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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1108/1999

ATA/302/2000 du 16.05.2000 ( TPE ) , REJETE

Descripteurs : TPE
Parties : ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DE DEFENSE DES LOCATAIRES / COMMISSION DE RECOURS LCI, DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT, MINKOFF Francis

 

 

 

 

 

 

 

 

du 16 mai 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

ASLOCA-RIVE

représentée par Me Jocelyne Deville-Chavanne, avocate

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

et

 

Monsieur Francis MINKOFF

assisté de Me Dominique Burger, avocat

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur Francis Minkoff est propriétaire d'un appartement de cinq pièces, d'une surface brute d'environ 130 m2, situé au 5ème étage de l'immeuble 29, Quai des Bergues à Genève-Cité.

 

2. Il est également administrateur de la SI CHAMPEL-BELLEVUE, laquelle est propriétaire d'une surface de bureaux d'environ 145 m2, situé au 4ème étage de l'immeuble 15, rue Marignac, à Genève-Plainpalais.

 

3. M. Minkoff désire transformer, d'une part, l'appartement précité en bureaux, et, d'autre part, la surface de logement susmentionnée en appartement.

 

A cet effet, M. Minkoff a déposé auprès du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après le département), deux requêtes en autorisation de construire, par voie de procédure accélérée (dossier APA 14'572 et APA 14'573 respectivement).

 

4. En date du 3 août 1998, la Ville de Genève a émis un préavis défavorable, d'une part, au changement d'affectation de " ce très bel appartement de 5 pièces situé dans un sous-secteur du centre-ville où le logement est déjà sous représenté " et, d'autre part, à la compensation proposée au 15, rue Marignac, celle-ci se situant hors du périmètre du centre-ville.

 

5. Par la délivrance des autorisations en procédure accélérée APA 14'572 et APA 14'573, publiées dans la feuille d'avis officielle du 28 décembre 1998, le département a néanmoins autorisé M. Minkoff à procéder aux changements d'affectation requis.

L'autorisation APA 14'572 précisait (condition n°6) que "les structures porteuses, ainsi que tous autres éléments architecturaux caractéristiques, notamment les verrières, les décors intérieurs et extérieurs, les terrasses entre les bâtiments et la rue, devront être préservés".

 

L'autorisation APA 14'573 précisait en outre que "le loyer de l'appartement offert en compensation n'excédera pas Frs. 3'800.¾la pièce l'an, pendant 5 ans à compter de la première mise en location (condition n°6)".

 

6. Par actes du 27 janvier 1999 déposés auprès de la Commission de recours instituée par la loi sur les constructions et installations diverses (ci-après la Commission), l'ASLOCA a déclaré recourir contre les autorisations de construire délivrées par le département, au motif que :

 

- la compensation proposée à la rue Marignac, d'une part, n'intervient pas dans le même quartier, mais "hors ville" et, d'autre part, n'offre pas "des conditions de logement au moins équivalentes" (surface de logement, vue, orientation). Par conséquent, elle viole l'art. 8 al.2 de la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maison d'habitation du 23 mars 1996 (recours n° 6135 contre l'APA 14'572).

 

- le logement sis 15, rue Marignac, ne remplit pas les conditions de l'article 8 LDTR, en vertu desquelles le loyer doit correspondre aux besoins prépondérants de la population, dès lors qu'il dépasse Frs. 3'225.¾la pièce et l'an (recours n° 6136 contre l'APA 14'573).

 

7. M. Minkoff a fait part de ses observations en date du 1er mars 1999, en insistant sur le fait que le loyer de l'appartement sis au Quai des Bergues était de plus de Frs. 9'240.¾la pièce l'an. Par conséquent, ce type de logement ne correspond nullement à un besoin prépondérant de la population. La compensation avec l'appartement à la rue Marignac, au prix de Frs. 3'800.-- la pièce par an, permet l'arrivée, dans le parc immobilier genevois, d'un appartement de 6 pièces, au prix maximum particulièrement raisonnable de Frs. 1'900.¾par mois, compte tenu du quartier et des caractéristiques de l'immeuble.

 

8. Par décision du 8 octobre 1999, la Commission, après avoir ordonné la jonction des recours n° 6135 et 6136, a déclaré "les recours non fondés en tant qu'ils concernent le changement d'affectation prévu par le chiffre 5 des autorisations APA 14'572 et APA 14'573".

 

Dans ses considérants, la Commission s'est référée à un changement d'affectation similaire accepté en 1996, s'agissant d'un appartement sis au 2ème étage de l'immeuble 29, Quai des Bergues en échange de locaux dans l'immeuble sis, 15, rue Marignac. Sur recours de l'ASLOCA, la Commission avait déjà eu l'occasion de s'exprimer sur la question de la situation des immeubles compensés. Elle avait confirmé les autorisations délivrées au motif que "la préservation de l'habitat est tout aussi digne de protection à la rue Marignac que sur le Quai des Bergues".

 

Toutefois, la Commission a déclaré le recours dirigé contre l'APA 14'573 fondé en tant qu'il concerne le chiffre 6 de cette autorisation de construire. Elle a donc réformé le chiffre 6 et fixé le loyer à la pièce de l'appartement à Frs. 3'300.¾l'an pour une durée de cinq ans à partir de la première mise en location.

 

9. En date du 18 novembre 1999, l'ASLOCA-RIVE a recouru au Tribunal de céans contre la décision précitée, concluant à l'annulation de cette dernière, ainsi que des autorisations n° APA 14'572 et APA 14'573 délivrées par le département en date du 22 décembre 1998.

 

10. M. Minkoff s'est opposée au recours et a conclu au déboutement de la recourante de toutes ses conclusions ainsi qu'à la confirmation de la décision de la Commission du 8 octobre 1999.

 

Le département, dans sa réponse du 22 décembre 1999, a pris les mêmes conclusions que M. Minkoff.

 

11. A la lecture des observations déposées par M. Minkoff et le département, l'ASLOCA-RIVE a complété son recours, par courrier du 21 janvier 2000.

 

12. Ce à quoi le département et M. Minkoff ont répondu, en dates des 22 et 28 février 2000, respectivement.

 

13. Par courrier spontané du 13 mars 2000, la Ville de Genève a fait part de ses observations, au titre d' "appui du recours formé par l'ASLOCA". Elle considère en effet, que les changements d'affectation et la proposition de compensation autorisés ne respectent ni les principes convenus avec le département, ni la Loi sur les démolition, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996. Elle prétend, d'une part que la compensation doit s'opérer dans le même quartier et que, d'autre part, la proportion de logements par rapport aux surfaces d'activités n'est pas respectée dans le cas d'espèce.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. L'article 60 lettre b LPA a la même portée que l'article 103 lettre a de la loi fédérale d'organisation judiciaire, du 7 décembre 1943 (OJ-RS 173.110) (ATA du 19 octobre 1993 en la cause BAUMANN).

 

Le Tribunal Administratif applique donc les dispositions cantonales sur la qualité pour agir à la lumière de la jurisprudence fédérale relative à l'article 103 lettre a LOJ (ATA du 7 septembre 1993 en la cause Association 1816).

 

Une association peut recourir soit pour la défense de ses propres intérêts, soit pour la défense des intérêts de ses membres, si ses statuts prévoient un tel but et si un grand nombre de ses membres ont eux-mêmes la qualité pour agir (ATF 113 I B 365).

 

En l'espèce, une jurisprudence constante du Tribunal de céans admet la qualité pour recourir de l'ASLOCA dans des cas semblables.

 

Concernant la Ville de Genève, il y a lieu de considérer qu'elle n'a pas la qualité pour recourir, ni d'ailleurs pour intervenir.

 

D'une part, l'article 73 alinéa 2 LPA précise que "lorsque le recours est porté devant une juridiction de seconde instance, toutes les parties à la procédure de première instance sont invitées à se prononcer sur le recours". Or, la Ville de Genève a été convoquée à l'audience du 28 mai 1999 par devant la Commission à titre de renseignement uniquement, en tant qu'auteur de préavis. Par conséquent, et ainsi qu'il ressort clairement de la décision de la Commission du 8 octobre 1999 (1ère page), cette dernière n'est pas partie à la procédure devant la Commission.

 

D'autre part, l'art. 45 al. 6 LDTR renvoie expressément à l'article 60 LPA, en matière de qualité pour recourir. L'art. 60 let.b) LPA précise que " toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée a qualité pour recourir ". Dans le cas d'espèce, la Ville de Genève ne fait valoir que des motifs d'intérêt général. Elle ne démontre pas que ce les transformations dont il est question ici la toucherait de manière particulière et pour cause.

 

Par surabondance de motifs, on notera enfin que l'issue du litige serait la même si la Commission avait considéré que la Ville de Genève avait régulièrement pris part à la procédure.

 

Le Tribunal de céans n'est donc pas lié par les observations spontanées de cette dernière, visant selon ses termes, à " appuyer le recours de l'ASLOCA ". Lesdites observations seront écartées de la procédure.

 

3. Depuis la délivrance des autorisations de construire litigieuses en décembre 1998, l'article 8 alinéa 2 de la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitations, du 25 janvier 1996 (ci-après LDTR) a été modifié par l'entrée en vigueur, le 16 octobre 1999, de la loi modifiant la LDTR du 25 mars 1999.

 

L'article 50 alinéa 2 LDTR précise que " les dispositions de la présente loi s'appliquent aux demandes d'autorisation pendantes devant le département au jour de son entrée en vigueur, ainsi qu'à celles qui, à ce même jour, font l'objet de procédures pendantes devant la commission de recours ou le Tribunal administratif ". Au regard de l'article 50 alinéa 3 nouveau LDTR, les deux premiers alinéas de l'article 50 LDTR sont également applicables aux modifications apportées par la nouvelle loi.

 

Il en résulte que l'article 8 LDTR dans sa nouvelle teneur est applicable aux présentes autorisations de construire, objet d'un recours pendant, par devant le Tribunal administratif.

4. En vertu de l'article 7 LDTR, " Nul en peut, sous réserve de l'octroi d'une dérogation au sens de l'article 8, changer l'affectation de tout ou partie d'un bâtiment au sens de l'article 2, alinéa 1, occupé ou inoccupé ".

 

5. Au sens de l'article 8 alinéa 1 LDTR, le département peut autoriser un changement d'affectation lorsque les circonstances le justifient, notamment en vu du maintien ou du développement des activités existantes dans un immeuble.

 

"En cas de changement d'affectation, les surfaces de logements supprimées seront compensées par la réaffectation simultanée de surfaces commerciales ou administratives en logement" (article 8 alinéa 2 1ère phrase LDTR).

 

6. "Antérieurement, l'article 8 alinéa 2, 2ème phrase, exigeait en plus, que les locaux réaffectés au logement aient une surface au moins équivalente à celle qui était soustraite ; ils devaient être situés" en règle générale "dans le même quartier et offrir des conditions de logement et de loyer au moins équivalentes" (ATA du 4 avril 2000, p.7).

 

Un groupe de députés avait initialement proposé de supprimer les termes " en règle générale ", afin de réaffirmer que les surfaces compensatoires devaient se trouver dans le même quartier et éviter que des compensations très éloignées ne soient acceptées (cf. PL 7752 ; mémorial 1997 p. 10557 et 10563).

 

Or, selon le rapport de majorité de la commission à laquelle ce projet de loi avait été renvoyé, la suppression des termes " en règle générale " risquait de trop rigidifier la loi, en empêchant le département de distinguer les opérations situées dans des quartiers fortement habités de celle intervenant dans des secteurs ayant un faible taux de logements, comme le centre ville.

 

Cette majorité, souhaitant néanmoins éviter qu'une trop grande souplesse dans l'admission des solutions compensatoires aux changements d'affectation ne contribue à vider le centre ville de ses habitants, a fait sienne la solution préconisée par le chef du département, consistant à rétablir les mots " en règle générale ", tout en ajoutant une phrase stipulant que " le département tient compte de la proportion de logements par rapport aux surfaces d'activité. En cas de doute, ou sur demande du requérant, il consulte la commission d'urbanisme, qui préavise " (Mémorial du Grand Conseil, p. 1085). Cette solution permettait au département de conserver une faible marge de manœuvre en cas de changements d'affectation lorsque l'opération était située dans un quartier habité et, inversement, elle garantissait que les locaux réaffectés au logement soient situés à proximité immédiate des locaux transformés en bureaux, si ces derniers se trouvaient dans un secteur fortement habité.

7. Ce projet a été adopté tel quel, lors du vote final (Mémorial 1999, pp. 1438, 1570 et 1577). La seconde phrase du 2ème alinéa, qui prévoyait que les logements compensatoires devaient en règle générale être situés dans le même quartier et offrir les mêmes conditions de logement ainsi que des loyers équivalents, a été supprimée. L'exigence d'une identité de quartier et de qualité de logement a donc disparu de la loi.

 

L'article 8 alinéa 2, dans sa nouvelle teneur, se présente comme suit : "En cas de changement d'affectation, les surfaces de logements supprimées seront compensées par la réaffectation simultanée de surfaces commerciales ou administrative en logement. Le département tient compte de la proportion de logements par rapport aux surfaces d'activité. En cas de doute, ou sur demande du requérant, il consulte la commission d'urbanisme, qui préavise".

 

8. Ainsi, le fait que les logements créés en compensation des nouvelles surfaces affectées aux bureaux ne soient pas dans le quartier, n'a pas d'importance en l'espèce. Tous deux se trouvent en ville. Il en va de même pour l'exigence de la qualité équivalente des locaux d'habitation, cette condition ayant aussi été supprimée par le législateur.

 

Ainsi, une opération de compensation peut avoir lieu dans des quartiers forts différents, pour autant que la proportion de logement par rapport aux surfaces d'activités soit respectée, ce qui est le cas ici.

 

Contrairement aux dires de la recourante, la compensation proposée offre des conditions équivalentes, notamment au niveau de sa surface.

 

En conséquence, l'octroi de la dérogation est en tous points justifiée en l'espèce, au regard du nouvel article 8 LDTR.

 

9. Vu l'issue du litige, un émolument de procédure, en Frs. 1'500.--, sera mis à la charge de ASLOCA. Une indemnité de procédure, aussi à la charge de ASLOCA, de Frs. 1'500.¾sera versée à M. Minkoff.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 1999 par ASLOCA-RIVE contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 8 octobre 1999;

 

au fond :

le rejette;

confirme la décision attaquée;

 

confirme les autorisations de construire n° APA 14'572 et APA 14'573;

 

met à la charge de la recourante un émolument de Frs. 1'500.--;

 

alloue à M. Minkoff une indemnité de Frs. 1'500.--, à la charge de l'ASLOCA;

 

communique le présent arrêt à Me Jocelyne Deville-Chavanne, avocate de l'association recourante, à Me Dominique Burger, avocate de M. Minkoff, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière de construction et au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.

 


Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges, Yves Bonard, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

le secrétaire-juriste : le président :

 

O. Bindschedler Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci