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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/574/2000

ATA/751/2002 du 03.12.2002 ( TPE ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : PERTURBATEUR PAR SITUATION; AMENDE; ZONE AGRICOLE; TPE
Normes : LCI.137 al.1; LPA.20 al.1; CST.29
Résumé : Amende réduite à CHF 5'000.- à l'encontre du propriétaire d'un terrain (perturbateur par situation) qui tolère sur ce dernier des installations illégales. En fixant l'amende à CHF 20'000.-, l'autorité administrative n'a pas pris en compte les circonstances personnelles du recourant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 3 décembre 2002

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur G__________

représenté par Me Gérard Montavon, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur G__________ est propriétaire de la parcelle n° __________ du Registre foncier de la commune de Chancy. Elle est d'une surface de 6'735 m2, sise en zone agricole et desservie par un chemin communal qui débouche sur la route cantonale conduisant à Chancy. Elle supporte un bâtiment cadastré portant n°__________.

 

2. Au mois d'août 2000, le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : DAEL) ainsi que M. G__________ se sont entendus pour une visite des lieux. Selon le constat opéré à cette occasion, le 29 août 2000, par le corps des gardes de l'environnement au sein du service des forêts, de la protection de la nature et du paysage (ci-après : le SFPNP), qui dépend du DAEL, la parcelle avait été divisée en quatorze lots, loués à des tiers. Pour quatre de ces lots, il y avait lieu notamment de nettoyer le terrain et d'évacuer divers matériaux.

 

3. Durant l'automne 2000, le DAEL a accordé plusieurs délais à quatre locataires pour qu'ils évacuent des matériaux divers, des dépôts inesthétiques et des constructions illégales.

 

Le 19 janvier 2001, le DAEL, ayant constaté que les délais accordés n'avaient pas été mis à profit, a infligé trois amendes d'un montant de CHF 500.- chacune à trois locataires récalcitrants.

 

4. Parallèlement aux mesures entreprises à l'égard des locataires, le DAEL a sévi également à l'égard du propriétaire.

 

Le 27 avril 2000, le département précité a infligé à l'intéressé une amende de CHF 20'000.- au motif qu'il avait déjà fait l'objet d'une intervention de l'autorité administrative en 1980 et en 1991 et qu'il avait été prévenu, dès le 17 novembre 1999, que l'état de son terrain était inacceptable. Le montant de l'amende tenait donc compte de la gravité de la nouvelle infraction ainsi que de la récidive.

 

5. Par lettre datée du 22 mai 2000 et remise à un office postal le lendemain sous pli recommandé, M. G__________ a recouru contre l'amende qui lui avait été infligée. Il acquiesçait à l'ordre de remise en état et n'était pas responsable des agissements de ses locataires, qui "prenaient leurs responsabilités". Le reste de la lettre de l'intéressé est formé de références au Code des obligations et à la doctrine relative à la responsabilité civile, qu'elle soit écrite dans la langue de Goethe ou dans celle de Molière.

 

Le 8 juin 2000, un avocat s'est constitué pour la défense des intérêts de M. G__________.

 

6. Le 13 juillet 2000, le DAEL a répondu au recours. Le département tentait d'obtenir que la parcelle soit remise en état depuis 1980. M. G__________ avait déjà été amendé en novembre 1980 et en juillet 1991 et cette deuxième sanction avait été confirmée par le Tribunal administratif le 8 juin 1993.

 

Le recourant demandait l'annulation de l'amende, pour autant que le recours fût compréhensible, mais ne s'opposait pas aux mesures de démolition des constructions et d'évacuation des déchets, telles qu'elles avaient été ordonnées. Seule donc la sanction administrative était litigieuse. Sur le vu du caractère illicite des constructions réalisées, une amende de CHF 20'000.- n'était pas excessive.

 

7. Le 24 novembre 2000, l'avocat constitué par M. G__________ a répliqué. Le DAEL eût été mieux inspiré de s'en prendre aux locataires plutôt qu'au propriétaire de la parcelle. L'état de santé de celui-ci ne lui permettait pas de s'opposer à la multiplication des constructions illicites sur sa parcelle. Il n'avait pour seul revenu que celui qu'il tirait de la location de ses lopins de terre, soit environ CHF 8'800.-, qu'il partageait par moitié avec son ex-épouse, ce qui lui assurait un revenu mensuel de CHF 366.-, auquel s'ajoutait une rente AVS d'un montant de CHF 1'475.- par mois et le revenu de la mise en gérance d'un restaurant, CHF 800.- par mois également. S'agissant de l'amende proprement dite, il fallait admettre que M. G__________ avait fait tout ce qu'il pouvait raisonnablement faire pour obtenir une mise en état des lopins de terre qu'il louait et il convenait de renoncer à toute sanction par application analogique de l'article 66 bis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.O).

 

8. Le 5 décembre 2000, le conseil de M. G__________ a encore déposé un certificat médical daté du 16 novembre de la même année, selon lequel l'intéressé souffrait depuis plusieurs années d'asthme, d'une insuffisance cardiaque ainsi que de lombalgies accompagnées d'une hernie discale. Il était au bénéfice d'une rente AI depuis 1992 et toujours en traitement.

 

9. Le 27 novembre 2000, le greffe du tribunal de céans a invité le DAEL à déposer sa duplique dans un délai venant à échéance le 5 janvier 2001. Le 15 janvier 2001, le greffe a prolongé le délai accordé au département, sans pour autant recevoir d'écritures dans le nouveau délai. Le 2 juillet 2002, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

Le 12 du même mois, le DAEL a alors souhaité s'exprimer une nouvelle fois par écrit.

 

Le 18 octobre 2002, le DAEL a dupliqué. À la suite d'un nouveau contrôle opéré le 10 du même mois, il avait été constaté que la parcelle était toujours lotie en jardins potagers. Leur état était satisfaisant, sauf pour deux d'entre eux. S'agissant des arguments contenus dans la réplique du recourant, le département a estimé que la répétition de la gravité des infractions commises par M. G__________ reléguait à l'arrière plan les arguments qu'il tirait de sa situation financière précaire.

 

10. Le 22 octobre 2002, le greffe a derechef informé les parties qu'il gardait la cause à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Est passible d'une amende administrative de CHF 100.-- à CHF 60'000.-- tout contrevenant à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), ainsi que tout contrevenant aux ordres donnés par le département (art. 137 al. 1 LCI). Le montant de l'amende est de CHF 60'000.-- au plus si les travaux n'étaient pas autorisables comme en l'espèce.

 

La récidive constitue une circonstance aggravante (art. 137 al. 3 LCI; ATA C. du 13 novembre 2001). La disposition pertinente ne contient pas de limite interdisant que l'autorité administrative retient cette circonstance aggravante au-delà d'un certain délai. Sur le vu de la solution retenue en l'espèce, il n'y a pas lieu de trancher la question de l'application analogique de l'article 67 chiffre 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.O) à l'article 137 alinéa 3 LCI, règle spéciale, alors que la règle générale en droit pénal cantonal, soit l'article premier alinéa trois de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1941 (LPG - E 4 05), exclut précisément l'application des règles de droit fédéral à la matière qui relève du droit fédéral.

 

3. Selon l'article 20 alinéa 1 LPA, l'autorité réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision et elle apprécie les moyens de preuve des parties.

 

L'article 29 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (RS 101), entrée en vigueur le 1er janvier 2000, règle les "garanties générales de procédure". L'alinéa 2 prévoit que "les parties ont le droit d'être entendues". On peut considérer que le nouveau texte fondamental n'apporte pas, sur ce point, de changement aux garanties déjà contenues implicitement dans l'article 4 de l'ancienne Constitution fédérale du 29 mai 1874, aujourd'hui abolie (aCst.).

 

La jurisprudence avait déduit de cet ancien article 4 aCst. le droit du particulier de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 122 I 53 consid. 4a p. 55; 119 Ib 12 consid. 4 p. 17; 119 V 208 consid. 3b p. 211; 118 Ia 17 consid. 1c p. 19; 104 consid. 3b p. 109 et les arrêts cités). L'autorité peut renoncer aux moyens de preuve offerts par une partie, pour autant qu'elle puisse admettre sans arbitraire que ce moyen n'aurait pas changé sa conviction (ATF 121 I 306 consid. 1b, p. 308-309; ATA G. du 27 août 2001; R. du 26 novembre 2002; M. du 21 novembre 2000; G. du 7 octobre 1997; P. du 24 juin 1997).

 

En l'espèce, la parcelle qui supporte les constructions et les dépôts litigieux se trouve en zone agricole. De telles installations ne sont donc clairement pas autorisables, ce que le recourant, perturbateur par situation, concède d'ailleurs, puisqu'il ne conteste que le montant de l'amende qui lui a été infligée. Tout autre acte d'instruction est inutile.

 

4. L'amende ne représente certes que le tiers du montant légalement applicable à celui qui tolère, en tant que perturbateur par situation, tel le recourant, des installations illégales.

 

Le montant retenu par l'autorité administrative l'a toutefois été dans l'ignorance manifeste des circonstances personnelles du recourant, puisque le dossier déposé par le DAEL ne contient aucun document qui permettrait d'établir que la quotité de la sanction administrative a été déterminée en tenant compte de l'ensemble de ces circonstances.

 

Le recourant a été rentier AI. Il bénéficie maintenant d'une rente AVS, laquelle n'est, au demeurant, pas au montant maximum. Il tire quelques revenus de la mise en gérance d'un établissement public et il partage ceux procurés par la location des lopins de terre, objets de la présente procédure, avec son ex-épouse. L'ensemble de ses sources de revenu ne procure toutefois à l'intéressé qu'un niveau de vie modeste, puisqu'elles ascendent à CHF 3'000.- par mois dans le meilleur des cas.

 

Une amende d'un montant de CHF 20'000.-, même compte tenu des éléments à charge du recourant, ne respecte pas le principe de la proportionnalité. Elle sera réduite à CHF 5'000.-.

 

5. Le recourant, qui obtient partiellement gain de cause, a droit à des dépens, dont le montant sera arrêté en l'espèce à CHF 750.-. Il sera en outre libéré de tout émolument (art. 87 al. 1er LPA).

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 22 mai 2000 par Monsieur G__________ contre la décision du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement 27 avril 2000;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

arrête le montant de l'amende à CHF 5'000.-;

 

rejette le recours pour le surplus;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue une indemnité à M. G__________ de CHF 750.-, à la charge de l'État de Genève;

 

communique le présent arrêt à Me Gérard Montavon, avocat du recourant, et au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président:

 

M. Tonossi F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci