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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/473/1999

ATA/506/1999 du 31.08.1999 ( VG ) , ADMIS

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; STATUT; RESILIATION IMMEDIATE; PERIODE DE PROTECTION; VG
Normes : LAC.85
Résumé : Le statut du personnel de la Ville de Genève ne prévoit pas le licenciement avec effet immédiat. Il n'est ainsi pas possible de prétendre qu'une faute particulièrement grave, qu'eût permis un licenciement avec effet immédiat en droit privé, permet de licencier durant une période de protection au sens de l'art. 336C CO, applicable à titre supplétif. Dès lors que le statut des fonctionnaires de la commune ne prévoit pas de licenciement avec effet immédiat, le licenciement en cause, même fondé sur des motifs graves, doit respecter le délai de résiliation ainsi que, par application du CO à titre de droit public communal supplétif, l'article 336 c alinéa 1 lettre b CO qui assorti de la nullité le licenciement intervenant en temps inopportun. Tel est le cas en l'espèce, le licenciement étant intervenu durant la période de maladie de l'intéressé, au sens de l'article précité .
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 31 août 1999

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame R__________

représentée par Me Serge Rouvinet, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL ADMINISTRATIF DE LA VILLE DE GENÈVE

représenté par Me Jean-Charles Roguet, avocat



EN FAIT

 

 

1. Madame R__________, née en 1949, a été nommée le 24 avril 1992 par le Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : le Conseil administratif) au poste d'adjointe de l'office du personnel en qualité de fonctionnaire et cela dès le 1er janvier 1992.

 

Après une période d'essai de trois ans, le Conseil administratif a confirmé la nomination de Mme R__________ au poste d'adjointe du chef de l'office du personnel et ce pour une durée indéterminée.

 

2. Dans le courant de l'année 1996, Mme R__________ a connu des ennuis de santé. Elle a de ce fait été absente pendant plusieurs semaines. Dès le 1er mars 1997, elle a repris son activité professionnelle, dans un premier temps à temps partiel. Depuis cette époque, il semblerait que les relations professionnelles de Mme R__________ sont devenues plus difficiles.

 

3. En date du 20 novembre 1998, Mme R__________ a été retenue une vingtaine de minutes dans le bureau de Monsieur X__________, son chef de service, en charge de l'office du personnel de la Ville de Genève, en présence de Monsieur H__________, sous-chef à l'office du personnel.

 

Suite à cet incident, Mme R__________ a déposé plainte pénale contre MM. X__________ et H__________ pour agression physique, séquestration et menaces.

 

Après avoir entendu les personnes mises en cause, le Procureur Général a classé ladite procédure par décision du 12 mars 1999 (P _____/99).

 

Statuant le 4 juin 1999, la Chambre d'accusation a rejeté le recours déposé contre le classement par Mme R__________.

 

4. Depuis le 23 novembre 1998, Mme R__________ est en arrêt maladie, dûment attesté par certificat médical.

 

5. Le 21 avril 1999, le Conseil administratif a prononcé la résiliation, conformément à l'article 97 du statut du personnel, de l'engagement de Mme R__________, avec effet au 31 juillet 1999.

 

Le Conseil administratif a retenu que le dépôt par Mme R__________ d'une plainte pénale contre ses supérieurs hiérarchiques dans les circonstances du cas d'espèce était grave et inadmissible.

 

Dite décision a été déclarée exécutoire nonobstant recours.

 

6. Mme R__________ a saisi le Tribunal administratif par acte du 21 mai 1999.

 

Préalablement, elle a sollicité la restitution de l'effet suspensif.

 

Sur le fond, elle a conclu à l'annulation de la décision attaquée, faisant valoir notamment que le licenciement était intervenu en temps inopportun, soit dans le délai de protection de l'article 336 c alinéa 1 lettre b CO.

 

7. Le 18 juin 1999, le Conseil administratif s'est déterminé sur la question de l'effet suspensif. Il s'est opposé à la restitution dudit, se référant à la jurisprudence du Tribunal administratif en la matière et notamment à un arrêt D. du 29 mars 1996.

 

8. Le tribunal de céans a entendu les parties lors d'une audience de comparution personnelle le 28 juin 1999.

 

Mme R__________ a précisé qu'elle était fonctionnaire de la Ville de Genève depuis le 1er janvier 1992. Quant à l'arrêt maladie du 23 novembre 1998, il perdurait à ce jour. Un certificat médical daté du 8 juin 1999 attestant d'une incapacité de travail totale dès le 23 novembre 1998 a été versé aux débats.

 

Le Conseil administratif n'a pas contesté ces éléments.

 

9. Un délai a été imparti au Conseil administratif pour se déterminer sur la suite de la procédure, eu égard notamment à l'incapacité de travail de Mme R__________ telle qu'établie ci-dessus.

 

Par courrier du 29 juin 1999, le Conseil administratif s'est étonné de ce que lors de l'audience de comparution personnelle, le Tribunal administratif ait abordé la question de la validité du congé. Il s'agissait là d'un problème de fond sur lequel il n'avait pas encore eu l'occasion de s'exprimer.

 

Ce nonobstant, le Conseil administratif a admis l'application à titre supplétif du Code des obligations. Toutefois, l'application de l'article 336 c alinéa 1 lettre b CO ne faisait pas obstacle à la résiliation immédiate pour justes motifs des rapports de travail. Selon la doctrine, les délais de protection de l'article 336 c CO ne protégeaient le salarié que contre la résiliation ordinaire et non pas contre la résiliation pour justes motifs.

 

Le congé donné à Mme R__________ était donc valide. Le Conseil administratif a persisté dans ses conclusions préalables sur incident, soit le rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif. Pour le surplus, il s'exprimerait sur le fond de l'affaire dans le cadre du délai qui lui avait été imparti au 30 juillet 1999.

 

10. Par décision sur effet suspensif du 12 juillet 1999, le Président du Tribunal administratif a restitué au recours de Mme R__________ l'effet suspensif. Le recours n'était pas dénué de chance de succès, dès lors que le licenciement était intervenu pendant une période d'incapacité totale de travail.

 

Dite décision a été portée au Tribunal fédéral par la Ville de Genève, agissant par la voie du recours de droit public.

 

11. Dans ses écritures sur le fond du 30 juillet 1999, réceptionnées par le greffe du tribunal le 3 août 1999, la Ville de Genève s'est opposée au recours.

 

Le congé donné à Mme R__________ constituait une résiliation extraordinaire des rapports de service, de telle sorte que l'article 336 c alinéa 1 lettre b CO était inapplicable. Il ne devait pas résulter de la particularité de la loi de la Ville de Genève en matière de licenciement de toujours accorder au fonctionnaire un délai de résiliation de trois mois, quelle que soit la gravité du motif invoqué, l'interdiction de mettre fin en tout temps à l'engagement d'un fonctionnaire lorsqu'elle était en présence de motifs graves excluant la poursuite des rapports de service. Or, l'attitude de Mme R__________ depuis sa reprise d'activité au mois de mars 1997, puis l'épisode du 20 novembre 1998, et finalement le dépôt d'une plainte pénale plus de deux mois après les faits sur la base de fausses allégations et dans le contexte qui prévalait devait être qualifiée de raisons particulièrement graves excluant toute poursuite des rapports de service tant avec l'office du personnel qu'avec le reste de l'administration de la Ville de Genève. Les conclusions de Mme R__________ tendant à obtenir la réintégration au sein de l'administration de la Ville de Genève étaient irrecevables. L'article 97 dernier alinéa du statut précisait que le droit du fonctionnaire de demander une indemnité pour licenciement injustifié restait réservé. A l'analyse, la réintégration du fonctionnaire imposable à l'autorité administrative paraissait être l'exception. Comme telle, elle ne saurait être déduite d'une simple interprétation possible d'une loi communale, mais elle devait être prévue expressément. Or, tel n'était pas le cas de l'article 97 du statut.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 8 al. 1 ch. 10 de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai 1970 - LTA - E 5 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Les rapports de travail du personnel de la fonction publique ne sont en principe pas soumis aux dispositions du droit du contrat de travail à l 'exception des articles 331a à 331e du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO - RS 220). Ils sont régis par les dispositions légales et réglementaires de la Confédération, des cantons, des communes ou des corporations de droit public auxquels ils sont soumis (C. BRUNNER, J.-M. BUEHLER, J.-B. WAEBER, Commentaire du contrat de travail, Lausanne 1996, p. 277). Lorsque l'on se réfère par analogie au CO, il s'agit de droit public supplétif et la pratique s'écarte de l'application stricte du droit privé (P. MOOR, Droit administratif, Berne, 1988, vol. II p.263)

 

3. Mme R__________ est soumise au statut du personnel de l'administration municipale du 3 juin 1986 (ci-après : le statut), au sens de l'article 1 du statut.

 

4. L'article 59 du statut a pour objet le droit au traitement en cas d'absence pour cause de maladie ou d'accident non professionnel. Le fonctionnaire reçoit une indemnité pour incapacité temporaire de travail égale à son dernier traitement pendant six mois durant le temps d'essai et pendant 24 mois après le temps d'essai, le tout dans une période de 900 jours consécutifs.

 

5. Selon l'article 97 alinéa 1 du statut, le Conseil administratif peut, pour des motifs graves, licencier un fonctionnaire, moyennant un délai de licenciement de trois mois pour la fin d'un mois. L'alinéa 2 de cette disposition précise que, par motifs graves, il faut entendre toutes circonstances qui, d'après les règles de la bonne foi, font admettre que le Conseil administratif ne peut plus maintenir les rapports de service. Sont notamment considérés comme motifs graves :

 


- la perte de l'exercice des droits civils;

 

- l'incapacité professionnelle dûment constatée;

 

- l'inaptitude dûment constatée à observer les devoirs généraux de la fonction;

 

 


6. Aux termes de l'article 342 CO, les dispositions de droit privé fédéral concernant la résiliation en temps inopportun, soit les articles 336 c et 336 d CO, ne sont pas directement applicables au droit public communal. Il convient de se référer à ces dispositions à titre de droit public communal supplétif (ATA M. du 22 juin 1999 et la jurisprudence citée).

 

7. Selon l'article 336 c CO, après le temps d'essai, l'employeur ne peut pas résilier le contrat pendant une incapacité de travail totale ou partielle résultant d'une maladie ou d'un accident non imputables à la faute du travailleur, et cela, durant 30 jours au cours de la première année de service, durant 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service et durant 180 jours à partir de la sixième année de service (al. 1 litt. b).

 

Le congé donné pendant une des périodes prévues à l'alinéa précédent est nul; si le congé a été donné avant l'une de ces périodes et que le délai de congé n'a pas expiré pendant cette période, ce délai est suspendu et ne continue à courir qu'après la fin de la période (al. 2). Lorsque les rapports de travail doivent cesser à un terme, tel que la fin d'un mois ou d'une semaine de travail, et que ce terme ne coïncide pas avec la fin du délai de congé qui a recommencé à courir, ce délai est prolongé jusqu'au prochain terme (al. 3).

 

8. En l'espèce, la recourante a été en incapacité de travail dès le 23 novembre 1998. Elle l'était encore le 21 avril 1999, soit lorsque son licenciement a été prononcé. D'après le CO, lorsque le congé a été donné pendant une incapacité de travail résultant d'une maladie ou d'un accident non imputable à la faute du travailleur et que le délai de congé n'a pas expiré pendant cette période, le délai est suspendu et ne commence à courir qu'après la fin de la période. Si le terme ne coïncide pas avec la fin du délai de congé, ce délai est prolongé jusqu'au prochain terme (art. 336 c al. 1 let. b, al. 2 et al. 3 CO). In casu, le délai de protection est de 180 jours dès lors que la recourante est au service de la Ville de Genève depuis plus de cinq ans. Le délai de protection arrive donc à échéance le 23 mai 1999.

 

Le statut ne contient qu'un seul mode de résiliation de l'engagement d'un fonctionnaire, à savoir celui de l'article 97. C'est dire que dans tous les cas la résiliation de l'engagement ne peut intervenir que pour motifs graves, moyennant un délai de licenciement de trois mois pour la fin d'un mois. Ainsi, et contrairement à la thèse soutenue par l'autorité intimée, le licenciement, fût-il fondé sur des motifs graves, est le mode de résiliation ordinaire à l'administration municipale. A cet égard, l'argumentation de l'autorité intimée en tant qu'elle cherche à faire un parallèle entre les dispositions légales applicables aux fonctionnaires communaux et celles qui sont applicables aux fonctionnaires cantonaux n'est pas pertinente. Pour ces derniers, l'article 23 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) marque précisément la différence entre le licenciement pour raisons graves avec délai de résiliation de trois mois et le licenciement fondé sur des raisons particulièrement graves avec effet immédiat. Or, tel n'est précisément pas le cas en matière de fonction publique communale et en particulier pour les fonctionnaires de la Ville de Genève. Rien ne s'oppose à l'application des règles générales du CO à titre de droit supplétif et cela conformément à la jurisprudence du Tribunal administratif en la matière, encore récemment confirmée (ATA H. du 26 janvier 1999).

 

Selon l'autorité intimée, la protection du CO ne couvre pas la résiliation en temps inopportun au congé donné pour justes motifs. Outre, qu'eu égard à ce qui précède, le congé pour justes motifs est en l'espèce un congé ordinaire, le Tribunal administratif a jugé qu'un licenciement donné pour raisons particulièrement graves - la fonctionnaire avait fait croire à son employeur qu'elle suivait un traitement médical alors que tel n'était pas le cas - pendant une période de maladie intervenait en temps inopportun et était nul (ATA H. précité).

 

Il résulte de ce qui précède que le licenciement prononcé le 21 avril 1999 est intervenu en temps inopportun au sens de l'article 336 c alinéa 1 lettre b CO de sorte qu'il est nul (art. 336 c al. 2 CO; ATA M. du 22 juin 1999).

 

9. Pour cette raison, le recours sera admis.

 

Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, à la charge de la Ville de Genève.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 21 mai 1999 par Madame R__________ contre la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 21 avril 1999;

 

au fond :

 

l'admet;

 

constate la nullité du congé du 21 avril 1999;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de la Ville de Genève;

 

communique le présent arrêt à Me Serge Rouvinet, avocat de la recourante, à Me Jean-Charles Roguet, avocat de l'intimé ainsi qu'au Tribunal fédéral pour information.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

le secrétaire-juriste : le vice-président :

 

O. Bindschedler Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci