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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/48/1999

ATA/368/1999 du 15.06.1999 ( IEA ) , ADMIS

Descripteurs : IEA
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 15 juin 1999

 

 

 

dans la cause

 

 

SI X

représentée par Me Bruno Mégevand, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE

représentée par Me Marie-Claude de Rham-Casthélaz, membre de la commission



EN FAIT

 

1. La société anonyme SI X (ci-après: la SI) est propriétaire des parcelles n°  et, fe de la commune de Plan-les-Ouates. Leurs surfaces respectives sont de 10'461 m² et 3'357 m².

 

2. Ces parcelles sont situées en zone agricole, développement 3; à ce jour, elles ne sont ni bâties, ni incluses dans un plan localisé de quartier (ci-après: PLQ) entré en force.

 

3. En 1997, la SI a demandé au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (précédemment département des travaux publics et de l'énergie; ci-après: DAEL) l'octroi d'une autorisation de construire trois immeubles d'habitation et des garages souterrains sur ces parcelles.

 

4. La SI, par l'intermédiaire de Me Jean-Luc Ducret, notaire, a saisi la commission foncière agricole (ci-après: CFA) le 23 octobre 1998, requérant le non-assujettissement des parcelles à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11). Elle indiquait qu'elle était propriétaire des parcelles, qui n'étaient ni remises à bail, ni objet d'un droit d'emption ou de préemption, ni dépendantes d'une exploitation agricole, ni enfin appropriées à l'agriculture. La requête était motivée ainsi: "Ne fait pas partie d'une exploitation agricole."

 

5. Le 15 décembre 1998, la CFA a décidé de maintenir l'assujettissement, les conditions de l'art. 10A du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 26 janvier 1994 (RLALDFR - M 1 10.01) n'étant pas satisfaites.

 

6. Le 15 janvier 1999, la SI a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif. Elle concluait à l'annulation de la décision attaquée et au "désassujettissement" des parcelles n° et .

 

7. Dans son mémoire complémentaire du 12 février 1999, la SI a conclu à l'annulation de la décision et au renvoi du dossier à la CFA, ne reprenant les conclusions au fond de son écriture du 15 janvier qu'à titre subsidiaire. Elle motivait cette modification par l'opportunité que la cause fût instruite et jugée en première instance par une juridiction composée de spécialistes.

 

La demande de non-assujettissement avait pour but de rendre possible l'obtention de crédits hypothécaires permettant la valorisation des parcelles. La CFA l'avait rejetée au seul motif que les conditions de l'article 10A RLALDFR n'étaient pas réalisées. Or cette disposition se limitait à permettre au notaire de constater, dans certaines hypothèses, qu'une transaction immobilière n'était pas assujettie à la LDFR. Aucune de ces hypothèses n'étant réalisées en l'espèce, le notaire ne pouvait constater lui-même le non-assujettissement et s'était à juste titre adressé à la CFA, qui devait instruire la cause et examiner la question à la lumière de la LDFR, en particulier de ses articles 2 et suivants. Les parcelles visées n'étaient pas assujetties car, même si un PLQ n'avait pas encore été adopté, le stade d'avancement de la procédure d'adoption justifiait que l'on considérât qu'elles étaient situées en zone à bâtir; au surplus, leur quasi-enclavement en zone à bâtir empêchait leur exploitation rationnelle par une entreprise agricole ou horticole; elles ne répondaient donc plus à la définition de l'article 6 alinéa 1 LDFR.

 

8. Invitée à se déterminer, la CFA a produit ses observations le 9 mars 1999. Elle persistait dans les termes de sa décision et concluait au déboutement de la recourante.

 

Sans un PLQ assorti d'un règlement, les parcelles de la recourante se situaient en dehors d'une zone à bâtir au sens de l'article 2 alinéa 1 LDFR. Elles étaient appropriées à un usage agricole ou horticole au sens de l'article 6 alinéa 1 LDFR, ce qu'aucune considération d'ordre subjectif ne pouvait infirmer; l'absence de toute culture sur ces parcelles, pourtant appropriées, ne pouvait en particulier être retenue.

 

9. Le Tribunal a invité les parties à répliquer et dupliquer, ce qu'elles ont fait, le 16 avril 1999 pour la recourante et le 20 mai suivant pour l'intimée. Elles ont persisté dans leurs conclusions. Selon la recourante, la cause n'avait pas été instruite et l'aptitude des parcelles à l'utilisation agricole ou horticole alléguée par la CFA n'était pas justifiée, à l'instar de l'affirmation selon laquelle aucune considération d'ordre subjectif ne pouvait être retenue. La SI ajoutait que les parcelles avaient déjà perdu toute vocation agricole lors de leur acquisition en 1982, preuve en était le prix payé de CHF 100.-/m², de plus ces parcelles figuraient à leur valeur d'acquisition réévaluée au bilan de la SI, valeur qui était retenue - à l'exclusion de la valeur de rendement - par l'administration fiscale; l'acquisition des parcelles en 1982 n'avait pas suscité d'opposition au sens de l'aLMPR, alors en vigueur; elle se référait enfin à la constatation par le Tribunal administratif, dans un arrêt W. du 23 mars 1999, de l'urbanisation progressive des périmètres "X" et "Y".

 

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 88 et 90 let. f LDFR; art. 13 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 - LALDFR - M 1 10; art. 8 al. 1 ch. 113bis de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai 1970 - LTA - E 5 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. Sont assujettis à la LDFR les immeubles agricoles isolés et les immeubles agricoles qui font partie d'une entreprise agricole, qui sont situés en dehors d'une zone à bâtir au sens de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et dont l'utilisation agricole est licite (art. 2 al. 1 LDFR). Est agricole l'immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (art. 6 al. 1 LDFR). A contrario et sous réserve des cas énumérés à l'article 2 alinéa 2 LDFR, ne sont pas assujettis les immeubles sis en zone à bâtir, ni les immeubles non appropriés au sens de l'article 6 LDFR.

 

b. L'exécution du droit foncier rural incombe essentiellement aux cantons qui règlent la procédure et désignent l'autorité compétente (art. 90 LDFR; ATA C. du 31 janvier 1995). La LALDFR s'applique aux bâtiments et bien-fonds sis en zone agricole au sens de l'article 20 LAT (art. 2 al. 1 LALDFR) ainsi qu'aux immeubles agricoles sis en zone à bâtir au sens de l'article 2 alinéa 2 LDFR (art. 2 al. 2 LALDFR). En application de son article 3 alinéa 1, la LALDFR ne s'applique toutefois pas aux immeubles sis en zone agricole qui ne sont pas appropriés à un usage agricole ou horticole en vertu d'une décision de la CFA, prise conformément à l'article 10 lettre f LALDFR et à teneur de laquelle lesdits immeubles sont exclus du champ d'application de la LDFR. Bien que formulée de façon compliquée, la réglementation genevoise signifie simplement qu'elle s'applique à tous les immeubles - mais à ceux-ci seulement - entrant dans le champ d'application de la LDFR, et que la CFA est l'autorité compétente pour déterminer si un immeuble est ou non soumis à la LDFR.

 

c. Ainsi, le propriétaire foncier qui veut faire constater l'assujettissement, respectivement le non-assujettissement, de sa parcelle ou de son bâtiment à la LDFR doit saisir la CFA (art. 10 al. 1 RLALDFR). Exceptionnellement, cette saisine n'est pas nécessaire (art. 10A al. 1 RLALDFR): le notaire chargé d'une transaction portant sur un immeuble situé en zone agricole peut en constater le non-assujettissement, si celui-ci est situé en zone de développement et s'il est en outre bâti - sans faire partie d'une entreprise agricole - (let. a), au bénéfice d'une autorisation de construire entrée en force (let. b) ou inclus dans un PLQ approuvé par le Conseil d'Etat (let. c).

 

L'article 10A RLALDFR n'est donc qu'une exception à la règle de compétence instituée par l'article 10, une facilité offerte dans des hypothèses bien précises ne présentant pas de difficultés particulières. La CFA ne saurait se fonder sur une telle norme de compétence pour trancher la question de l'assujettissement d'une parcelle à la LDFR. Seules les règles propres de la loi fédérale sont pertinentes à cet égard.

 

3. En tant qu'elle se base sur l'article 10A du RLALDFR, la décision attaquée est donc mal fondée.

 

4. Dans ses observations, la CFA développe une nouvelle argumentation juridique: elle considère l'immeuble comme approprié à un usage agricole ou horticole (art. 6 al. 1 LDFR), car la SI n'a fourni aucun renseignement à la CFA sur la situation des parcelles et l'usage qui en a été fait; pour la CFA, lesdites parcelles sont "aptes à être utilisées de manière agricole ou horticole et aucune considération d'ordre subjectif ne peut être retenue pour infirmer cette constatation", notamment le fait qu'elles ne sont pas cultivées.

 

a. La CFA est une autorité administrative de première instance autonome et non pas un organe de préavis et d'instruction d'une autorité administrative; elle doit être considérée comme une autorité administrative au sens des articles 1 alinéa 2 et 5 lettre g LPA (ATA C. du 31 janvier 1995 et réf. citées). Les règles de la LPA s'appliquent donc à la prise de décisions par la CFA (art. 1 al. 1 LPA).

 

b. L'autorité établit les faits d'office; elle n'est pas limitée par les allégués et les offres de preuves des parties (art. 19 LPA).

 

La CFA a en l'espèce "constaté" l'aptitude des parcelles à un usage agricole ou horticole sans avoir procédé à la moindre mesure d'instruction. Dans la mesure où elle s'estimait insuffisamment informée et en application de l'article 19 LPA, elle aurait dû pour le moins demander à la requérante de lui fournir des renseignements propres à déterminer si les parcelles sont appropriées à un usage agricole ou horticole, voire effectuer un transport sur place (cf. art. 37 LPA) ou toute autre mesure d'instruction utile.

 

Les constatations de la CFA ne sont fondées sur aucun fait établi et ne sauraient donc être retenues.

 

5. La question de la réalisation des conditions de l'article 6 alinéa 1 LDFR n'est pas tranchée et ne peut l'être en l'état, en l'absence de toute instruction. Or, cette question est déterminante: si l'on conclut que les parcelles de la recourante ne sont pas agricoles au sens de cette disposition, il faudra constater que la LDFR ne leur est pas applicable et ce, indépendamment de la question de savoir si elles se trouvent dans une zone qui doit être qualifiée d'agricole ou de zone à bâtir.

 

6. Le recours sera donc admis, la décision annulée et la cause renvoyée à la CFA afin qu'elle instruise la cause et statue sur la base des éléments recueillis et des documents produits par la SI.

 

7. Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu.

 

La recourante conclut à l'allocation en sa faveur d'une indemnité au sens de l'article 87 alinéa 2 LPA. Dès lors qu'elle obtient gain de cause, il y sera fait droit par le versement d'une somme de CHF 1'000.-.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 15 janvier 1999 par la SI Les X contre la décision de la Commission foncière agricole du 15 décembre 1998;

 

au fond :

 

l'admet ;

 

annule la décision entreprise;

 

renvoie la cause à l'intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à la recourante une indemnité de CHF 1'000.-;

 

communique le présent arrêt à Me Bruno Mégevand, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Marie-Claude de Rham-Casthélaz, membre de l'autorité intimée.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci