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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/481/2002

ATA/413/2003 du 27.05.2003 ( CM ) , ADMIS

Descripteurs : COMMUNE; RESILIATION; EMPLOYE PUBLIC; PERIODE DE PROTECTION; PERIODE D'ESSAI; MALADIE; ACTION PECUNIAIRE; SALAIRE; HARCELEMENT PSYCHOLOGIQUE; CM
Normes : LAC.86A; CO.49; CO.333; CO.336A al.2
Résumé : Licenciement d'une membre du personnel communal qui n'a pas encore été nommée fonctionnaire, au motif que la qualité des prestations fournies est insuffisante, malgré une période d'essai prolongée. Le recours contre cette décision est recevable quand bien même le statut du personnel, qui n'est ici pas conforme à l'article 86A LAC, réserve le recours aux seuls cas de licenciement d'un fonctionnaire pour motif grave et de sanctions disciplinaires prononcées par le Conseil administratif. Le statut du personnel de la commune prévoyant l'application du CO à titre de droit public supplétif, l'article 333 CO est applicable à la municipalisation des institutions de la petite enfance. Ainsi, les années passées au service d'une crèche avant sa municipalisation sont prises en compte pour l'application des périodes de protection de l'art. 336c CO. En l'espèce, le licenciement donné pendant l'une de ces périodes de protection, est nul. L'action pécuniaire est subsidiaire aux autres moyens de droit. Elle ne saurait donc avoir pour effet de remettre en cause une décision que son destinataire aurait négligé de contester par les voies de droit qui lui étaient ouvertes et qui est dès lors entrée en force. L'action doit donc être déclarée irrecevable en ce qu'elle concerne les conséquences d'un deuxième licenciement qui n'a pas été contesté. Le CO étant applicable à titre de droit public supplétif, l'action pécuniaire pour tort moral, suite à un harcèlement psychologique indépendant du licenciement, est recevable. Rappel de la notion de harcèlement psychologique ou mobbing. Lorsque le statut du personnel communal ouvre un droit à des indemnités journalières en cas de maladie ou d'accident, ce droit persiste même au-delà de la fin des rapports de travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 27 mai 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame M.

représentée par Me Jean-Pierre Garbade, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMUNE DE V.

représentée par Me David Lachat, avocat



EN FAIT

 

1. a. Madame M., née le 20 mars 1943, a été engagée pour le 1er janvier 1988 par contrat du 25 novembre 1987 par la crèche "Pamplemousse" (ci-après: la crèche) en qualité de cuisinière. La durée hebdomadaire du travail était de 27,5 heures.

 

b. Un nouveau contrat de travail, annulant et remplaçant le précédent, a été conclu le 30 octobre 1998, avec effet au 1er janvier 1999, entre le groupe de coordination mère-enfant, représenté par la crèche, et Mme M.. La fonction de celle-ci est demeurée la même, de même que la durée hebdomadaire de travail.

 

2. Le 27 avril 2000, Mme M. a fait une chute dans la cuisine de la crèche, avec pour conséquence une incapacité de travail; l'accident a été déclaré à la Generali Assurances. Les douleurs persistant à l'épaule droite, une IRM ordonnée par le médecin-traitant de Mme M. a montré une déchirure "partielle" du sus-épineux.

 

3. a. Le 27 juin 2000, le conseil municipal de la commune de V. (ci-après: le conseil municipal) a décidé la municipalisation de l'ensemble des institutions de la petite enfance subventionnées par la commune.

 

La municipalisation entraînait un changement d'employeur: le contrat avec la crèche devait être résilié pour être remplacé par un contrat avec la commune, faisant suite à une postulation librement décidée par les personnes concernées.

 

b. Mme M. a postulé auprès de la commune en date du 12 mai 2001. La commune a confirmé le 28 mai 2001 l'engagement pour le 20 août 2001.

 

c. Par courrier du 29 mai 2001, le groupe de coordination mère-enfant, soit pour lui la crèche, a résilié pour le 18 août 2001 le contrat de travail le liant à Mme M..

 

Le 17 août 2001, un certificat de travail élogieux a été établi pour Mme M. par la directrice de la crèche.

 

4. a. En juin 2001, il a été décidé que Mme M. s'occuperait, dès la rentrée scolaire, du stockage de nourriture pour l'ensemble des institutions, de la préparation de 86 goûters supplémentaires pour les enfants d'autres institutions, etc. Ayant émis des doutes quant à la possibilité d'assumer cette charge supplémentaire, Mme M. a reçu l'assurance de la responsable du service de la petite enfance qu'une évaluation de ce nouveau système serait faite après un mois. La conseillère administrative déléguée a indiqué également que les outils mis à disposition de la cuisinière seraient plus performants, ce qui lui permettrait une plus grande rapidité d'exécution dans son travail.

 

b. Mme M. est entrée en fonction à la commune le 20 août 2001. Elle considère avoir rapidement été confrontée à une surcharge de travail. En outre, l'évaluation susmentionnée des tâches supplémentaires qui lui ont été confiées n'a jamais été effectuée.

 

c. Un entretien individuel d'évaluation a eu lieu le 10 janvier 2002 entre Mme M. et la responsable du service de la petite enfance de la commune. Il en ressort que Mme M. se reposait encore trop sur la direction concernant les charges de la cuisine, dans la mesure où elle ne s'occupait pas de l'ensemble des commandes. De plus, les goûters n'étaient plus confectionnés par elle-même.

 

Un objectif a été posé lors de cet entretien : Mme M. se devait de confectionner elle-même un goûter par semaine pour les 120 enfants des deux crèches.

 

d. Dans le rapport d'évaluation final du 18 février 2002, le service de la petite enfance a relevé que Mme M. ayant été absente pour cause de maladie du 21 janvier au 13 février 2002, l'évaluation de l'objectif précité n'avait pas pu être faite. Le préavis requis pour la nomination en qualité de fonctionnaire (art. 10 du statut du personnel de l'administration municipale de la commune de V., ci-après: le statut) était négatif et une prolongation unique de six mois de la période d'essai était proposée.

 

e. Le 21 février 2002, une nouvelle augmentation des tâches de Mme M. a été décidée dans un colloque auquel elle ne participait pas.

 

f. Par courrier du 4 mars 2002, la conseillère administrative déléguée a informé Mme M. de ce que sa période d'essai était prolongée d'une durée de six mois, conformément à l'article 10 du statut.

 

g. Mme M. a été en incapacité de travail à 100% depuis le 11 mars 2002, selon certificat médical du même jour, confirmé le 27 mai 2002 pour les mois d'avril à août 2002.

 

h. Le 15 mars 2002, le directeur de la crèche a écrit à Mme M.. En l'absence de cette dernière, il avait repris la gestion de la cuisine et découvert plusieurs produits périmés. De plus, il avait constaté que Mme M. ne s'était pas conformée aux instructions reçues pour l'achat du repas de midi de la sortie de luge. De tels faits étaient inacceptables et ne devaient plus se reproduire.

 

i. Le 21 mars 2002, Mme M. a eu un entretien avec le responsable de la gestion administrative du personnel, au cours duquel elle a notamment fait part de son souhait de pouvoir bénéficier d'une retraite anticipée.

 

j. Par courrier du 22 mars 2002 adressé à la conseillère administrative déléguée, Mme M. a fait suite à la lettre du 4 mars 2002 concernant la prolongation de la période d'essai. Elle a relevé la surcharge de travail à laquelle elle avait été confrontée suite aux tâches supplémentaires qui lui avaient été confiées. Elle a également contesté pour l'essentiel les reproches du directeur de la crèche.

 

5. a. Par lettre du 22 avril 2002, faisant suite à l'entretien et au courrier précités, la conseillère administrative déléguée a informé Mme M. que le conseil administratif avait décidé de mettre un terme à son engagement pour le 31 mai 2002, conformément à l'article 8 alinéa 3 du statut. Cette décision était motivée par le fait que la qualité de son travail au sein de la crèche ne s'était manifestement pas améliorée, malgré une période d'essai prolongée. Compte tenu de son absence pour maladie, le délai de résiliation était ajourné au 30 juin 2002 (art. 336c al. 1 litt. b et al. 2 du Code des obligations, du 30 mars 1911 - CO - RS 220). Etant donné les circonstances, l'entretien qu'elle demandait ne semblait plus nécessaire.

 

b. Le 13 mai 2002, Mme M. a contesté le licenciement par l'entremise du SIT, puis, par acte du 23 mai 2002, elle a porté l'affaire devant le Tribunal administratif (cause A/481/2002-CM). Le licenciement avait été prononcé pendant la période de protection de l'article 336c CO, appliqué en conjonction avec l'article 333 CO régissant le transfert des rapports de travail. Il était injustifié ou abusif, au sens de l'article 336 CO, parce qu'elle avait été licenciée alors qu'elle demandait à pouvoir bénéficier d'une retraite anticipée. Enfin, son droit d'être entendue n'avait pas été respecté.

 

c. Un entretien a eu lieu le 29 mai 2002 entre le secrétaire général de la commune et Mme M..

 

Par courrier du même jour adressé à la conseillère administrative déléguée, Mme M. a confirmé sa demande de pouvoir bénéficier d'une retraite anticipée.

 

d. Le 21 juin 2002, Mme M. a reçu du maire de la commune une lettre l'informant que le conseil administratif avait décidé de ne pas entrer en matière sur sa demande de retraite anticipée; en effet, les relations de travail avaient été rompues, ce sur quoi l'exécutif communal n'entendait pas revenir. Par ailleurs, le temps d'activité de Mme M. au sein de l'administration municipale avait été trop court pour qu'elle puisse bénéficier de prestations de préretraite sans créer d'inégalité de traitement manifeste avec d'autres fonctionnaires communaux. Enfin, le versement de l'indemnité de préretraite n'était pas systématique et devait résulter d'un accord du conseil administratif.

 

Le 15 juillet 2002, Mme M., par le biais du SIT, a contesté l'inégalité de traitement invoquée par le conseil administratif, dans la mesure où elle travaillait à la crèche depuis quinze ans. Elle a contesté également le licenciement.

 

6. Bien qu'elle n'ait pas atteint l'âge de retraite de l'AVS, Mme M. est depuis juillet 2002 au bénéfice d'une pension de retraite versée par la caisse d'assurance du personnel de la Ville de Genève et des Services Industriels de Genève (ci-après: CAP).

 

7. a. Un avocat s'est constitué le 22 juillet 2002 pour Mme M..

 

Par courrier du même jour adressé à l'avocat de la commune, il a réclamé le paiement - par la commune ou l'assureur de celle-ci - des indemnités perte de gain prévues par l'article 43 du statut.

b. Le 19 août 2002, la Nationale Suisse Assurances, auprès de qui la commune avait conclu une assurance collective perte de gain, a indiqué que l'incapacité de travail de Mme M. se prolongeant au-delà du 30 juin 2002, date de son licenciement, elle continuerait à bénéficier des prestations de l'assurance collective de la commune pendant 610 jours au maximum (délai d'attente de 120 jours déduits des 730 jours), sous déduction des indemnités perçues jusqu'alors. Un transfert dans l'assurance individuelle n'était dès lors pas à envisager pour l'instant.

 

8. Le 30 août 2002, la commune a répondu au recours. Elle considérait que l'article 333 CO était inapplicable en l'espèce, que Mme M. n'était donc pas au bénéfice de la période de protection de l'article 336c CO et que le congé qui lui avait été signifié le 22 avril 2002 était donc valable. Au surplus, la recourante avait été licenciée parce qu'elle ne répondait pas aux exigences de la fonction. Enfin, elle avait eu de nombreuses occasions de faire valoir son point de vue et ne pouvait dès lors prétendre que son droit d'être entendue ait été violé. La commune conclut donc au rejet du recours.

 

9. a. Soucieuse de préserver ses intérêts pour le cas où le Tribunal de céans annulerait le licenciement du 22 avril 2002, la commune a de nouveau résilié le contrat de travail de la recourante le 24 septembre 2002, pour le 31 octobre 2002 ou toute autre échéance utile. La commune a ainsi entendu respecter les 180 jours prescrits par l'article 336c alinéa 1 lettre b CO dans le cas où les rapports de travail avaient duré plus de cinq ans.

 

b. Mme M. a fait opposition au licenciement par courrier du 26 novembre 2002, mais sans recourir contre ce licenciement, de sorte que l'opposition est restée sans suite.

 

10. a. Le lendemain, soit le 27 novembre 2002, Mme M. a amplifié ses conclusions en déposant une demande pécuniaire auprès du Tribunal administratif (cause A/1111/2002-CM).

 

Elle conclut, d'une part, au versement de son salaire pour les mois de juillet à novembre 2002, puis au paiement d'une indemnité pour licenciement abusif ou tort moral en raison du harcèlement psychologique subi sur son lieu de travail depuis la municipalisation de son poste. Son employeur l'avait placée dans une situation d'échec, en la contraignant, malgré son âge et ses problèmes de santé, à effectuer un travail qu'il lui était impossible d'accomplir dans le cadre de son temps partiel.

D'autre part, elle sollicite le paiement d'indemnités journalières prévues par l'article 43 des statuts. En effet, ayant appris que son incapacité de travail semblait être la suite de son accident du 27 avril 2000, la Nationale Suisse Assurances n'avait plus accepté de payer de telles indemnités, pourtant promises dans le courrier du 19 août 2002. La Generali Assurances, responsable des suites de l'accident précité, n'avait pas non plus accepté à ce jour sa responsabilité dans la perte de gains subie par Mme M. depuis le 11 mars 2002.

 

11. Une audience de comparution personnelle des parties a eu lieu le 2 décembre 2002. Mme M. a indiqué qu'elle n'avait pas recouru contre le deuxième licenciement, car elle le considérait comme légal. Il avait en effet été prononcé à l'échéance du délai de protection de six mois de l'article 336c CO.

 

12. Le 17 décembre 2002, le juge délégué a ordonné la jonction des causes A/1111/2002-CM et A/481/2002-CM.

 

13. La commune conclut le 10 janvier 2003 à l'irrecevabilité de l'action pécuniaire, subsidiairement à son rejet.

 

EN DROIT

 

1. Mme M. ayant déposé un recours, puis une action pécuniaire, il y a lieu d'examiner séparément ces deux moyens de droit.

 

 

I. DU RECOURS

 

A. Recevabilité

 

2. a. Aux termes de l'ancien article 85 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05), "à moins que le statut du personnel ne prévoie une autre autorité de recours, le Tribunal administratif connaît des recours contre les décisions d'une autorité communale portant sur des mesures disciplinaires prises envers un membre du personnel communal ainsi que celles emportant licenciement ou mise à la retraite anticipée".

 

Le Tribunal de céans a jugé que par licenciement, il fallait entendre toute cessation non volontaire de fonctions imposée par l'employeur à un membre du personnel communal, pour autant qu'il s'agisse d'agents publics et non pas de personnes engagées sur la base d'un contrat de droit privé. Cette définition englobe la résiliation des rapports de service d'une personne qui n'a pas encore été nommée. Il n'est ainsi pas admissible que le statut du personnel d'une commune exclue la possibilité pour les membres dudit personnel de recourir contre une mesure de licenciement, parce qu'ils se trouvent encore en période d'essai, ou leur confère cette possibilité uniquement après l'échéance de cette période, une fois leur nomination confirmée. Une telle différence de traitement ne saurait non plus se fonder sur la réserve contenue à l'article 85 aLAC, selon laquelle le Tribunal administratif est compétent, à moins que le statut du personnel ne prévoie une autre autorité de recours. En effet, la réserve faite en faveur du statut du personnel ne porte que sur la possibilité de prévoir une autre autorité de recours et non pas, à rigueur de texte, de n'en instaurer aucune (ATA P. G. du 29 mai 1996).

 

b. Les articles de la LAC concernant les voies de recours ont été modifiés dans le cadre de la réforme de la juridiction administrative. D'après l'exposé des motifs de la loi à la base de cette réforme, "la clause générale de compétence ne s'appliquant pas en matière de statut et de rapports de service du personnel communal (art. 56B al. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05), il est nécessaire de prévoir expressément les cas de recours. Ceux-ci sont les mêmes que ceux déjà prévus par [l'ancien] article 85, auxquels a été ajoutée l'hypothèse de l'application de l'article 5, alinéa 1, de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l'égalité entre femmes et hommes" (Mémorial des séances du Grand Conseil - MGC - 1997 54/IX 9443). La commission a étendu le recours aux décisions relatives aux certificats de travail; elle a également substitué les termes "résiliation des rapports de service" à celui de "licenciement".

 

c. L'actuel article 86A alinéa 1 LAC prévoit donc que le recours au Tribunal administratif est ouvert contre les décisions d'une autorité communale en matière de mesures disciplinaires, de certificat de travail, de résiliation des rapports de service, de mise à la retraite anticipée et d'application de la loi fédérale sur l'égalité entre hommes et femmes du 24 mars 1985 (LEG - RS 151) et cela, sous réserve de l'exception de l'alinéa 4, non réalisée en l'espèce, aux termes de laquelle "le statut du personnel peut également instituer une instance de recours spéciale pour connaître des litiges visés aux alinéas 1 et 3. Il peut déclarer définitives les décisions de cette instance, pour autant que cette dernière présente les caractéristiques d'un tribunal indépendant et impartial; à défaut, ses décisions sont susceptibles de recours au Tribunal administratif".

 

d. Le statut du personnel de la commune de V., qui réserve le recours au Tribunal administratif pour les seuls cas de licenciement d'un fonctionnaire pour motifs graves (art. 73 al. 6 du statut) et de sanctions disciplinaires prononcées par le Conseil administratif (art. 78 let. c et 83 let. c du statut), n'est ainsi pas conforme à l'art. 86A LAC.

Le Tribunal de céans est donc compétent pour connaître du présent recours. Interjeté par ailleurs en temps utile, celui-ci est recevable (art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

B. Application de l'article 333 CO

 

3. La commune conteste que l'article 333 CO puisse s'appliquer dans le cadre de la municipalisation des institutions de la petite enfance, même si l'article 85 du statut du personnel prévoit l'application par analogie du code des obligations pour tous les cas non expressément réglés par le statut. Elle avance les arguments suivants :

 

a. l'organisation de la crèche a changé lors de sa municipalisation; il ne peut dès lors s'agir d'un transfert d'entreprise (infra 4.);

 

b. la crèche a uniquement changé de forme juridique mais n'a pas été transférée, ce qui exclut l'application de l'article 333 CO (infra 5.);

 

c. aucune décision, aucun auteur n'envisage l'application de l'article 333 CO à une étatisation (infra 6.);

 

d. on ne se trouverait pas dans une des hypothèses contre lesquelles l'article 333 CO est censé protéger les travailleurs (infra 7.);

 

e. l'application de l'article 333 CO a été exclue par la commune et les syndicats (infra 8.);

 

f. les parties ont conclu un nouveau contrat, ce qui exclut l'application de l'article 333 CO (infra 9.).

 

4. a. La commune considère en premier lieu que l'organisation de la crèche a changé lors de sa municipalisation et qu'il ne peut dès lors s'agir d'un transfert d'entreprise.

 

b. Aux termes de l'article 333 alinéa 1 CO, "si l'employeur transfère l'entreprise ou une partie de celle-ci à un tiers, les rapports de travail passent à l'acquéreur avec tous les droits et les obligations qui en découlent, au jour du transfert, à moins que le travailleur ne s'y oppose".

 

L'article 333 CO ne donne pas la définition du transfert d'entreprise. D'après la doctrine, il faut entendre par là tous les modes de remise d'une entreprise, tels que la vente, l'échange, la donation, la mise en gérance ou l'apport à une société (BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, Commentaire du contrat de travail (selon le code des obligations), Lausanne 1996, N 1 ad art. 333 CO; FAVRE/MUNOZ/TOBLER, Le contrat de travail annoté, Lausanne 2001, N 1.2 ad art. 333 CO; WYLER, Droit du travail, Berne 2002, p. 308). Pour qu'il y ait transfert au sens de l'art. 333 al. 1 CO, il suffit que l'exploitation soit effectivement poursuivie ou reprise par le nouveau chef d'entreprise. Peu importe qu'il y ait ou non un lien de droit entre le premier exploitant et le second.

L'exploitation est considérée comme poursuivie en tout ou partie par l'acquéreur lorsqu'elle conserve son identité, c'est-à-dire son organisation et son but (ATF du 23 août 1999 in JAR 2000, p. 179 et les références citées; ATF 123 III 466), c'est-à-dire lorsque l'exploitation est poursuivie avec les mêmes activités économiques ou des activités analogues (BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, ibid.; BRÜHWILER, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e éd. entièrement revue, Berne, Stuttgart, Vienne 1996, N 1 ad art. 333 CO).

 

La jurisprudence a nié que l'organisation soit identique lorsqu'un restaurateur rénove totalement un restaurant, change le type de cuisine et amène sa propre brigade; il n'y a en effet pas ici aliénation d'une entité économique existante, mais poursuite en un autre lieu de sa propre exploitation par le second employeur (Cour d'appel des prud'hommes de Genève, arrêt du 15 août 2001).

 

Lorsque la doctrine et la jurisprudence considèrent qu'il n'y a transfert que si l'organisation de l'entreprise reste la même, il faut donc entendre par là l'organisation interne de l'entreprise transférée. En effet, dès qu'une entreprise, ou a fortiori une partie d'entreprise, est intégrée à un groupe de sociétés, ou, comme ici, à une administration communale, il est clair que l'organigramme externe change: d'entreprise peut-être indépendante, l'entreprise transférée, soumise peut-être à une direction générale, devient partie d'un tout plus grand. S'il suffisait que l'organisation de la société reprenante soit (légèrement) différente pour faire obstacle à l'application de l'article 333 CO, le but de protection des travailleurs visé par le législateur ne pourrait être atteint.

 

c. En l'espèce, la crèche a gardé, après sa municipalisation, les mêmes activités qu'avant, soit l'accueil des enfants. De plus, même si elle dépend maintenant sur le plan externe du service communal de la petite enfance, sur le plan interne en revanche, l'organisation de la crèche est restée grosso modo la même: la grande majorité des employés de la crèche fait maintenant partie du personnel communal; la crèche est toujours dirigée par un(e) directeur(trice), les enfants sont toujours accueillis par des éducateurs, nourris par une cuisinière, etc. Le fait que d'entreprise séparée, la crèche soit devenue partie de l'entité de droit public communal n'y change rien.

 

Ce premier grief est dès lors mal fondé.

 

5. a. La commune considère ensuite que la crèche a uniquement changé de forme juridique mais n'a pas été transférée, ce qui exclut l'application de l'article 333 CO.

 

b. La seule modification de la forme juridique d'une entreprise alors que le détenteur économique reste le même, ne constitue pas un transfert d'entreprise au sens de l'article 333 CO. Par contre, il y a lieu d'admettre un transfert d'entreprise dans chaque cas où intervient concrètement un changement d'employeur (BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, ibid.).

 

La transformation d'une entreprise n'entraîne pas l'application de l'article 333 CO pour la simple raison que lorsque l'entreprise n'est que transformée, l'employeur reste le même. Partant, il n'y a pas lieu de protéger particulièrement des travailleurs qui le sont déjà par les règles générales du code des obligations sur la fin des rapports de travail, la protection contre les congés en temps inopportun, etc., qui tiennent compte de la durée des rapports de travail.

 

Cet argument n'est donc d'aucun secours à l'intimée.

 

c. Au demeurant, il faut relever que lorsque la conseillère administrative déléguée a écrit à Mme M. au sujet de la municipalisation, elle l'a informée qu' "en ce qui concerne le personnel, la municipalisation a pour conséquence un changement d'employeur. Pour vous, cela signifie concrètement que le contrat de travail qui vous lie à votre association doit être résilié pour être remplacé par un engagement de la part de la commune de V..

 

Cet engagement se fera par le biais d'une postulation [...]" (lettre de la commune, du 18 avril 2001, adressée à Mme M., pièce 3 intimée).

 

Ainsi, la commune a elle-même considéré qu'il y avait changement d'employeur, bien qu'elle soutienne dans ses écritures la position opposée.

 

6. a. La commune relève ensuite qu'aucune décision, qu'aucun auteur n'envisage l'application de l'article 333 CO à une étatisation.

 

b. S'il est certes vrai qu'aucun des auteurs cités ne traite de cette problématique, cela n'implique pas que l'article 333 ne pourrait s'appliquer à une étatisation. Au demeurant, le projet de loi fédérale sur la fusion, la scission, la transformation et le transfert de patrimoine prévoit explicitement à son article 99 l'application par analogie des dispositions de la loi aux fusions, transformations et transferts de patrimoine auxquels participent des instituts de droit public. Sont des instituts de droit public les institutions de droit public de la Confédération, des cantons et des communes inscrites au Registre du commerce et organisées de manière indépendante, qu'elles jouissent ou non de la personnalité juridique (art. 2 litt. d du projet).

 

Ce grief doit donc être écarté.

 

7. a. Pour la commune, les conditions de travail de Mme M. se sont améliorées lors de la municipalisation, du point de vue tant économique que juridique. En particulier, si elle avait donné satisfaction, elle aurait bénéficié à terme du statut de fonctionnaire municipal. La commune considère donc que le cas d'espèce est loin des hypothèses contre lesquelles l'article 333 CO est censé protéger le travailleur. Elle relève que l'article 333 CO a été modifié en 1993 pour l'harmoniser avec la directive communautaire 77/198/CEE, adoptée plus précisément en vue de protéger les employés des trois conséquences suivantes: "premièrement, éviter que l'employeur ne tire prétexte d'un transfert d'entreprise pour faire 'table rase' en licenciant brusquement tout ou partie des salariés; deuxièmement, empêcher que le transfert d'entreprise ait pour but ou pour effet de soustraire les travailleurs à la protection d'une convention collective de travail; troisièmement, faciliter la défense collective des intérêts des travailleurs en aménageant des procédures de consultation" (AUBERT, La nouvelle réglementation des licenciements collectifs et des transferts d'entreprise, in Journée 1994 de droit du travail et de la sécurité sociale, pp. 87 ss, 109 et les références citées).

 

b. Si la directive européenne a été adoptée en particulier dans le but de protéger l'employé contre les trois hypothèses susmentionnées, il ne faut pas pour autant en déduire que la protection conférée par l'article 333 CO s'épuise dans ces trois hypothèses. En effet, le Tribunal fédéral a, comme l'illustrent notamment les jurisprudences précitées, appliqué l'article 333 CO à d'autres cas, comme le licenciement d'une seule personne.

 

Ce grief est dès lors également mal fondé.

 

8. a. La commune affirme qu'elle avait clairement admis avec les syndicats que l'article 333 CO ne s'appliquerait pas.

 

b. En cas de transfert d'entreprise, les rapports de travail passent automatiquement à l'acquéreur - à moins que le travailleur ne s'y oppose -, soit même contre le gré de l'acquéreur (ATF du 23 août 1999 = JAR 2000 p. 179 et ATF 123 III 466 précités et les références citées). Il est ainsi sans importance que la commune ait exclu un transfert au sens de l'article 333 CO.

 

9. a. La commune soutient enfin qu'un nouveau contrat de travail ayant été conclu, l'article 333 CO ne serait pas applicable.

 

b. Par le transfert des rapports de travail, le nouvel employeur reprend l'ensemble des droits et obligations découlant du contrat de travail depuis son origine. Cette règle est d'autant plus importante que nombre de droits découlant des rapports de travail sont fonction de la durée de ceux-ci. Ainsi en est-il notamment de l'obligation de l'employeur de payer le salaire en cas d'empêchement de travailler, de la durée des délais de résiliation des rapports de travail, etc. (cf. not. BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, op. cit., N 4 ad art. 333 CO)

 

c. Les parties peuvent négocier un nouveau contrat, en tout ou en partie (BRÜHWILER, ibid.; TERCIER, Les contrats spéciaux, 3e éd., Zurich, Bâle, Genève 2003, n° 3533). Il serait cependant contraire au but recherché par le législateur, à savoir une protection plus grande des travailleurs, que ce nouveau contrat revienne à priver les travailleurs des droits qui sont fonction de la durée des rapports de travail. Il faut ainsi reconnaître aux alinéas 1 et 1 bis de l'article 333 un caractère impératif (cf. dans ce sens DUC, Commentaire du contrat individuel de travail, Lausanne 1998, N 1 ad art. 333 CO, qui cite BRUNNER/BÜHLER/WAEBER). Pour Tercier, en cas de conclusion d'un nouveau contrat de travail, il est exclu que les parties prévoient une nouvelle période d'essai (TERCIER, ibid., citant l'arrêt du Tribunal du travail de Zurich du 15 août 1997, in Blätter für Zürcherische Rechtsprechung 2000, p. 211; cf. ég. l'arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes de Genève, du 26 septembre 2000, dans la cause C/26689/1999).

 

d. Que les parties aient cru bon de conclure un nouveau contrat de travail, par hypothèse plus favorable au travailleur, n'exclut donc pas le transfert, d'autant plus qu'il ne leur était pas possible de prévoir un nouveau temps d'essai. Au demeurant, la commune dit avoir appliqué à la municipalisation les dispositions relatives à la postulation interne, soit un temps d'essai de six mois, au terme duquel le conseil administratif ne peut pas licencier l'employé, mais tout au plus prolonger la période d'essai de six mois ou réintégrer le fonctionnaire dans son ancienne fonction.

 

10. L'identité de la crèche - soit son but et son organisation - étant restée la même, il y a bien eu transfert d'entreprise au sens de l'article 333 CO qui est donc applicable en l'espèce. Il faut donc considérer que les rapports de travail ont débuté le 1er janvier 1988.

 

 

C. Validité du congé donné le 22 avril 2002

 

11. a. Aux termes de l'article 336c alinéa 1 lettre b CO, applicable en vertu du renvoi de l'article 85 du statut, "après le temps d'essai, l'employeur ne peut pas résilier le contrat pendant une incapacité de travail totale ou partielle résultant d'une maladie ou d'un accident non imputables à la faute du travailleur, et cela, durant 30 jours au cours de la première année de service, durant 90 jours de la deuxième à la cinquième année de service et durant 180 jours à partir de la sixième année de service". L'alinéa 2 première phrase de la même disposition prévoit que "le congé donné pendant une des périodes prévues à l'alinéa précédent est nul".

 

A chaque cas d'incapacité de travail correspond une nouvelle période de protection (BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, op. cit., N 6 ad art. 336c CO).

 

b. En l'espèce, les rapports de travail de Mme M. ont commencé le 1er janvier 1988; elle se trouvait donc, au moment du licenciement, dans sa quatorzième année de service. Elle a été en incapacité de travail depuis le 11 mars 2002. Le licenciement signifié le 22 avril 2002 pour le 30 juin 2002, soit pendant la période de protection de six mois de l'article 336c alinéa 2 lettre b CO, est donc nul. Le recours sera donc admis pour ce motif, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs de la recourante, sauf pour ce qui a trait à la demande de retraite anticipée.

 

 

D. Demande de retraite anticipée

 

12. a. Mme M. a demandé à être mise au bénéfice de la retraite anticipée et des prestations particulières offertes par la commune de V..

 

b. La commune a refusé, au motif que les rapports de travail avaient cessé et que le temps d'activité de Mme M. avait été trop court pour lui permettre de bénéficier des prestations de préretraite sans créer d'inégalités de traitement avec d'autres fonctionnaires de la commune. Au surplus, le versement de l'indemnité de préretraite n'était pas systématique et devait résulter d'un accord du Conseil administratif.

 

c. Dans la mesure où le Tribunal de céans a jugé que les rapports de travail avaient duré près de 15 ans et que le licenciement prononcé le 22 avril 2002 était nul, il se justifie que la commune réexamine la demande de retraite anticipée au vu de ces nouveaux éléments.

 

 

II. DE L'ACTION PECUNIAIRE

 

A. Recevabilité

 

13. a. L'article 56G LOJ prévoit la compétence du Tribunal administratif pour connaître en instance unique d'une action relative à des prétentions de nature pécuniaire fondées sur le droit public cantonal, qui ne peuvent faire l'objet d'une décision au sens de l'article 56A alinéa 2 LOJ et qui découlent des rapports entre une commune et ses agents publics (art. 56G al. 1 let. a). Les dispositions sur les recours de la LPA s'appliquent par analogie aux actions pécuniaires (art. 56G al. 2 LOJ).

 

De jurisprudence constante, cette action est subsidiaire et n'est soumise à aucun délai (ATA E. du 29 octobre 2002 et les références citées).

 

b. Sont des prétentions de nature pécuniaire, c'est-à-dire appréciables en argent, celles qui tendent directement à l'octroi de sommes en espèces, notamment au paiement de traitements, d'allocations, d'indemnités ou de prestations d'assurances (ATA J. du 1er avril 2003; K. du 9 octobre 2001; D. du 29 mai 2001).

 

c. Ne sont, en revanche, pas des prétentions de nature pécuniaire celles qui ont trait à la création, à l'établissement et à la disparition des rapports de service, à l'obtention d'une promotion ou d'un avancement, aux vacances, à la reconnaissance d'un diplôme, à la réintégration dans une classe de fonction antérieure et à l'évaluation ou à la réévaluation d'une fonction, car alors la prétention a en réalité deux objets, l'une pécuniaire et l'autre de nature différente. Comme l'aspect pécuniaire n'est pas susceptible d'être jugé de manière indépendante de l'autre objet pour lequel l'autorité hiérarchique dispose d'un entier pouvoir d'appréciation, personne ne saurait alors exiger d'elle qu'elle accorde une prestation dont l'octroi est laissé à sa discrétion. Dans ces cas, peu importe en définitive que le litige débouche sur l'allocation d'une somme d'argent, celle-ci apparaissant comme secondaire (ATF n.p. du 29 avril 1998 dans la cause 2P.375/1997 confirmant l'ATA U. du 23 septembre 1997).

d. Il faut donc examiner séparément la recevabilité et, cas échéant, le bien-fondé des différentes prétentions de Mme M..

 

 

B. Paiement du salaire de juillet à novembre 2002

 

14. a. Dans la mesure où le Tribunal de céans a admis le recours dirigé contre la décision de licenciement du 22 avril 2002 et a constaté la nullité de ce dernier, cette prétention a déjà été admise pour d'autres motifs pour ce qui est du salaire des mois de juillet à octobre 2002. En effet, la recourante faisant jusqu'à cette date partie du personnel communal, elle a droit à son salaire. Il n'y a pas lieu d'y revenir.

 

b. Mme M. n'a en revanche pas fait recours contre la deuxième décision de licenciement, datée du 24 septembre 2002, qui est dès lors entrée en force. L'action pécuniaire est, comme rappelé plus haut, subsidiaire aux autres moyens de droit. Elle ne saurait donc avoir pour effet de remettre en cause une décision que son destinataire aurait négligé de contester par les voies de droit qui lui étaient ouvertes et qui est dès lors entrée en force. L'action doit donc être déclarée irrecevable en ce qui concerne la demande de paiement du salaire de novembre 2002.

 

 

C. Indemnité de CHF 20'000.- pour licenciement abusif

 

15. a. Cette prétention est sans objet, dans la mesure où la juridiction de céans a constaté la nullité du congé signifié le 22 avril 2002: un congé nul ne peut être abusif.

 

b. Mme M. n'ayant pas fait recours contre le deuxième licenciement, elle ne peut pas non plus prétendre à une indemnité pour licenciement abusif par le biais de l'action pécuniaire. L'action est à nouveau irrecevable s'agissant de cette prétention.

 

 

D. Indemnité de CHF 20'000.- à titre de tort moral

 

16. a. Mme M. allègue avoir été victime de harcèlement psychologique en ce sens qu'elle aurait été délibérément placée par son employeur dans une situation d'échec, en étant contrainte, malgré son âge et ses problèmes de santé, à effectuer un travail qu'il ne lui était pas possible d'effectuer dans le cadre de son temps partiel.

 

Pour l'intimée, cette prétention est en relation avec le bien-fondé du congé et ne peut dès lors faire l'objet d'une action pécuniaire.

 

b. L'indemnité prévue à l'article 336a CO vise non seulement la punition de l'auteur du congé abusif, mais aussi la réparation du tort moral subi par le travailleur licencié du fait du congé abusif. En réservant à l'article 336a alinéa 2 in fine CO les dommages-intérêts que la victime du congé pourrait exiger à un autre titre, le législateur a laissé ouvert le droit de celle-ci de réclamer la réparation du préjudice résultant d'une cause autre que le caractère abusif du congé. C'est ainsi qu'une indemnité peut être allouée séparément au travailleur, sur la base de l'article 49 CO, lorsque le salarié subit une atteinte à sa santé physique ou psychique résultant d'un comportement imputable à l'employeur et indépendant du licenciement (ATF n.p. du 22 juin 2000 dans la cause 4c.334/1999 et les références citées).

 

c. Tel est le cas en l'espèce, Mme M. n'alléguant pas avoir subi un tort moral du fait du licenciement, mais bien du fait du mobbing qui l'a précédé. Le CO étant par ailleurs applicable dans la commune de V. à titre de droit public supplétif (art. 85 du statut), l'action pécuniaire est recevable pour cette prétention (art. 56G al. 1 litt. a LOJ; ATA W. du 4 mai 1999 a contrario).

 

17. a. La notion de mobbing ou harcèlement psychologique en droit public ne diffère guère de celle définie en droit privé en relation avec l'article 328 alinéa 1 CO qui protège également la personnalité du travailleur (ATA B. du 14 mai 2002, consid. 5).

 

b. Par mobbing, il faut entendre un enchaînement de propos et/ou d'agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail (R. WYLER, Droit du travail, Berne 2002, p. 237; J.-B. WAEBER, Le mobbing ou harcèlement psychologique au travail, quelle solution?, in PJA 7/98, pp. 792 ss; D. QUINTON, Le concept du mobbing - cas cliniques, in Harcèlement au travail, Le droit du travail en pratique, vol. 22, Zurich, Bâle, Genève 2002, pp. 65 ss; E. CONNE-PERREARD, Expériences genevoises, in Harcèlement au travail, Le droit du travail en pratique, vol. 22, Zurich, Bâle, Genève 2002, pp. 89 ss). Le service de santé de l'office du personnel de l'Etat décrit le mobbing comme toute attitude abusive d'une ou plusieurs personnes qui vise à agresser ou à mettre en état d'infériorité une collaboratrice ou un collaborateur, de manière constante ou répétée, pendant plusieurs mois (ACE M., du 19 mars 2003, consid. 7a, également pour ce qui va suivre).

 

Le harcèlement psychologique est souvent sournois, parce qu'il réside autant dans l'intention et la stratégie inavouées du harceleur mais ressenties par la personne harcelée que dans les actes répétés qui le concrétisent, qui peuvent être d'allure anodine sinon normale, mais aussi être occasionnellement plus intenses et virulents. Ces extériorisations peuvent consister en un refus implicite et dégradant de communiquer avec la personne harcelée et de la prendre en compte, la non-reconnaissance de son travail, le fait de lui attribuer des travaux ingrats, pénibles, inférieurs ou supérieurs à son niveau de responsabilités ou de compétences, en des propos, des mimiques ou des gestes moqueurs, quelquefois sous le couvert de prétendues plaisanteries. Elles véhiculent le message que la personne harcelée est une persona non grata, pour des motifs tenant en fait à sa personnalité (R. WYLER, op. cit., p. 237; J.-B. WAEBER, op. cit. in PJA 7/98, p. 794; H. LEYMANN, La persécution au travail, 1993, traduction française parue en 1996, pp. 26 ss; M. REHBINDER/A. KRAUSZ, Psychoterror am Arbeitsplatz, Mobbing und Bossing und das Arbeitsrecht, in ArbR 1996, pp. 17 ss).

Il n'y a toutefois pas harcèlement psychologique du seul fait qu'un conflit existe dans les relations professionnelles (M.-F. HIRIGOYEN, Harcèlement et conflits de travail, in Harcèlement au travail, Le droit du travail en pratique, vol. 22, Zurich, Bâle, Genève 2002, pp. 9 ss), ou du fait qu'un membre du personnel serait invité - même de façon pressante, répétée, au besoin sous la menace de sanctions disciplinaires ou d'une procédure de licenciement - à se conformer à ses obligations, ou encore du fait qu'un supérieur hiérarchique n'aurait pas satisfait pleinement et toujours aux devoirs qui lui incombent à l'égard de ses collaboratrices et collaborateurs.

 

Pris isolément, les agissements hostiles pourraient rester inoffensifs, c'est leur répétition constante - et/ou leur gravité - qui attaque la résistance psychique (D. FROMAIGEAT, Souffrance psychologique au travail, OCIRT 2000, p. 17). L'accumulation de diverses tracasseries crée un état de stress permanent qui engendre le doute sur ses propres capacités. Apparaît alors l'anxiété. Puis à la crainte de mal faire se substitue la peur, une peur existentielle (op. cit. p. 21).

 

Le mobbing peut ainsi avoir de graves conséquences, à commencer pour le membre du personnel qui en est le cas échéant effectivement victime, mais aussi pour le service au sein duquel il se produirait (M. REHBINDER/A. KRAUSZ, op. cit., pp. 28s.; MGC 2001 46/X 9023, 9025 et 9026). Il doit être combattu de façon résolue, mais non sans discernement.

 

c. Il résulte des particularités du mobbing que ce dernier est généralement difficile à prouver si bien qu'il faut savoir en admettre l'existence sur la base d'un faisceau d'indices convergents, mais aussi qu'il peut n'être qu'imaginaire sinon même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques et mesures pourtant justifiées. Les procédures à mettre en place pour établir l'existence d'un harcèlement psychologique, et le cas échéant le faire cesser et en réparer les effets, doivent autant que possible éviter le triple écueil d'aggraver la situation en raison d'un échec de la preuve quand il est réel, de perturber et détériorer profondément le fonctionnement du service au sein duquel elles sont déclenchées, et de ne pas porter atteinte à la personnalité de personnes mises en cause à tort (MGC 2001 46/X 9004).

 

d. En l'espèce, même à supposer que les faits allégués par Mme M. - et repris dans la partie en fait du présent arrêt - soient exacts, le Tribunal de céans ne pourrait que conclure à l'inexistence d'un cas de harcèlement psychologique ou mobbing. En effet, il n'apparaît pas du tout que les responsables communaux ont, par des propos ou des agissements hostiles, cherché à isoler ou à exclure Mme M., par exemple en dénigrant son travail; au contraire, Mme M. relève elle-même que son travail était apprécié. De même, le fait pour la commune de demander à Mme M. de se charger de la préparation de goûters supplémentaires n'est pas constitutif de mobbing, quand bien même les responsables communaux n'ont peut-être pas assez pris en compte l'âge et les difficultés de santé de Mme M.; la demande en cause doit bien plus être mise en relation avec la réorganisation qui a touché les institutions de la petite enfance de la commune.

 

Mal fondée, la prétention de Mme M. en paiement d'une indemnité pour tort moral sera dès lors rejetée.

 

 

E. Paiement du salaire jusqu'à la fin de l'incapacité de

travail, mais au plus tard jusqu'au 28 février 2004

 

18. a. Mme M. ne recevant pas d'indemnité perte de gain de la Nationale Suisse Assurances et de la Generali Assurances, elle réclame à la commune le paiement de son salaire tant qu'elle est incapable de travailler, mais au plus tard jusqu'au 28 février 2004 - soit 720 jours après le début de sa maladie -, le tout sous imputation des indemnités perte de gains et rentes versées par les assurances pour cette période. Elle se fonde sur l'article 43 du statut et sur l'ATF 124 III 126, consid. 2 p. 133.

 

b. L'article 43 du statut a la teneur suivante: "La commune de V. prend en charge le versement de 720 indemnités journalières en cas d'accident ou de maladie, le tout dans une période de 900 jours consécutifs, sous déduction, toutefois, des prestations, indemnités et rentes payées par les assurances".

 

Lorsque le travailleur se voit reconnaître, en cas d'incapacité de travail, un droit à des indemnités d'une assurance perte de gain pendant une longue période, sans restriction d'aucune sorte, le travailleur peut considérer de bonne foi qu'il bénéficiera de la couverture d'assurance même si le contrat de travail est résilié avant l'expiration de cette période (ATF 124 III 126 précité, consid. 2, p. 133).

 

En l'espèce, le statut ne prévoit pas un droit à des indemnités d'assurances, mais un droit à des indemnités journalières versées par l'employeur directement, sous déduction des sommes payées par les assurances. Ainsi, le paiement du salaire en cas d'incapacité de travail incombe à l'employeur; c'est lui qui bénéficiera en définitive des sommes payées par les assurances, et non l'employé, qui a droit aux indemnités même si l'assurance ne paie pas. De même, le statut ne prévoit pas de délai d'attente et de limitation des prestations qui ne sont contenues que dans le contrat d'assurances, de sorte qu'ils ne concerne pas les prestations que la commune doit verser à Madame M..

 

L'action pécuniaire sera donc admise sur ce point et la commune condamnée à payer à Mme M. son salaire, respectivement les indemnités journalières qui lui sont dues pendant la durée de son incapacité de travail, mais au plus tard jusqu'au 28 février 2004 (correspondant à l'échéance du délai de 720 jours prévu par le statut et qui court dès le début de la maladie), le tout sous déduction des sommes éventuellement versées ou à verser par les assurances (art. 43 in fine du statut). Il appartiendra à la commune d'obtenir des assurances concernées le remboursement des sommes qui lui sont dues en vertu des contrats passés avec elles.

19. Vu l'issue du recours et de l'action pécuniaire, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, qui recevra en revanche une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à charge de la commune de V..

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

préalablement :

 

joint les causes A/481/2002-CM et A/1111/2002-CM;

 

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 23 mai 2002 par Madame M. contre la décision de licenciement de la Commune de V. du 22 avril 2002;

 

déclare partiellement recevable l'action pécuniaire introduite le 27 novembre 2002;

 

au fond :

 

admet le recours;

 

constate la nullité du congé signifié le 22 avril 2002 pour le 30 juin 2002;

 

admet partiellement l'action pécuniaire;

 

condamne l'intimée à verser à Mme M. son salaire, respectivement des indemnités journalières, tant qu'elle sera incapable de travailler, mais au plus tard jusqu'au 28 février 2004;

 

dit qu'aucun émolument ne sera perçu;

 

accorde à la recourante une indemnité de CHF 2'000.- à la charge de la commune de V.;

 

communique le présent arrêt à Me Jean-Pierre Garbade, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me David Lachat, avocat de l'intimée.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega