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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/35/2001

ATA/775/2001 du 27.11.2001 ( CE ) , REJETE

Recours TF déposé le 28.01.2002, rendu le 14.02.2002, REJETE, 2P.26/02
Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; LICENCIEMENT; HARCELEMENT PSYCHOLOGIQUE; CE
Normes : LPAC.21 al.2 litt.b
Résumé : Confirmation du licenciement d'un fonctionnaire du PJ en raison d'un motif objectivement fondé. Il est reproché à ce dernier d'avoir agi par négligence en transmettant à la reliure des minutes incomplètes, en ne commandant pas du papier à lettres à temps et en ne rechargeant pas de papier les photocopieuses dont il avait la charge. En revanche, les accusations de mobbing du recourant, rejetées par l'enquêteur, ne peuvent être retenues à sa charge dans le cadre de la procédure de licenciement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 27 novembre 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur S.

représenté par Me Christian Buonomo, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT DE LA RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 



EN FAIT

 

1. Par courrier du 32 août (sic) 1985, l'office du personnel de l'Etat a confirmé à M. S. son engagement en qualité de commis administratif 1 à 50% au Tribunal de première instance, dès le 1er septembre 1985.

 

2. Le 7 septembre 1988, le Conseil d'Etat a nommé M. S. fonctionnaire, à 100%, au même poste.

 

3. Le 2 avril 1996, le greffier-juriste du Tribunal de première instance a adressé à M. S. un avertissement, au motif que celui-ci avait par deux fois négligé d'informer ses supérieurs hiérarchiques de son état de santé durant une absence qui avait duré un mois.

 

Cet avertissement est devenu définitif.

 

4. Le 4 novembre 1997, M. M., alors administrateur du Palais de justice et nommé, le 1er janvier 2001, secrétaire général du pouvoir judiciaiire, a adressé à M. S. un nouvel avertissement. Il lui reprochait de s'absenter de son poste de travail, soit pour faire des courses ou aller au café, en plus des pauses auxquelles il avait droit. En outre, il ne respectait pas ses horaires et ne se conformait pas aux instructions qui lui étaient données pour effectuer son travail.

 

L'administrateur a indiqué qu'il avait décidé de lui offrir une dernière chance et, après six mois durant lesquels M. S. a tenu ses engagements, il avait renoncé à ouvrir une enquête administrative en vue de son licenciement. L'intéressé était cependant averti que tout nouveau manquement à son devoir de fonction entraînerait l'ouverture d'une telle enquête.

 

5. Par note adressée à l'office du personnel de l'Etat le 16 septembre 1999, l'administrateur a sollicité l'ouverture d'une telle enquête administrative. De nouveaux manquements avaient été constatés et, selon le supérieur hiérarchique de l'intéressé, le lien de confiance était rompu, que ce soit par incompétence ou par manquement au devoir professionnel.

 

6. Par arrêté du 27 octobre 1999, le Conseil d'Etat a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative, confiée à M. D..

 

Il était reproché à M. S. d'avoir modifié le système de classement des minutes des jugements sommaires du Tribunal de première instance sans en avoir référé à sa hiérarchie, générant ainsi un important travail consistant à reclasser les douze mille jugements manquants lors de la reliure des minutes. A cette occasion, des erreurs relatives au classement des jugements des années 1996 à 1998 étaient apparues, ceux-ci ayant été retrouvés dans les minutes de 1997.

 

Le Conseil d'Etat retenait également que l'intéressé n'approvisionnait pas régulièrement les photocopieuses en papier, alors même que cette tâche lui incombait. De plus, il avait omis d'informer la personne compétente du fait qu'une nouvelle commande de papier à en-tête était nécessaire, si bien que la juridiction s'était trouvée en rupture de stock.

 

7. L'enquêteur a entendu les parties.

 

a. Lors de sa première audition, M. S. a produit une lettre du 7 janvier 1994, rédigée par son supérieur de l'époque, lequel sollicitait l'ouverture d'une enquête administrative, suite à un problème de toilettes bouchées.

 

M. M. a indiqué que ce fait n'avait pas été prouvé, si bien qu'aucune suite n'avait été donnée à cet incident.

 

b. S'agissant du classement des dossiers d'affaires sommaires, M. S. a expliqué qu'à la fin de l'année 1996, il recevait les affaires sommaires déjà numérotées, dans des fourres se trouvant dans un bac. Il en avait déduit qu'elles ne seraient plus classées avec les autres jugements et il s'en était ouvert auprès de l'un de ses supérieurs hiérarchiques.

 

L'administrateur a expliqué que M. S. disposait d'une certaine autonomie dans le traitement du classement des affaires sommaires. Les dossiers auxquels il faisait allusion avaient été introduits suite à l'informatisation du système. L'intéressé avait modifié le classement de sa propre initiative.

 

c. Quant à l'approvisionnement en papier des photocopieuses, M. S. a exposé qu'il était chargé de faire en sorte qu'il y ait toujours suffisamment de papier dans les machines. Toutefois, il pouvait arriver que les greffiers épuisent les réserves. A l'époque de son audition, il a reconnu procéder à des contrôles plus fréquents.

 

d. S'agissant de la question de la rupture de stock du papier qui lui était reprochée, elle s'était produite pendant les vacances du collègue responsable, M. B.. Or, il avait pour habitude de lui demander oralement de commander du papier. Depuis cet incident, il rédigeait des notes écrites.

 

8. L'enquêteur a d'autre part procédé à de nombreuses auditions :

 

a. M. B. a déclaré qu'il avait été le supérieur hiérarchique direct de M. S. à une certaine époque. Avant son départ en vacances en 1999, ce dernier lui avait indiqué qu'il n'avait plus assez de papier pour les photocopieuses. Il ne lui avait pas parlé du papier à en-tête, qui n'avait donc pu être commandé qu'à son retour, d'où une rupture de stock de trois à quatre semaines. M. S. lui transmettait toujours une note écrite lorsqu'il manquait du papier.

 

M. S. a maintenu sa position, insistant sur le fait qu'il avait indiqué oralement à M. B. qu'il manquait du papier à en-tête.

 

b. Pour ce qui était du classement des jugements sommaires, M. B. a indiqué que lorsqu'en 1999, il avait demandé si les jugements de 1997 pouvaient être reliés, M. S. avait répondu par l'affirmative. Les jugements avaient été remis au relieur. Ce dernier avait signalé qu'il manquait plusieurs numéros et une cinquantaine de jugements. Interrogé, M. S. avait indiqué qu'il avait classé séparément, de sa propre initiative, les jugements en question sans les relier.

 

M. S. a confirmé qu'il avait pensé que les jugements sommaires, rangés dans des bacs, constituaient un classement définitif.

 

c. M. R. a confirmé avoir demandé l'ouverture d'une enquête administrative en 1991. Il avait ensuite travaillé dans un autre service. M. S. était l'un de ses collègues depuis 1998. Il rendait volontiers service lorsqu'on le lui demandait.

 

M. S. a précisé que s'il n'y avait pas eu d'enquête administrative en 1991, c'était parce qu'il avait consulté un avocat, ce qui lui avait coûté CHF 1'000.-.

 

d. Mme I. L. a confirmé que, lors de la reliure des jugements 1997, l'imprimeur avait indiqué que des dizaines, voire des centaines de jugements manquaient. Il s'agissait essentiellement d'affaires sommaires. Le greffier de juridiction avait interrogé M. S. devant elle. Ce dernier avait indiqué que la totalité des jugements avait été vérifiée. Lorsque le greffier-juriste avait précisé que les documents manquants étaient des jugements sommaires, M. S. avait déclaré qu'il avait, avec Mme H., classé les affaires sommaires dans un endroit séparé. Mme H. avait contesté cela dans une conversation avec Mme I. L..

 

e. M. D. R. a indiqué qu'il avait été greffier-juriste de la juridiction. Il était l'auteur de l'avertissement de 1996 et avait adressé un rapport à l'administrateur en 1997.

 

L'un des greffiers lui avait signalé - et il avait pu le constater lui-même - que les photocopieuses n'étaient pas régulièrement approvisionnées. De plus, M. S. avait omis de mentionner, à une occasion, qu'il n'y avait plus de papier à entête en quantité suffisante.

 

M. D. R. a également confirmé que M. S. lui avait dit que tous les jugements sommaires avaient été classés avant d'être remis au relieur. Ce dernier avait signalé qu'il manquait plusieurs centaines de minutes. M. S. avait alors dit qu'il avait classé les jugements sommaires séparément, de sa propre initiative, et sans avoir reçu d'instructions de ses chefs. M. D. R. a relevé que l'intéressé n'avait certes pas agi par malveillance et il ne savait pas si les jugements de la Chambre commerciale étaient archivés indépendamment. L'enquêteur lui avait présenté une photographie des jugements de faillite de 1995, montrant une série spéciale. Il n'avait pas donné de directives à ce sujet.

 

f. M. J. , qui avait travaillé durant deux ans et demi avec M. S., a indiqué que ce dernier était ponctuel et qu'il ne s'absentait pas. Il avait entendu une discussion entre M. D. R. et Mme H.; selon cette dernière, le classement des affaires sommaires de 1997 avait été changé. Elle s'était étonnée que les minutes de ladite année soient classées avec les autres jugements.

 

g. Mme S. avait travaillé pendant quatre ans comme greffière des affaires sommaires. Selon elle, le système de classement avait été modifié définitivement en 1996. Elle était convaincue que les jugements seraient reliés à part.

 

h. Mme B.B. voyait en M. S. un homme souriant, agréable et courtois et ne pouvait rien lui reprocher. Elle n'avait pas de rapports de travail avec lui.

 

i. M. J.-D. P. recevait de M. S. les feuilles d'audience de la Cour. Ce dernier lui semblait cordial et sans problème.

 

j. Mme G., greffière, appréciait M. S.; ce dernier rendait volontiers service lorsqu'on le lui demandait. Il était présent quand elle arrivait au bureau le matin, mais elle le voyait parfois revenir avec des cornets provenant de magasins aux alentours du Palais de justice.

 

k. Selon Mme C.-N. N, juge au Tribunal de première instance, l'intéressé avait toujours exécuté ponctuellement les tâches qu'elle lui demandait d'effectuer. Elle ne pouvait pas donner de renseignements sur ses horaires et avait constaté que le travail de reclassement des jugements sommaires avait été important. Ce travail, qui était celui de M. S., avait été effectué par d'autres personnes.

 

l. Mme A.-S. S, greffière, a indiqué que, lorsqu'elle lui demandait des dossiers, M. S., s'exécutait sans retard.

 

m. Mme I. C., greffière, avait eu l'occasion de demander des dossiers à l'intéressé et il avait effectué les travaux requis rapidement. Elle a relevé qu'il avait même retrouvé, à une occasion, un dossier plus ou moins égaré.

 

n. Mme M.-F. R., greffière, demandait plusieurs fois par mois des dossiers à l'intéressé, ce qu'il réalisait sans problème.

 

o. M. M. L., greffier, avait demandé de temps en temps des dossiers à M. S. et ce dernier s'était exécuté le jour même ou le lendemain.

 

p. Mme G. P., fonctionnaire au Tribunal de première instance, n'avait pas eu de rapports avec M. S.. Elle avait toutefois pris plaisir à parler avec lui, car il faisait de la peinture. M. S. n'avait jamais été grossier ou agressif à son égard.

 

q. Mme C. D., greffière, a rapporté que M. S. lui avait toujours apporté les dossiers qu'elle pouvait lui demander. Il avait été moins coopératif sept ou huit ans auparavant, mais le problème avait été résolu.

 

r. Mme N. E., greffière, a confirmé que M. S. lui apportait sans difficulté ni mauvaise humeur les dossier qu'elle réclamait. Elle avait participé au reclassement des minutes de 1996. Personne n'avait incriminé M. S. à cet égard.

 

s. Mme A. M., greffière de la Chambre commerciale, a indiqué que M. S. n'avait jamais tardé à communiquer les jugements de faillite à l'Office des faillites. En 1997, lesdits jugements avaient été reliés séparément, avec leur propre numérotation. Au moment de son audition, les jugements de 1997 n'étaient toujours pas classés et ils étaient stockés dans un bac au troisième sous-sol.

 

t. M. R. S., greffier, n'avait pas eu à se plaindre de M. S.. Depuis un certain nombre d'années, les minutes étaient classées dans des tiroirs ouverts à tous. Lorsqu'un jugement était manquant, cela était reproché à M. S., qui n'en était pas réellement responsable. Ce dernier n'avait jamais eu de bureau personnel; il travaillait dans un couloir, où il y avait du passage.

 

u. Mme P. H., greffière, a confirmé que M. S. coopérait rapidement lorsqu'on lui demandait un jugement. Elle avait participé au reclassement des jugements sommaires de 1997. Il était exact que l'intéressé n'avait pas de bureau et qu'il travaillait dans un couloir où il y avait beaucoup de passage.

 

v. Mme N. I. V. a également confirmé que M. S. coopérait rapidement. Les jugements sommaires lui étaient remis en vrac depuis un certain nombre d'années, dans des fourres plastique. Ensuite, après chaque audience, ils étaient classés dans des fourres avec indication du nom des juges, des parties et du numéro de jugement.

 

w. Mme H., greffière, s'occupait des sommaires. On lui avait expliqué que les affaires d'une audience devaient être classées dans un fourre grise avec indication du numéro de jugement, du nom du greffier et de celui du juge; ces fourres étaient déposées par M. S. dans une armoire. Elle ne savait pas si les affaires sommaires devaient être reliées ou non avec les autres. Pour elle, le fait de glisser ces jugements dans les fourres constituait un classement suffisant. Elle avait été surprise lorsqu'elle avait appris qu'ils devaient être intercalés dans les jugements ordinaires.

 

x. Le Dr J. A. suivait M. S. depuis le 15 février 2000. Ce dernier lui avait expliqué qu'il travaillait dans un couloir dont il ne pouvait ouvrir les fenêtres et où il n'y avait pas de téléphone. Il devait traiter des fiches avec la lumière qui s'allumait à chaque passage dans le couloir. Il lui semblait que M. S. avait été sous-employé dans son travail. Ce dernier lui avait expliqué avoir fait l'objet de critiques à plusieurs reprises pour des choses sans importance : toilettes bouchées, arrivées tardives, etc. C'était donc tout un ensemble d'éléments qui avait créé un syndrome de harcèlement chez M. S., plus que les reproches formulés directement. Il était angoissé à l'idée de perdre son travail et la perspective d'être mis à pied avait probablement contribué à créer un état dépressif aigu.

 

Ce praticien a de plus confirmé son courrier du 24 février, adressé au conseil de M. S., selon lequel ce dernier avait consulté pour un état dépressif aigu réactionnel à de graves difficultés professionnelles, dans un contexte compatible avec ce qu'il était tenu de qualifier de "mobbing".

 

y. Au cours de ces audiences, l'administrateur a encore déclaré avoir constaté, dans le local des affaires sommaires, la présence de deux bacs de jugements de 1996 et un dossier, qui n'avaient pas été reliés.

 

M. S. a indiqué qu'il n'y avait pas pris garde lors de l'intervention du relieur, en 1996, et qu'il avait pensé qu'il s'agissait de jugements à classer en annexe.

 

9. Après avoir donné l'occasion aux parties de déposer des conclusions après enquête, l'enquêteur administratif a rendu son rapport, en date du 20 juin 2000.

 

a. En ce qui concernait la commande de matériel, l'enquêteur admettait que le grief était fondé, au vu des déclarations de MM. B. et D. R..

 

b. S'agissant de l'approvisionnement des machines à photocopier, on ne pouvait reprocher à M. S. de n'avoir pas - ou mal - accompli sa tâche: les machines employées étaient fréquemment utilisées, et il ne pouvait passer son temps à côté de chacune d'entre elles. L'enquêteur avait dû lui-même, à l'occasion, alimenter en papier une photocopieuse dans une autre juridiction.

 

10. Quant à la question des jugements rendus dans les affaire sommaires, l'enquêteur ne pouvait suivre la thèse selon laquelle M. S. avait modifié le mode d'emploi de sa propre initiative, sans en référer à ses supérieurs. La présentation en avait été modifiée et la greffière chargée des affaires sommaires considérait que le nouveau procédé valait le classement des minutes. M. S., fonctionnaire très subalterne, ne pouvait avoir volontairement introduit un nouveau système de classement sans en référer à sa hiérarchie. Il avait simplement pensé que l'introduction de celui-ci modifiait la manière de relier les jugements. En tout état, même dans l'hypothèse où il aurait pris une telle initiative, elle n'avait pas eu de conséquences graves puisque le relieur s'était rendu compte rapidement que des jugements manquaient. Ainsi, M. S. ne s'était pas rendu coupable d'une violation consciente d'un devoir de service, mais bien plus d'un manque de bons sens. En conséquence, les manquements qui lui étaient reprochés, certes non négligeables, ne revêtaient pas un caractère de gravité tel que le lien de confiance entre l'Etat et l'intéressé soit rompu.

 

11. Par arrêté du 13 décembre 2000, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d'Etat a licencié M. S., avec effet au 31 mars 2001. L'enquête avait établi que les reproches qui lui avaient été adressés étaient pour partie fondés. Les devoirs de service pouvaient également être enfreints par négligence ou imprudence. M. S. avait modifié, sans en référer à sa hiérarchie, le mode de classement des jugements sommaires du tribunal. Il n'avait pas avisé la personne compétente de la nécessité de commander du papier à entête. Il avait dès lors adopté une attitude et un comportement allant à l'encontre des devoirs du personnel et ce, malgré les nombreuses mises en garde qui lui avaient été adressées depuis 1991 et deux avertissements. Ces manquements constituaient dès lors un motif objectivement fondé, justifiant le licenciement.

 

Les accusations relatives au "mobbing" avaient été écartées par l'enquêteur, l'état dépressif dans lequel l'intéressé se trouvait étant dû à la procédure en cours et non à un désir de la hiérarchie d'humilier un collaborateur. Ces allégations en elles-mêmes - et postérieures aux faits - confirmaient la rupture définitive du lien de confiance.

 

12. Par acte du 12 janvier 2001, M. S. a recouru au Tribunal administratif en sollicitant préalablement la restitution de l'effet suspensif au recours. Sous réserve de la question de l'approvisionnement de papier à en-tête, les griefs retenus contre lui avaient été écartés par l'enquêteur administratif. Le licenciement était clairement abusif. Au surplus, il renvoyait aux écritures déposées au terme de l'enquête administrative.

 

13. Par décision du 21 février 2001, rendue après que l'office du personnel se fut exprimé, le Président du Tribunal administratif a refusé de restituer l'effet suspensif au recours.

 

14. Par acte du 20 février 2001, l'intimé s'est opposé au recours. A cette même date, le syndicat SSP-VPOD a transmis au Grand Conseil et au Conseil d'Etat, avec copie au Tribunal administratif, une pétition signée par vingt-cinq fonctionnaires du Tribunal de première instance.

 

a. Le Conseil d'Etat reprochait au recourant de ne pas avoir procédé au remplissage quotidien des bacs des photocopieuses. L'enquêteur avait certes écarté ce grief en se fondant sur son expérience personnelle. Cependant, les petits appareils à photocopier installés à la bibliothèque de la Cour de justice n'avaient rien à voir avec les machines beaucoup plus performantes du Tribunal de première instance, qui pouvaient contenir un stock de plusieurs milliers de feuilles et devaient être remplis correctement afin d'éviter une rupture de stock ou un incident technique.

 

b. Pour ce qui était du classement des jugements sommaires, l'enquêteur avait privilégié les témoignages des greffières des sommaires. Ces dernières n'étaient nullement concernées par l'archivage des procédures. Cette conclusion se heurtait aux déclarations convaincantes de M. S. en présence de Mme L. et de M. B.. M. S. avait été plus prompt à appliquer la loi du moindre effort que celle concernant les archives.

 

c. Les accusations non fondées de "mobbing", l'incapacité de remplir les exigences du poste et les antécédents disciplinaires justifiaient le licenciement.

 

15. Le 19 mars 2001, le Tribunal administratif a entendu les parties en comparution personnelle.

 

a. M. S. a souligné que, depuis 1987, il était mal installé dans un couloir, sans téléphone et dans les courants d'air, alors qu'il aurait souhaité disposer d'un vrai local, ce que sa hiérarchie n'avait jamais entendu. Celle-ci était même allée jusqu'à lui refuser une lampe, alors que celle qui était en place s'allumait et s'éteignait au gré des passages. Il était exact que finalement, un local lui avait été attribué, où il aurait dû emménager au moment de son licenciement. Mais il était situé deux étages plus bas et n'était pas accessible par l'ascenseur. Il avait le sentiment que M. M. lui en voulait personnellement.

 

S'agissant du non respect des horaires, il a exposé que ce problème était résolu depuis le dernier avertissement qui lui avait été adressé.

 

Quant aux six photocopieuses dont il s'occupait, elles disposaient de plusieurs milliers de feuilles. Il devait passer chaque jour contrôler s'il en restait suffisamment et en rajouter si nécessaire. Le papier se trouvait au troisième sous-sol sans ascenseur, dans un local dont il n'avait pas la clé. Il portait le papier à bout de bras. Les greffières avaient parfois des jugements importants à photocopier, ce qui représentait une grande quantité de papier. Les utilisateurs pouvaient charger eux-mêmes les machines, car il y avait un stock de papier à disposition.

 

En ce qui concernait les minutes des jugements sommaires, son travail avait consisté à vérifier que l'envoi des jugements à la reliure soit complet. En 1995, il avait constaté que les jugements de la Chambre commerciale avaient été reliés séparément. Ils avaient été réintégrés dans les minutes dont il s'occupait en 1996.

 

Quant aux jugements sommaires, le système avait été modifié au mois de septembre 1996. A cette époque, il recevait de grosses séries de jugements dans des dossiers cartonnés, par audience. Durant cette période, il avait déposé les dossiers sur les étagères, à côté de son bureau, après en avoir parlé à ses supérieurs directs. Il n'avait pas changé la méthode de classement lui-même. Les bacs en question étaient parfaitement visibles dans le couloir, et certains de ses chefs étaient venus consulter des documents situés à cet endroit. Ses supérieurs savaient ou du moins ne pouvaient ignorer que les sommaires n'étaient pas intégrés aux minutes lors de leur envoi à la reliure.

 

b. L'administrateur du Palais a relevé que l'épisode des toilettes bouchées n'avait jamais été mentionné par l'Etat au cours de la procédure. M. S. lui était plutôt sympathique et il avait été tolérant avec lui au cours de ces années. Il n'y avait eu de "mobbing" en aucun cas.

 

En ce qui concernait la place de travail de M. S., ce dernier avait indiqué lui-même qu'elle était idéalement située, sur le chemin de tous. Par la suite, un bureau lui avait été proposé. Il était exact que l'espace qui lui était dévolu n'était pas idéal, mais la peinture avait été refaite et le couloir dégagé. Le recourant disposait d'une fenêtre.

 

Le fait de ne pas disposer de téléphone ne posait pas de problème pour l'activité exercée.

Le classement des jugements sommaires lui avait été entièrement délégué, sans problème dans les années antérieures. M. S. avait décidé, à un moment donné - peut-être après discussion avec les greffières des sommaires - de procéder à un nouvel archivage. Il était impensable que la hiérarchie ait donné son accord pour que les minutes sommaires soient conservées sans être reliées. Personne n'avait imaginé qu'après quinze années de travail, M. S. envisagerait de ne pas relier tous les jugements du Tribunal de première instance.

 

16. Le 14 mai 2001, le Tribunal administratif a procédé à un transport sur place. Il a visité les locaux du Tribunal de première instance et en particulier la place de travail de M. S., l'endroit où le papier des photocopieuses était stocké, ainsi que le bureau qui lui avait été proposé.

17. A la lecture du procès-verbal rédigé par le juge délégué à l'instruction de l'affaire, le conseil du recourant a précisé que ce dernier ne travaillait pas dans un local, mais dans un couloir, au surplus mal chauffé. Il a encore précisé qu'il devait utiliser plusieurs fois par jour le téléphone de ses collègues pour joindre les greffiers, la Cour de Justice et le service informatique, dans le cadre de son travail.

 

18. Enfin, pendant l'instruction du dossier, le recourant a demandé à ce que divers témoins, en particulier l'enquêteur administratif, le Dr A., Mme H. ainsi que M. S., soit entendus.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOGE - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel (ATF 120 Ib 379 consid. 3b p. 383; 119 Ia 136 consid. 2b p. 138 et les arrêts cités). La décision entreprise pour violation de ce droit n'est toutefois pas nulle, mais annulable (ATF 122 II 154 consid. 2d p. 158), si l'autorité de recours jouit du même pouvoir d'examen des questions litigieuses que celle intimée et si l'examen de ces questions ne relève pas de l'opportunité, car l'autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d'examen à celui de l'autorité de première instance (ATF 120 V 357 consid. 2b p. 363; 118 Ib 269 consid. 3a p. 275-276; 117 Ib 64 consid. 4 p. 87; 116 Ia 94 consid. 2 p. 96; 114 Ia 307 consid. 4a p. 314; en droit genevois: cf. art. 61 al. 2 LPA; P. MOOR, Droit administratif: les actes administratifs et leur contrôle, vol. II, Berne 1991, ch. 2.2.7.4 p. 190). Tel qu'il est garanti par l'article 4 Cst., le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 122 I 53 consid. 4a p. 55; 119 Ia 136 consid. 2d p. 139; 118 Ia 17 consid. 1c p. 19; 116 Ia 94 consid. 3b p. 99; ATA F. du 5 janvier 1999; H. du 2 décembre 1997). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche pas cependant le juge de procéder à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont offertes, s'il a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 120 Ib 224 consid. 2b p. 229 et les arrêts cités). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d'obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant; il suffit que le juge discute ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 121 I 54 consid. 2c p. 57; ATF n.p. C. du 19 juin 1997; ATA P. du 24 juin 1997).

 

b. En l'espèce, M. S. sollicite l'audition de divers témoins. La grande majorité de ces derniers a toutefois été entendue lors de l'enquête administrative, en présence du recourant, lui-même assisté par son avocat. S'agissant de l'audition de l'enquêteur administratif, elle est inutile à l'avancement de la procédure, dans la mesure où ce dernier a déjà fait part de ses conclusions dans son rapport.

 

Dans ces circonstances, la demande de M. S. à cet égard sera refusée.

 

3. Le Conseil d'Etat peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service d'un fonctionnaire en respectant le délai de résiliation (art. 21 al. 2 litt. b LPAC).

 

Est considéré comme objectivement fondé tout motif dûment constaté démontrant que la poursuite des rapports de service est rendue difficile en raison soit :


a) de l'insuffisance des prestations;

 

b) du manquement grave ou répété aux devoirs de service;

 

c) de l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 22 LPAC).

 


4. Le commentaire article par article du Projet de LPAC relève que la notion de motif objectivement fondé est plus large que celle de juste motif, qui permettait de résilier les rapports de service avec effet immédiat. Le conseil d'Etat ne pourra pas se contenter d'affirmations subjectives présentées par les supérieurs de l'intéressé. Il ne pourra prendre en considération que des faits qui, objectivement, sont à même de fonder son appréciation (MGC 1996 43/VI 6361). Plus loin, dans le cadre de l'examen du projet de loi, il a été relevé que les motifs graves de l'ancienne loi représentaient une protection excessive de l'employé, dans la mesure où le problème n'était pas analysé en fonction des prestations professionnelles mais en fonction de la garantie de l'emploi. Dans l'intérêt public, il s'agissait de pouvoir compter sur des gens compétents et il fallait analyser les choses objectivement. C'était la raison pour laquelle la réforme parlait de motifs objectivement fondés et non plus de motifs graves. Un problème était analysé objectivement par rapport à des prestations professionnelles et par rapport à une situation générale plus correcte vis-à-vis de l'intérêt public (MGC 1997 55/IX 9643 et 9644; voir aussi ATA d. du 31 août 1999).

 

5. a. Dans l'arrêté litigieux, le Conseil d'Etat retient en premier lieu une violation des devoirs de service, fondée sur le problème du classement des jugements sommaires.

 

Au terme de l'instruction qu'il a menée, le Tribunal administratif a acquis la conviction qu'à tout le moins, le recourant a agi par négligence en laissant les minutes partir à la reliure sans y intégrer les jugements sommaires. A sa décharge, il apparaît qu'un certain flou régnait à ce sujet au Tribunal de première instance. Les déclarations recueillies par l'enquêteur, en particulier celles de Mme Martine Schlapfer, apparaissent importantes : cette greffière considérait aussi que le système de classement avait été modifié en 1996 et que les jugements sommaires seraient reliés séparément. Mme H., greffière des sommaires, a fait une déclaration dans le même sens.

 

Toutefois, face à ce flou, il appartenait au recourant, dont le classement des jugements constituait une partie importante des tâches qui lui étaient attribuées, de prendre les mesures nécessaires pour clarifier la situation en interpellant ses supérieurs hiérarchiques. Il ne pouvait pas se contenter de ses propres déductions pour modifier le système de classement. Les manquements du recourant à cet égard, qui ont entraîné un surcroît de travail considérable pour ses collègues et un défaut dans les minutaires du Tribunal de Première Instance, revêtent une gravité certaine.

 

b. En ce qui concerne les commandes de papier à lettres, M. S. soutient avoir signalé oralement au responsable que le stock était épuisé. Cette affirmation a été démentie par M. B., lors de son audition par l'enquêteur administratif sous la foi du serment.

 

Cette violation des devoirs de service apparaît dès lors fondée.

 

c. M. S. a déclaré lui-même, au sujet de l'approvisionnement en papier des six photocopieuses du Tribunal de première instance, que ces dernières disposaient de plusieurs milliers de feuilles. Il ne s'agit pas de petits appareils, comme l'a relevé l'autorité intimée, mais de grosses machines dont la recharge nécessite certaines compétences et qui doit impérativement être réalisée dans les règles de l'art. Le fait que les utilisateurs disposent, sur place, d'un stock de papier leur permettant d'alimenter la photocopieuse au besoin, ne saurait donc excuser les carences du recourant. Les difficultés à remplir cette mission, mises en exergue par M. S., justifient précisément qu'un fonctionnaire soit spécialement affecté à cette tâche. Le Tribunal administratif a pu constater, lors du transport sur place, qu'il s'agissait d'un travail non négligeable, au vu de la disposition architecturale des lieux. Dès lors, la position de l'enquêteur administratif à cet égard, fondée sur sa propre expérience, manque d'objectivité et est irrelevante.

 

d. Le Conseil d'Etat retient en dernier lieu, à charge de M. S., les accusations de "mobbing" dont il s'est plaint, accusations qui ont été écartées par l'enquêteur administratif.

 

Sur ce point, l'autorité intimée ne peut être suivie. On peut certes comprendre que le secrétaire général du Palais, directement mis en cause, puisse être touché par ces critiques. Ce grief doit toutefois être situé dans son contexte : le recourant faisait face à une procédure de licenciement et les accusations qui ont été lancées sont surtout le fait de son médecin traitant. A lui seul, ce reproche n'est pas pas constitutif d'une violation des devoirs de service, sauf à admettre que toute personne se sentant "mobbée" et le faisant savoir risquerait le licenciement.

 

6. La décision litigieuse sera ainsi confirmée. Les violations des devoirs de service retenues par le Tribunal administratif permettait en effet au Conseil d'Etat d'admettre que la poursuite des rapports de service était rendue difficile, au point de constituer un motif objectivement fondé de licenciement.

 

7. Le recours sera donc rejeté.

 

Aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, qui bénéficie de l'assistance juridique.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 12 janvier 2001 par Monsieur S. contre la décision du Conseil d'Etat de la République et Canton de Genève du 13 décembre 2000;

 

au fond :

 

le rejette;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

communique le présent arrêt à Me Christian Buonomo, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat de la République et Canton de Genève.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci