Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/975/2001

ATA/377/2002 du 25.06.2002 ( TPE ) , REJETE

Descripteurs : TPE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 25 juin 2002

 

 

dans les causes

 

 

Monsieur L. G.

représenté par Me Pierre Vuille, avocat

 

contre

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

et

 

Madame C. A.

Monsieur J. G.

Monsieur P. K.

Monsieur J. L.,

Monsieur A. R.

Monsieur J.-P. T.

représentés par Me Geneviève Carron, avocate

 

contre

 

COMMISSION DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

et

 

Monsieur L. G.

représenté par Me Pierre Vuille, avocat



EN FAIT

 

 

1. Monsieur L. G. est propriétaire de la parcelle no 13'128, feuille 29 de la commune de Bernex, à l'adresse route du Merley.

 

Cette parcelle de 2984 m2 située dans le village de Bernex est bordée au sud-est par la rue de Bernex le long de laquelle sont construits de petits immeubles, à l'ouest par un quartier de villas individuelles et au nord par la route du Merley. La parcelle voisine (au nord) abrite l'entreprise Affolter (engins électriques).

 

La parcelle no 13'128 est située en 5ème zone de construction au sens de l'article 19 alinéa 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LALAT - L 1 30). Selon le plan directeur du village de Bernex, elle est incluse dans la zone artisanale.

 

2. M. G. a acquis ce terrain en 1984. Le précédent propriétaire, Monsieur R. Pansier, exploitait à cet endroit une entreprise de charpente dont M. G. a repris l'exploitation. La parcelle abrite actuellement deux bâtiments cadastrés, soit un bâtiment en maçonnerie et bois (ci-après : la fabrique) (B 550) et un hangar en bois (ci-après : l'atelier) (B 858) ainsi que deux couverts à bois non-cadastrés, pour partie objet du litige. Le premier (ci-après : l'auvent) est accolé à l'atelier et le second (ci-après : le couvert) est situé derrière le bâtiment principal, côté route du Merley.

 

L'entreprise emploie actuellement 28 employés. Dans les locaux de l'entreprise, on compte quatre personnes occupées à l'administration et trois, voire quatre, ouvriers à l'atelier. Le reste du personnel travaille sur les chantiers. M. G. est présent aussi bien dans les locaux de l'entreprise que sur les chantiers (procès-verbal de transport sur place du 31 janvier 2002).

 

3. Depuis fort longtemps, le voisinage se plaint des nuisances générées par l'entreprise de M. G. et en particulier des bruits et de la poussière. Alerté par quelques voisins, le département des travaux publics, devenu depuis lors le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : le département) a effectué un contrôle sur place le 23 octobre 1989. A cette occasion, il a été constaté que le parking autorisé était utilisé pour des travaux de fabrication de charpente, ce qui constituait une source de nuisances inadmissibles pour le voisinage. M. G. ayant déclaré qu'il envisageait d'agrandir son atelier afin de pouvoir travailler entièrement à l'intérieur des locaux, le département a invité ce dernier à déposer une autorisation de construire portant sur l'agrandissement projeté, la décision du département demeurant toutefois réservée.

 

4. Lors d'un constat effectué le 14 décembre 1989, le représentant du département a constaté que M. G. avait édifié un auvent provisoire accolé au bâtiment principal, de construction légère, aux dimensions de 5 m x 8 m. Aux dires du contremaître présent, ce couvert était provisoire en attendant l'agrandissement de la menuiserie et la requête y relative qui devait être déposée avant la fin de l'année.

 

Le 15 janvier 1990, M. G. a déposé au département une demande définitive d'autorisation de construire, ayant pour objet la démolition d'une annexe et l'agrandissement d'un atelier/dépôt de charpente (A90038).

 

5. Par décision du 14 mai 1990, le département a refusé l'autorisation sollicitée. L'agrandissement n'était pas conforme aux normes applicables à la cinquième zone destinée aux villas, ce qu'avait notamment relevé la commune dans un préavis défavorable au projet. De plus, le rapport des surfaces n'était pas observé.

 

Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

 

6. Par courrier recommandé du 17 mai 1990, le département a enjoint M. G. de démolir, dans un délai de 60 jours, l'auvent édifié sans autorisation qui avait été toléré dans l'attente de l'issue de la requête précitée. Par ailleurs, le département rappelait à M. G. que le parking ne pouvait être affecté à un autre usage que le stationnement des véhicules.

 

L'ordre de démolition pouvait faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif dans un délai de trente jours.

 

7. M. G. a saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée par acte daté du 18 mai 1990, mais déposé au greffe du tribunal le 18 juin 1990 (cause 90.TP.477).

 

L'auvent litigieux n'était pas assujetti au régime de l'autorisation de construire au sens des articles 1 et ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). En effet, il était constitué d'un cadre en aluminium léger au travers duquel était tendue une feuille en plastique transparent. Il ne modifiait pas le volume, l'architecture ou l'affectation de l'atelier préexistant de façon permanente ni même de façon provisoire. Mesurant 8 m x 5 m, il pouvait être simplement posé sur deux tréteaux en bois et servir de protection à la pluie ou au soleil. Si M. G. avait décidé de le poser contre le mur de l'atelier existant, c'était par raison de commodité et de sécurité. Malgré cela, l'abri conservait un caractère manifestement amovible et il ne s'agissait donc point d'une installation fixe et permanente. A supposer que cet ouvrage soit soumis à une autorisation de construire, le département avait outrepassé son pouvoir d'appréciation en en ordonnant la démolition. Dans la pesée des intérêts en présence, le département devait retenir que cet abri n'avait pas été installé pour des motifs économiques mais sociaux, l'entrepreneur entendant offrir à ses employés travaillant à l'extérieur une protection temporaire contre les intempéries. L'autorisation accordée à titre précaire en décembre 1989 par le département apportait la preuve que cet abri ne causait aucune gêne ni danger et ne lésait aucun intérêt public ou privé. Enfin, il convenait d'accorder à M. G. un délai plus long pour la démolition afin que celui-ci puisse réaliser un nouveau projet permettant de résoudre au mieux ses problèmes d'espace.

 

M. G. a conclu à l'annulation de l'ordre de démolition. Subsidiairement, il a conclu à ce qu'un délai de neuf mois lui soit accordé pour procéder à la démolition, si par impossible celle-ci était confirmée.

 

8. Dans sa réponse du 27 juillet 1990, le département s'est opposé au recours.

 

L'édification d'un couvert de 5 m x 8 m destiné à une activité industrielle était soumise à autorisation. Cette construction n'était pas autorisable, eu égard à ses dimensions, à l'affectation et à la localisation de la parcelle.

 

9. Par courrier du 24 septembre 1990, le département a invité M. G. à déposer une requête en autorisation de construire l'auvent litigieux, tout en persistant dans l'ordre de démolition.

 

10. Le 16 octobre 1990, le Tribunal administratif a procédé à un transport sur place. Il a constaté que M. G. exploitait une entreprise de charpenterie dans une grande halle, construction en bois posée sur des fondations en béton ainsi que dans une annexe, construction relativement légère, accolée au grand côté ouest de la halle. L'objet du litige consistait en un auvent accolé contre le côté ouest de la grande halle en prolongement de l'annexe, mesurant 8 m x 5 m, constitué de plaques en matière plastique insérées dans des cadres aluminium, le tout posé sur des lambourdes dont la stabilité était assurée par d'autres lambourdes accrochées à la paroi de la halle. Cet auvent, d'aspect quelque peu "bricolé" était destiné à abriter des ouvriers en hiver ou des éléments de charpente en voie de façonnage.

 

11. Le 6 novembre 1990, les parties ont demandé au tribunal de céans la suspension de la cause, une solution extra judiciaire étant "sur le point d'être trouvée". A la demande des parties, la suspension de la cause a été renouvelée régulièrement depuis lors, pour la dernière fois le 13 septembre 2001 !

 

12. a. Le 2 novembre 1998, M. G. a déposé au département une demande en procédure accélérée ayant pour objet l'agrandissement de l'atelier de charpente et couvert (APA 15'242). Il s'agissait notamment de régulariser l'auvent dont il a été question ci-dessus.

 

Les préavis recueillis par le département ont tous été positifs.

 

Mesdames et Messieurs B., G., K., L., R. et T. (ci-après : M. L. et consorts/les voisins), tous propriétaires des parcelles voisines de celle de M. G., se sont opposés au projet (courriers des 19 février, 13 novembre et 23 novembre 1999).

 

Après avoir fait procéder à une enquête publique au sens de l'article 26 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700; dérogation de destination), le département a accordé, le 2 mai 2000, l'autorisation sollicitée.

 

b. Par courrier du même jour, le chef du département a informé les voisins que leurs observations n'avaient pas pu être retenues. L'entreprise G. était installée depuis 1985 sur la parcelle en cause. M. G. avait repris les bâtiments de l'entreprise Pansier qui existait depuis 1970 sur cette même parcelle. Les demandes d'autorisation de construire visaient donc à régulariser une situation existant depuis de nombreuses années. Au surplus, les véhicules de l'entreprise ainsi que ceux des employés seraient dorénavant stationnés à l'intérieur de l'entreprise. Quant au couvert à bois provisoire, il ne saurait être source de nuisances puisqu'il était destiné au stockage du bois de l'entreprise dont l'origine remontait à 1970.

 

Un nouvel échange de correspondance a eu lieu entre les voisins et le chef du département qui a persisté dans sa position.

 

M. L. et consorts, ont alors saisi la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la commission de recours) par acte du 14 mai 2000 (recours no 6503).

 

13. Le 3 janvier 2000, M. G. a déposé au département une demande d'autorisation en procédure accélérée ayant pour objet un couvert à bois provisoire (APA 16'758).

 

Les préavis recueillis par le département ont été positifs, à l'exception de la commune de Bernex, laquelle a constaté que le couvert était déjà construit. Elle était au courant qu'une plainte avait été déposée par un particulier concernant cette construction. De ce fait, elle ne pouvait donner de préavis au sujet de cette APA (préavis du 7 mars 2000).

 

M. L. s'est opposé à ce projet par courrier adressé au département le 26 février 2000.

 

Par courrier du 2 mai 2000, le département a informé les voisins que leurs observations ne pouvaient pas être retenues (cf. ch 12 b) supra).

 

Le 8 mai 2000, le département a délivré à M. G. l'autorisation sollicitée.

 

M. L. et consorts ont saisi la commission de recours par acte du 14 mai 2001 (recours no 6505).

 

14. Par décision du 22 août 2001, la commission de recours a rejeté les recours de M. L. et consorts. L'agrandissement requis et autorisé de l'atelier permettrait justement de limiter les nuisances éventuellement subies par le voisinage, les travaux effectués actuellement à l'extérieur pourront l'être dorénavant à l'intérieur d'un bâtiment clos. En outre, on voyait mal en quoi un couvert à bois engendrerait des nuisances sonores au voisinage. Le fait que des éléments de charpente soient entreposés à l'air libre, sous des tôles, ou sous un couvert fixe n'avait aucune influence sur d'éventuelles nuisances sonores.

 

15. M. L. et consorts ont saisi le Tribunal administratif d'un recours contre la décision précitée par acte du 24 septembre 2001 (cause no A/975/2001).

 

Les constructions faisant l'objet des autorisations de construire contestées impliquaient l'agrandissement d'une entreprise de charpente et étaient illicites car contraires aux prescriptions régissant la zone villa et aucune dérogation ou tolérance n'était possible. De telles constructions ne correspondaient pas au plan directeur de la commune. Elles avaient été érigées avant l'obtention d'une autorisation plaçant une fois de plus autorités et voisins devant le fait accompli. Elles permettaient de développer une activité plus intensive de l'entreprise dont le bruit se répercutait malgré tout à l'extérieur. Les autorisations avaient été délivrées a posteriori, sans examen complet des nuisances dues au bruit et à la poussière. Enfin, l'entreprise de M. G. dévalorisait les parcelles adjacentes.

 

Ils ont conclu à l'annulation de la décision de la commission de recours, à l'annulation des autorisations APA 15'242 et 16'758 et à la confirmation de la démolition des "trois installations faisant l'objet des APA précitées" (sic).

 

16. M. G. s'est déterminé le 27 novembre 2001. Les constructions litigieuses ne constituaient pas une source de danger ou d'inconvénients pour les usagers, le voisinage et le public. Les autorisations demandées ne visaient qu'à régulariser une situation qui prévalait depuis de très nombreuses années. Les normes relatives à la protection de l'environnement étaient respectées et les conditions légales de la dérogation manifestement remplies.

 

17. Dans ses observations du 30 novembre 2001, le département s'est opposé au recours. Il avait fait une juste application de l'article 26 alinéa 1 LALAT autorisant une dérogation après enquête publique.

 

18. Le Tribunal administratif a procédé à un transport sur place en date du 30 janvier 2002.

 

Sous l'auvent accolé à l'ouest de la halle, il a constaté la présence d'une perceuse. Il a également constaté la présence de divers autres engins liés à l'exploitation de la menuiserie disséminés dans la cour de l'entreprise.

 

A l'arrière de la parcelle côté route du Merley, il a constaté la présence d'un couvert à bois provisoire d'environ 30 m de longueur x 3 m de largeur.

 

Les voisins ont fait état des différentes nuisances provoquées par l'exploitation de la charpenterie à savoir la sciure, la poussière, le bruit généré par les différents engins (élévateurs, scies, fraiseuses, perceuses etc.). Ils ont persisté à demander une expertise complémentaire, le rapport d'Ecotox ne portant que sur le bruit généré par les machines et non pas sur la l'activité de la menuiserie dans son ensemble. Par ailleurs, les nuisances sonores et olfactives n'avaient pas été prises en compte.

 

M. G. s'est opposé à l'expertise complémentaire, la situation étant inchangée par rapport à celle qui prévalait lors de l'expertise effectuée par Ecotox. De plus, il avait pris les mesures préconisées par cet office et installé une isolation acoustique sous le toit et sur les murs de la façade.

 

19. Du dossier de pièces l'on retiendra les éléments suivants :

 


- Le rapport du 26 septembre 1993 de l'OCIRT ayant pour objet l'appréciation du niveau sonore induit par les activités de l'entreprise G.. L'OCIRT avait mesuré un bruit moyen induit par la scie radiale de 61 à 62 dB et un bruit de fond (sans le fonctionnement des appareils) de 51 à 52 dB. Il était précisé que le niveau d'évaluation déterminant était de 60 dB au maximum. Une décision d'assainissement ne pouvait pas être rendue en raison principalement d'une méconnaissance de la durée moyenne de fonctionnement des appareils. Il était demandé à l'entreprise G. d'installer sur ses appareils bruyants (scies, tenonneuses) des horloges permettant de calculer la durée effective de leur fonctionnement.

 

- Le rapport du 19 avril 1994 du service de l'écotoxicologue cantonal ayant pour objet le contrôle des nuisances sonores. Le degré de sensibilité II devait être attribué à la parcelle de M. G.. Les immissions sonores des équipements et des engins de l'entreprise ne devaient pas dépasser les valeurs d'évaluation de 60 dB pour le jour et 50 dB pour la nuit. Les niveaux d'évaluation étaient inférieurs à la valeur limite d'émission (56,6 dB sur 60 dB et 57.1 dB sur 60 dB) étant précisé que les niveaux d'immission étaient calculés sur la base des compteurs installés sur la scie radiale et l'entailleuse pendant 37 jours ouvrables. En conclusion de ce rapport, il apparaissait que l'entreprise de M. G. respectait les exigences de l'ordonnance sur la protection contre le bruit.

 

- Le rapport du 6 juillet 1999 concernant le projet objet de l'APA 15'242, cette construction ne serait pas une modification notable d'une installation existante au sens de l'OPP et n'aura pas pour conséquence un accroissement des immissions sonores. Les riverains parlaient d'une augmentation du nombre des places de travail et par conséquent du trafic pendulaire induit. L'organisme consulté ne disposait d'aucune information permettant de trancher cette question. Si les modifications allaient dans le sens d'un accroissement des activités, un pronostic de bruit serait exigé.

 

 


EN DROIT

 

 

1. Les deux recours se rapportant au même contexte de faits, ils seront joints en une seule cause (art. 70 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a LPA).

 

3. En vertu de l'article 60 lettres a et b LPA, les personnes parties à la procédure de première instance, de même que celles qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée ont un intérêt à recourir.

 

Selon la jurisprudence, le voisin a qualité pour agir lorsque son terrain jouxte celui qui est en cause ou se trouve à proximité immédiate et que le projet litigieux lui cause personnellement un préjudice de fait (ATA commune de V. du 23 juin 1998 et les références citées; Comité pour un choix démocratique du 15 janvier 2002, confirmé par ATF du 16 avril 2002).

 

En l'espèce, M. L. et consorts sont tous propriétaires de parcelles qui jouxtent ou qui sont situées dans un périmètre proche de la parcelle de M. G.. Ils sont donc directement touchés par la dérogation accordée par le département et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée.

 

La qualité pour agir doit donc être reconnue à M. L. et consorts.

 

4. Le tribunal de céans a déjà eu l'occasion de se pencher sur la nature du règlement de construction du village de Bernex et il a jugé que ce dernier constituait un plan d'affectation au sens de l'article 13 LALAT (ATA G. du 9 août 2000 et les références citées).

 

5. L'article 22 alinéa 1 LAT prévoit qu'aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans l'autorisation des organes compétents. Cette autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone et si le terrain est équipé (art. 22 al. 2 lettres a et b LAT). Le droit fédéral et le droit cantonal peuvent poser des conditions supplémentaires à celles prévues aux alinéas 1 et 2 de la disposition précitée. C'est ce qu'a fait le législateur genevois, en édictant la LCI.

 

Le chapitre 6 de la LCI (art. 58 à 79) fixe les normes spécifiques à respecter pour pouvoir édifier un bâtiment dans la cinquième zone, destinée aux villas (art. 19 al. 3 LALAT).

 

Il n'est pas contesté que la présence d'une menuiserie-charpenterie en zone villa n'est pas conforme à l'affectation de la zone.

 

Selon l'article 26 alinéa 1 LALAT, lorsque les circonstances le justifient et s'il n'en résulte pas d'inconvénients graves pour le voisinage, le département peut, après enquête publique, déroger aux dispositions des articles 18 à 22 quant à la nature des constructions.

 

En l'espèce, les projets litigieux ne peuvent donc être autorisés que par la voie dérogatoire de l'article 26 alinéa 1 LALAT.

 

6. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les dispositions exceptionnelles ou dérogatoires, telles que l'art. 26 al. 1 LALAT, ne doivent pas nécessairement être interprétées de manière restrictive, solution qui demeure possible, notamment en matière procédurale (ATF 118 II 91 consid. 1b p. 92), mais selon les méthodes d'interprétation ordinaires. Une dérogation importante peut ainsi se révéler indispensable pour éviter les effets rigoureux de la réglementation ordinaire (ATF 120 II 112 consid. 3d/aa p. 114; 118 Ia 175 consid. 2d p. 178/179; 114 V 298 consid. 3e p. 302/303; 108 Ia 74 consid. 4a p. 79 et les références citées). En tous les cas, la dérogation doit servir la loi ou, à tout le moins, les objectifs recherchés par celle-ci: l'autorisation exceptionnelle doit permettre d'adopter une solution reflétant l'intention présumée du législateur s'il avait été confronté au cas particulier. L'octroi d'une dérogation suppose une situation exceptionnelle et ne saurait devenir la règle, à défaut de quoi l'autorité compétente pour délivrer des permis de construire se substituerait au législateur cantonal ou communal par le biais de sa pratique dérogatoire. Elle implique une pesée entre les intérêts publics et privés de tiers au respect des dispositions dont il s'agirait de s'écarter et les intérêts du propriétaire privé à l'octroi d'une dérogation, étant précisé que des raisons purement économiques ou l'intention d'atteindre la meilleure solution architecturale, ou une utilisation optimale du terrain, ne suffisent pas à elles seules à conduire à l'octroi d'une dérogation (cf. Rhinow/Krähenmann, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Ergänzungsband, Bâle 1990, n° 37, p. 110; cf. arrêt du 23 juin 1997 dans la cause Commune de V. contre Tribunal administratif du canton de Vaud, paru à la Pra 1998 n° 35 p. 243 consid. 4a; ATF T. et autres contre Commune de V. et DAEL du 5 novembre 1998).

 

7. a. La notion de circonstances particulières au sens de l'art. 26 al 1 LALAT est un concept juridique indéterminé laissant une certaine latitude à l'autorité administrative. Mais une dérogation ne peut être ni accordée, ni refusée de manière arbitraire (SJ 1987 397-398; ATA B. et consorts du 22 avril 1997; G. du 18 février 1997). Tel est le cas lorsque la décision repose sur une appréciation insoutenable des circonstances et inconciliable avec les règles du droit et de l'équité et se fonde sur des éléments dépourvus de pertinence ou néglige des facteurs décisifs (ATA B. du 27 août 1996).

 

S'agissant des autorités de recours, elles doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l'administration accorde ou refuse une dérogation. L'intervention des autorités de recours n'est admissible que dans les cas où le département s'est laissé guider par des considérations non fondées objectivement, étrangères au but prévu par la loi ou en contradiction avec elle (ATA A. et consorts du 31 août 1988 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours sont toutefois tenues de contrôler si une situation exceptionnelle, de nature à entraîner une dérogation, est réalisée ou non (ATA L. du 2 septembre 1981). Il s'impose d'interpréter les circonstances de telle sorte qu'elles ne puissent aboutir à une atteinte quantitative ou qualitative à l'affectation de la 5ème zone que le législateur entendait proscrire. C'est pourquoi seules des circonstances très particulières et s'imposant de façon impérieuse peuvent être prises en considération (ATA M. du 28 septembre 1988; B. du 27 août 1996).

 

b. S'agissant de la condition de l'absence d'inconvénients graves pour le voisinage, elle est identique à celle qui est posée pour la tolérance d'activités professionnelles dans une partie d'une habitation (art. 19 al. 3 2ème phrase LALAT) (ATA précité).

 

8. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, le juge doit vérifier si l'administration n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation. Dans ce cadre, le principe de proportionnalité prend une place majeure. Or, ce principe impose une pesée des intérêts militant pour et contre la mesure en cause ( T. TANQUEREL, La pesée des intérêts vue par le juge administratif, in, La pesée globale des intérêts, Droit de l'environnement et de l'aménagement du territoire, 1996, pp. 189 et ss, notamment 192 / 193).

 

9. En l'espèce, le département, suivi par la commission LCI, a accordé la dérogation sollicitée en considérant que les travaux projetés permettraient précisément de diminuer les nuisances éventuellement subies par le voisinage, dès lors que bon nombre de travaux exécutés jusqu'alors à l'extérieur de l'atelier le seraient dorénavant à l'intérieur. Le département a en outre tenu compte du fait que l'entreprise G. était installée sur les lieux depuis 1985 et qu'elle avait succédé à l'entreprise Pansier laquelle existait depuis 1970 sur la même parcelle.

 

10. Dans l'appréciation des circonstances justifiant une dérogation, il convient de prendre en considération le caractère ou l'évolution d'un quartier, le genre et la destination du projet qui, sans être immédiatement compatibles avec les normes de la zone, se révèlent admissibles compte tenu des circonstances (ATA du 7 juin 1994 en la cause D. et les références citées).

 

En l'espèce, l'on ne saurait ignorer que la présence de la menuiserie-charpenterie sur la même parcelle remonte à plus de 30 ans d'une part et que sur la parcelle voisine se trouve une autre entreprise artisanale (entreprise Affolter) d'autre part.

 

L'implantation de ces deux entreprises sur ces parcelles est, de plus, compatible avec le plan directeur du village de Bernex qui affecte le secteur concerné à une vocation artisanale.

 

Ces circonstances sont de nature à militer en faveur de l'octroi d'une dérogation au régime de la zone au sens de l'article 26 al. 1 LALAT. La situation particulière de la parcelle concernée justifie que l'intérêt public au respect de l'affectation de la zone villa cède face à un autre intérêt public ainsi qu'à un intérêt privé prépondérant, en particulier l'intérêt public au respect de la zone définie par le plan directeur communal d'une part et l'intérêt public au maintien d'une entreprise de construction de qualité d'autre part, ainsi que l'intérêt privé à la survie d'une entreprise qui peut encore être qualifiée d'artisanale de par sa taille et au maintien des postes de travail qu'elle représente, il s'agit là d'un intérêt privé non négligeable.

 

11. Reste encore à déterminer si l'octroi de la dérogation est propre à occasionner au voisinage des inconvénients graves au sens de l'article 26 alinéa 1 LALAT, les recourants reprochant à l'entreprise de M. G. d'être génératrice de bruits et de diverses nuisances, en particulier de la poussière.

 

12. S'agissant d'autoriser une construction non conforme à la zone, le Tribunal administratif a déjà jugé que la notion d'inconvénients graves pour le voisinage au sens de l'article 26 al. 1 LALAT ne saurait être appréciée si sévèrement que toute dérogation soit inconditionnellement assimilée à un déclassement de la zone (ATA R. du 22 avril 1997; ATA D. du 7 juin 1994; B. du 22 novembre 1994).

13. La loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01) est applicable aux problèmes de la protection contre les nuisances sonores, de sorte que les dispositions cantonales qui ont pour seul but la limitation quantitative des nuisances de cet ordre n'ont plus de portée propre (ATF 117 Ib 156 et références citées; 118 Ia 112; ATA du 7 juin 1994 en la cause D. et les références citées).

 

Selon le Tribunal fédéral, le droit fédéral de l'environnement ne règle ni les effets indirects d'une installation sur la planification locale ou l'infrastructure, ni les autres inconvénients pour les habitants des quartiers voisins, tels la mise en danger des piétons (ATF 116 I 175).

 

La LPE donne compétence au Conseil fédéral de dicter des valeurs limites d'immissions relatives aux bruits (art. 13 et 15 LPE) et de les fixer de manière à ce que les immissions inférieures à ces valeurs ne gênent pas de manière sensible la population dans son bien être. L'exécution de cette loi incombe en principe aux cantons (art. 36 LPE).

 

Dans les zones d'affectation selon les articles 14 et suivants de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), les degrés de sensibilité suivants sont à appliquer (art. 42 al. 1 de l'Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 - OPB - RS 814.41) :

 

i) Le degré de sensibilité I dans les zones qui requièrent une protection accrue contre le bruit, notamment dans les zones de détente;

 

ii) Le degré de sensibilité II dans les zones où aucune entreprise gênante n'est autorisée, notamment dans les zones d'habitation ainsi que dans celles réservées à des constructions et installations publiques;

 

iii) Le degré de sensibilité III dans les zones où sont admises des entreprises moyennement gênantes, notamment dans les zones d'habitation et artisanales (zones mixtes), ainsi que dans les zones agricoles;

 

iv) Le degré de sensibilité IV dans les zones où sont admises des entreprises fortement gênantes, notamment dans les zones industrielles.

 

Les degrés de sensibilité aux bruits doivent, aux termes de l'OPB, être attribués au moment de l'élaboration de la modification des plans d'affectation (art. 44 OPB). Avant l'attribution, les degrés de sensibilité seront déterminés cas par cas par les cantons au sens de l'article 43 OPB.

 

A Genève, le règlement d'application transitoire de la LPE du 1er juillet 1987 (K/1/26,5) attribue les degrés de sensibilité aux bruits lorsque cela n'a pas été fait par le plan d'affectation. Les terrains situés dans les quatrième et cinquième zones à bâtir au sens de l'article 19 LALAT ont un degré de sensibilité II. La question de la conformité de ce règlement à l'OPB ainsi qu'à la jurisprudence fédérale y relative doit rester ouverte dans la mesure où des recourants n'ont à aucun moment prétendu qu'un autre degré de sensibilité devrait être attribué à la zone en cause, la question du degré I, relatif aux zones de détente ne se posant de toute façon pas.

 

Lors des procédures d'autorisations de nouvelles constructions ou de changements d'affectation, le département doit s'assurer que les prescriptions de droit fédéral sont respectées. Il convient de ce fait de s'assurer que la valeur limite d'exposition aux bruits ne sera pas dépassée. En l'espèce, le département n'avait pas estimé nécessaire de faire procéder à une évaluation par le service d'écotoxicologie. Cet éventuel vice de procédure a été réparé par l'acte d'instruction auquel le Tribunal administratif a procédé.

 

14. a. En l'espèce, le service d'écotoxicologie a attribué le degré de sensibilité II à la parcelle concernée. Cet élément n'est contesté par aucune des parties.

 

En revanche c'est en vain que M. L. et consorts réclament une nouvelle expertise : les constatations faites par Ecotox en 1994 restent d'actualité. En effet, les travaux objet des autorisations querellées ne visent en réalité qu'à régulariser la situation existante, soit celle qui existait au moment où Ecotox a procédé à l'évaluation des nuisances sonores. M. G. a pris les mesures qui lui étaient imposées par le service technique et a de plus procédé à l'isolation de l'atelier objet de l'autorisation APA 15'242. Il n'est par ailleurs pas démontré que les travaux querellés auront pour conséquence un accroissement des activités de l'entreprise de M. G.. Ainsi, faute d'éléments nouveaux, le Tribunal administratif n'a pas de raisons de s'écarter des conclusions d'Ecotox, selon lesquelles les valeurs d'évaluation des immissions sonores propres à la zone considérée sont respectées.

 

b. Si le droit fédéral sur la protection de l'environnement apparaît en l'espèce respecté, il convient encore de déterminer dans quelle mesure les travaux projetés sont de nature à entraîner d'autres nuisances pouvant être prises en considération dans le cadre du droit cantonal, en particulier eu égard à l'article 14 LCI.

 

c. Le département peut refuser les autorisations prévues à l'article 1 LCI lorsqu'une construction ou une installation peut créer, par le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, une gêne durable pour la circulation (art. 14 al. 1 let. e LCI). Contrairement aux dispositions cantonales concernant la limitation quantitative des nuisances, l'article 14 alinéa 1 lettre e LCI, qui tend à lutter contre un type de nuisances secondaires, conserve une portée propre (ATA C. du 9 janvier 2001).

 

Les voisins semblent redouter une augmentation de postes de travail de l'entreprise induisant un accroissement du trafic pendulaire. Encore que cet argument ne repose sur aucun élément concret, si tel devait être le cas, l'augmentation du trafic ne saurait être considérée comme une nuisance grave. En effet, selon la jurisprudence du tribunal de céans, l'accroissement du trafic routier, s'il est raisonnable, ne crée pas une gêne durable, au sens de l'article 14 LCI (ATA A. du 30 janvier 2001).

 

15. Il s'ensuit que l'octroi d'une dérogation fondée sur l'article 26 alinéa 1 LALAT est en l'espèce justifié par une situation exceptionnelle et qu'il n'est pas de nature à provoquer des inconvénients graves pour les voisins. C'est au demeurant la seule solution envisageable pour assurer la survie de l'entreprise de M. G.. En ce sens, elle est indispensable dans le sens défini par le Tribunal fédéral (cf. consid. 6 supra). Cela étant, cette solution s'impose eu égard exclusivement au fait que les autorisations querellées permettent en définitive de régulariser une situation existante. M. G. ne saurait s'en prévaloir à l'avenir pour justifier des travaux supplémentaires induisant un accroissement des activités de son entreprise.

 

16. Au vu de ce qui précède, le recours de M. G. contre l'ordre de démolition sera admis dans la mesure où il conserve un objet et le recours de M. L. et consorts rejeté.

 

17. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de M. G..

 

Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de M. L. et consorts, pris conjointement et solidairement entre eux.

 

M. G. obtenant gain de cause, il lui sera alloué une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de M. L. et consorts, pris conjointement et solidairement.

 

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

préalablement :

 

prononce la reprise de la procédure 90.TP.477;

 

à la forme :

 

déclare recevable le recours déposé au greffe du Tribunal administratif le 18 juin 1990 par Monsieur L. G. contre la décision du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du 17 mai 1990 (cause 90.TP.477);

 

déclare recevable le recours interjeté le 24 septembre 2001 par Monsieur J. L. et consorts contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 22 août 2001 (cause A/975/2001);

 

au fond :

 

admet le recours interjeté par Monsieur L. G. contre l'ordre de démolition du 17 mai 1990 dans la mesure où il a encore un objet;

 

rejette le recours de Monsieur L. et consorts;

 

confirme la décision de la commission de recours en matière de constructions du 22 août 2001;

 

met à la charge de Monsieur L. et consorts, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'500.-;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument dans la cause 90.TP.477;

 

alloue à Monsieur L. G. une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de Monsieur L. et consorts, pris conjointement et solidairement;

 

dit que conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il est adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

communique le présent arrêt à Me Pierre Vuille, avocat de Monsieur L. G., à Me Geneviève Carron, avocate de Monsieur J. L. et consorts, à la commission cantonale de recours en matière de constructions, au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement et à l'office fédéral de l'aménagement du territoire.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.: le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

G., le la greffière :

 

Mme M. Oranci