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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/81/2000

ATA/464/2000 du 09.08.2000 ( FIN ) , REJETE

Descripteurs : IMPOT; COLLABORATION ENTRE AUTORITES; INTERPRETATION ECONOMIQUE; FIN
Normes : CEDH.6; CST.29; CST.30; LCP.332
Résumé : La collaboration entre autorités fiscales cantonales est prévue à l'art. 111 LIFD. Société recourante dépendant totalement d'une autre société, de telle façon que les résultats de la recourante ont pu être fixés artificiellement. Confirmation d'une amende de CHF 495'000.-
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

du 9 août 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

F__________ S.A.

représentée par Me Stanley Walter, avocat

 

 

contre

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE GENEVOISE

 

 

et

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

 



EN FAIT

 

 

1. a. Le 27 mars 1986, un "solicitor" anglais s'est adressé par écrit à M. H__________ pour confirmer la formation d'une société destinée à recevoir d'importantes sommes d'argent en relation avec différents contrats commerciaux en cours de négociation. Les intermédiaires impliqués dans ces contrats étaient connus tant du "solicitor" anglais que de M. H__________ mais ne pouvaient être nommés. Quant à ce dernier, il aurait une "autorité absolue pour engager la société, y compris la faculté de nommer un remplaçant si nécessaire". Il aurait aussi "l'autorité absolue d'effectuer tout paiement aux intermédiaires impliqués dans ces contrats". Il serait rémunéré en fonction des résultats.

 

b. Le 18 avril 1986, une société de droit panaméen nommée FF__________ S.A. (ci-après : FF__________) a été créée. La société avait les plus larges buts, notamment en matière d'activités commerciales. Selon un acte notarié du 7 décembre 1989, la société FF__________ a révoqué les pouvoirs qu'elle avait donnés à la société S__________ et les a transmis à la société Z__________. À la suite d'une assemblé générale extraordinaire des actionnaires qui s'était tenue le 4 décembre 1989 à Genève, en présence notamment de M. R__________, muni de toutes les actions au porteur et présidée par ce dernier. Il ressort encore des pièces du dossier que notamment au mois de février 1986, alors que la société FF__________ n'était pas encore créée ainsi qu'aux mois d'octobre 1987 et mars 1989, M. R__________ signait différents engagements simultanément en tant que fondé de pouvoir de FF__________ par le biais de S__________ ainsi que pour la société anonyme F__________ S.A. (ci-après : F__________).

 

2. a. Entre-temps, soit le 1er avril 1986, un notaire pour le district de Lausanne a instrumenté la constitution de F__________ au capital de CHF 100'000.--. L'un des fondateurs était M.  R__________, domicilié dans le canton de Vaud, porteur d'une action; il a été nommé administrateur lors de la constitution de la société, M. H__________, domicilié dans le canton de Vaud, étant nommé directeur.

 

b. Le 8 avril 1986, la société a été inscrite au journal du Registre du commerce du canton de Genève, la publication correspondante étant faite dans la Feuille officielle suisse du commerce le 22 du même mois. Seuls les précités R__________ et H__________ étaient autorisés à engager la société dont le but était, à teneur des statuts adoptés le premier avril 1986 également, "l'ingénierie et les services financiers et toutes opérations de commerce international ainsi que le commerce international de matières premières et de produits industriels; la société pouvait prendre des participations dans des sociétés suisses et étrangères et elle pouvait acquérir tout bien mobilier et immobilier en relation avec son but social; elle pouvait enfin créer des succursales en Suisse et à l'étranger".

 

3. Selon un contrat entre FF__________ et F__________ du 26 mars 1987, la première société devait rémunérer la seconde à hauteur de CHF 15'000.-- par mois pour les services qu'elle lui rendait, somme à laquelle s'ajoutait le remboursement des frais effectifs. Au mois d'octobre 1987, cette rémunération mensuelle a été portée à US$ 30'000.-- selon une lettre de FF__________ à F__________, signée de M. R__________. Le 5 avril 1988, M. R__________ en sa qualité d'administrateur unique de F__________ a modifié le montant des engagements de FF__________ à l'égard de F__________ en les portant à CHF 70'000.-- par mois.

 

4. Le 4 juillet 1990, le dénommé B__________, domicilié à Cologny dans le canton de Genève, s'est adressé par écrit à M. H__________ pour lui rappeler que les fondateurs de F__________ avaient agi à titre fiduciaire pour lui-même et M. H__________. Il avait déjà cédé à ce dernier vingt pour cent du capital de la société et entendait lui vendre la totalité du capital social restant en sa possession. Le 27 juillet 1990, M. H__________ a accepté cette proposition. Le 24 août 1990, M. R__________ s'est adressé à deux cofondateurs de F__________. Malgré le contenu de l'acte de fondation, les fondateurs avaient agi à titre fiduciaire pour MM. B__________ et H__________.

 

5. Le 19 novembre 1990, la division principale de l'impôt fédéral direct de l'administration fédérale des contributions (ci-après : l'AFC) s'est adressée à l'administration cantonale genevoise de l'impôt fédéral direct.

 

a. Une procédure en soustraction au sens de l'article 132 de l'arrêté du Conseil fédéral sur la perception de l'impôt fédéral du 9 décembre 1940 (aAIFD - RS 642.11) pouvait être ouverte contre la société, les indices réunis par l'administration fiscale vaudoise dans le dossier de l'actionnaire paraissaient suffisants pour soupçonner qu'un impôt avait été soustrait par le biais d'une personne morale de droit panaméen.

 

b. Elle lui rappelait un entretien ayant réuni des fonctionnaires du fisc fédéral vaudois et genevois ayant trait à la situation fiscale de la société F__________ au regard de l'aAIFD. Selon une note de la division juridique de l'AFC jointe à cette lettre et datée du 12 novembre 1990, la division juridique ne voyait pas d'inconvénient à ce que des membres de l'administration cantonale vaudoise de l'impôt fédéral direct participent sur territoire genevois à des mesures d'enquêtes (examen des livres, inspection, etc.) dirigées vis-à-vis de la société F__________ et d'autres personnes proches de cette dernière.

 

c. Il ressort en effet du dossier constitué par la commission cantonale de recours en matière d'impôts du canton de Genève (ci-après : la CCRMI) que le 18 juin 1990, l'administration fiscale vaudoise a ouvert une procédure en soustraction d'impôts en application du droit cantonal pertinent et du droit fédéral à l'égard de M. et Mme H__________. Elle a procédé à des reprises pour les périodes fiscales 1987-1988, 1989-1990 et 1991-1992. Elle a repris notamment des crédits enregistrés sur le compte courant de l'intéressé dont l'origine était demeurée injustifiée ou inexpliquée, des versements ordonnés par le Crédit commercial de France (Suisse) S.A. d'ordre de FF__________, des versements d'un tiers en financement de la propriété de l'intéressé à Duly, en provenance également de FF__________, des prestations en faveur du contribuable en provenance d'un tiers sous forme de cession d'actions de F__________, des prestations appréciables en argent de F__________ ainsi que des dividendes non déclarés de cette société.

d. Le 16 octobre 1992, la société Ofisa S.A. (ci-après : Ofisa), de siège à Lausanne, a répondu au nom de M. H__________ à la lettre de l'administration fiscale vaudoise du 21 août 1992. Elle a reconnu différents versements de FF__________. L'intéressé avait remboursé un montant de CHF 700'000.-- à FF__________ en empruntant la somme nécessaire à l'Union de Banques Suisses, le solde des avances devant être couvert par des bonus à recevoir. Copie de la lettre d'Ofisa a été envoyée tant à M. H__________ qu'à M. R__________ et au conseil genevois de F__________.

 

e. Le 14 novembre 1996, l'administration fiscale vaudoise a remis à M. H__________ deux décisions, l'une concernant les impôts cantonal et communal et la seconde concernant l'impôt fédéral direct. S'agissant des impôts vaudois et concernant la seule période de calcul 1987-1988, le montant total encore dû était de CHF 118'170.60 et pour ce qui était de l'impôt fédéral direct, le montant d'impôts encore dû s'élevait à CHF 66'482.--, augmenté d'une amende de CHF 15'000.-- soit, CHF 80'482.--. Selon une décision définitive de taxation et de répartition intercantonale des éléments imposables valables pour la période du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1990, portant sur la période de calcul 1987-1988, le revenu imposable dans le canton de Vaud était de CHF 407'900.--.

 

6. Le 3 janvier 1991, l'administration fiscale genevoise a avisé F__________ qu'elle ouvrait une procédure en soustraction concernant les périodes fiscales 1986, 1987-1988 et 1989-1990 (23, 24 et 25èmes de l'aAIFD). Le contrôle débuterait dans les bureaux de la société le 14 du même mois. Le 1er février 1991, l'administration fiscale genevoise a fixé une entrevue au 18 dans ses propres locaux et le 17 décembre 1991, elle a convoqué une nouvelle réunion pour le 21 janvier 1992 devant porter sur les frais généraux de F__________ et sur la situation de trois sociétés de droit panaméen, à savoir FF__________, FA__________ et FS__________ que cette administration pouvait intégrer à F__________ selon le principe de la transparence fiscale.

 

Le 8 mai 1992, l'administration fiscale genevoise a informé F__________ de l'ouverture d'une procédure de contrôle des déclarations pour les années fiscales 1987 à 1991 conformément aux dispositions de l'article 336 de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre l987 (LCP - D 3 05).

 

7. Le 18 août 1992, l'administration fiscale genevoise s'est adressée au conseil de F__________. Elle entendait procéder aux reprises suivantes :


 

a. Année fiscale 1988 (exercice commercial 1986-1987)

 

19.09.86 versement à l'architecte (villa de CHF 60'000.--

 

M. H__________)

 

13.01.87 versement à M. H__________ par FF__________ CHF 100'000.--

 

31.03.87 reprises sur frais généraux CHF 12'370.--

 

Total reprises CHF 172'370.--

 

 

b. Année fiscale 1989 (exercice commercial 1987-1988)

 

14.05.87 versement à M. H__________ par FF__________ CHF 100'000.--

04.06.87 idem CHF 5'613.--

 

22.06.87 idem CHF 10'000.--

 

07.10.87 idem CHF 6'957.--

 

27.11.87 idem CHF 10'000.--

 

04.12.87 idem CHF 6'700.--

 

15.12.87 idem CHF 6'000.--

 

21.12.87 idem CHF 6'700.--

 

30.12.87 idem CHF 10'000.--

 

31.03.88 idem CHF 250'000.--

 

31.03.88 idem CHF 17'868.--

 

Total reprises CHF 429'838.--

 

 

c. Année fiscale 1990 (exercice commercial 1988-1989)

 

08.07.88 salaire de M. H__________ par FF__________ CHF 200'000.--

 

05.09.88 versement à l'architecte CHF 158'781.--

 

Total reprises CHF 358'781.--

 

 

d. Année fiscale 1991 (exercice commercial 1989-1990)

 

salaire de M. H__________ par FF__________ CHF 450'000.--

 

Total reprises CHF 450'000.--


 

La contribuable était également avertie qu'elle pouvait faire l'objet d'une pénalité et un délai lui a été accordé pour se déterminer.

 

8. Le 28 août 1992, le conseil de F__________ a demandé une prolongation du délai pour répondre.

 

9. Le 19 novembre 1992, l'administration fiscale genevoise a arrêté les éléments imposables concernant F__________, s'agissant des années fiscales 1988 à 1991 de la manière suivante :


 

Vos déclarations Après vérification

 

Année Bénéfice Capital Bénéfice Capital

 

1988 0 100'000 59'617 s/chgt

 

1989 0 100'000 523'746 "

 

1990 73'148 100'000 450'774 "

 

1991 91'248 168'149 541'248 168'149


 

Le montant des impôts éludés s'élevait ainsi à CHF 494'978.-- et une amende du même montant était infligée à l'intéressée.

 

10. Le 18 décembre 1992, le conseil de F__________ a réclamé contre cette décision, les deux sociétés ne pouvant être confondues et FF__________ n'ayant pas servi à dissimuler les bénéfices de F__________, ayant au contraire rémunéré généreusement F__________ pour les services rendus.

 

11. Le 10 mars 1995, l'administration fiscale genevoise a rejeté les réclamations contre les bordereaux rectificatifs 1988, 1989, 1990 et 1991 ainsi que contre le bordereau 1992.

 

12. Le 4 avril 1995, le conseil de F__________ a recouru contre la décision sur réclamation auprès de la CCRMI.

 

13. Le recours portait sur les bordereaux rectificatifs 1988, 1989-1990 et 1991 ainsi que sur le bordereau rectificatif 1992. Enfin, "quoique la décision entreprise ne le mentionnait pas, le recours porterait aussi sur le bordereau 1993 remis le 6 décembre 1994". La décision entreprise n'était pas motivée. La recourante contestait tant le redressement à hauteur de CHF 989'956.-- que l'augmentation à CHF 450'000.-- de "l'assiette 1992". M. H__________ ne participait pas au capital-actions de FF__________. Les actionnaires, inconnus, étaient représentés par "le solicitor" anglais. Ils avaient toutefois confiance en M. H__________. Cette société devait s'occuper des rétrocessions et s'attacher les services de F__________. Cette dernière société appartient à M. B__________ et M. H__________. M. R__________ en est administrateur unique et M. H__________, le directeur. La société genevoise surfacturait ses services à la société panaméenne. De surcroît, M. H__________ recevait directement des revenus de FF__________. Les montants ayant fait l'objet du redressement ne relevaient pas de F__________. Le montage juridique choisi n'était ni insolite, ni adéquat, ni anormal et il n'était pas non plus abusif et il n'avait pas non plus entraîné une notable économie d'impôts. De surcroît, toute la procédure était viciée, fait de la collaboration entre les autorités de deux cantons.

 

14. Le 2 octobre 1995, l'administration fiscale genevoise a répondu au recours.

 

a. Au mois d'août 1992, le fisc avait procédé à diverses reprises pour la perception de l'impôt cantonal genevois. Les éléments imposables avaient été fixés au mois de novembre 1992 de la manière rappelée dans la décision entreprise (cf. chiffre 9).

 

b. Les deux sociétés poursuivaient le même but quoique l'une avait son siège à Genève et l'autre à Panama. Elles étaient toutes les deux dirigées par MM. H__________ et R__________, domiciliés tous les deux dans le canton de Vaud. En effet, M. H__________ était le directeur unique avec signature individuelle de F__________ en même temps qu'il était un mandataire disposant de pouvoirs illimités concernant FF__________. Quant à M. R__________, il était administrateur unique avec signature individuelle de F__________ et administrait de fait FF__________ dont il avait représenté tous les actionnaires en assemblée générale et il agissait en son nom par le biais d'une société procurataire. Les deux sociétés utilisaient les mêmes comptes bancaires comme cela résultait de pièces figurant au dossier et l'activité de la société panaméenne permettait d'éviter à la société genevoise de réaliser un trop grand bénéfice.

 

c. Les contrats entre les deux sociétés étaient parfois signés par la même personne, soit M. R__________, voire modifiés unilatéralement. Les prestations de F__________ à FF__________ étaient indéterminées, la première ayant accordé un prêt sans intérêt à la seconde et ayant accepté de postposer sa créance, selon une déclaration de postposition du 31 mars 1987.

 

d. Sur le plan externe, F__________ avait facturé directement des commissions à verser à des tiers et elle avait notamment payé des frais d'impression de papier en-tête pour FF__________. Enfin, "le solicitor" anglais confondait les deux sociétés dans ses lettres du mois d'août 1990.

 

e. La période de taxation 1993 n'avait pas fait l'objet d'une décision sur réclamation et il ne pouvait donc être recouru à la CCRMI à son sujet. Le recours était irrecevable sur ce point.

 

f. Le droit fiscal fédéral prévoyait la collaboration des différentes autorités fiscales, de sorte que la procédure suivie en l'espèce était parfaitement légale. La forme juridique des relations d'où provenait la matière imposable n'était pas décisive. L'autorité fiscale pouvait se fonder sur la réalité économique lorsque la forme juridique était insolite et n'avait été choisie qu'aux fins d'éluder l'impôt. Il y avait évasion fiscale lorsque la forme retenue était insolite, inadéquate ou anormale et qu'elle n'avait pour but que de faire l'économie d'impôts perçus normalement et que cette voie entraînait effectivement une économie d'impôts à condition d'être admise par le fisc.

 

En l'espèce, la recourante possédait bien une société jumelle de droit panaméen administrée depuis la Suisse, aucune explication satisfaisante n'avait pu être fournie par cette contribuable pour justifier cet état de fait et la voie choisie aurait entraîné une notable économie d'impôts comme l'attestaient les rectifications opérées après le contrôle. La jurisprudence citée par la recourante était inapplicable.

 

15. Le 4 octobre 1995, la CCRMI a transmis à la recourante la réponse de l'administration fiscale genevoise, sans l'autoriser à répliquer. Le conseil de celle-ci le fit toutefois le 11 du même mois et a soutenu derechef que les actionnaires des deux sociétés étaient distincts, que l'activité délictuelle menée par la société panaméenne avait été refusée par la société suisse, que les services rendus par cette dernière avaient été largement payés, tous faits qui s'opposaient à la théorie du fisc.

 

16. Le 12 octobre 1995, la CCRMI a transmis cette réplique à l'administration fiscale genevoise.

 

17. Le 8 mars 1999, la CCRMI a prié l'administration fiscale vaudoise de la tenir au courant de la procédure engagée à l'encontre de M. H__________.

 

18. Les 12 et 19 mars 1999, les parties ont été informées de la démarche de la CCRMI et de la réponse des autorités vaudoises.

 

19. Par une décision rendue le 16 décembre 1999, mais reçue par le conseil de la recourante le 23 du même mois, la CCRMI a rejeté le recours concernant les années fiscales 1988 à 1992 et l'a déclaré irrecevable pour le surplus, mettant à la charge de la recourante un émolument de CHF 4'000.--.

 

La CCRMI a examiné le sort qu'il convenait de réserver à trois rapports internes de l'administration et a considéré qu'il ne s'agissait pas de véritables procès-verbaux et les a ainsi écartés de la procédure. Quant à la question de la collaboration entre les autorités fiscales, elle était réglée par l'article 81 aAIFD puis par les articles 111 et 190 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD - RS 642.11), entrée en vigueur le 1er janvier 1995 (cf. RO 1991 1184). L'administration fiscale genevoise avait soumis à un contrôle détaillé les déclarations de la recourante en application de l'article 336 de la LCP. Le contrôle avait conduit à un rappel d'impôts au sens de l'article 340 LCP lorsque les déclarations remises étaient inexactes ou incomplètes. Sur le fond, les prestations de toute nature fournies gratuitement à des tiers ou à des actionnaires d'une société étaient considérées comme bénéfice net imposable de cette dernière. Il s'agit de prestations appréciables en argent, selon la jurisprudence en matière d'impôt fédéral direct. Les prestations faites par une société non seulement à une personne physique mais aussi à une autre personne morale peuvent entrer dans cette notion de même qu'une libéralité intervenue entre sociétés faisant partie d'un même groupe. De telles prestations appréciables en argent doivent être également imposées lorsqu'elles sont distribuées directement à l'actionnaire ou à des personnes le touchant de près.

 

La CCRMI a estimé que l'administration avait procédé à des reprises portant pour l'essentiel sur les prestations en argent de FF__________ au profit de M. H__________, directeur salarié et actionnaire de F__________. La CCRMI a retenu en outre que les deux sociétés avaient été constituées presque simultanément en 1986, que leurs buts se confondaient, que M. H__________ pouvait engager la recourante et également la société panaméenne alors que M. R__________ était l'administrateur unique de la recourante et administrateur de fait, de même que de droit - par l'intermédiaire d'une autre société - de la société panaméenne. Enfin, M. H__________ était fondateur et actionnaire de la recourante. Les comptes bancaires des deux sociétés se confondaient et le conseil anglais de FF__________ les confondait également en août 1990. La rémunération versée par FF__________ à F__________ avait permis d'éviter que le bénéfice imposable de cette dernière soit trop élevé et elle avait encore prêté une somme à la recourante avant même d'être constituée et ceci sans intérêt, ni garantie. De même qu'elle avait accepté de postposer une créance. Les deux sociétés n'avaient donc pas une indépendance réelle l'une envers l'autre et l'ensemble des reprises effectuées était parfaitement justifié. Sur la question de l'amende, la CCRMI a estimé que celle-ci était modérée au regard du montant de l'impôt éludé.

 

20. Le 21 janvier 2000, le conseil de F__________ a recouru contre la décision de la CCRMI. Il conclut à son annulation. Le redressement opéré en CHF 989'956.-- était intégralement contesté, de même que la fixation de l'assiette 1992 à CHF 450'000.--. La société genevoise ne pouvait se voir attribuer les activités de la société panaméenne.

 

a. M. H__________ avait travaillé dans un groupe international jusqu'en 1986, ce qui lui avait permis de participer à un montage avec des personnes originaires de Tanzanie de manière à ce que ce pays reçoive du pétrole payé par l'exportation de café. Une partie de l'activité "occulte" consistait à recevoir le produit de la corruption des fonctionnaires tanzaniens, activité gérée par l'intéressé au travers de FF__________. Selon la recourante, cette activité tombait en Suisse sous le coup de l'article 288 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.O).

 

b. F__________ n'assumait qu'une activité administrative liée à la bonne exécution des contrats pétroliers en Tanzanie, activité assumée dans les locaux de M. R__________.

 

c. Quant à la partie financière de l'opération, elle était conduite par des tiers. M. H__________ avait toute confiance des actionnaires de FF__________, représentés par le "solicitor" anglais. Il avait alors créé F__________ pour organiser l'activité liée aux contrats pétroliers. F__________ aurait dû participer à d'autres activités économiques, ce qui n'avait pas été possible. Elle avait donc vécu de la seule activité de service concernant les cargaisons pétrolières tanzaniennes.

 

d. C'était à tort que le fisc vaudois avait collaboré avec le fisc genevois et la CCRMI n'avait pas écarté des rapports internes contestés puisque ceux-ci n'avaient pas été détruits.

 

e. La recourante considérait que la procédure n'avait pas été régulière au regard de l'article 6 paragraphes 1 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et il fallait l'invalider.

 

f. Au fond, F__________ n'avait rendu que des services parfaitement licites et les autorités genevoises devaient se laisser opposer l'existence d'une société panaméenne. Le redressement n'était pas fondé et moins encore l'amende qui lui avait été infligée.

 

21. Le 9 février 2000, l'administration fiscale genevoise a répondu au recours et conclut à son rejet. Elle avait écarté de son chargé les notes internes litigieuses mais les tenait à disposition du tribunal.

 

22. Le 15 février 2000, la CCRMI a déclaré persister dans les termes et le dispositif de sa décision.

 

23. Le 17 février 2000, le greffe du tribunal a informé les parties que la cause était gardé à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant le Tribunal administratif, le recours contre la décision de la CCRMI est recevable de ce point de vue (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

La société recourante persiste à demander l'annulation d'un bordereau concernant l'exercice commercial 1992, qui n'a pas fait l'objet d'une réclamation avant d'être déféré à la CCRMI (art. 349 al. premier et 351 de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05). Il y a lieu de déclarer le recours irrecevable dans cette mesure.

 

2. La recourante allègue diverses violations de ses droits procéduraux et il convient d'examiner en premier lieu ces griefs.

 

La recourante se prévaut notamment de l'article 6 paragraphes 1 et 3 CEDH. Le paragraphe 3 de cette disposition conventionnelle vise à la protection de l'accusé dans une procédure pénale au sens strict de ce mot et ne saurait donc être invoqué dans le cadre de la présente procédure fiscale (ATF 111 Ia 341 consid. 3d p. 347 et les arrêts cités; Arthur Haefliger, Die Europäische Menschenrechtskonvention und die Schweiz, Berne 1993, p. 176). S'agissant du paragraphe 1 de cette même disposition, il a été admis qu'il s'appliquait également aux litiges considérés comme de droit public, dès lors qu'il fallait comprendre la notion d'obligation de caractère civil dans un sens extensif, sans inclure toutefois les droits et obligations de caractère fiscal, à la seule exception des amendes pour soustraction d'impôts (ATF 119 Ia 311 consid. 2f p. 317; Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI et Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. 2, p. 655). En tout état, la recourante peut se préavaloir des articles 29 et 30 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (RO 1991 2555).

 

En l'espèce, on ne voit guère en quoi la procédure aurait été entachée d'irrégularités. Comme la CCRMI l'a relevé à juste titre, la collaboration entre les autorités fiscales cantonales était déjà prévue par l'article 80 aAIFD et l'est maintenant par l'article 111 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD; RS 642.11). S'agissant de la présence au dossier de l'autorité intimée devant la CCRMI, de documents internes, il faut relever que l'autorité inférieure les a écartés avant de statuer et que le tribunal de céans n'en a même pas eu connaissance, car ils n'ont pas été produits par l'administration fiscale genevoise. Les parties ayant de surcroît en tout temps accès au dossier en application de l'article 44 alinéa 2 LPA, on ne voit guère en quoi l'existence de ces notes internes inconnues de la juridiction de céans constituerait une atteinte aux droits procéduraux de la société recourante. S'agissant enfin de la notification de la décision litigieuse à la recourante le 23 décembre 1999, elle est régulière et il est pour le moins curieux d'y voir une violation d'une quelconque disposition du droit conventionnel ou interne protégeant les droits procéduraux des parties.

 

3. Sur le fond, la société recourante se plaint essentiellement que la juridiction inférieure n'a pas reconnu son indépendance du point de vue du droit fiscal par rapport à la société FF__________. Comme le rappelle notamment la doctrine (cf. Walter RYSER et Bernard ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, Berne 1994, troisième édition, p. 37) le droit fiscal suisse reconnaît l'autonomie des personnes morales même si, économiquement, elles ne sont, par exemple, dominées que par une seule autre personne. Encore faut-il que cette autonomie n'ait pas été voulue en vue d'éluder l'impôt.

 

En l'espèce, il est établi que le dénommé H__________ aurait l'autorité absolue sur une société à crééer et destinée à recevoir d'importantes sommes en relation avec des contrats alors en cours de négociation et qu'au mois d'avril 1986, tant la recourante qu'une société de droit panaméen ont été créées, le prénommé jouant un rôle décisif dans le fonctionnement de ces deux personnes morales comme M. R__________. La complaisance avec laquelle le conseil de la recourante insiste sur le caractère pénal des activités de FF__________ ne convainc pas d'un point de vue fiscal. La question de savoir si les organes de FF__________ commettaient des actes répréhensibles du point de vue du droit pénal suisse peut en effet demeurer indécise. Il n'en demeure pas moins que la société de droit panaméen n'avait pas d'activités économiques qui ne puissent être accomplies par la société recourante d'un point de vue fiscal. Il faut donc admettre qu'elles n'avaient pas d'indépendance économique réelle.

 

4. La construction ainsi réalisée a permis de fixer artificiellement les résultats de la société recourante en modifiant, parfois unilatéralement, la rémunération que lui devait la société FF__________. De même, le prêt accordé par cette dernière à la recourante et sa postposition sont des opérations insolites, permettant également d'influer sur le bénéfice imposable de la société genevoise.

 

5. Ainsi que cela ressort des rectifications opérées par l'administration fiscale genevoise, la forme juridique choisie par les animateurs de la société recourante et de la société FF__________ a permis de réaliser dans un premier temps une importante économie d'impôt et que c'est à juste titre que les revenus tirés par M. H__________ d'une activité prétendument propre ont été réintégrés dans les résultats de la société recourante, de même que d'autres versements dont il a bénéficié directement ou indirectement.

 

6. Selon l'article 332 alinéa 2 de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05), l'autorité administrative se fonde sur la réalité économique sans tenir compte des formes juridiques insolites qui servent à éluder l'impôt lorsqu'elle procède à la taxation.

 

En l'espèce, il faut admettre que la constitution de deux sociétés représente une forme juridique insolite servant à éluder l'impôt, la question de savoir si cette forme juridique pouvait également servir à échapper à des poursuites pénales en Suisse souffrant de demeurer indécise.

 

7. Quoiqu'elle n'y conclut pas expressémeent, il faut admettre que la recourante demande également l'annulation de l'amende d'un montant égal à celui des impôts éludés, soit CHF 494'978.-.

 

A teneur de l'article 340 alinéa 3 LCP, la contribuable peut faire l'objet d'une amende fiscale correspondant au maximum au double de l'impôt éludé lorsqu'elle même ou ses organes ont agi par négligence. En cas de fraude, soit de comportement intentionnel, l'amende fiscale peut s'élever au maximum à dix fois le montant de l'impôt éludé en application de l'article 341 alinéa premier LCP.

 

Selon une jurisprudence constante du tribunal de céans, l'administration jouit d'un large pouvoir d'appréciation lorsqu'elle inflige une amende (ATA A. du 9 août 2000 et les arrêts cités).

 

En l'espèce, il suffit de constater que l'amende infligée à la société recourante n'est que du dixième du montant maximum prévu par la loi en matière de fraude. Eu égard au comportement de ses organes s'agissant tant de l'intensité de l'intention délictuelle, que de la durée dans le temps, et du montant finalement retenu par l'administration fiscale genevoise au titre de l'impôt éludé, la quotité de l'amende est modeste. Elle est d'ailleurs inférieure au maximum de celle prévue en cas de négligence.

 

8. Entièrement mal fondé, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Compte tenu de la nature pécunière de la contestation et de son ampleur, il y a lieu d'arrêter les frais de la procédure à CHF 7'500.-, soit la moitié du montant maximum prévu par l'article 2 alinéa 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (E 5 10.0).

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif :

 

rejette le recours interjeté le 21 janvier 2000 par F__________ S.A. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 16 décembre 1999 dans la mesure où il est recevable;

 

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 7'500.-;

 

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Me Stanley Walter, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'administration fiscale cantonale et à la commission cantonale de recours en matière d'impôts.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci