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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/53/2000

ATA/64/2001 du 30.01.2001 ( TPE ) , ADMIS

Recours TF déposé le 13.03.2001, rendu le 31.05.2001, ADMIS, 1P.188/2001
Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE; VILLA; AUTORISATION DEROGATOIRE(EN GENERAL); 5E ZONE; ESTHETIQUE; TPE
Normes : LCI.59 al..4
Résumé : Le TA admet un recours interjeté contre une autorisation de construire nécessitant la dérogation prévue à l'art. 59 al.4 LCI.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 30 janvier 2001

 

 

 

dans la cause

 

LA VILLE D'ONEX

représentée par Me Bernard Dorsaz, avocat

 

 

contre

 

 

COMMISSION DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

et

 

N. ARCHITECTE S.A.

représentée par Me Soli Pardo, avocat

 

 



EN FAIT

 

 

1. Les parcelles n°s ... et ... du registre foncier de la commune d'Onex (ci-après : la commune), d'une surface respective de 4'564 m2 et 7'632 m2, sont contiguës et bordées à l'est et au nord par le chemin Charles-Borgeaud. Elles ont été la propriété de feu Madame C. B., puis de ses hoirs.

 

Ces parcelles sont situées en cinquième zone à bâtir (zone résidentielle destinée aux villas) au sens de l'article 19 alinéa 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LALAT - L 1 30).

 

2. À l'occasion de l'instruction du dossier n° DD 94'794 portant sur la construction de vingt-quatre maisons jumelées avec garage sur les parcelles précitées, la commune d'Onex a émis le 11 juillet 1997 un préavis négatif au motif qu'elle ne voulait pas qu'il soit dérogé au rapport des surfaces (densité de 0,2) dans un secteur comprenant une zone protégée (le parc de la mairie) et un site classé (le vieux village d'Onex).

 

3. Le 9 octobre 1997, le département alors dénommé des travaux publics et de l'énergie, actuellement celui de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : le DAEL) a informé la commune que les observations de cette dernière n'étaient pas retenues et qu'une densité de 0,25 pour le projet querellé était admise afin de tirer un meilleur parti des zones à bâtir.

 

Le même jour, le département a délivré l'autorisation de construire demandée par les hoirs B., agissant par le biais de leur mandataire, Monsieur J. N..

 

4. Le 23 octobre 1997, l'association onésienne d'intérêt public a recouru auprès de la commission cantonale en matière de constructions (ci-après : la CCRMC) contre l'autorisation précitée. Elle a relevé la mauvaise qualité du projet, incompatible avec la préservation du vieil Onex, figurant à l'inventaire ISOS et celle de la mairie, dont les bâtiments avaient été classés par le Conseil d'État en 1962. La CCRMC a procédé à une audience de comparution personnelle et à un transport sur place au mois de février 1998. Le recours de cette association a été rejeté par la commission; elle s'est alors pourvue devant le tribunal de céans.

 

5. Le 11 juin 1998, Me E. G., avocat et notaire dans le canton de Berne, s'est adressé au conseil de l'association. Les hoirs étaient prêts à accepter un coefficient de 0,2 et leur architecte allait présenter un projet réduisant le nombre des maisons. L'association n'aurait dès lors plus de motif de s'opposer au projet.

 

Le 15 juin 1998, le conseil de l'association a pris note de cet engagement, que le promoteur, auquel les terrains seraient vendus, devait prendre également. Le recours de l'association auprès du Tribunal administratif ne pourrait être retiré qu'après justification d'une autorisation de construire conforme et renonciation formelle à celle faisant l'objet du recours.

 

Le 30 juin 1998, le conseil de la société N. Architecte S.A. (ci-après : la société), dont M. N. est le seul administrateur, et de M. M. L., promoteur, ont demandé au conseil de l'association l'engagement irrévocable de retirer le recours formé à l'encontre de l'autorisation de construire n° DD 94'794 à la condition que "le coefficient légal ordinaire de 0,2 soit respecté". Le conseil de l'association a contresigné cette lettre "vu pour accord" le premier juillet 1998.

 

Le 10 août de la même année, le DAEL a délivré l'autorisation sollicitée (DD 94'794/2) sous l'intitulé "modification du projet initial, construction de vingt maisons jumelées et garages". Ces vingt villas forment deux bandes de constructions contiguës, se déployant dans le sens de la longueur du terrain disponible, selon un axe nord-sud. L'une de ces deux bandes est interrompue par des constructions préexistantes.

 

6. Le premier septembre 1998, la commune s'est adressée au DAEL. Elle n'avait pas été consultée à l'occasion de la délivrance de cette dernière autorisation; les parcelles libérées par la renonciation à la construction de quatre villas jumelles devraient constituer une dépendance destinée à l'ensemble des copropriétaires, comme espace de détente ou de jeux.

 

7. Le 8 septembre 1998, le DAEL a répondu à la commune : elle n'avait en effet pas été consultée sur la demande complémentaire tendant à réduire de vingt-quatre à vingt le nombre de villas. Les espaces libérés n'étaient pas expressément prévus comme espaces de jeux et de détente. Il n'était d'ailleurs pas exclu qu'une demande complémentaire soit déposée pour autoriser la construction des quatre villas prévues à l'origine.

 

8. Le 14 décembre 1998, la société a déposé une demande complémentaire d'autorisation de construire en ce sens.

 

9. Le 22 janvier 1999, la commune s'est adressée à nouveau au DAEL pour relever que cette nouvelle demande d'autorisation de construire (n° DD 94'794/3) était un artifice inacceptable, violant les engagements pris par les hoirs B.. Elle exigeait qu'aucune autre villa ne soit construite.

 

Le même jour, elle a émis un préavis à nouveau défavorable, car elle n'entendait pas accorder de dérogation au rapport des surfaces. Quant aux autres préavis, ils contiennent notamment celui, favorable, de la commission d'architecture au motif que le projet était "plus aéré que celui réalisé sur la parcelle voisine".

 

10. Le 16 juin 1999, le DAEL a délivré l'autorisation sollicitée (n° DD 94'794/3; adjonction de quatre villas jumelées et garages), qui a été publiée dans la Feuille d'avis officielle le 21 du même mois.

 

11. La commune s'est pourvue auprès de la CCRMC contre cette autorisation.

 

Le 12 octobre 1999, les parties ont été entendues par cette commission.

 

La commune a estimé que la densification à 0,2 devait rester la règle et que la topographie plaidait également en faveur de ce rapport. Elle soutenait un développement intelligent et mettait au point son nouveau plan directeur.

 

12. Un transport sur place a encore eu lieu le 9 novembre 1999.

 

13. Le 7 décembre 1999, la CCRMC a constaté que l'accord entre les hoirs B. et l'association ne s'appliquait pas aux parties à la procédure par devant elle. Sur le fond, elle a retenu que la densification était un objectif politique des autorités cantonales, que les juges d'appel avaient estimé, dans un arrêt du 4 mars 1998, que la zone n'avait plus de caractère agraire et que selon la jurisprudence de ces derniers, le plan directeur communal était dénué de portée juridique. Elle a dès lors rejeté le recours.

 

14. Le 13 janvier 2000, la commune a recouru contre la décision précitée. Elle conclut à son annulation et demande, à titre préalable, un transport sur place.

 

Le 25 février 2000, la société a répondu et elle conclut au rejet du recours de même que le DAEL.

 

15. Le 22 juin 2000, le tribunal a procédé à un transport sur place en présence des parties à la procédure par-devant lui. Deux des quatre villas supplémentaires projetées, identiques aux vingt autres déjà réalisées, devraient être édifiées sur la partie supérieure des parcelles, côté nord. Elles devraient se situer dans l'alignement existant, avec un retrait de 60 % environ mesuré dans la longueur des villas existantes les plus proches. Les deux autres villas projetées seraient construites au sud des parcelles, dans l'alignement de celles déjà existantes.

 

La commune d'Onex a exprimé le souci de promouvoir une politique cohérente et générale d'aménagement de son propre territoire, comportant notamment le souci d'éviter un urbanisme de mauvaise qualité et celui d'encourager les espaces pour les exploitations collectives, comme les jeux, en zone villas.

 

Sur question du Tribunal, le représentant de la société intimée a expliqué que le chemin existant devrait être prolongé de quelque vingt-sept mètres en direction du rideau d'arbres qui borde le sud des parcelles.

 

Sans autres réquisitions des parties, le tribunal leur a indiqué qu'il garderait l'affaire à juger après réception des procès-verbaux signés.

 

Le 26 juin 2000, le procès-verbal de transport sur place a été envoyé aux parties. Après rappel, la société intimée a déposé l'exemplaire qui lui avait été remis, le 17 novembre de la même année.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. En vertu de l'article 59 alinéa 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), la surface de la construction, exprimée en m2 de plancher, ne doit pas excéder 20 % de la surface de la parcelle. Lorsque les circonstances le justifient et que cette mesure est compatible avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier, le département peut autoriser, après consultation de la commune et de la commission d'architecture, un projet de construction en ordre contigu dont la surface de plancher habitable n'excède pas 25 % de la surface du terrain (art. 59 al. 4 litt. a LCI).

 

L'autorité est donc tenue de refuser l'autorisation lorsque la mesure envisagée n'est pas "compatible avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier".

a. Il s'agit d'une clause d'esthétique, analogue à celle contenue à l'article 15 LCI, faisant appel à des notions juridiques imprécises ou indéterminées. Le contenu de telles notions varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d'espèce; ces notions laissent à l'autorité une certaine latitude de jugement. Alors que la clause d'esthétique est un des éléments que le département doit prendre en considération pour statuer en opportunité sur l'octroi d'une autorisation de construire quand le rapport de surface n'excède pas 20 % (art. 15 al. 1 et 59 al. 1 LCI), le législateur a fait de la clause d'esthétique une condition indispensable pour autoriser une dérogation au rapport de surface de 20 %.

La faculté d'interpréter les notions juridiques indéterminées est toutefois limitée par le contrôle des autorités de recours qui ont pour tâche principale l'interprétation de la loi. S'agissant d'une question de droit, l'autorité de recours exerce un libre pouvoir de contrôle. En revanche, l'autorité de recours s'impose une certaine retenue lorsqu'elle estime que l'autorité inférieure est manifestement mieux en mesure qu'elle d'attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger. Il en va ainsi lorsque l'interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, en matière de technique, en matière économique, en matière de subventions et en matière d'utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l'esthétique des constructions (ATA O. S.A. du 23 février 1998).

 

b. La retenue que s'impose l'autorité de recours est d'autant moins prononcée que la notion juridique indéterminée porte sur des questions qui font appel à une appréciation subjective. Ainsi, selon une jurisprudence constante, pour apprécier le caractère esthétique d'une construction, le Tribunal administratif, confronté à des préavis divergeants, a d'autant moins de raisons de s'imposer une certaine restriction de son propre pouvoir d'examen, qu'il a procédé à un transport sur place (ATA S.-K. du 3 mars 1998, O. précité et la jurisprudence citée). Enfin, la juridiction cantonale n'impose d'autant moins de retenue que les préavis ne sont pas unanimes (ATA M.-B. du 23 décembre 1997, C.-M. du 15 octobre 1996).

 

c. Le Tribunal administratif a déjà jugé que l'expression "lorsque les circonstances le justifient" n'avait pas de portée véritablement propre (ATA L. du 23 février 1993 et autres; ATA H. H. du 12 décembre 1990; ATA A. du 24 avril 1985). Cette expression ne fait que confirmer la possibilité pour le département de statuer en opportunité dans le cadre de la "Kannvorschrift" que constitue l'article 59 alinéa 4 LCI (ATA H. du 7 novembre 1995).

 

L'autorité est néanmoins tenue d'accorder la dérogation lorsqu'elle se justifie par des circonstances particulières, que notamment elle répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu'elle est commandée par l'intérêt public ou par un intérêt privé auquel ne s'opposent pas un intérêt public ou d'autres intérêts privés prépondérants, ou encore lorsqu'elle est exigée par le principe de l'égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA H. précité).

 

Bien que les juridictions administratives ne puissent pas apprécier librement l'opportunité d'une décision attaquée (art. 61 al. 2 LPA), en tout état de cause, une dérogation ne peut être accordée ou refusée de manière arbitraire (ATA H. précité et la jurisprudence citée).

 

Dans la présente espèce, tant la CCRMC que le tribunal de céans ont procédé à un transport sur place et les préavis ne sont pas unanimes. Cette dernière autorité est donc fondée, en vertu de sa propre jurisprudence, à examiner l'affaire avec un plein pouvoir d'examen.

 

Que ce soit sous la forme réduite à vingt villas déjà construites que sous celle aujourd'hui litigieuse, le projet de la société intimée se caractérise par un urbanisme particulièrement pauvre. Les villas jumelles construites l'ont été en bande le long d'un chemin d'accès, sans la moindre recherche quant à une utilisation judicieuse des surfaces à disposition. Du côté nord, les villas existantes sont déjà fort proches du débouché sur le chemin Charles-Borgeaud et la vie dans les deux maisons supplémentaires projetées sera d'une qualité particulièrement basse, du fait de la proximité avec cette voie publique et du trafic engendré par les autres habitants sur les accès privés, ainsi que du fait également des mouvements propres à des services communaux, comme ceux de la voirie. Le décrochement prévu, débordant sur la voie d'accès, qui sera rétrécie à cet endroit, outre qu'il s'insère mal dans la disposition des constructions déjà existantes, n'est que l'expression des contraintes précitées. Il ne correspond à aucune réflexion sur l'occupation de l'espace. Du côté sud, la situation actuelle permet à cette partie de la zone litigieuse de laisser l'impression d'une certaine respiration. Une pelouse sépare les dernières constructions d'un cordon boisé et serait susceptible d'accueillir des aménagements collectifs, comme le suggère la commune recourante.

 

3. Selon sa jurisprudence constante, à laquelle elle n'entend pas déroger, la juridiction de céans a toujours considéré les préavis communaux, du fait du peu d'autonomie de cette entité en droit genevois, au contraire de ce que connaissent d'autres cantons, comme équivalant aux autres préavis recueillis par l'autorité de décision. Comme ces autres prises de position, il ne lie ni l'autorité exécutive cantonale, ni les autorités judiciaires. Il revient à celles-ci de procéder à une soigneuse pesée des intérêts en présence, l'intérêt public à la densification de la zone villas s'opposant à celui, également public, de procéder à cette densification en observant des standards, à tout le moins minimaux en matière d'occupation de l'espace ainsi densifié, exprimés par l'article 59 alinéa 4 LCI, qui contient les notions de caractère et d'harmonie. Contrairement à plusieurs autres affaires dans lesquelles le tribunal de céans a confirmé des autorisations de construire comportant une densification (cf. not. ATA S.-K. précité), il convient de considérer, en la présente espèce, que l'intérêt public au maintien de l'état actuel de la parcelle l'emporte sur les besoins de densification de la zone villas, même si ces efforts correspondent également à un intérêt public. Pour qu'une autre solution puisse être retenue, il aurait fallu que la société intimée, ou les hoirs dont elle détenait les parcelles, présentent un projet s'harmonisant au caractère du quartier, même si celui-ci est déjà bâti de manière dense au regard des normes concernant la cinquième zone. L'édification des constructions litigieuses est ainsi incompatible avec le développement du quartier considéré et le maintien d'une qualité de vie acceptable en zone de villas. Il faut relever enfin que l'autorisation complémentaire querellée ne s'appuie sur aucune réflexion d'ensemble concernant les parcelles en cause alors même qu'il ressort de l'article 59 alinéa 4 LCI une telle exigence, fondement nécessaire de toute densification possible selon cette norme.

 

4. Le recours sera admis et la décision de la CCRMC du 7 décembre 1999 annulée ainsi que l'autorisation de construire n° DD 94'794/3.

 

5. Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument et la commune d'Onex aura droit à une indemnité de procédure d'un montant de CHF 3'000.-, à la charge de la société intimée, en raison des conclusions qu'elle a prises en ce sens.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 13 janvier 2000 par la ville d'Onex contre la décision de la commission de recours en matière de constructions du 7 décembre 1999;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision de la CCRMC du 7 décembre 1999 ainsi que l'autorisation de construire n° DD 94'794/3;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à la commune d'Onex une indemnité de procédure de CHF 3'000.- à la charge de la société N. Architecte S.A.;

 

communique le présent arrêt à Me Bernard Dorsaz, avocat de la recourante, à la commission de recours en matière de constructions, au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement ainsi qu'à Me Soli Pardo, avocat de la société intimée.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le président :

 

C. Goette D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci