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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/551/2000

ATA/630/2001 du 09.10.2001 ( CE ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ACTION PECUNIAIRE; RESPONSABILITE FONDEE SUR LE DROIT PUBLIC; RESPONSABILITE DU FONCTIONNAIRE; RESPONSABILITE DE L'ETAT; PLAINTE PENALE; DROIT DISCIPLINAIRE; MAGISTRAT; CONSEIL D'ETAT; COLLECTIVITE PUBLIQUE; FRAIS JUDICIAIRES; CE
Normes : LPA.4; LOJ.56F
Résumé : Un magistrat a le droit d'obtenir de l'Etat la prise en charge des frais occasionnés par des procédures pénales dirigées à son encontre pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions (question laissée ouverte pour les procédures disciplinaires).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 9 octobre 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur K.

représenté par Me Martin Schwartz, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur K. a exercé la fonction de procureur de la République et canton de Genève dès le 13 avril 1992 puis, dès le 1er juin 1996, celle de juge d'instruction.

2. En sa qualité de procureur, il a ouvert une enquête préliminaire pour gestion déloyale contre une société appartenant au groupe G.. Cette enquête a été étendue, le 10 novembre 1994, à d'autres sociétés du groupe, en particulier, à la société Compagnie N. d'importation et d'exportation S.A. (ci-après : N. S.A.).

 

3. Pour mener à bien cette enquête, il a mandaté M. C., enquêteur privé, afin de déterminer la réalité de la créance d'un montant de USD 680'000'000.-- dont N. S.A. se prétendait titulaire envers la Fédération de Russie.

 

4. a. N. S.A. a dénoncé M. K. au Conseil supérieur de la magistrature pour violation du secret de fonction et violation de la souveraineté territoriale étrangère et déposé plainte pénale pour violation du secret de fonction, diffamation, faux et usage de faux, service de renseignements économiques, usurpation de fonction, violation de la souveraineté territoriale étrangère, respectivement le 14 mars 1995 et le 3 avril 1995.

 

b. Elle reprochait au magistrat d'avoir confié à un expert, non assermenté, des investigations à son sujet et sur M. G., d'avoir répandu le soupçon que M. G. avait commis des actes de gestion déloyale et d'avoir été requérir des renseignements auprès d'autorités étrangères, notamment à Lisbonne, Moscou et Cannes ce qui lui avait causé un dommage financier considérable.

 

5. Par décision du 30 mai 1995, le Conseil supérieur de la magistrature a considéré que M. K. avait manqué de réflexion dans le choix de la personne et des moyens, mais qu'il n'y avait pas eu de faute disciplinaire.

 

6. La plainte pénale a été classée par ordonnance du procureur général du 16 août 1995, décision confirmée par la Chambre d'accusation le 12 septembre 1995.

 

7. Dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre M. C. et un de ses sous-mandataires, M. W., M. K. a été délié de son secret de fonction par le Conseil supérieur de la magistrature et entendu à plusieurs reprises par le juge d'instruction.

 

8. Le 24 juillet 1998, N. S.A. a requis une inculpation contre M. K. pour abus d'autorité, instigation, voire complicité de soustraction de documents financiers et comptables, instigation, voire complicité de fourniture de renseignements économiques et violation de la souveraineté territoriale étrangère, tentative de corruption active ainsi que faux témoignage, entrave à l'action pénale et instigation à faux témoignage.

 

9. a. Le procureur général a rendu une ordonnance de classement le 30 octobre 1998.

 

b. Cette ordonnance a été annulée le 16 juin 1999 par la Chambre d'accusation qui a retourné le dossier au procureur général en vue de l'ouverture d'une instruction préparatoire contre M. K. pour soustraction d'une chose mobilière, faux témoignage et entrave à l'action pénale.

 

10. a. Le 14 juillet 1999, Me P., alors avocat de M. K., a sollicité de la présidente du collège des juges d'instruction une aide financière pour assurer la défense de son client.

 

b. Cette demande a été transmise au Conseil d'Etat, le 18 août 1999, pour objet de sa compétence.

 

11. Le 15 septembre 1999, Me B. a adressé au Conseil d'Etat une demande similaire.

 

12. Le Conseil d'Etat a répondu à la présidente du collège des juges d'instruction et à Me B. le 29 septembre 1999 que, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, M. K., magistrat, ne dépendait pas de son autorité et qu'aucun budget n'était à disposition. Il ne pouvait dès lors entrer en matière sur la demande.

 

13. a. Le 17 novembre 1999, M. K. a informé le département de justice et police et des transports des accusations portées à son encontre par le groupe G.. Il a requis la déclaration du sinistre à l'assurance responsabilité civile de l'Etat et la confirmation de la prise en charge de ses honoraires d'avocat.

 

b. La X. assurances a fait savoir le 24 novembre 1999 que les frais de défense pénale de M. K. n'étaient pas assurés dans l'assurance responsabilité civile d'entreprises. Le dossier était gardé ouvert dans l'hypothèse où des prétentions civiles seraient émises contre l'Etat.

 

14. a. Conformément à la décision de la Chambre d'accusation du 16 juin 1999, le procureur général a requis la levée de l'immunité de M. K..

 

b. Lors de sa séance du 18 novembre 1999, le Grand Conseil a refusé de lever l'immunité du magistrat.

 

15. Les avocats de M. K. se sont à nouveau adressés au Conseil d'Etat, le 1er mars 2000, pour demander la prise en charge de leurs honoraires par l'Etat.

 

16. Le 10 avril 2000 le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé une nouvelle décision pour des faits qui ne lui étaient pas connus lors de sa première décision et qui avaient été révélés par l'instruction pénale. Il a infligé un blâme à M. K. pour avoir manqué de diligence et de vigilance lors de l'enquête préliminaire et pour ne pas avoir adopté une attitude digne d'un magistrat lors de son audition devant le juge d'instruction.

 

17. Le 19 avril 2000, le Conseil d'Etat a répondu aux conseils de M. K.. Il s'est référé à son précédent courrier du 29 septembre 1999 et estimé qu'il n'y avait pas lieu d'y revenir.

 

18. a. M. K. a interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre cette décision le 18 mai 2000. Il a conclu à l'annulation de la décision du Conseil d'Etat du 16 juin 1999 (recte : 19 avril 2000) et, statuant à nouveau, à la constatation qu'en son principe, les frais occasionnés par le mandat donné à ses avocats devaient être à la charge de l'Etat de Genève. Le Conseil d'Etat ne pouvait pas au nom du principe de la séparation des pouvoirs refuser de prendre en charge ses frais. En sa qualité de magistrat il était un serviteur de l'Etat et le Conseil d'Etat représentait le canton de Genève dans ses relations financières avec lui. Les principes généraux du droit du travail, applicables en tout cas à titre subsidiaire aux relations entre l'Etat et ses serviteurs, impliquaient que l'Etat assume les frais engagés dans l'exécution des tâches confiées. Il avait agi dans le cadre de ses fonctions. En se défendant contre les attaques pénales, il avait préservé les intérêts de l'Etat. Sans une défense énergique, une action en responsabilité civile objective de l'Etat aurait pu être intentée et l'Etat aurait pu lui reprocher sa passivité.

 

b. En complément à son écriture, M. K. a déposé le 31 août 2000 un avis de droit émis par Me P.. Selon cet avis, s'il était exact que M. K. ne dépendait pas hiérarchiquement du Conseil d'Etat et n'avait pas à proprement parler la qualité de fonctionnaire, il faisait partie à l'époque des faits de l'Etat de Genève au sens large. Il existait une obligation de protection de l'Etat à l'égard des personnes qui le représentaient qui impliquait l'obligation pour l'Etat de prendre en charge, en l'absence de toute faute grave, tous les frais de défense raisonnables de M. K. suite aux plaintes pénales dont il avait fait l'objet. Par ailleurs, la compétence appartenait au Conseil d'Etat et non au Conseil supérieur de la magistrature.

 

19. Dans sa réponse du 13 octobre 2000 le Conseil d'Etat a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement, à son rejet. Seule la voie de l'action pécuniaire devant le Tribunal administratif voire d'une action civile devant le Tribunal de première instance étaient ouvertes. Le rejet par une autorité de prétentions à faire valoir par voie d'action judiciaire n'était pas considérée comme une décision en vertu de l'article 4 alinéa 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Cette règle valait a fortiori lorsque l'autorité refusait d'entrer en matière sur de telles prétentions s'estimant incompétente pour en connaître. Par ailleurs, même si la réponse valait décision, il ne s'agissait que de la confirmation de la décision du 29 septembre 1999 qui n'ouvrait pas un nouveau délai de recours. Au fond, il reconnaissait l'existence d'une obligation générale de protection de l'Etat envers les personnes qui le représentaient. Par le passé, il avait déjà accepté de prendre en charge les honoraires d'avocat d'un membre de l'administration cantonale visé personnellement et à tort par une plainte pénale pour des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions. M. K. n'était pas un fonctionnaire mais un magistrat du pouvoir judiciaire qui ne faisait pas partie de l'administration cantonale et n'était pas soumis à l'autorité du Conseil d'Etat conformément au principe de la séparation des pouvoirs. L'obligation générale de protection de l'Etat ne lui était donc pas applicable. Il appartenait au pouvoir judiciaire dont la commission de gestion avait été institutionnalisée de statuer sur le principe et l'étendue d'une éventuelle prise en charge des frais exposés.

 

20. D'entente entre les parties la procédure a été suspendue le 11 janvier 2001.

 

21. Aucun accord n'ayant abouti, un deuxième échange d'écritures a eu lieu. M. K. a répliqué le 6 avril 2001. S'agissant des questions d'irrecevabilité soulevées, sa demande n'était pas de nature pécuniaire. Il avait requis du Conseil d'Etat sa détermination sur le principe de la prise en charge de ses frais. La réponse du Conseil d'Etat était bien une décision. Si tel n'était pas l'avis du Tribunal administratif, il sollicitait la transformation de son recours en une action pécuniaire. Par ailleurs, les réponses du Conseil d'Etat ne remplissant pas les conditions de forme posées, le délai de recours n'avait pas commencé à courir. En tout état, la majeure partie de l'activité de ses conseils était intervenue après la notification da la première décision et avait justifié un réexamen. Enfin, divers contacts avaient eu lieu entre les parties suite à la première décision, laissant penser que le Conseil d'Etat était prêt à reconsidérer sa position.

 

22. Par courrier du 11 avril 2001, le conseil de M. K. a informé le tribunal de céans que la commission de taxation avait refusé de se prononcer sur le montant des honoraires en l'absence de tout litige.

 

23. Le Conseil d'Etat a persisté dans ses conclusions le 10 mai 2001.

 

24. Il ressort des pièces fournies par les parties que l'activité déployée par les avocats de M. K. a débuté le 16 juillet 1999 pour Me B. et le 25 août 1999 pour Me Martin Schwartz.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Le Tribunal administratif est l'autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 56A alinéa 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05). Le recours au Tribunal administratif est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives, au sens des articles 4, 5, 6 alinéa 1, lettre c et 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf exception prévue par la loi (art. 56A al. 2 LOJ).

 

2. Sont considérées comme des décisions au sens de l'article 4 alinéa 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet soit de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), soit de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b), soit encore de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c). En revanche, la déclaration par laquelle une autorité rejette ou invoque des prétentions à faire valoir par voie d'action judiciaire, n'est pas considérée comme une décision (art. 4 al. 3 LPA).

 

En l'espèce, les parties divergent sur la qualification de la réponse du Conseil d'Etat du 19 avril 2000. Pour M. K., il s'agit d'une décision alors que pour le Conseil d'Etat son refus d'entrer en matière ne vaut pas décision, la demande devant être portée par la voie de l'action pécuniaire devant le Tribunal administratif voire de l'action civile devant le Tribunal de première instance.

 

Il convient donc en premier lieu d'examiner si le Conseil d'Etat considère à juste titre que la voie à suivre pour la demande de M. K. est celle de l'action judiciaire.

 

3. Aux termes de l'article 56F LOJ, une action pécuniaire devant le Tribunal administratif est ouverte pour les actions relatives à des prétentions de nature pécuniaire fondées sur le droit public cantonal qui ne peuvent pas faire l'objet d'une décision au sens de l'article 56A, alinéa 2, de la présente loi et qui découlent des rapports entre l'Etat, les communes, les autres corporations et établissements de droit public et leurs agents publics (alinéa 1 let a).

 

4. a. Sont des prétentions de nature pécuniaire, c'est-à-dire appréciables en argent, celles qui tendent directement à l'octroi de sommes en espèces, notamment au paiement de traitements, d'allocations, d'indemnités ou de prestations d'assurances. Rentrent aussi dans cette catégorie les droits qui sont étroitement liés à un rapport juridique appréciable en argent. Le Tribunal administratif est ainsi compétent pour statuer sur une demande en paiement de la réparation financière des désavantages que le fonctionnaire a subis en raison d'une clause illicite de traitement contenue dans l'acte d'engagement (ATF H. du 29 janvier 1987), ou encore une demande de versement d'une allocation complémentaire de vie chère (ATA T. du 26 novembre 1974; ATA W. du 4 mai 1999).

 

b. Ne sont, en revanche, pas des prétentions de nature pécuniaire celles qui ont trait à la création, à l'établissement et à la disparition des rapports de service, à l'obtention d'une promotion ou d'un avancement, aux vacances, à la reconnaissance d'un diplôme, à la réintégration dans une classe de fonction antérieure et à l'évaluation ou à la réévaluation d'une fonction, car alors la prétention a en réalité deux objets, l'un pécuniaire et l'autre de nature différente. Comme l'aspect pécuniaire n'est pas susceptible d'être jugé de manière indépendante de l'autre objet pour lequel l'autorité hiérarchique dispose d'un entier pouvoir d'appréciation, personne ne saurait alors exiger d'elle qu'elle accorde une prestation dont l'octroi est laissé à sa discrétion. Dans ces cas, peu importe en définitive que le litige débouche sur l'allocation d'une somme d'argent, celle-ci apparaissant comme secondaire (ATA D. du 29 mai 2001).

 

En l'espèce les conclusions prises par M. K. visent la reconnaissance du principe de la prise en charge par l'Etat des frais encourus pour sa défense lors des procédures intentées à son encontre. Elles tendent donc implicitement au paiement des honoraires des avocats mandatés dont le décompte figure au dossier. Elles doivent dès lors être considérées comme des prétentions de nature pécuniaire.

 

5. Le Ministère public fait partie du pouvoir judiciaire (art. 1 LOJ). En vertu de l'article 130 de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst. gen. - A 2 00) le pouvoir judiciaire est séparé du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Les magistrats du pouvoir judiciaire sont élus par le corps électoral, tous les six ans (art. 132; 46 Cst. gen.). En cas de vacance dans l'intervalle de ces élections, les postes sont repourvus par le Grand Conseil (art. 2 let. l de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 - B 1 01). La LOJ prévoit les conditions d'éligibilité aux fonctions de magistrat et les cas d'incompatibilités (art. 60ss). Le traitement des magistrats, fixé par le Grand Conseil (art. 83 Cst. gen.), est déterminé par la loi concernant le traitement et la retraite des magistrats du pouvoir judiciaire du 26 novembre 1919 (E 2 40). Avant leur entrée en fonctions, les membres du Ministère public prêtent serment devant le Grand Conseil et promettent ou jurent notamment de remplir leur office avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité (art. 73 al. 3 LOJ).

 

Selon les dispositions légales les magistrats ne sont pas des fonctionnaires mais des membres du pouvoir judiciaire. Ils font ainsi partie des agents de l'Etat au sens large qui comprend non seulement les personnes employées par l'Etat mais aussi celles qui sont membres des organes de l'Etat, les membres des autorités (B. KNAPP, Précis de droit administratif, Bâle, 1991, p. 626, n° 3061, 3062). Il n'est pas contestable que les rapports entre l'Etat et les magistrats relèvent du droit public et que ces derniers sont compris dans le terme d'"agents publics" utilisé à l'article 56F alinéa 1 lettre a LOJ.

 

6. Pour que l'action pécuniaire soit recevable, encore faut-il que la prétention soit fondée sur le droit public cantonal. Se pose dès lors la question de l'existence d'un droit permettant à M. K. de réclamer la prise en charge de ses frais.

 

a. Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté le 13 octobre 1994 la Recommandation n° R (94) 12 sur l'indépendance, l'efficacité et le rôle des juges. Cette Recommandation ne revêt aucun caractère contraignant mais permet de dégager la conception des Etats européens en la matière. Elle invite les Etats membres, dont la Suisse fait partie, à adopter ou renforcer toutes les mesures nécessaires pour promouvoir le rôle des juges et améliorer leur efficacité et leur indépendance (exposé des motifs p. 15). Le principe III préconise la création de conditions de travail adéquates pour permettre aux juges de travailler efficacement. En particulier, le statut et la rémunération des juges devraient être à la mesure de la dignité de leur profession et des responsabilités qu'ils assument (al. 1 let. b). Par ailleurs, toutes les mesures nécessaires devraient être prises afin de veiller à la sécurité des juges, notamment en assurant la présence de gardes dans les locaux des tribunaux ou en faisant protéger par la police les juges qui peuvent devenir ou sont victimes de graves menaces (al. 2). Lorsque des juges ne s'acquittent pas de leurs responsabilités de manière efficace et adéquate ou en cas de fautes disciplinaires, toutes les mesures nécessaires, sous réserve qu'elles ne portent pas atteinte à l'indépendance de la justice devraient être prises. La loi devrait prévoir des procédures appropriées pour que le juge mis en cause bénéficie au moins de toutes les garanties d'une procédure équitable prévues par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par exemple de la possibilité de faire entendre ses arguments dans un délai raisonnable et d'avoir le droit de répondre à toute accusation portée contre lui (principe VI al. 1 et 3).

 

b. La loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40) prévoit que l'Etat est responsable pour les actes illicites ainsi que pour les actes licites, si l'équité l'exige, commis par des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions (art. 1 et 4 LREC). Les lésés ne disposent ainsi d'aucune action directe envers les magistrats afin d'éviter les pressions exercées à leur encontre (Mémorial des séances du Grand Conseil 1987, p. 4065, 4082). Aux termes de l'article 3 LREC l'Etat dispose d'une action récursoire contre les magistrats lorsque le dommage a été causé intentionnellement ou par négligence grave. Cette action est limitée pour ne pas brider l'efficacité des magistrats par une crainte excessive d'engager leur responsabilité personnelle au travers de leur activité étatique (T. TANQUEREL, "La responsabilité de l'Etat sous l'angle de la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989, in SJ 1997 p. 354). Enfin, afin de combattre l'utilisation abusive de la plainte pénale comme moyen de pression sur les magistrats, des poursuites pénales contre les magistrats du pouvoir judiciaire pour les infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions ne peuvent être ouvertes qu'avec l'autorisation préalable du Grand Conseil (art. 5 LREC). La délibération du Grand Conseil a lieu à huis clos, ceci pour permettre que le débat dont l'objet est en partie au moins de mettre les magistrats à l'abri de pressions abusives puisse se dérouler dans la sérénité (Mémorial des séances du Grand Conseil 1989, p. 883).

 

c. Pendant la durée de leur charge, les magistrats sont soumis à la surveillance du Conseil supérieur de la magistrature qui s'assure du bon fonctionnement des tribunaux, et notamment à ce que les magistrats du pouvoir judiciaire exercent leur charge avec dignité (art. 135 Cst. gen.; 75 LOJ), en particulier avec rigueur, assiduité, diligence et humanité (art. 1 de la loi instituant un conseil supérieur de la magistrature du 25 septembre 1997 - LCSM - E 2 20). L'institution d'un Conseil supérieur de la magistrature permet notamment au justiciable qui s'estime lésé de disposer d'une voie de recours efficace (Mémorial des séances du Grand Conseil 1937, p. 790, 1997 p. 6832). Le Conseil supérieur de la magistrature est composé du procureur général, du président de la Cour de justice, de 4 magistrats ou anciens magistrats de carrière du pouvoir judiciaire, de 3 membres désignés par le Conseil d'Etat et de 2 avocats au barreau (art. 2 al. 1 LCSM). Le président ou trois membres peuvent demander la réunion du Conseil au cas où ils auraient connaissance de faits qui pourraient entraîner des sanctions à l'égard d'un magistrat. Le Conseil peut donc s'autosaisir ou être saisi sur plainte (Mémorial des séances du Grand Conseil 1997, p. 6833). Avec l'entrée en vigueur le 27 juin 1998 de la nouvelle LCSM, le Conseil supérieur de la magistrature a une totale liberté pour prendre toutes les sanctions qui s'imposent, de la plus légère à la plus lourde, sans avoir à en référer à une autre instance (Mémorial des séances du Grand Conseil 1997, p. 6817, 6834). Il peut ainsi infliger un avertissement ou un blâme au magistrat en cas de faute dans l'exercice de sa charge ou de comportement portant atteinte à la dignité de la magistrature (art. 6 let. a LCSM), priver de traitement le magistrat pour une durée maximale de six mois en cas de faute grave dans l'excercice de sa charge ou de comportement portant gravement atteinte à la dignité de la magistrature (art. 6 let. b LCSM), destituer le magistrat qui ne remplit plus les conditions d'éligibilité (art. 6 let. c LCSM) ainsi que relever de sa charge le magistrat que l'âge ou la maladie rendrait incapable (art. 6 let. d LCSM). Dans le cadre de la procédure disciplinaire, le magistrat mis en cause et le plaignant doivent être entendus ou dûment appelés. Ils peuvent se faire assister par un avocat (art. 5 al. 4 LCSM).

 

d. Pour faire respecter ses droits le magistrat dispose encore, comme sujet de droit, de certaines actions. En particulier, le magistrat peut en tant que tiers lésé intenter une action en responsabilité contre l'Etat ou demander à l'Etat une indemnisation pour le préjudice résultant de la détention ou d'autres actes de l'instruction accordée à l'accusé qui a bénéficié d'un non-lieu ou d'un acquittement dans la procédure de jugement ou après révision (art. 379 et 380 du code de procédure pénale du 29 septembre 1977 - CPPG - E 4 20). Il peut également obtenir le dédommagement du préjudice subi sur le plan civil par une action en dommages et intérêts (art. 41ss Code des obligations du 30 mars 1911 - CO - RS 220).

e. Il ressort de ce qui précède que la responsabilité du magistrat pour les actes commis dans l'exercice de ses fonctions n'est pas réglée de manière identique sur le plan civil, pénal et disciplinaire.

 

Sur le plan civil, le magistrat ne peut pas être actionné directement par le tiers lésé. Seul l'Etat dispose, par le biais de l'action récursoire, d'une action à son encontre. Le magistrat bénéficie donc d'une entière protection et n'a pas à répondre de ses actes sauf en cas de dommage créé intentionnellement ou par faute grave. A noter qu'en l'espèce M. K. ne peut faire valoir ses prétentions par le biais d'une action en responsabilité contre l'Etat puisqu'il n'apparaît pas comme un tiers, lésé en tant que sujet de droit, d'un acte commis par un magistrat, un fonctionnaire ou un agent.

 

Sur le plan pénal, le magistrat reste soumis au droit pénal sous réserve de la levée de son immunité par le Grand Conseil. Aucune autre intervention de l'Etat n'est expressément prévue lors d'une procédure pénale. Contrairement au cas de l'action civile intentée par un tiers, un magistrat est donc contraint de se défendre personnellement lorsqu'une procédure pénale est ouverte à son encontre. Cette solution n'est pas satisfaisante. Elle ne permet pas de sauvegarder l'indépendance des juges et d'éviter le dépôt de plaintes pénales à des fins uniquement tactiques. Pour répondre à la nécessité de préserver l'indépendance et l'efficacité des juges et de rendre possible l'exercice de leurs tâches avec le moins de contraintes extérieures possibles et sans craindre des poursuites, on ne peut laisser un magistrat assurer personnellement sa défense qui peut se révéler longue et coûteuse. Il convient dès lors de donner au magistrat les moyens de se défendre correctement en s'entourant des conseils d'un avocat. Cette solution va dans le sens du législateur qui, comme on l'a vu, a été soucieux de mettre à l'abri les magistrats de pressions abusives dont ils pourraient être victimes. De même, elle évite qu'un magistrat qui aurait obtenu la levée de son immunité puisse prétendre à l'indemnisation de son préjudice par l'Etat en cas de non-lieu ou d'acquittement sur la base des articles 379 et 380 CPPG alors que le même magistrat dont la levée de l'immunité aurait été refusée ait à suporter seul l'entier de ses frais. La levée de l'immunité n'a pas été instaurée pour empêcher le magistrat de disposer d'une voie de droit mais bien pour prévenir l'utilisation pernicieuse de la plainte pénale. L'Etat doit donc assurer les frais de défense nécessaires d'un magistrat qui fait l'objet d'une poursuite pénale pour des actes commis dans l'exercice de ses fonctions.

 

En cas de procédure disciplinaire, la situation est encore différente. Cette procédure est destinée à surveiller l'activité des magistrats et à exercer un contrôle disciplinaire. Le Conseil supérieur de la magistrature a la compétence pour prononcer différentes sanctions selon la faute commise par le magistrat. Comme la plainte pénale, la dénonciation au Conseil supérieur de la magistrature peut néanmoins être détournée de son but et servir à empêcher un magistrat d'exercer librement sa tâche. Si certaines situations peuvent donc amener à se poser la question d'une prise en charge par l'Etat des frais encourus lors d'une telle procédure, celle-ci doit en tout cas être refusée lorsque le Conseil supérieur de la magistrature reconnaît l'existence d'une faute et prononce une sanction contre le magistrat mis en examen.

 

En conclusion, la prise en charge des frais survenus lors de procédures dirigées contre un magistrat par l'Etat découle du devoir de protection de celui-ci à l'égard des magistrats et doit être reconnue pour la procédure pénale voire pour la procédure disciplinaire.

 

7. La voie de l'action pécuniaire est donc ouverte à M. K. pour faire valoir ses prétentions et la présente demande doit être déclarée recevable.

 

8. Il convient désormais d'examiner si la prise en charge par l'Etat des frais du demandeur occasionnés par le mandat donné à ses avocats est justifiée dans le cas d'espèce.

 

Le demandeur a été impliqué dans plusieurs procédures. Tout d'abord, il a fait l'objet, d'une part, d'une dénonciation auprès du Conseil supérieur de la magistrature qui n'a abouti à aucune sanction et, d'autre part, d'une plainte pénale qui a été classée. Par la suite, le demandeur a été entendu par le juge d'instruction dans le cadre d'une procédure pénale ouverte contre MM. C. et W.. Suite à une deuxième plainte pénale déposée à son encontre, la Chambre d'accusation a annulé l'ordonnance de classement rendue par le procureur général et a requis l'ouverture d'une instruction préparatoire. Le Grand Conseil a toutefois refusé la levée de l'immunité du demandeur. Enfin, une procédure disciplinaire a été ouverte au terme de laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé un blâme contre le demandeur.

 

Le tribunal de céans relève que selon le décompte de l'activité des avocats, objet de la présente procédure, celle-ci n'a débuté que le 16 juillet 1999 pour l'un et le 25 août 1999 pour l'autre, soit postérieurement à l'ordonnance de la Chambre d'accusation requérant l'ouverture d'une instruction préparatoire. Leur activité s'est donc déployée dans le cadre de la procédure pénale qui a conduit à une demande de levée de l'immunité du demandeur devant le Grand Conseil et de celle devant le Conseil supérieur de la magistrature.

S'agissant de la procédure relative à la levée de l'immunité, celle-ci doit être considérée comme faisant partie de la procédure pénale et justifie la présence d'un avocat. Le demandeur qui n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale a donc droit à la prise en charge par l'Etat des frais nécessaires engendrés par cette procédure.

 

Dans le cadre de la procédure disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature a retenu différents manquements de la part du demandeur et prononcé un blâme. Vu la reconnaissance d'une faute par le Conseil supérieur de la magistrature, le demandeur ne peut prétendre à aucune prise en charge par l'Etat des honoraires d'avocat relatifs à cette procédure.

 

9. Vu ce qui précède le dossier sera retourné au Conseil d'Etat afin qu'il fixe le montant des honoraires d'avocat du demandeur afférents exclusivement à la procédure pénale et fixés selon le tarif usuel, conformément à la loi sur la profession d'avocat (E 6 10).

 

10. Aucun émolument ne sera perçu. Une indemnité de CHF 5'000.- sera allouée au demandeur à la charge du Conseil d'Etat.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable l'acte du 18 mai 2000 déposé par Monsieur K. contre le Conseil d'Etat en tant qu'il est considéré comme une action pécuniaire;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

renvoie la cause au Conseil d'Etat pour qu'il fixe le montant des honoraires afférents à la procédure pénale à la charge de l'Etat dans le sens des considérants;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à M. K. une indemnité d'un montant de CHF 5'000.--;

communique le présent arrêt à Me Martin Schwartz, avocat du demandeur, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mme Bonnefemme-Hurni, juges, M. Mascotto, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci