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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1240/2002

ATA/373/2004 du 11.05.2004 ( FIN ) , ADMIS

Descripteurs : IMPOT; REVENU; IMPOT SUR LE REVENU; REPRISE; ACTIVITE LUCRATIVE; INTERPRETATION; IMPOSITION SELON LA CAPACITE CONTRIBUTIVE; CALCUL; FIN
Normes : LCP.10B al.4
Résumé : Activité professionnelle du 1er septembre 1999 au 30 avril 2000, suite à une période de chômage du recourant. L'AFC a annualisé le revenu 1999 pour la période de taxation 2000 en se fondant sur l'article 10B alinéa 4 LCP. Cette annualisation est, dans le cas d'espèce, contraire au principe de l'imposition selon la capacité contributive. Renvoi de la cause à l'AFC afin qu'elle calcule l'impôt sur le revenu effectivement réalisé en 1999, sans annualisation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 11 mai 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur ___S________

 

 

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE D'IMPOTS

 

et

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 



EN FAIT

 

1. Monsieur ___S________, né en 1947, est domicilié à Genève et n'exerce plus aucune activité lucrative depuis le 30 avril 2000. Arrivé en fin de droit en 1997, il ne bénéficie d'aucune allocation de l'assurance-chômage.

 

Il a été sans emploi du 1er janvier 1997 au 31 août 1999 puis, du 1er septembre 1999 au 30 avril 2000, il a travaillé pour la société L________ & ___ (ci-après : L________).

 

2. Dans sa déclaration d'impôts pour l'année 2000 - portant sur les revenus 1999 - l'intéressé a indiqué avoir réalisé un revenu de CHF 24'000.- chez L________. A la demande de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC), il a précisé qu'entre le 1er janvier et le 31 août 1999, il n'avait pas eu de revenus.

 

3. Le 16 novembre 2000, l'AFC lui a transmis son bordereau d'impôts 2000. Fondé sur un revenu brut de CHF 72'000.- et un revenu imposable de CHF 46'055.-, l'impôt total dû s'élevait à CHF 9'584,95.

 

4. Le 9 décembre 2000, M. S________ a élevé réclamation. Son revenu avait été de CHF 24'000.- et non pas de CHF 72'000.-.

 

5. Le 22 décembre 2000, l'AFC a maintenu sa taxation en indiquant que, lors du début de la période de chômage, M. S________ avait bénéficié d'une taxation intermédiaire, telle que prévue à l'article 10B aux alinéas 1 à 3a de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05). Conformément à l'alinéa 4 de cette disposition, les impôts de l'année 2000 avaient été calculés sur le salaire annualisé, réalisé entre le 1er septembre 1999 et la fin de l'année.

 

6. M. S________ a saisi la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : la commission) le 3 janvier 2001. Dans son complément de recours, du 15 février 2001, il a repris l'argumentation qu'il avait développée dans sa réclamation.

 

7. Le 7 juin 2001, M. S________ a transmis à l'AFC un tirage de son contrat d'engagement chez L________. Il a précisé qu'il travaillait en Allemagne, qu'il était payé depuis Londres pour le compte d'une société américaine, via Genève. Il n'avait pas travaillé en Suisse et ne devait pas d'impôts dans ces circonstances.

 

A ce courrier était joint un contrat signé par un directeur de L________, sur un papier indiquant une adresse à Genève. M. S________ avait été engagé pour réaliser des audits de comptes de fournisseurs de sociétés clientes. Le contrat se référait au Code des obligations pour ce qui avait trait aux heures de travail, aux vacances, à la période d'essai et à la résiliation du contrat de travail. Le salaire mensuel prévu était de CHF 6'000.-, auxquels il fallait ajouter des commissions sur honoraires. Il travaillait la plupart du temps hors de Suisse, au domicile des clients.

 

8. Le 29 juin 2001, l'AFC s'est opposée au recours, reprenant et développant son argumentation. L'emploi chez L________, qui n'était pas temporaire, avait duré plus de six mois, dont quatre en 1999.

 

9. Le 14 novembre 2002, la commission a rejeté le recours, faisant fond sur les motifs développés par l'AFC.

 

10. M. S________ a alors saisi le Tribunal administratif d'un recours le 18 décembre 2002. Il a d'une part maintenu qu'il travaillait entièrement à l'étranger et qu'il n'était dès lors pas imposable à Genève et, d'autre part, que l'annualisation de son salaire entraînait un résultat ne reflétant pas la réalité économique.

 

11. L'AFC s'est opposée au recours pour les motifs qu'elle avait déjà exposés antérieurement.

 

12. Interpellé par le juge délégué à l'instruction du dossier afin de savoir si des impôts avaient été prélevés à l'étranger sur les revenus réalisés chez L________, M. S________ a indiqué qu'il n'avait aucune information à ce sujet. Les décomptes de salaires étaient établis par M. Michel Barde, des syndicats patronaux.

 

13. Entendu en comparution personnelle, le 1er décembre 2003, M. S________ a déclaré qu'il contestait l'impôt 2000, calculé sur son revenu 1999. Durant l'année 2000, il avait travaillé quatre mois en tant que dépendant, puis qu'il s'était mis progressivement à son compte. Cependant, cette activité indépendante ne lui avait rien rapporté en 2000. Il avait pu toucher CHF 2'500.- à titre d'honoraires en 2001. Il n'avait jamais payé d'impôts à l'étranger.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. De nouvelles normes fiscales sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001, en application de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, du 14 décembre 1990 (LHID ; RS 642.14). Elles ont abrogé, à partir de cette date, la plupart des dispositions de la LCP. Ces dispositions demeurent cependant applicables, notamment en ce qui concerne l'imposition des personnes physiques, pour les périodes fiscales antérieures à l'année 2001. L'adaptation de la législation fiscale genevoise aux exigences de la LHID est en effet dépourvue d'effet rétroactif, comme l'a relevé le Tribunal administratif selon une jurisprudence constante (ATA C. du 2 mars 2004; M. du 27 janvier 2004; P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 1994, p. 170; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p. 116).

 

b. Le présent litige est donc soumis à la LCP dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2001 pour ce qui concerne les dispositions légales abrogées dès cette date.

 

c. Le 1er janvier 2002 est également entrée en vigueur la loi de procédure fiscale (LPFisc du 4 octobre 2001 D 3 17). La LPFisc prévoit expressément en son article 86 que les règles de procédure s'appliquent dès l'entrée en vigueur de cette loi aux causes encore pendantes. Il s'ensuit qu'en matière de procédure, c'est la LPFisc qui est applicable à la présente cause. Cependant cette modification législative n'influe nullement sur la solution du litige.

 

3. Selon l'article 2 alinéa 1 lettre a LCP, les personnes physiques domiciliées dans le canton sont astreintes au paiement des impôts sur le revenu. Le domicile est déterminé par les articles 23 à 26 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210).

 

4. Selon le système ordinaire praenumerando du droit fiscal genevois, tel qu'il est prévu à l'article 17 al. 1 LCP, l'impôt est perçu sur la base du revenu réalisé par le contribuable pendant l'année qui précède celle au cours de laquelle l'impôt est exigible. La LCP ne prévoit des exceptions à ce mode de calcul que dans les situations bien précises expressément visées par la loi (art. 17 al. 2 et 3 LCP et art. 10 A et B LCP; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, Bâle 1998, p. 138).

 

5. L'article 10B LCP a la teneur suivante:

 


"La personne au chômage, pour une période consécutive d'au moins six mois, n'est imposée sur le produit de son activité lucrative qu'en proportion du temps pendant lequel elle a travaillé au cours de l'année de cessation de son activité.

 

Le produit de son activité lucrative n'est pas pris en considération pour le calcul de l'impôt de l'année suivant celle de la cessation de son activité.

 

Si, durant l'année de taxation, le produit de son

activité lucrative est remplacé par des prestations périodiques, celles-ci lui sont substituées dans le calcul de l'impôt.

 

Au moment de la reprise d'une activité lucrative,

la personne est taxée pour le reste de l'année sur

la base des revenus acquis après qu'elle a repris

son activité, calculée sur 12 mois".


 

6. M. S________ est domicilié à Genève. Il a travaillé pour une société ayant son siège à Genève, qui l'a envoyé en Allemagne, travailler chez des clients, mais il n'a jamais payé d'impôts là-bas. Il est par conséquent contribuable à Genève.

 

7. a. Dans l'exercice de ses compétences, l'autorité fiscale est soumise à un certain nombre de règles constitutionnelles dont le respect s'impose strictement. Pour prélever des contributions publiques, elle doit pouvoir se fonder sur une loi et respecter des principes généraux, notamment l'égalité de traitement et le principe de l'imposition selon la capacité contributive (ATF 118 Ia 1, 3, et les arrêts cités), qui découlent de l'article 4 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874. Aujourd'hui, le respect de ces principes est explicitement consacré à l'article 127, alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). Le principe de la capacité économique en matière fiscale exige que chaque citoyen contribue aux dépenses publiques, compte tenu de sa situation et en proportion de ses moyens (ATF 122 I 101, consid. 2, b) aa), p. 103 in RDAF 1997 185, P. 186 ainsi que les arrêts et la doctrine cités; ATF 118 Ia 1; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1998, p. 22; J.-M. RIVIER, Droit fiscal suisse, L'imposition du revenu et de la fortune, Lausanne 1998, p.84).

 

b. L'AFC s'est fondée sur l'article 10B alinéa 4 LCP pour percevoir l'impôt pour l'année 2000 auprès du recourant. La question qui se pose est celle de savoir si l'AFC a respecté les principes généraux, notamment le principe de l'imposition selon la capacité contributive, en interprétant littéralement le texte de l'article 10B alinéa 4 LCP, ce qui a eu pour conséquence une annualisation du revenu acquis par le recourant après le 1er septembre 1999.

 

8. a. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte de cette dernière n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté de son auteur, telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique). Le sens que prend la disposition dans son contexte est également important. En outre, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution de la Confédération suisse ( ATF 129 V 258 consid. 5, p. 264; ATF 128 II 347 consid. 3.5, 128 V 105 consid. 5, 207 consid. 5b, 125 II 484 consid. 4; ATF 119 Ia 241, 248; A. GRISEL, Traité de droit administratif, Volume I, Neuchâtel 1984, p. 124 et suivantes; P. MOOR, Droit administratif, Volume I, Berne 1994, p. 142, n. 2.4.1.1.).

 

b. L'article 10B alinéa 4 LCP ne détermine pas ce qu'il faut comprendre par "la reprise d'une activité lucrative". Il ne spécifie pas à partir de combien de jours on peut considérer qu'une personne a réellement repris une activité lucrative; en d'autres termes, cette norme ne permet pas en soi de distinguer, d'une part, les missions de courtes durées ("gains intermédiaires"), qui sont aussi une activité lucrative puisqu'ils sont le produit d'un travail, et d'autre part "la reprise d'une activité lucrative" à long terme. Or, il a été admis par la jurisprudence (ATA C. et D. du 31 juillet 1996) que les personnes qui bénéficient de gains intermédiaires ne sont pas exclues par le texte de l'article 10 B alinéa 1 LCP et peuvent ainsi bénéficier des taxations intermédiaires. Cette solution se justifie par la crainte que certains chômeurs renoncent à des missions de courte durée pour bénéficier de cette disposition (MGC 1993 p. 352 ss., p. 354 cité in ATA L. du 30 juin 1998). Il pourrait en aller de même pour les chômeurs qui refuseraient un poste de travail de peur de ne pas pouvoir bénéficier des taxations intermédiaires au cas où ils perdraient à nouveau leur travail peu de temps après la reprise d'une activité lucrative, par exemple après une période d'essai, qui peut durer jusqu'à trois mois (ATF 109 II 449 in JdT 1984 I 223).

L'AFC s'est fondée principalement sur la conclusion d'un contrat de durée indéterminée entre le recourant et une société pour déterminer "la reprise d'une activité lucrative", en interprétant cette expression littéralement. La loi ne définit pas cette notion, alors qu'elle n'est pas claire et qu'elle est sujette à plusieurs interprétations. La question de savoir si une période de travail de huit mois peut être considérée comme une reprise d'une activité lucrative n'étant pas déterminante pour l'issue du litige, elle peut rester ouverte.

c. Le but du projet de l'article 10B LCP était de régler de manière particulière une situation elle-même particulière, à savoir celle du contribuable au chômage (MGC 1992 VI p. 6382). En effet, avant cette modification, le chômeur devait faire face à une obligation fiscale calculée sur le revenu de l'année précédente. Ces calculs d'impôts, bien que légaux, étaient tout à fait incompatibles avec les possibilités économiques du moment, puisqu'il fallait partir de la fiction selon laquelle le revenu du contribuable durant l'année de taxation était identique à celui de l'année précédente. Comme l'impôt direct des personnes physiques est déterminé en fonction de la fortune et du revenu, il était nécessaire de l'adapter à la capacité économique réelle, et non plus fictive, du chômeur. En adoptant cet article, le Grand Conseil avait concrétisé le principe de l'imposition selon la capacité contributive.

 

L'annualisation du revenu acquis après la reprise d'une activité lucrative (article 10B al. 4 LCP) se base sur une fiction (cf. système ordinaire praenumerando) selon laquelle la personne ayant repris une activité lucrative au cours de l'année, qui sert de base de calcul, dispose de la même capacité contributive qu'au cours de la période de taxation, qui est constituée de douze mois. Cependant, si la personne cesse de travailler pendant l'année de taxation, le revenu annualisé de l'année précédente ne correspond plus à celui qu'elle aurait effectivement réalisé pendant l'année de taxation, par conséquent le contribuable est taxé sur un revenu fictif. Ce résultat, dans ce cas, est comparable à l'annualisation du revenu réalisé depuis l'assujettissement d'un contribuable jusqu'à la fin de l'année précédant l'année de taxation (art. 17 al. 3 LCP). Le Tribunal de céans s'est prononcé à ce sujet en précisant que la prise en considération d'un revenu fictif est contraire au principe de l'imposition selon la capacité contributive (ATA B. du 14 novembre 1995 in RDAF 1996 p. 60; ATA S. du 26 novembre 1980).

En l'espèce, l'impôt dû par le recourant pour la période de taxation 2000 a été calculé sur la base des revenus acquis après le 31 août 1999 et annualisés. Cependant, le recourant n'a pas pu gagner les CHF 72'000.-, correspondant à ses revenus 1999 annualisés, durant l'année 2000 puisqu'il a cessé de travailler le 30 avril 2000, suite à quoi il n'a plus réalisé de revenu. L'annualisation du revenu acquis en 1999 conduit à l'attribution au recourant d'un revenu fictif. Le recourant se voit réclamer CHF 9'784,95 à titre d'impôt, correspondant à un revenu annuel de CHF 72'000.-, alors qu'il n'a réalisé qu'un revenu brut de 24'000.- en 1999 et le même en 2000. Le montant de l'impôt correspond environ à 40% du revenu réalisé. Il est manifestement disproportionné et n'est pas adapté à la capacité économique réelle du recourant.

 

9. L'interprétation que l'AFC a faite de l'article 10B alinéa 4 LCP, conduisant à l'annualisation du revenu acquis en 1999, viole le principe de la capacité contributive.

 

10. Vu ce qui précède, le recours sera admis, la décision attaquée sera annulée et la cause renvoyée à l'AFC pour qu'elle calcule l'impôt 2000 du recourant sur la base du revenu réalisé entre le 1er septembre 1999 et le 31 décembre 1999, sans annualisation.

 

Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu.

 

Il ne sera pas alloué d'indemnité, le recourant n'ayant pas allégué avoir encouru de frais particuliers pour sa défense.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 18 décembre 2002 par Monsieur ___S________ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 14 novembre 2002;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision attaquée;

 

renvoie le dossier à l'administration fiscale cantonale au sens des considérants;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Monsieur __S________ ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière d'impôts et à l'administration fiscale cantonale.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega