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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/429/2002

ATA/591/2002 du 08.10.2002 ( CM ) , REJETE

Descripteurs : DROITS POLITIQUES; VOTATION; INITIATIVE; COMMUNE; PARLEMENT COMMUNAL; AMENAGEMENT DU TERRITOIRE; ZONE; DECLASSEMENT; CM
Normes : LAC.30 al.1; LAC.36 al.1; LALAT.16 al.3
Parties : BANDERET Chantal / COMMUNE DE THONEX
Résumé : Confirmation de la jurisprudence selon laquelle l'initiative municipale portant sur les "études d'aménagement du territoire communal" (art. 36 let. d LAC) peut concerner les préavis à donner sous forme de délibération par le conseil municipal dans le cadre des modifications des limites de zones (art. 30 al. 1 let. q LAC; art. 16 al. 3 LALAT). Aucune diposition légale ni aucun principe juridique ne s'oppose à ce que la délibération soit prise en application de l'initiative.
En fait
En droit
Par ces motifs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 8 octobre 2002

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame Chantal BANDERET

 

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMUNE DE THÔNEX

représentée par Me François Bellanger, avocat



EN FAIT

 

 

1. L'association des intérêts de Moillesulaz-Foron et Thônex-Nord (ci-après: l'association) a fait aboutir le 25 juillet 2001 la signature d'une initiative municipale intitulée "Halte au bétonnage - Sauvegardons les espaces verts à Thônex" (ci-après: l'initiative), laquelle vise globalement à empêcher la densification des constructions dans le secteur dénommé "communaux d'Ambilly" pendant une durée de quinze ans valant période de moratoire.

 

2. Lors de sa délibération du 23 avril 2002, le Conseil municipal de la Commune de Thônex a décidé d'invalider partiellement l'initiative, en ne laissant subsister comme objet du vote populaire que l'invite faite au Conseil municipal de s'opposer par tous les moyens légaux au déclassement des terrains compris dans la zone des communaux (première partie du troisième volet de l'initiative).

 

Il a relevé en substance que les autres objectifs de l'initiative étaient contraires au droit cantonal ou fédéral, mais que la partie valide était compatible avec la compétence reconnue aux communes pour préaviser des modifications de limites de zones.

 

Cet objet de la délibération a été affiché sur les panneaux officiels de la commune le 30 avril 2002.

 

3. Par acte du 30 avril 2002 posté le 2 mai 2002, Madame Chantal Banderet, citoyenne de la commune de Thônex, a recouru auprès du Tribunal administratif contre la délibération susmentionnée du 23 avril 2002. Elle conclut à ce que soit déclarée invalide la première partie du troisième volet de l'initiative.

 

4. La commune de Thônex a répondu le 14 juin 2002 en concluant au rejet du recours.

 

Les arguments des parties seront repris ci-après en tant que de besoin.

 

 

 

EN DROIT

 

 

 

1. a. Il convient tout d'abord de se demander si la recourante a qualité pour agir, étant donné qu'elle demande au Tribunal de céans de contrôler la conformité du texte valide de l'initiative au droit supérieur, ce qu'elle serait en mesure de faire ultérieurement à l'occasion d'une décision concrète la touchant directement.

 

aa. Un recours dirigé contre une décision ou un acte administratif reconnaissant la recevabilité d'une initiative n'est en principe pas ouvert auprès du Tribunal fédéral, lorsque les griefs soulevés ne concernent pas l'unité de la matière, l'exécutabilité ou l'abus du droit d'initiative, mais le respect du droit fédéral ou des droits constitutionnels. Cela ouvrirait en effet une nouvelle voie de droit pour l'examen de la conformité au droit fédéral qu'effectue déjà le Tribunal fédéral dans le cadre d'un contrôle abstrait de la norme ou lors de décisions d'application (arrêt du Tribunal fédéral du 17 avril 2002, cause 1P.535/2001, consid. 1.2, destiné à la publication). Cependant, lorsque le droit cantonal charge l'autorité compétente de vérifier d'office la conformité de l'initiative aux règles supérieures, "le citoyen dispose d'une prétention à ce que ce contrôle obligatoire soit effectué correctement et à ce que le corps électoral soit dispensé de se prononcer, le cas échéant, sur des dispositions qui paraissent d'emblée contraires au droit matériel supérieur" (ibid. et réf. cit., consid. 1.3). Le recours au Tribunal fédéral est dans ce cas ouvert selon l'article 85 lettre a de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ - RS 173.110). Par ailleurs, la qualité pour agir ne dépend pas d'une atteinte personnelle à un intérêt juridiquement protégé (arrêt précité, consid. 1.5).

 

bb. Ces principes doivent valoir concernant la qualité pour agir devant le tribunal de céans, cette dernière n'étant, sur ce point, pas spécifiquement définie par le droit cantonal.

 

cc. L'article 68C alinéa 3 de la Constitution genevoise du 24 mai 1847 (Cst. gen. - A 2 00) prévoit que le conseil municipal déclare partiellement nulle l'initiative dont une partie est manifestement non conforme au droit si la partie qui subsiste est en elle-même valide.

 

Par conséquent, en application de la jurisprudence susmentionnée, le présent recours doit être déclaré recevable en ce qui concerne la qualité pour agir de la recourante.

 

b. Le délai de recours est de six jours en matière de votations et d'élections (art. 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

 

L'intimée considère que les questions relatives à la recevabilité d'initiatives ne font pas l'objet du champ d'application de l'article 180 de la loi sur l'exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05). Il s'agirait au contraire, en l'occurrence, d'une décision administrative communale contre laquelle le recours serait ouvert directement sur la base de l'article 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ - E 2 05). L'intimée sous-entend ainsi que le délai de recours serait de trente jours (art. 63 al. 1 let. a LPA).

 

La possibilité d'être "dispensé de se prononcer (...) sur des dispositions qui paraîssent d'emblée contraires au droit matériel supérieur", découle directement des droits politiques, comme le souligne la jurisprudence fédérale susmentionnée. Par ailleurs, la jurisprudence rendue par le Conseil d'Etat concernant la recevabilité d'une initiative municipale, avant que le Tribunal administratif ne devienne à son tour autorité de recours en la matière, fixait le délai de recours d'après la lettre c, et non d'après la lettre a de l'article 63 alinéa 1 LPA.

 

Il n'est cependant pas nécessaire de trancher en l'espèce entre ces deux dispositions, la recourante ayant en toute hypothèse agit en temps utile. Le Tribunal administratif est par ailleurs l'autorité de recours compétente aussi bien sous l'angle de l'article 180 LEDP que sous celui des articles 56A LOJ, et 85 et 86 alinéa 1 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05).

 

2. De manière générale, une initiative populaire cantonale ne doit rien contenir qui viole le droit supérieur, qu'il soit cantonal, intercantonal, fédéral ou international (cf. ATF 124 I 107 consid. 5b p. 118/119). L'autorité appelée à statuer sur la validité matérielle d'une initiative doit en interpréter les termes dans le sens le plus favorable aux initiants. Lorsque, à l'aide des méthodes reconnues, le texte d'une initiative se prête à une interprétation la faisant apparaître comme conforme au droit supérieur, elle doit être déclarée valable et être soumise au peuple. L'interprétation conforme doit permettre d'éviter autant que possible les déclarations d'invalidité. Lorsque seule une partie de l'initiative apparaît inadmissible, la partie restante peut subsister comme telle, pour autant qu'elle forme un tout cohérent et qu'elle puisse encore correspondre à la volonté des initiants (ATF 125 I 227 consid. 4a p. 232; 124 I 107 consid. 5b p. 117; 121 I 334 consid. 2a p. 338 et la jurisprudence citée).

3. Aux termes de la délibération litigieuse, la partie valide de l'initiative demande que le Conseil municipal de la commune de Thônex préavise négativement tout projet de déclassement des terrains compris dans la zone des communaux d'Ambilly.

 

La première invite de l'initiative ("...prendre une délibération ayant pour objet l'obtention d'un moratoire de quinze ans visant tous projets de construction sur la zone dite des communaux d'Ambilly...") est la seule à fixer la durée de la politique souhaitée par les initiants. La troisième invite ne fait mention d'aucun délai. Cependant, sauf à soutenir que cette dernière vise une opposition d'une durée indéterminée à tout déclassement, il paraît logique de considérer que la durée de quinze ans susmentionnée vaut pour toutes les invites de l'initiative. C'est aussi l'avis de la recourante. L'intimée ne se prononce pas sur ce point.

 

4. La recourante conteste qu'il entre dans la compétence du corps électoral d'imposer son point de vue au Conseil municipal en matière de changements de zones, par le biais d'une initiative.

 

a. Les électeurs d'une commune disposent du droit d'initiative en matière municipale sur les objets définis par la loi (art. 68A alinéa 1 Cst. gen.). L'initiative se présente comme une demande adressée au Conseil municipal en vue de délibérer sur un objet déterminé (art. 68A al. 2 Cst. gen.).

 

L'article 36 alinéa 1 LAC énonce de manière limitative les objets qui, dans les limites des lois fédérales et cantonales, sont soumis au droit d'initiative. A teneur de cette disposition, ce droit peut notamment être exercé sur des "études d'aménagement du territoire communal" (let. d). La liste énumérative des fonctions délibératives exercées par le conseil municipal, prévue à l'article 30 alinéa 1 LAC, ne fait pas mention de la notion d'études d'aménagement du territoire communal (celle-ci n'étant reprise ou définie dans aucun autre texte légal), mais seulement des plans d'utilisation du sol et leurs règlements d'application (let. p), du préavis à donner sur la modification des limites de zones de constructions de la commune (let. q) et du préavis à donner sur les projets de plans localisés de quartier, de plans de sites et leurs règlements, ainsi que sur les projets de plans d'extraction (let.r). Selon la portée que l'on donne à la notion d'études d'aménagement du territoire communal, on peut se demander si le silence de l'article 30 alinéa 1 LAC sur cette notion ne conduit pas à une contradiction interne de la loi, qu'il conviendrait de supprimer en donnant au Conseil municipal la faculté "d'approuver les plans directeurs communaux ou de quartier sous la forme d'une délibération (Thierry TANQUEREL, La participation de la population à l'aménagement du territoire, Lausanne 1988, p. 234).

 

b. La jurisprudence admet que les plans d'utilisation du sol peuvent être assimilés à une étude d'aménagement entrant dans le domaine de l'initiative communale selon l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC (SJ 2001 I p. 258). Plus généralement, elle considère qu'une étude d'aménagement du territoire communal peut s'entendre de la phase préparatoire de l'adoption de plans déployant un effet contraignant pour les autorités ou les particuliers. En pareille hypothèse, l'initiative consiste en une proposition qui s'inscrit dans le cadre plus général de la procédure d'adoption des mesures d'aménagement du territoire incombant à l'autorité compétente. Ainsi en va-t-il d'une initiative concernant la phase préparatoire d'adoption d'un plan d'utilisation du sol, dès lors que pareille démarche ne préjuge pas du résultat de la procédure définitive d'adoption de ce genre de plan et que tant le Conseil municipal que le Conseil d'Etat sont eux-mêmes encore appelés à se prononcer (ACE Comité d'initiative "Sauvons nos parcs" et autres, du 29 juillet 1998).

 

Rappelant ce qui précède, et soulignant en outre qu'il entrait dans les compétences du Conseil municipal de préaviser les projets de modification des limites de zone (art. 16 al. 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LALAT - L 1 30; art. 30 al. 1 let. q LAC), la jurisprudence a plus récemment déclaré qu'il ne saurait par conséquent "être contesté que le droit d'initiative municipale puisse valablement s'exercer dans le cadre des diverses mesures d'aménagement du territoire communal visées par les dispositions précitées, non seulement compte tenu de la lettre claire de l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC mais en fonction également des prérogatives relevant expressément des fonctions délibératives des conseils municipaux au sens de l'article 30 alinéa 1 lettres p, q, et r LAC" (ACE Reusse et autres du 28 juillet 1999, consid. 5d). Dès lors, une initiative demandant au conseil municipal qu'il s'oppose par délibération à un projet de déclassement s'inscrit "indubitablement dans le cadre des études d'aménagement du territoire communal et des modifications des limites de zones de construction de la commune [au sens des art. 36 al. 1 let. d et 30 al. 1 let. q LAC]" (Ibid., consid. 6b). Même si l'on devait rejeter l'idée que la délibération visant un changement de zone corresponde à la notion d'étude d'aménagement du territoire communal, on pourrait se demander "si les objets soumis au droit d'initiative au sens de l'article 36 LAC doivent impérativement correspondre à l'une ou l'autre des fonctions délibératives qu'exercent les conseils municipaux sur la base de l'article 30 alinéa 1 LAC" (Ibid., consid. 7b).

 

Enfin, plus récemment encore, il a été admis qu'une initiative municipale entrait dans le cadre de l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC lorsqu'elle demandait au conseil municipal qu'il sollicite du Grand Conseil la modification des limites de zones, dans la perspective du déclassement d'un certain périmètre. A cette occasion, la jurisprudence a élargi la notion d'études d'aménagement du territoire communal à "la phase préparatoire de la procédure susceptible de mener à des propositions d'élaboration ou de modification d'un plan d'affectation du sol" - et non plus seulement d'un plan d'utilisation du sol (ACE John Perret du 15 décembre 1999, consid. 6d).

 

c. L'évolution de la jurisprudence concernant l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC démontre ainsi une interprétation extensive du concept d'études d'aménagement du territoire communal. On peut cependant se demander si cette évolution a suffisamment tenu compte du fait que cette notion n'existe telle quelle dans aucun texte légal relatif à l'aménagement du territoire et que par conséquent, contrairement à ce qu'affirme l'ACE Reusse et autres précité, on ne saurait s'en tenir à la lettre de l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC pour connaître le contenu précis de cette disposition. Les jurisprudences rendues en la matière se caractérisent d'ailleurs plus par l'interprétation du texte légal que par son application littérale.

 

d. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme, en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé, (interprétation téléologique) ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique - ATF 121 III 413 consid. 4b; 121 V 60 consid. 3b). A cet égard, les travaux préparatoires ne sont pas directement déterminants pour l'interprétation; ils ne sont toutefois pas dénués d'intérêt et peuvent s'avérer utiles pour dégager le sens d'une norme, car ils révèlent la volonté du législateur, laquelle demeure, avec les jugements de valeur qui la sous-tendent, un élément décisif dont le juge ne saurait faire abstraction même dans le cadre d'une interprétation téléologique (ATF 119 II 189 consid. 4b; 117 II 499 consid. 6a). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 248; 117 Ia 331 et les arrêts cités).

 

e. Quant à sa lettre, il est déjà indiqué ci-dessus que l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC n'est pas univoque sur le plan juridique. En revanche, pris séparément, les différents termes de l'expression "études d'aménagement du territoire communal" présentent moins de difficulté. En particulier, l'étude est définie comme le travail qui précède et prépare l'exécution d'un projet (Petit Larousse, Paris 1985). Si l'on prête au législateur un souci d'exactitude, il faudrait, de ce point de vue, considérer qu'il a voulu permettre à l'électorat communal d'amener le conseil municipal à prendre une délibération à la suite de laquelle devraient être entrepris les travaux préparatoires d'un éventuel remaniement du territoire communal.

 

f. L'interprétation systématique de l'article 36 alinéa 1 lettre d LAC qui caractérise les jurisprudences précitées trouve sa limite dans le fait qu'elle a été dégagée de la version de la LAC du 13 avril 1984. Or, le droit d'initiative municipal fondé sur les articles 68A et suivants Cst. gen. a été introduit le 4 juin 1981 dans la LAC du 3 juillet 1954 (ci-après: aLAC), version précédente de la LAC actuelle. Ce droit était alors défini par l'article 28A aLAC de la même manière qu'aujourd'hui à l'article 36 LAC. Les travaux préparatoires de cette disposition-là n'apportent aucune précision sur l'idée du législateur relative à la notion d'études d'aménagement du territoire communal. On peut cependant retenir que "plutôt que d'adopter une clause générale, la Commission [législative chargée d'étudier le projet de loi] a préféré dresser une liste des objets sur lesquels le droit d'initiative pourra s'exercer" (Mémorial du Grand Conseil 1980, p. 156). Cette remarque illustre la volonté de limiter le droit d'initiative à quelques domaines particuliers, ce qui au demeurant correspond à l'article 68A alinéa 1 Cst. gen., selon lequel l'initiative ne peut porter que sur les objets définis par la loi.

 

Dans ces conditions, on peut hésiter à confirmer l'hypothèse laissée ouverte par l'ACE Reusse et autres précité, selon laquelle le législateur aurait entendu donner à l'électorat communal, sans qu'il en soit fait mention dans les travaux préparatoires, la faculté de formuler une initiative sur un objet qui ne serait pas par ailleurs de la compétence du conseil municipal. Il est probable à ce sujet qu'il existe moins une contradiction de la loi, comme le pense T. TANQUEREL (op. cit., p. 234; cf. ci-dessus consid. 3a), qu'une intention mal exprimée du législateur de reprendre à l'article 28A lettre d aLAC, en les réunissant sous une seule appellation, diverses compétences délibératives du conseil municipal en matière d'aménagement du territoire. Il est en effet frappant que le législateur, si précis dans la correspondance terminologique qu'il a établie entre les objets visés aux lettres a), b) c) et e) de l'article 28A aLAC et les fonctions délibératives décrites aux lettres g), h) et j) de l'article 27 aLAC, se soit écarté, avec la notion d'études d'aménagement du territoire cantonal, d'une expression propre à l'article 27 aLAC, comme par exemple celle de "plans d'aménagement et de site".

 

g. Cela étant, si l'on admet que le législateur a indiqué de la sorte ne pas vouloir limiter les "études d'aménagement du territoire communal" à ce dernier objet, il convient encore de déterminer quelles étaient les compétences délibératives du conseil municipal sensées correspondre à l'article 28A lettre d aLAC.

 

Lors de l'adoption de l'aLAC en 1954, l'article 27 prévoyait parmi lesdites compétences "les projets de construction ou de démolition d'immeubles communaux, d'ouverture ou de suppression de chemins ou de rues, de travaux d'utilité publique ou d'embellissement, ainsi que l'expropriation forcée pour cause d'utilité communale" (chiffre 10, devenu par la suite la lettre j). La compétence, prévue au même endroit, de délibérer sur les "plans d'aménagement et leurs règlements établis par le département des travaux publics" a été introduite le 27 juin 1974, dans la perspective du préavis que la commune (soit jusqu'alors uniquement le conseil administratif, le maire ou ses adjoints) était amenée à prononcer sur les projets proposés par l'autorité cantonale (Mémorial du Grand Conseil 1972 pp. 2092 et ss; 1974 pp. 1943 et ss). A cet égard, il ressort clairement des travaux préparatoires qu'à aucun moment, le législateur n'a envisagé qu'une telle délibération puisse constituer autre chose qu'un préavis, comme par exemple une proposition adressée au département des travaux publics d'entreprendre l'étude d'un tel plan. Cette conception de la loi correspond d'ailleurs au fait que les communes ne disposaient alors formellement d'aucune compétence pour initier des études ou pour adopter des plans d'aménagement de quelque nature que ce soit. Ce n'est en effet qu'avec l'entrée en vigueur le 1er juillet 1983 des articles 15A et suivants de la loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LEXT - L 1 40) que les communes se sont vu octroyer leur première compétence décisionnelle en matière d'aménagement (Mémorial du Grand Conseil 1983 p. 1251), et qu'elles ont acquis la possibilité d'initier l'étude d'un certain nombre d'autres plans, et non plus seulement de les préaviser, lors de la modification de plusieurs lois le 29 avril 1993 (Mémorial du Grand Conseil 1991 pp. 3695-3696). Il résulte de cette chronologie que lors de l'adoption de la notion d'études d'aménagement du territoire communal, le législateur ne pouvait avoir à l'esprit une autre compétence du conseil municipal que celle de préaviser des projets élaborés par l'autorité cantonale.

 

Il est enfin intéressant de relever que l'exposé des motifs à l'appui de la révision de l'article 27 lettre j aLAC du 27 juin 1974 (cf. ci-dessus consid. 3g ab initio) concevait l'élaboration d'un préavis comme un travail d'"études" (Mémorial du Grand Conseil 1972 p. 2094). Il n'est pas improbable que ce dernier mot ait eu la même portée dans l'esprit du législateur lors de l'adoption, quelques années après, de l'article 28A lettre d aLAC.

 

On peut conclure de ce qui précède que cette disposition visait indistinctement toutes les compétences du conseil municipal pour préaviser des projets en matière d'aménagement du territoire, soit notamment, à l'époque, les modifications au régime des zones de construction (art. 27 let. r aLAC).

 

Par conséquent, il convient d'interpréter l'actuel article 36 lettre d LAC comme donnant à l'électorat municipal la possibilité de formuler une initiative concernant le préavis à donner lors d'une telle modification (actuel art. 30 let. q LAC).

 

La question de savoir s'il faut confirmer la jurisprudence antérieure affirmant que ce droit s'étend également aux compétences propositionnelles de la commune, n'a pas à être tranchée en l'espèce.

 

5. La recourante émet des considérations sur l'exécutabilité de la partie valide de l'initiative, selon qu'il faille comprendre que l'intimée est invitée à exercer son droit de proposition en vue de l'adoption d'un plan d'affectation du sol, ou à adopter elle-même un plan d'utilisation du sol (ci-après: PUS), ou encore à préaviser des projets de plan d'affectation du sol.

 

a. Selon la jurisprudence, une initiative populaire doit être invalidée si son objet est impossible, car le vote populaire n'a alors aucun sens (ATF 101 Ia 354 consid. 9 p. 365 et les arrêts cités). Une difficulté relative d'exécuter l'objet de l'initiative est insuffisante, car c'est avant tout aux électeurs qu'il appartient d'évaluer les avantages et les inconvénients qui pourraient résulter de l'acceptation de l'initiative (ATF 99 Ia 406 consid. 4c p. 407, 94 I 120 consid. 4b p. 126). Par ailleurs, l'impossibilité doit ressortir clairement du texte de l'initiative; si celle-ci peut être interprétée de telle manière que les voeux des initiants sont réalisables, elle doit être considérée comme valable (Etienne GRISEL, Initiative et référendum populaires, Traité de la démocratie semi-directe en droit suisse, Berne 1997, p. 254). L'impossibilité peut être matérielle ou juridique.

 

b. La partie valide de l'initiative vise clairement la compétence du conseil municipal pour préaviser, durant la phase de consultation, les projets de modification des limites de zones élaborés à la demande du Grand Conseil ou du Conseil d'Etat (art. 15 et 15A LALAT). Le tribunal de céans n'entrera donc pas en matière sur les développements de la recourante qui sortent du strict cadre de cette compétence, discutée ci-dessus (cf. consid. 4).

Le premier volet de la troisième invite n'a pour conséquence que d'imposer au conseil municipal le contenu du préavis qu'il doit de toute manière formuler, sous forme de délibération, lors d'un changement de zone. On ne voit pas en quoi, traduite sous cette forme, la volonté populaire serait inexécutable.

 

Il faut tout d'abord souligner que la partie valide de l'initiative vise simplement à s'opposer à des déclassements, mais ne donne pas aux citoyens la garantie que ceux-ci n'auront pas lieu. Dans cette mesure, les développements de la recourante concernant la violation du principe de la force dérogatoire du droit fédéral ne tiennent pas compte du fait que, la commune n'ayant pas de pouvoir décisionnel en la matière, elle ne saurait commettre une telle violation à travers un préavis. C'est en réalité au Grand Conseil, lors de l'adoption de la loi, qu'il incombe de respecter ce principe. En particulier, l'article 21 alinéa 2 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) exige que les plans d'affectation du sol fassent l'objet des adaptations nécessaires, comme le relève la recourante, mais il n'impose certainement pas aux communes de préaviser favorablement ces dernières - ni à la population qui participe également à la phase de consultation (art. 16 alinéa 2 LAT) de n'émettre que des observations positives. Pour revenir au cas d'espèce, l'intimée, ou ses citoyens, a le droit d'émettre un souhait comme celui de maintenir en l'état une zone peu ou pas construite, quand bien même cela contreviendrait au plan directeur cantonal ainsi qu'à un objectif urbanistique prioritaire. Seule la conclusion qu'en tire le Grand Conseil est déterminante sous l'angle du droit cantonal et fédéral de l'aménagement du territoire.

 

La recourante voit encore une cause d'inexécutabilité de l'initiative sur le plan temporel. Le conseil municipal pourrait n'être pas en mesure de concrétiser l'initiative dans les délais de l'article 36D alinéa 1 LAC (prise en considération et acceptation de l'initiative), dès lors qu'aucun projet de changement de zone ne serait en consultation à ce moment. Il ne paraît cependant pas nécessaire, pour que le conseil municipal décide sous forme de délibération de s'opposer à tout déclassement au sens de l'initiative, qu'un projet concret soit à l'étude. En effet, on ne voit pas quelle disposition légale ni quel principe s'opposerait à ce que l'autorité compétente pour délivrer un préavis puisse décider par avance du contenu qu'elle souhaite lui donner le moment venu. Il appartiendra au surplus au conseil municipal, lors de l'examen de projets concrets de modifications de zone, de s'en tenir à la volonté exprimée par les initiants (ou par le corps électoral en cas de vote populaire) pour la durée fixée par l'initiative.

 

La recourante reproche encore à cette dernière d'une part de conduire à des situations qu'elle qualifie d'inextricables, en prenant pour comparaison les suites d'une initiative adoptée dans la commune de Lancy, et d'autre part le fait qu'en prévoyant des préavis négatifs durant une période de quinze ans, l'initiative priverait l'électorat communal de la possibilité de revenir sur sa décision. Sur ce dernier point, la recourante considère que l'article 33 alinéa 2 LAC empêche d'exercer un référendum contre une délibération négative du conseil municipal.

 

Le tribunal de céans n'entrera pas en matière sur le premier point, qui n'a pas valeur d'argument juridique. En outre, il est en principe dans la nature d'une initiative populaire d'entrainer des débats politiques plus ou moins vifs, y compris après son acceptation. Le fait que ces derniers sont susceptibles de déboucher occasionnellement sur une crise institutionnelle ne saurait cependant être pris en considération pour juger de l'exécutabilité d'une initiative populaire, sauf à en remettre en cause le principe même.

 

S'agissant du second point, la recourante se trompe sur le sens de l'article 33 alinéa 2 LAC, lequel ne fait obstacle au référendum que lorsqu'un objet porté à l'ordre du jour du conseil municipal n'est pas délibéré. En revanche, une décision négative prise sous forme de délibération, et notamment un préavis négatif en matière d'aménagement du territoire, peut faire l'objet d'un référendum (T. TANQUEREL, op. cit., p. 85). Les griefs de la recourante à propos des effets antidémocratiques de l'initiative sont donc infondés: chaque préavis négatif rendu par le conseil municipal à propos d'un dossier concret pourra faire l'objet d'un référendum au sens de l'article 33 alinéa 1 LAC. Au demeurant, les incohérences légales relevées par T. TANQUEREL au sujet du lien entre le délai pour exprimer le préavis et pour faire aboutir un référendum à son encontre (op. cit., pp. 245 et s.) existent indépendamment du fait qu'une initiative municipale soit à l'origine du contenu du préavis.

 

6. Entièrement infondé, le recours devra être rejeté.

 

Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 2 mai 2002 par Madame Chantal Banderet contre la délibération de la Commune de Thônex du 23 avril 2002 concernant l'initiative municipale "Halte au bétonnage - Sauvegardons les espaces verts à Thônex;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.-;

communique le présent arrêt à Madame Chantal Banderet ainsi qu'à Me François Bellanger, avocat de l'intimée.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci