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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/104/1999

ATA/641/2000 du 24.10.2000 ( CE ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; AFFECTATION; SUPPRESSION(EN GENERAL); FONCTION; CHANGEMENT D'AFFECTATION; COMPETENCE; CE
Normes : LOJ.56B al.4; LPAC.30; LPAC.31
Résumé : Incompétence du TA pour connaître de la décision de changement d'affectation d'une personne dont le poste d'adjointe de direction a été suprimé pour cause de restructuration et qui a été nommée en qualité de secrétaire 3 au DIP en classe 12, position 15. Le Tribunal administratif n'est pas compétent pour connaître du recours d'une fonctionnaire contre la suppression de son poste, dès lors que cette décision n'est pas une sanction disciplinaire déguisée mais entre dans le cadre d'une réorganisation complète du service et n'a pas été programmée pour évincer l'intéressée.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 24 octobre 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame J. R.

représentée par Me Nicolas Gagnebin, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

1. Madame J. R., née le 15 octobre 19.., a été engagée, le 17 mai 1962, en qualité de surnuméraire au département de justice et police, devenu depuis lors département de justice et police et des transports (ci-après : le DJPT). Elle a été nommée dans cette fonction le 1er janvier 1964, puis a été transférée au service pénitentiaire le 1er avril 1966, d'où elle a démissionné le 31 juillet 1968. Elle a successivement occupé les fonctions de commise 2B, puis de commise 2A et, enfin, de commise 1A.

 

2. Au mois de novembre 1969, l'intéressée a été engagée comme auxiliaire à l'office des poursuites, avant d'occuper la même fonction à la justice de paix, puis à la Cour de justice, où elle a été nommée commise 1B le 1er août 1970. Elle a démissionné de ce poste le 30 juin 1971.

 

Mme R. a été réengagée par l'office du personnel de l'Etat en qualité de secrétaire-assistante de médecin, le 11 octobre 1976. Elle a été transférée, au mois de février 1979, en qualité de cheffe de secrétariat 2, au département de l'instruction publique (ci-après : DIP), dans une école d'art, poste où elle a été nommée le 7 janvier 1981.

 

3. Le 15 juin 1984, un avertissement lui a été notifié au motif que ses prestations, dans la tenue des comptes et la garde des espèces des écoles d'art, étaient critiquables. Elle a été relevée de ses fonctions et, le 19 juin 1984, la direction générale de l'enseignement secondaire l'a affectée à l'école supérieure de commerce de Châtelaine. Elle a été nommée au DIP le 1er janvier 1986 en qualité de secrétaire 2, puis de cheffe de secrétariat 2 le 25 mars 1992 et, enfin, d'adjointe de direction au service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (ci-après : SCARPA), dès le 1er juin 1993.

 

4. Durant le printemps 1997, et à la suite d'un rapport de l'inspection cantonale des finances, M. A. C. a été nommé directeur adjoint ad interim du SCARPA, avec pour mission de réorganiser ce service.

 

5. M. C. a mis sur pied un nouvel organigramme, selon lequel le directeur - assisté de la juriste/avocate - avait sous ses ordres, d'une part la comptabilité et le secrétariat/réception et, d'autre part, une section "supervision" dirigeant elle-même une section contentieux et une autre de gestion.

 

Pendant la durée de son intervention, M. C. a envoyé à Mme R. plusieurs notes, faisant état d'une certaine insatisfaction quant à la qualité du travail effectué.

 

6. a. Le 13 juillet 1998, le directeur de la division du personnel du DIP a informé Mme R. que le poste d'adjointe à la direction du SCARPA était définitivement supprimé. Au vu de sa formation, de son expérience et de ses qualités professionnelles, le poste de secrétaire de la direction du SCARPA, en classe maximum 12 - alors qu'elle était en classe 15 jusque là - lui a été proposé.

 

b. Par courrier daté du même jour, le conseil de Mme R. a relevé que le changement de poste entraînerait une diminution de salaire de l'ordre de CHF 600.- par mois. Soit les services de Mme R. ne donnaient pas satisfaction, et la procédure légale des sanctions disciplinaires devait être appliquée, soit il s'agissait d'une réorganisation interne, auquel cas une activité à traitement égal devait être proposé à sa cliente.

 

c. Un échange épistolaire a alors eu lieu, sans que des éléments nouveaux apparaissent.

 

7. Par arrêté du 4 novembre 1998, le Conseil d'Etat a nommé Mme R. en qualité de secrétaire 3 au DIP, en classe 12, position 15. Cet arrêté était fondé sur les dispositions adoptées par l'office du personnel de l'Etat relatives au changement d'affectation à la demande de l'Etat, et sur la suppression définitive du poste d'adjointe de direction au SCARPA.

 

Cet arrêté a été notifié, par pli simple, au domicile élu de Mme R..

 

8. Le 22 décembre 1998, le conseil de cette dernière s'est étonné que le salaire du mois de décembre 1998 de sa cliente ait été inférieur aux précédents, et qu'elle soit considérée comme secrétaire 3. Un tirage de l'arrêté du Conseil d'Etat lui a été envoyé le 5 janvier 1999 et, le 7 janvier 1999, il a confirmé ne jamais avoir reçu l'arrêté en question.

 

9. Par acte déposé au greffe du Tribunal administratif le 5 février 1999, le conseil de Mme R. a contesté l'arrêté du 4 novembre 1998. La décision litigieuse constituait une sanction déguisée, dont le tribunal pouvait connaître.

 

Mme R. avait de facto assumé la responsabilité du SCARPA entre le départ du directeur, en novembre 1996, et la nomination de M. C.. Elle avait interpellé la tutrice générale au vu de la surcharge de travail importante que l'absence du directeur entraînait. La tutrice l'avait félicitée pour le travail accompli pendant cette période d'interim. Au mois de juin 1997, elle avait demandé à ce qu'une personne supplémentaire soit engagée au SCARPA, ce que M. C. avait refusé. Ce dernier avait relevé des retards dans l'exécution de certaines tâches de Mme R..

 

Jusqu'à l'arrivée de M. C., Mme R. avait entièrement donné satisfaction à ses supérieurs. M. C. lui avait fait parvenir des notes en termes désagréables et comminatoires, sans tenir compte du fait que la recourante lui signalait une surcharge de travail croissante, nécessitant l'engagement d'un tiers. Lors de l'élaboration de l'organigramme, le poste de la recourante avait disparu. Les reproches de M. C. indiquaient très clairement que le déclassement était en fait une sanction déguisée. La décision litigieuse devait être annulée, les petits manquements ou retards relevés par M. C. constituant en réalité de simples peccadilles immédiatement corrigées.

 

10. Le 22 mars 1999, la Conseillère d'Etat chargée du DIP s'est opposée au recours. Il ressortait notamment d'une note rédigée par M. C., le 24 août 1998, que ce dernier reprochait à Mme R. des faits très graves, tels que :


 

- absence de connaissance du métier et de compréhension des problèmes auxquels elle était confrontée;

 

- incohérence dans la gestion des dossiers;

 

- dispense de conseils inappropriés dans des situations simples, tant sur les plans civil, que pénal et comptable;

 

- importants retards et manquements sur la matière traitée par le SCARPA;

 

- absence de rédaction de procès-verbaux;

 

- manque de suivi et de contrôle des vacances et des absences du personnel;

 

- retards significatifs dans des affaires pourtant urgentes;

 

- désordre dans ses dossiers et dans son bureau;

 

- nombreux documents et pièces de correspondance demeurés en souffrance;

 

- etc.


 

Le poste d'adjointe de direction ayant été supprimé au vu de la réorganisation, trois solutions avaient pu être envisagées :


 

a) Licenciement pour suppression de poste : cette mesure avait été abandonnée au vu des trente-six années pendant lesquelles la recourante avait travaillé à l'Etat de Genève, de son âge, de sa formation et du fait qu'avant la nomination de M. C., aucun élément négatif n'avait été retenu contre elle.

 

b) Licenciement pour motifs objectivement fondés : les mêmes motifs, et le souhait d'éviter à la recourante une enquête administrative, avaient poussé à abandonner ce choix.

 

c) L'affectation de la recourante à un autre poste, voie qui avait été retenue.

 


La situation de Mme R. entrait parfaitement dans le cadre de l'article 12 alinéa 3 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05). L'idée de lui confier l'un des deux nouveaux postes de commise administrative 5, créés pour la supervision, avait été examinée et abandonnée par intime conviction qu'elle ne saurait offrir les prestations nécessaires à cette fonction.

11. A la demande de la recourante, un deuxième échange d'écritures a été autorisé.

 

a. Mme R. a relevé que l'argument du Conseil d'Etat démontrait que la décision litigieuse était en fait une sanction déguisée. M. C. s'était acharné sur elle. Cet acharnement, auquel le directeur des services financiers avait prêté la main "avec joie", avait conduit Mme R. à une dépression nerveuse d'une telle gravité, qu'elle était toujours en incapacité totale de travail après dix mois d'absence.

 

b. Le 9 juin 1999, le Conseil d'Etat a renoncé à dupliquer, se limitant à regretter les persiflages, railleries et dérisions confinant parfois à l'irrévérence et à la grossièreté contenus dans la réplique.

 

12. Le 3 novembre 1999, les parties ont été entendues en comparution personnelle. Au vu d'un problème de santé rencontré par le directeur de la division du personnel du DIP, le Conseil d'Etat était représenté par M. C.. Il a été décidé de reconvoquer une audience, afin que ce dernier pût être entendu sans représenter le Conseil d'Etat.

 

13. Une nouvelle audience a eu lieu le 9 février 2000.

 

a. Mme R. a expliqué que les problèmes au SCARPA provenaient, selon elle, des événements qui s'étaient passés avec l'ancien directeur et d'une incompatibilité totale d'humeur entre M. C. et elle-même. Il avait fait du "mobbying" à son égard, dans la mesure où il l'avait peu à peu mise à l'écart. Elle n'avait plus été informée de rien et, après six mois, elle avait eu l'impression de n'être qu'une simple dactylo. M. C. était performant sur le plan financier, mais pas sur le plan psychologique et dans ses relations avec le personnel.

 

Mme R. a encore précisé qu'elle avait elle-même formé la personne qui avait été nommée superviseuse; dans la mesure où les deux postes avaient été pourvus par des personnes travaillant déjà au SCARPA, l'un d'entre eux aurait pu lui être attribué.

 

b. Le représentant du Conseil d'Etat a indiqué que les problèmes de Mme R. étaient liés à une nouvelle organisation du service, suite au départ de l'ancien directeur et à l'arrivée de M. C., au "management" plus dynamique. Ce dernier ne faisait pas partie du sérail et ne connaissait personne lorsqu'il avait été nommé. Il avait proposé un nouvel organigramme, après s'être rendu compte que les tâches et les postes étaient mal définis. La suppression du poste d'adjointe de direction aurait eu lieu, quelle que soit la personne qui l'occupait. L'effectif total du SCARPA n'avait pas changé.

 

14. Le 24 mai 2000, M. C. a été entendu à titre de renseignement. Lorsqu'il avait commencé de travailler au SCARPA, sous contrat de droit privé, il avait entendu tout le personnel, à qui il avait indiqué que le passé était révolu et que chacun devait faire ses preuves à nouveau.

 

Mme R. avait adopté une position de retenue et les solutions nécessaires à la réorganisation du SCARPA avaient été apportées par les teneurs de comptes, plutôt que par elle. Peu à peu, un recueil des processus de travail détaillé avait été mis à la disposition des collaborateurs. Grosso modo, une procédure par semaine était mise sur pied. Il y avait un problème d'encadrement, car les réponses données par Mme R. à des questions concrètes ne correspondaient pas à ce qui avait été fixé. S'agissant de l'organigramme, il avait été dressé abstraitement, sans tenir compte des personnes présentes; les noms n'avaient été portés dans les cases qu'après coup.

 

L'aspect supervision n'avait pu être confié à Mme R., au vu de l'incohérence des réponses qu'elle donnait aux collaborateurs - alors même qu'elle avait un manuel à disposition - et du manque de compréhension et d'assimilation des procédures mises en place. De plus, le personnel n'avait pas confiance en elle, alors que cette qualité de relation était nécessaire pour les postes de superviseuse. En revanche, Mme R. avait des compétences réelles au niveau des relations avec les usagers, d'où la proposition de l'affecter à un poste de secrétaire 3, soit un poste où les fonctionnaires reçoivent les utilisateurs.

 

Sur question du conseil de Mme R., M. C. a encore précisé que, pendant plusieurs années, la recourante n'avait que peu ou pas travaillé. L'arrivée de M. C. avait bousculé ses habitudes. Concrètement, elle confiait une partie de son travail à des secrétaires, et le directeur en faisait une autre partie.

 

M. C. a encore souligné que la désorganisation du service avait été constatée avant son arrivée. Mme R. n'était responsable des problèmes ni plus, ni moins que les autres employés du service. Si elle avait pu faire preuve de compétence et de volonté de travail, elle aurait sans doute pu pourvoir un des postes de superviseuses.

 

15. a. Dans son mémoire après enquêtes, le conseil de Mme R. a repris et développé son argumentation. La systématique d'acharnement contre sa cliente était bien réelle et l'arrêté du Conseil d'Etat n'était basé que sur un constat d'"incompétence et de mauvaise volonté" posé par M. C.. Il s'agissait dès lors d'une sanction déguisée.

 

b. De son côté, le Conseil d'Etat a renoncé à produire une nouvelle écriture.

 

 

EN DROIT

 

1. Selon l'article 56B alinéa 4 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ - E 2 05), les recours contre les décisions concernant le statut et les rapports de service des fonctionnaires ne sont recevables que dans la mesure où une disposition légale, réglementaire ou statutaire spéciale le prévoit. Les articles à 30 à 31A LPAC n'instituent une voie de recours que pour contester une sanction disciplinaire, une décision de résiliation des rapports de service ou une décision relative à un certificat de travail.

 

2. La jurisprudence a eu l'occasion de préciser que les changements d'affectation qui équivalaient à une sanction disciplinaire relevaient de la compétence du Tribunal administratif.

 

Ainsi, le Tribunal administratif a admis sa compétence pour le cas d'un fonctionnaire qui voyait son affectation changée, à titre conservatoire, dans le cadre d'une procédure pouvant aboutir au prononcé d'une sanction disciplinaire. L'arrêté du Conseil d'État qui reclassait cette personne dans une fonction inférieure a aussi été considéré comme une sanction disciplinaire déguisée, puisque rendu uniquement en raison de la commission d'une infraction aux devoirs de service par cette personne et non pas parce qu'elle se serait révélée inapte à remplir les exigences liées à son poste (ATA C. du 27 juin 1990, publié in SJ 1991 p. 501).

 

En revanche, le Tribunal administratif a déclaré irrecevable un recours lorsque le changement d'affectation était motivé par la nécessité de garantir un fonctionnement optimal du service, et que les relations entre le fonctionnaire et sa hiérarchie avaient évolué de telle façon qu'il leur était devenu impossible de collaborer. Ce changement d'affectation ne constituait pas une sanction déguisée, même si une sanction disciplinaire avait été prononcée parallèlement (ATA B. du 30 août 1994, résumé in SJ 1995 pp. 583 et 584).

 

C'est ainsi que le transfert d'un buandier qui travaillait de manière autonome à la centrale de traitement du linge des établissements publics médicaux du canton de Genève n'a pas été considéré comme une sanction déguisée, malgré le prononcé simultané d'un retour au statut d'employé (ATA S. du 18 novembre 1997). Un changement d'affectation ne constitue pas non plus une sanction déguisée lorsque la personne concernée n'accomplit plus principalement ses tâches au profit de l'administration qui l'emploie. Elle peut alors être transférée à celle qui tire profit de ses services (ATA Q. du 10 février 1998).

 

De même, le Tribunal administratif a admis que les insuffisances d'une fonctionnaire dans la gestion de ses dossiers imposait à ses supérieurs hiérarchiques de l'affecter dans un poste où de tels manquements n'étaient plus à craindre, sans que cela ne constitue une sanction déguisée, et même si cette nouvelle affectation, décidée dans un cadre conflictuel, avait pu être comprise par l'intéressée comme en étant une (ATA B. du 7 avril 1998).

 

3. En l'espèce, il ressort du dossier et de l'instruction menée par le Tribunal administratif, que M. C. avait été mandaté pour réorganiser le SCARPA, qui présentait des dysfonctionnements notables. C'est au terme d'une analyse rigoureuse qu'il a proposé un nouvel organigramme, dans lequel le poste occupé par la recourante disparaissait. Ce nouvel organigramme avait manifestement été structuré de manière à permettre au service de mieux remplir les tâches qui lui incombaient, et non pour évincer Mme R.. Le fait qu'ultérieurement, le poste de superviseuse ne lui ait pas été attribué et qu'un poste de secrétaire 3 lui ait été proposé ne constituent pas non plus une sanction déguisée : les motifs présidant à ces choix ont été clairement exposés au Tribunal administratif et leur cohérence ne peut qu'être approuvée.

 

Partant, le Tribunal administratif n'est pas compétent pour connaître de la décision de changement d'affectation litigieuse, et le recours sera déclaré irrecevable.

 

4. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de Mme R..

 


PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif :

déclare irrecevable le recours interjeté le 5 février 1999 par Madame J. R. contre la décision du Conseil d'Etat du 4 novembre 1998;

 

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'000.-;

 

communique le présent arrêt à Me Nicolas Gagnebin, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Schucani, président, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, MM. Thélin, Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.: le vice-président :

 

C. Goette Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci