. Tous les autres critères ont été évalués "très bons". M. D. S. était un collaborateur consciencieux, motivé, disponible et donnait entière satisfaction dans l'accomplissement de toutes les tâches qui lui étaient confiées. Il avait dû faire face à de multiples situations imprévues et exceptionnelles comme, par exemple, l'absence pendant une longue période du responsable de l'intendance et de la logistique, qu'il avait dû remplacer. Il avait démontré ses compétences et sa disponibilité pour exécuter des tâches ne figurant pas dans son cahier des charges.

 

6. Le 16 avril 2002, une altercation physique a eu lieu entre M. D. S. et un des huissiers, M. S.. Ce dernier avait 1,2 grammes d'alcool par litre de sang, selon une mesure faite dans l'haleine. Les deux protagonistes ont souffert de diverses lésions.

 

7. a. Par courrier du 17 avril 2002, la secrétaire adjointe du département a informé M. D. S. qu'il était libéré de l'obligation de venir travailler, avec effet immédiat. Une demande d'ouverture d'enquête administrative à son encontre avait été adressée à l'office du personnel de l'Etat.

 

b. Le même jour, ladite secrétaire adjointe a également invité M. U. R., chef de la police judiciaire, à désigner une personne afin de procéder à une enquête administrative.

 

8. Le 29 avril 2002, l'inspectrice M., de la police judiciaire, a convoqué M. D. S..

 

Le 27 mai 2002, dite inspectrice a adressé un rapport au chef de la police judiciaire dans lequel elle précise que, par lettre du 17 avril 2002 adressée au chef de la police judiciaire, la secrétaire adjointe au département avait demandé qu'une enquête administrative soit ouverte, suite à une rixe intervenue entre deux fonctionnaires de ce département.

 

L'enquêtrice avait entendu les protagonistes de cette affaire, ainsi que la secrétaire adjointe, le chef du service - en congé maladie - le directeur financier du département ainsi que les huissiers et nettoyeurs de ce département. Le rapport synthétisait simplement les déclarations de ces personnes, sans conclure.

 

9. Le 12 juin 2002, la secrétaire adjointe a adressé à M. D. S. le rapport d'enquête "remis au Conseil d'Etat" ce jour-là. Elle devait, suite au rapport de l'inspectrice, procéder à l'analyse des prestations de l'intéressé. Un rendez-vous lui était fixé à cet effet.

 

10. Le 18 juin 2002, l'entretien périodique effectué au terme des trois ans de période probatoire a été réalisé par la secrétaire adjointe. Seul le comportement de M. D. S. a été évalué et jugé insuffisant. Une demande de licenciement, avec effet au 30 septembre 2002, allait être adressée à l'office du personnel de l'Etat.

 

Il était précisé :

 

"L'évaluation précédente, effectuée au mois d'octobre 2001, mettait en évidence des prestations bonnes, voire très bonnes.

 

Au vu de la rixe intervenue au sein du département des finances entre M. S. D. S. et M. Ph. S., en date du 16 avril 2002, le comportement de M. D. S. a été totalement inadéquat (cf. rapport en annexe de la présente analyse). Les autres points de l'entretien n'ont pas été évalués, car cet événement est suffisamment grave pour aboutir à une rupture des rapports de confiance".

 

Pour sa part, M. D. S. a fait valoir :

 

"Je ne suis pas d'accord avec la décision prise, car je ne pense pas mériter un licenciement. J'ai toujours donné le maximum de moi-même pour mon activité. Je tiens à préciser que je n'ai fait que de me défendre, suite à l'agression de M. S.. Je conteste formellement ce qui est dit dans le rapport d'enquête."

 

11. Par décision du 21 juin 2002, exécutoire nonobstant recours, l'office du personnel de l'Etat a licencié M. D. S., dès le 1er octobre 2002.

 

12. Par acte mis à la poste le 3 juillet 2002, M. D. S. a contesté cette décision et a demandé que l'effet suspensif au recours soit restitué.

 

L'enquête administrative n'avait pas été réalisée dans le respect des dispositions de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05). Le recourant n'avait en particulier pas été informé de son droit de se faire assister d'un conseil, ni de participer à l'administration des preuves. Au surplus, aucun manquement grave ne pouvait lui être reproché, puisqu'il s'était uniquement défendu, M. S., agressif et en état d'ébriété, l'ayant physiquement attaqué.

 

M. D. S. a conclu à l'annulation de la décision de licenciement, à sa réintégration au sein du personnel de l'Etat, de même qu'au versement d'une indemnité valant participation à ses frais d'avocat.

 

13. La conseillère d'Etat chargée du département s'est opposée au recours le 6 août 2002. Employé, M. D. S. ne pouvait se prévaloir des dispositions applicables aux fonctionnaires. L'Etat pouvait mettre fin aux relations de service moyennant le respect du délai de résiliation, ce qui avait été le cas en l'espèce. M. D. S. avait pu s'exprimer le 18 juin 2002 au sujet de la décision de licenciement, ce qui respectait son droit d'être entendu.

 

M. D. S. aurait dû adapter son comportement aux circonstances avant même que n'éclate la bagarre, puisque, selon ses propres dires, il s'était rendu compte que l'huissier était probablement sous l'emprise de l'alcool.

 

14. Par décision du 8 août 2002, le président du Tribunal administratif a refusé d'octroyer des mesures provisionnelles, en se fondant sur l'article 31 LPAC.

 

15. Ultérieurement, M. D. S. a sollicité l'audition de divers témoins et a versé à la procédure des extraits du mémento des instructions de l'office du personnel de l'Etat concernant en particulier les entretiens périodiques et la manière d'apprécier le personnel, ainsi que les procédures de sanctions disciplinaires.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. Selon l'article 21 alinéa 1 LPAC, pendant la période probatoire, chacune des parties peut mettre fin aux rapports de service en respectant le délai de résiliation. L'employé est entendu par l'autorité compétente et peut demander que le motif de la résiliation lui soit communiqué.

 

b. Le Conseil d'Etat peut en tout temps ordonner l'ouverture d'une enquête administrative qu'il confie à un ou plusieurs magistrats ou fonctionnaires, en fonction ou retraités. Dans certains cas, telle la résiliation pour un motif objectivement fondé de la relation de travail d'un fonctionnaire, il a l'obligation d'ordonner une enquête administrative.

 

En cas d'enquête, l'intéressé est informé dès son ouverture et il peut se faire assister d'un conseil de son choix (art. 27 al. 3 LPAC). Une fois l'enquête achevée, l'intéressé peut s'exprimer par écrit dans les trente jours qui suivent la communication du rapport, puis le Conseil d'Etat ou le conseil d'administration statue à bref délai.

 

c. De plus, le Conseil d'Etat peut suspendre provisoirement le membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction. La décision de suspension est notifiée par lettre motivée (art. 28 al. 1 et 2 LPAC).

 

L'article 29 alinéa 2 LPAC précise que lorsque les faits reprochés à un membre du personnel peuvent faire l'objet d'une sanction civile ou pénale, l'autorité disciplinaire administrative applique, dans les meilleurs délais, les dispositions des articles 16, 21 et 27 LPAC sans préjudice de la décision de l'autorité judiciaire, civile ou pénale saisie.

 

Les articles 27, 28 et 29 LPAC constituent la section 1ère "Procédure pour sanctions disciplinaires et résiliation des rapports de service" du chapitre 3 des "Dispositions de procédure et contentieux" du titre 3 "Sanctions disciplinaires et fin des rapports de service" de la LPAC.

 

3. a. L'article 27 alinéa 1 LPAC prévoit que les dispositions de la LPA sont applicables, en particulier celles relatives à l'établissement des faits.

 

b. Les articles 18 et suivants LPA définissent la procédure régissant l'établissement des faits. Celle applicable aux "témoignages" figure à la section 5 (art. 28 à 36 LPA). Seuls le Conseil d'Etat, les chefs de département, le chancelier, les autorités administratives chargées d'instruire les procédures disciplinaires et les juridictions administratives peuvent entendre des témoins. L'autorité doit citer les témoins par écrit, la citation mentionnant le droit du témoin à être indemnisé et les conséquences du défaut. La personne chargée de procéder à l'audition doit exhorter les témoins à dire toute la vérité, rien que la vérité et, cas échéant, les rendre attentifs aux sanctions attachées au faux témoignage (art. 307 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.O).

 

c. L'article 42 LPA autorise les parties à participer à l'audition des témoins ainsi qu'à proposer des questions à soumettre à ces derniers, sauf si un intérêt public ou privé, ou la nature de l'affaire, s'y oppose.

 

4. En l'espèce, le Tribunal administratif constate que les règles rappelées ci-dessus n'ont pas été respectées par l'autorité administrative :

 

a. Le 17 avril 2002, la secrétaire adjointe du département a indiqué à M. D. S. qu'il était libéré de l'obligation de venir travailler. Ce courrier constitue matériellement une suspension, de la compétence du Conseil d'Etat, qui, devant être prise sous la forme d'une décision, devait indiquer les voies de recours.

 

b. Aucune décision d'ouverture d'enquête administrative n'a été notifiée à M. D. S. et son attention n'a pas été attirée sur le fait qu'il pouvait, au cours de cette procédure, se faire assister par un conseil.

 

c. Il résulte du dossier que l'enquêtrice a été désignée par le chef de la police judiciaire, sans que ce choix ne soit entériné par l'autorité.

 

d. Les dispositions sur l'audition de témoins n'ont pas été respectées. A cet égard, la mention figurant en tête de tous les procès-verbaux soit :

 

"Je prends note que je suis entendu à titre de renseignement, en qualité de témoin, dans le cadre de l'enquête administrative demandée...", ne correspond pas à l'exhortation prévue à l'article 34 lettre e LPA.

 

e. M. D. S. n'a pas été invité à assister aux auditions, sans que l'un des motifs prévus par la loi ne soit rempli.

 

f. Une fois le rapport rendu, M. D. S. n'a pas disposé d'un délai de trente jours pour s'exprimer par écrit à son sujet.

 

5. Certes, ainsi que la conseillère d'Etat chargée du département le rappelle, l'autorité n'a pas l'obligation d'ordonner une enquête administrative lorsqu'elle entend licencier un employé. Toutefois, lorsqu'elle décide d'ordonner une telle enquête dans le cadre du pouvoir en opportunité qui est le sien, elle doit en suivre la procédure. Cela est d'autant plus nécessaire lorsque, comme en l'espèce, la décision de licenciement et l'entretien d'évaluation des prestations qui a conduit à cette décision sont uniquement fondés sur ledit rapport d'enquête.

 

6. a. Selon la jurisprudence, la violation du droit d'être entendu, garanti par l'article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. féd. - RS 101), ne peut être réparée par l'autorité de recours que si cette dernière a le même pouvoir que l'autorité inférieure (ATF 124 II 132 et les références citées).

 

b. Dans le système genevois de la fonction publique, les voies de recours ont été ouvertes non seulement pour le personnel nommé, c'est-à-dire les fonctionnaires, mais encore pour le personnel en période probatoire, ce qui est le cas de M. D. S..

 

Sur ce point, le tribunal de céans se doit de relever que la solution voulue par le législateur est totalement insatisfaisante. En effet, la situation des employés en période probatoire a été partiellement calquée sur celle des fonctionnaires en leur ouvrant la voie de recours au Tribunal administratif contre le licenciement. Cependant, en présence d'un licenciement d'un employé déclaré contraire au droit, le législateur n'a pas donné à l'autorité judiciaire d'autre moyen que celui de proposer la réintégration d'un employé licencié à tort (ATA P.I du 16 novembre 1999).

 

c. Au vu de cette situation, le Tribunal amdinistratif ne peut réparer les violations du droit d'être entendu constatées ci-dessus.

 

7. En conséquence, le Tribunal administratif, faisant usage de la faculté qui lui compète en application de l'article 31 alinéa 2 LPAC, proposera la réintégration de M. D. S.. En cas de décision négative de cette autorité, aucune indemnité ne pourra être allouée à M. D. S., ce dernier n'étant pas fonctionnaire (art. 31 al. 3 LPAC, a contrario; ATA P.I. du 16 novembre 1999).

 

8. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu. Une indemnité de procédure, en CHF 2'000.- sera allouée à M. D. S., à la charge de l'Etat.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 3 juillet 2002 par Monsieur S. D. S. contre la décision de l'office du personnel de l'Etat du 21 juin 2002;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

constate que la décision de résiliation des rapports du 21 juin 2002 est contraire au droit;

 

propose au département la réintégration de M. D. S.;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à M. D. S. une indemnité en CHF 2'000.- à la charge de l'Etat de Genève;

 

communique le présent arrêt à Me Guy Zwahlen, avocat du recourant, ainsi qu'à l'office du personnel de l'Etat.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega