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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/527/2002

ATA/57/2003 du 28.01.2003 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : CERTIFICAT DE BONNE VIE ET MOEURS; PLAINTE PENALE; JPT
Normes : LCBVM.10 al.1
Résumé : Les antécédents judiciaires du recourant ne sont guères compatibles avec la notion d'honorabilité de l'art. 10 LCBVM. Confirmation du bien-fondé de la non-délivrance du certificat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 28 janvier 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur E. S.

représenté par Me Daniel Meyer, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

OFFICIER DE POLICE

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur E. S., né en 1964, citoyen suisse, domicilié à Genève, gérant de fortune de profession, a sollicité de Monsieur l'officier de police l'obtention d'un certificat de bonne vie et moeurs (ci-après : CBVM). Ce dernier lui a été refusé par décision du 7 mai 2002, aux motifs que deux plaintes pénales dirigées à son encontre étaient en cours, la procédure P/15640/2000 (diffamation, calomnie et injures), et la procédure P/13324/1998 (lésions corporelles simples). Ces deux procédure étaient instruites par Madame le juge d'instruction X..

 

M. S. a pris connaissance de la décision de refus ainsi que des motifs y relatifs le 13 mai 2002.

 

Le même jour, il a sollicité la délivrance de l'attestation prévue à l'article 14 de la loi sur les renseignements et dossiers de police et de la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25).

 

2. M. S. a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée par acte du 5 juin 2002.

 

La plainte pénale P/13324/1998 avait été retirée le 28 mai 2002.

 

Quant à la plainte P/15640/2000, elle était manifestement abusive. Elle émanait du premier ministre alors en fonction à l'île Maurice où il avait résidé jusqu'en mars 2000 en vue de conclure des affaires commerciales sur l'île. Le premier ministre avait répandu des propos calomnieux et diffamatoires à son encontre et il s'était déterminé à déposer plainte pour diffamation et calomnie (P/9201/2000). Suite à cette plainte, le premier ministre mauricien avait, à son tour, porté plainte contre lui (P/15640/2000). Dans le cadre de ces plaintes, le Ministère public de Genève avait considéré qu'il y aurait lieu de prendre des sanctions et d'assigner les personnes mises en cause. M. S. apparaissait comme étant la seule véritable victime. La procédure P/15640/2000 était manifestement abusive et dépourvue de tout fondement.

 

Il se justifiait donc de délivrer au recourant le CBVM sollicité.

 

M. S. a conclu à l'annulation de la décision querellée. Il a produit sous chargé différentes pièces dont trois feuilles d'envoi de Monsieur le Procureur Général au Tribunal de police concernant trois personnalités de l'île Maurice.

 

3. Dans sa réponse du 12 juillet 2002, l'officier de police s'est opposé au recours.

 

M. S. était largement connu des services de la police. Il avait fait l'objet de nombreux rapports de renseignements pour divers délits (opposition aux actes de l'autorité, escroquerie, abus de confiance, lésions corporelles, harcèlement sexuel, participation éventuelle à un incendie, vol, infractions à la loi sur la circulation routière). La décision du 7 mai 2002 de refuser de délivrer le CBVM à M. S. était justifiée par le fait que celui-ci faisait l'objet de plaintes réitérées, de plusieurs contraventions et surtout d'une inculpation pour escroquerie et gestion déloyale. Nonobstant le retrait de la procédure P/13324/1998), l'officier de police estimait que M. S. ne remplissait toujours pas les conditions nécessaires pour l'obtention du CBVM. Il ne voulait pas prendre la responsabilité d'attester de la bonne réputation du requérant, compte tenu de l'ensemble des plaintes et des contraventions dont il avait fait l'objet. La pesée des intérêts amenait à la conclusion qu'il n'était pas judicieux de délivrer au requérant un CBVM à ce stade des procédures. L'ensemble des infractions pour lesquelles M. S. avait été entendu par la police étaient suffisamment sérieuses et l'objet de son inculpation (escroquerie et gestion déloyale) suffisamment grave pour entacher la bonne réputation de l'intéressé. Dès lors, l'officier de police a considéré qu'il risquerait en délivrant ce CBVM de donner une fausse idée de l'honorabilité de M. S.. En revanche, il avait délivré à M. S. une attestation selon laquelle il n'avait pas subi, à sa connaissance, de condamnation.

 

4. A la demande de M. S., le Tribunal administratif a autorisé un second échange d'écritures.

 

5. Dans ses observations du 30 août 2002, M. S. a commenté point par point les allégués ténorisés par l'autorité intimée dans ses écritures du 12 juillet 2002 pour arriver à la conclusion que les seules charges qui pesaient contre lui étaient deux infractions, sans gravité d'ailleurs, aux dispositions de la loi sur la circulation routière. Elles ne sauraient toutefois justifier à elles seules la décision de refus entreprise.

 

6. L'officier de police a dupliqué le 30 septembre 2002. Le fait que plusieurs des procédures pénales intentées contre M. S. aient été classées sans suite ne les privaient pas automatiquement de fondement. La décision de classement n'était pas revêtue de l'autorité de la chose jugée. De plus et selon la jurisprudence du Tribunal administratif, le classement de la procédure pénale était irrelevant dans le contexte administratif notamment, le juge administratif n'étant pas lié par une décision qui n'avait pas force de chose jugée (ATA S. du 7 mai 1996). Actuellement, trois plaintes pénales étaient en cours contre M. S.. De plus, il avait fait l'objet d'un nombre impressionnant de contraventions à la loi fédérale sur la circulation routière et le montant des contraventions impayées s'élevait à ce jour CHF 13'000.-.

 

Au vu du dossier, la réputation de M. S. n'était pas intacte et la décision de lui refuser la délivrance d'un CBVM n'était pas disproportionnée.

 

7. Le Tribunal administratif a ordonné l'apport des procédures P/13324/1998, P/9201/2000 et P/15640/2000.

 

- La procédure P/13324/1998 a fait l'objet le 7 octobre 2002 d'une ordonnance de classement du Procureur général.

 

- La procédure P/9201/2000 comporte trois feuilles d'envoi de Monsieur le Procureur Général, dirigées respectivement contre Monsieur D., contre Monsieur R. et contre Monsieur D.. Bien que datant du 14 février 2002, ces feuilles d'envoi n'ont à ce jour pas fait l'objet d'audiences devant le Tribunal de police. Au 2 décembre 2002, aucune audience n'était appointée devant cette instance.

 

- La procédure P/15640/2000 qui a pour objet la plainte pénale de M. D. déposée le 21 novembre 2000 contre M. S. est encore en cours devant le juge d'instruction, celui-ci ayant établi, le 25 octobre 2002, une note aux termes de laquelle "le juge attend que M. D. se manifeste et puisse se déplacer à Genève pour fixer une audience".

 

8. Par attestation du 25 juillet 2002, le corps de police du département de justice, police et sécurité a confirmé au Tribunal administratif que M. S. ne figurait pas au casier judiciaire central, état au 30 avril 2002.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. En vertu de l'article 8 LCBVM, quiconque justifie de son identité et satisfait aux exigences du chapitre 4 LCBVM peut requérir la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs.

 

Le certificat de bonne vie et moeurs est refusé à celui dont l'honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d'une ou de plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s'il s'agit d'un failli inexcusable (art. 10 al. 1 litt. b LCBVM).

Les faits de peu d'importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

 

3. a. L'article 10 alinéa 1 lettre b LCBVM a été introduit dans le but de saisir les comportements pénalement relevants dès leur commission, et de permettre à l'officier de police d'en tenir compte avant la fin de l'instruction pénale et le prononcé judiciaire (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1977, p. 4774; ATA G. du 29 août 2000; C. du 15 octobre 1986; N. du 4 mars 1981). Celui qui a fait l'objet de plaintes, même si elles sont encore à l'instruction, peut faire l'objet, le cas échéant, d'un refus de délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs (ATA S. du 21 novembre 2000 et les références citées).

 

b. Selon la jurisprudence du tribunal de céans, une interprétation littérale de l'article 10 alinéa 2 LCBVM viderait quant à elle l'institution du certificat de bonne vie et moeurs de son sens : elle mettrait le requérant non pas au bénéfice du doute, mais du manque d'information. Elle empêcherait l'officier de police d'apprécier si les faits resteront vraisemblablement et définitivement non établis ou si, au contraire, ils seront susceptibles d'être établis. En revanche, une interprétation qui négligerait le but de l'alinéa 2 porterait une atteinte grave à la liberté individuelle. C'est pourquoi il appartiendra à l'officier de police d'effectuer ses recherches en tenant compte, notamment, de la gravité de l'infraction, de la complexité des enquêtes et des circonstances particulières; il devra, dans un délai raisonnable et après avoir fait une pesée des intérêts en cause, prendre une décision motivée permettant un contrôle judiciaire (ATA P. du 7 août 2001 et les références citées).

 

c. Les dispositions précitées doivent donc être interprétées dans le respect du principe de la proportionnalité qui commande à l'administration de ne se servir que des moyens adaptés au but que la loi vise: d'une part, le moyen utilisé doit être propre à atteindre la fin d'intérêt public recherchée et, d'autre part, il faut qu'il existe un rapport raisonnable entre le but d'intérêt public visé, le moyen choisi pour l'atteindre et la liberté impliquée (A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. 2 p. 109).

 

4. Il convient de préciser également que la décision de l'officier de police porte uniquement sur une mesure administrative et ne préjuge en rien l'affaire pénale en cours. Le grief de violation de la présomption d'innocence ne saurait donc être retenu. Tout au plus, le refus de délivrance du certificat de bonne vie et moeurs pourrait-il constituer un déni de justice en cas de lenteur excessive de l'instruction, ce qui ne saurait être admis in casu, l'instruction de cette affaire ayant débuté au mois d'avril 2002.

 

5. Reste donc à déterminer si, dans le cadre de la liberté d'appréciation qui lui revient, l'autorité intimée a fait bon usage des renseignements pénaux qu'elle a requis.

 

En l'état, deux procédures pénales dans lesquelles le recourant est impliqué sont encore en cours.

 

Elles s'inscrivent dans le cadre d'atteintes à l'honneur. Le tribunal de céans ne peut que constater que les circonstances y relatives sont peu claires, les faits ne sont pas établis et les instructions pénales en cours ne semblent pas prêtes de trouver leur épilogue judiciaire, en raison principalement du fait que les mis en cause, respectivement les plaignants, sont domiciliés sur une île de l'océan indien. Dans ce contexte, on ne saurait soutenir que ces procédures s'opposeraient à elles seules à la délivrance du CBVM.

 

Néanmoins, les antécédents judiciaires du recourant ne sont guères compatibles avec la notion d'honorabilité, à laquelle est subordonnée l'application de l'article 10 alinéa 1 lettre b LCBVM.

 

Le Tribunal administratif a rendu plusieurs arrêts ayant trait à la notion d'honorabilité. Cette notion, uniforme, doit être comprise en rapport également avec les faits reprochés à la personne concernée et à l'activité qu'elle entend déployer, une fois qu'elle aurait été reconnue comme honorable. Une condamnation pénale n'est pas le seul critère pour juger de l'honorabilité d'une personne et le simple fait qu'elle ait été impliquée dans une procédure pénale peut suffire, selon les faits qui lui ont été reprochés, la position qu'elle a prise à l'égard de ceux-ci et l'issue de la procédure proprement dite, à atteindre son honorabilité (ATA V. du 3 décembre 2002 et les références citées).

 

En l'espèce, même si l'on fait abstraction des nombreuses plaintes pénales en lésions corporelles et harcèlement sexuel classées sans suite, voire retirées, restent les multiples infractions et condamnations à la loi sur la circulation routière et le fait, non contesté par le recourant, qu'il aurait, à ce jour, accumulé CHF 13'000.- de contraventions impayées. A cet égard, l'on ne peut assurément pas parler d'un cas de peu de gravité au sens de l'article 10 alinéa 2 LCBVM.

 

Dès lors, et compte tenu de l'ensemble des incidents qui émaille le parcours du recourant et des procédures pénales en cours, on ne voit pas comment l'officier de police aurait pu délivrer le certificat requis.

 

6. En délivrant une attestation selon laquelle M. S. n'avait pas subi de condamnation, l'officier de police a entrepris la mesure qui apparaît la moins incisive au vu des soupçons planant sur le manque d'honorabilité du recourant, tout en étant aussi apte que possible à atteindre le but visé.

 

Fondée et proportionnée, la décision de l'officier de police ne prête par conséquent pas le flanc à la critique. Elle est par ailleurs conforme à la pratique et à la jurisprudence en la matière (ATA P. du 7 août 2001; ATA S. du 21 novembre 2000; ATA G. du 29 août 2000).

 

7. Le recours sera donc rejeté et un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 5 juin 2002 par Monsieur E. S. contre la décision de l'officier de police du 7 mai 2002;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'500.-;

 

communique le présent arrêt à Me Daniel Meyer, avocat du recourant, ainsi qu'à l'officier de police.

 


Siégeants : M. Paychère, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges, M. Mascotto, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président:

 

M. Tonossi F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci