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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1369/2000

ATA/541/2002 du 10.09.2002 ( TPE ) , REJETE

Descripteurs : PERMIS DE CONSTRUIRE; FORET; PROTECTION DE LA SITUATION ACQUISE; PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT; TRAVAUX SOUMIS A AUTORISATION; TPE
Normes : LFEAUX.26 al.4; LFo.10; LFo.11; LFo.12
Parties : VON LEDERSTEGER Thomas et Marie-France, VON LEDERSTEGER Marie-France / COMMISSION DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT
Résumé : Rappel de la notion de garantie de la situation acquise. Non admise en l'espèce dès lors que le bâtiment autorisé en 1956 a disparu en 1992 et qu'il a été reconstruit ultérieurement sans aucune autorisation.
En fait
En droit
Par ces motifs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 10 septembre 2002

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur et Madame Thomas et Marie-France VON LEDERSTEGER

représentés par Me Gérard Brutsch, avocat

contre

 

 

COMMISSION DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur Carl-Thomas von Ledersteger-Falkenegg et Madame Marie-France von Ledersteger-Falkenegg (ci-après : les époux Ledersteger) sont copropriétaires de la parcelle n° 10269 du registre foncier de la commune de Troinex. Cette parcelle est sise à l'angle de la route d'Annecy (au n° 77) et du chemin des Moulins-de-Drize (au n° 1) et elle est classée en cinquième zone A. Le bien-fonds est bâti d'une habitation servant au logement et de deux garages privés, portés au cadastre respectivement sous les n°s 311 ainsi que 310 et 312.

 

2. Le garage porté au cadastre sous le n° 312 est d'une surface de 75 m2 et il est situé dans une boucle de la rivière "La Drize". La construction d'un garage avait été requise par Monsieur Alex Blandin, alors propriétaire de la parcelle, au mois d'octobre 1956. Une autorisation avait été délivrée à l'intéressé le 27 novembre de la même année sous condition notamment que la construction se trouve "en tous points à 6 mètres au minimum de l'axe du ruisseau" et soit démontable. Vu la taille excessive de la construction effectivement réalisée, le propriétaire avait fait l'objet d'une amende le 22 février 1957 et le 26 mars de la même année, le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, appelé alors le département des travaux publics (ci-après : le DAEL) avait renoncé à ordonner la destruction du bâtiment.

 

3. Le 19 mai 1992, ce hangar a été détruit par le feu, selon une attestation établie le 23 juillet 1999 par le service d'incendie et de secours de la ville de Genève à l'attention des époux Ledersteger.

 

4. Après avoir été interpellés par le DAEL, les époux Ledersteger ont déposé une lettre et différentes attestations en date du 4 août 1999. Ils ont soutenu que le garage qu'ils avaient reconstruit l'avait été à l'emplacement exact du hangar détruit par le feu et était d'un volume inférieur.

 

5. Le 16 août 1999, le DAEL a prié les époux Ledersteger de déposer une demande d'autorisation de construire.

 

6. Les intéressés ont déposé une telle demande le 14 octobre 1999.

 

7. Le 8 mars 2000, le DAEL a refusé l'autorisation de construire sollicitée au motif que la distance entre la construction et le cours d'eau "La Drize" était insuffisante, en violation des articles 26 de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (Leaux - L 2 05) dans sa teneur depuis le 24 janvier 1976, et 11 de la loi sur les forêts du 20 mai 1999 (Lforêts - M 5 10).

8. Le 21 mars 2000, les époux Ledersteger ont recouru contre le refus de l'autorisation de construire auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la CCRMC).

 

Le 6 octobre 2000, la CCRMC a entendu les parties ainsi qu'un représentant de la commune de Troinex. Pour ce dernier, la commune avait considéré qu'il s'agissait d'une reconstruction et qu'il était dès lors "logique" de pouvoir rebâtir. Le représentant du département a exposé que l'autorité publique avait pour pratique de ne pas autoriser la reconstruction d'un bâtiment qui disparaissait par incendie, si l'ancienne construction ne respectait pas les distances à limite ou les règles concernant la zone.

 

Le 1er décembre 2000, la CCRMC a rejeté le recours. Le garage se situait à 5 mètres de la rivière et son emplacement n'était donc pas conforme aux limites contenues dans l'article 26 alinéa 4 Leaux. Il était de surcroît implanté à moins de 30 mètres de la lisière d'une forêt, de sorte que la limite contenue dans l'article 11 alinéa premier Lforêts n'était pas non plus respectée. Vu le préavis négatif de la commission des monuments de la nature et des sites du 17 novembre l999 et la note du 18 octobre de la même année de la direction du patrimoine et des sites selon laquelle la construction était sise dans un site protégé, il n'y avait pas lieu de consulter la commission de la diversité biologique sur une éventuelle dérogation au sens de l'article 11 alinéa 2 Lforêts.

 

9. Le 22 décembre 2000, les époux Ledersteger, agissant par le ministère d'un avocat, ont recouru contre la décision précitée. Ils ont exposé notamment que le bâtiment litigieux avait été reconstruit sur la même dalle que le précédent; aucun autre emplacement n'était disponible. Ils concluent à l'annulation de la décision de la CCRMC du 1er décembre 2000 et à l'octroi d'une autorisation de construire conforme à celle requise le 24 septembre 1999.

 

10. Le 26 février 2001, le DAEL a répondu au recours et conclut à son rejet. Le bâtiment litigieux (n° 312), avait été reconstruit sans droit ainsi que l'avait constaté un inspecteur au mois de janvier 1999. Les recourants ne pouvaient se prévaloir de droits acquis, car l'objet précédent n'existait plus. Le précédent hangar, qui avait existé de 1956 à 1992, bénéficiait de la garantie de la situation acquise, ce qui ne pouvait être le cas d'une construction nouvelle.

 

11. Le 4 mai 2001, le tribunal s'est transporté sur la parcelle n° 10269. Les parties ne contestaient ni la distance entre le bâtiment litigieux et "La Drize" qui formait une boucle autour de celui-ci, ni avec le cordon boisé qui entourait ledit bâtiment. À l'intérieur de la nouvelle construction, le recourant a montré au tribunal un muret d'une hauteur de 50 centimètres, qui préexistait et qui avait survécu à l'incendie de 1992. Au moment où le recourant avait acquis la parcelle, ce muret était surmonté d'une charpente qui avait été placée là par des squatters. La dalle, visible, était celle qui existait auparavant et elle n'avait pas été modifiée. L'emprise au sol était donc restée exactement identique à celle du bâtiment qui préexistait à l'incendie et ce point n'était plus contesté par les parties. Sur le côté nord de la construction, on voyait encore un muret et une zone grossièrement dallée, qui prolongeait l'emprise au sol d'environ un mètre et qui datait de l'époque où un bâtiment était exploité comme moulin.

 

Les parties ont reçu deux exemplaires du procès-verbal et ont été invitées à en retourner un signé.

 

12. Sans autres nouvelles de leur part, elles ont été informées le 28 juin 2002 que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Il convient d'examiner tout d'abord si les recourants peuvent se prévaloir de la garantie de la situation acquise ("Besitzstandsgarantie") pour obtenir le droit de reconstruire un bâtiment préexistant.

 

Selon la jurisprudence, la protection des droits acquis en matière de construction - qui permet de maintenir, voire de reconstruire un ouvrage détruit, malgré le changement légal intervenu dans l'intervalle - a une portée restreinte. Elle suppose notamment que le bâtiment considéré soit encore utilisable et ne peut être invoquée pour maintenir un ouvrage démoli ou en faveur d'un bâtiment prêt à s'écrouler ou en ruine (RVJ-2001-64 consid. 3 pp. 64-65). Elle suppose encore que celui qui s'en prévaut agisse dans le cadre de la loi.

 

En l'espèce, il est acquis que le bâtiment qui avait été autorisé en 1956 a disparu en 1992 du fait d'un incendie et qu'il a été reconstruit ultérieurement sans autorisation. Or comme on vient de le constater, le droit de maintenir une situation acquise suppose que le bâtiment originaire est encore utilisable, ce qui n'était nullement le cas. L'hypothèse du maintien d'une ancienne construction, conforme au droit en vigueur à l'époque de sa construction et qui devrait être conservée, n'est donc pas réalisée ici, ce qui prive les recourants du bénéfice de la situation acquise.

 

3. Il faut maintenant examiner si la construction nouvelle, objet du litige, est autorisable. Pour ce faire, il faut déterminer tout d'abord le droit applicable.

 

a. La loi fédérale du 24 janvier 1991 sur la protection des eaux (RS 814.20) ne contient pas de normes ayant directement trait aux limites entre les constructions et les cours d'eaux. Les restrictions sont de droit cantonal et elles sont prévues par la loi cantonale sur les eaux, précitées, dont l'article 26, applicable à la présente espèce, est entrée en vigueur dans sa teneur actuelle le 24 janvier 1996, de sorte qu'aucune question de conflit intertemporel de norme ne se pose.

 

b. Les dispositions réglant le sort des forêts sont tout d'abord de droit fédéral et sont contenues dans la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur les forêts (LFo - RS 921.0), entrée en vigueur le 1er janvier 1993.

 

aa. Selon les articles 10 à 13 LFo, les limites de forêt dans les zones à bâtir au sens de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (RS 700) doivent être fixées sur la base de constatations de la nature forestière des peuplements considérés. L'exécution de la loi revient aux cantons en application de l'article 50 LFo. Selon l'article 17 de cette loi fédérale sur les forêts, les constructions et installations à proximité de la forêt peuvent être autorisées uniquement si elles n'en compromettent ni la conservation, ni le traitement, ni l'exploitation. Il appartient au canton de fixer la distance minimale appropriée qui doit séparer les constructions et les installations de la lisière de la forêt (al. 2). La notion de limite par rapport à la lisière d'une forêt est contenue aussi bien dans en application de l'article 13 b de la loi sur les forêts publiques et privées du 2 juin 1954 (LFPOP - M 5 10), entrée en vigueur le 19 août 1954, que dans celle qui l'a remplacée, soit la loi cantonale sur les forêts du 20 mai 1999, entrée en vigueur le 15 novembre 1999.

 

bb. À teneur de l'article 13B alinéa premier LFPOP, abolie le 15 novembre 1999, la limite à la lisière était de 30 mètres. En dérogation à cette règle générale, le DAEL pouvait dresser des plans fixant l'alignement des constructions et le tracé des chemins, pour autant que la construction projetée ne porte pas atteinte à la valeur biologique de la lisière. Cette possibilité de déroger à la limite générale de 30 mètres, a été maintenue dans la nouvelle loi en son article 11 alinéa premier et le droit nouveau comporte une obligation nouvelle, à savoir la consultation de la commission consultative de la diversité biologique, entrée en fonction au 1er janvier 2000 selon les dispositions transitoires de la nouvelle loi.

cc. Les dispositions cantonales pertinentes étant entrées en vigueur le 15 novembre 1999, soit après la reconstruction litigieuse mais avant le refus de l'autorisation de construire, il convient de déterminer si les normes cantonales sont applicables dans leur teneur actuelle.

 

En matière d'autorisation de police, s'agissant notamment d'autorisation de construire, le droit entré en vigueur en cours de procédure l'emporte sur le droit qu'il remplace lorsqu'il répond à un intérêt public prépondérant (ATA R. du 30 octobre 2000 et les arrêts cités). Comme le tribunal de céans l'a déjà constaté (ATA R. précité), le but d'intérêt public poursuivi par la législation en matière de forêts n'a pas varié et la distance entre la limite des constructions et celle de la forêt, qui est de 30 mètres, n'a pas été modifiée non plus.

 

Vu cet intérêt public poursuivi, la substance inchangée de la norme dont l'application est pertinente dans le présent litige et la jurisprudence du tribunal de céans, le nouveau droit est applicable (ATF n.p. A. du 6 août 2001; ATA R. précité et T. n.p. du 20 juin 2000).

 

4. Selon l'article 26 alinéa 4 Leaux, l'interdiction de construire s'étend sur une profondeur de 10, 30 ou 50 mètres de la limite du cours d'eau.

 

En l'espèce, il avait déjà été relevé en 1956 que la construction se trouvait à moins de 6 mètres de l'axe du ruisseau et toutes les constatations ultérieures, opérées par les autorités administratives et admises expressément par toutes les parties lors du transport sur place, confirment que la distance entre le bâtiment litigieux et le cours d'eau "La Drize", de 5 mètres, est inférieure aux limites légales.

 

Pour ce premier motif déjà, la construction ne peut pas être admise.

 

5. Elle viole également la législation cantonale en matière de forêts, puisque l'article 11 alinéa premier Lforêts contient une distance minimum de 30 mètres entre toute construction et la lisière d'une forêt. Certes, le département peut accorder une dérogation après diverses consultations dont celles de la commission consultative de la diversité biologique. Il faut toutefois, aux termes de l'article 11 alinéa 2 que la construction soit imposée par sa destination (lettre a) ou qu'elle soit de peu d'importance et contiguë au bâtiment principal (lettre b première hypothèse), ou qu'il s'agisse d'une rénovation avec une reconstruction d'une transformation d'une construction existante (lettre b deuxième hypothèse) ou enfin que la construction litigieuse respecte l'alignement fixé par un plan d'affectation pour autant qu'elle se situe à 10 mètres au moins de la lisière de la forêt.

 

En l'espèce, aucune de ces conditions n'est réalisée, de sorte que l'absence de préavis de la commission consultative de la diversité biologique n'a aucune incidence sur le caractère illégal de la construction réalisée par les recourants au regard également des normes protégeant les forêts.

 

6. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté. Ses auteurs, qui succombent, seront condamnés aux frais de la cause, arrêtés en l'espèce à CHF 2'500.-.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 22 décembre 2000 par Madame Marie-France von Ledersteger et Monsieur Thomas Ledersteger contre la décision de la commission de recours en matière de construction du 1er décembre 2000;

 

au fond :

 

le rejette;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 2'500.-;

 

dit que conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il est adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

communique le présent arrêt à Me Gérard Brutsch, avocat des recourants, à la commission de recours en matière de construction ainsi qu'au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.

 


Siégeants : M. Paychère, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, juges, M. Hottelier, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega