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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4745/2017

ATA/236/2019 du 12.03.2019 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE; FONCTIONNAIRE; RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC; SERVICE DE PERMANENCE; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : LPAC.1.al1.letb; RPAC.7.al1; RPAC.8; LPol.18; LPol.21.al1; RGPPol.2.al1; RGPPol.3; RGPPol.7
Résumé : Il y lieu d'admettre que le dispositif mis sur pied, qui ne prévoyait pas de libérer formellement et à l'avance les fonctionnaires, imposait à ces derniers un service de piquet.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4745/2017-FPUBL ATA/236/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 mars 2019

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Jacques Roulet, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ DE L’EMPLOI ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1.1) Dans le courant de l’année 2016, Genève a été le cadre des négociations sur la paix en Syrie qui ont nécessité des dispositifs sécuritaires importants. Une planification prévisionnelle, nommée Euphrate (ci-après : planification prévisionnelle Euphrate), a été mise en place par le département de la sécurité et de l'économie, devenu depuis lors le département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (ci-après : le département), afin de s’assurer qu’au moins quarante et un fonctionnaires de police puissent être rapidement mobilisés.

2.2) Par courriers des 27 juillet 2016 et 24 août 2016, le syndicat de la police judiciaire a interpellé la direction de la police judiciaire. La planification prévisionnelle Euphrate constituait une atteinte manifeste et importante à la vie privée des collaborateurs et celle-ci n’était pas compensée. L’impact financier n’était pas à négliger.

3.3) Par courrier du 6 septembre 2016, le conseil du syndicat de la police judiciaire a demandé à Monsieur B______, des ressources humaines de la police cantonale genevoise, de pouvoir le rencontrer afin de discuter ensemble des problématiques soulevées par la planification prévisionnelle Euphrate.

Celle-ci empêchait non seulement les policiers d’organiser leur vie privée, mais péjorait la programmation des reprises de congés ou de vacances, voire des jours de repos et des heures supplémentaires. Elle empêchait également le bon déroulement d’un certain nombre d’enquêtes en cours. De plus, un service de réserve ou de piquet devait être rémunéré, ce qui n’était pas le cas. Enfin, des collaborateurs s’étaient vu reprendre des congés sur les plages horaires de la planification prévisionnelle Euphrate et pour des services qui n’entraient pas dans la mission en question. La crainte existait donc d’une généralisation d’un travail à la demande, incompatible avec les règles applicables et le respect de la vie privée.

4.4) Par courrier des 2 et 8 novembre 2016 adressés à M. B______, le conseil du syndicat de la police judiciaire a constaté l’échec des discussions qui s’étaient déroulées les 28 septembre 2016 et 4 octobre 2016, a confirmé l’illégalité de la planification prévisionnelle Euphrate et a formellement demandé que les rémunérations de tous les policiers de la police judiciaire qui avaient été concernés par la planification prévisionnelle Euphrate soient chiffrées, afin qu’ils soient rémunérés.

5.5) La planification prévisionnelle Euphrate a été suspendue dès le samedi 12  novembre 2016.

6.6) Le 15 décembre 2016, une note de service rédigée par Monsieur C______, chef de section, à la demande de Monsieur D______, de la police judiciaire, précisant le fonctionnement de la planification prévisionnelle Euphrate a été envoyée à M. B______.

Cette planification consistait à anticiper l’événement et à réserver, de manière préventive, les ressources dédiées à l’accomplissement d’une mission spécifique. Pragmatiquement, la planification prévisionnelle Euphrate visait uniquement à connaître les collaborateurs susceptibles d’être engagés en cas d’événement. Elle ne déterminait ni la nature de l’engagement, ni les horaires susceptibles d’être effectués lors de celui-ci. La planification prévisionnelle Euphrate était ainsi un instrument de conduite et non un ordre d’engagement. Elle ne constituait aucunement un préavis d’engagement ou une modification de la planification horaire au sens de la directive DS COPP.03. Dès lors, la planification prévisionnelle Euphrate ne générait en soi aucune heure supplémentaire, majorée ou non, ni aucun autre type de compensation à l’avantage du collaborateur.

Dès le moment où l’événement était annoncé ou confirmé, la planification prévisionnelle Euphrate cédait la place à la planification opérationnelle dédiée à l’engagement effectif des collaborateurs, et les dispositions de la directive DS COPP.03 s’appliquaient en matière de planification et d’éventuelles compensations horaires. En cas d’engagement effectif, le collaborateur était ipso facto soumis aux dispositions de la directive DS  COPP.03.

Lors de l’établissement de la planification prévisionnelle Euphrate, des clés de répartition tenant compte de l’effectif des sections et brigades étaient appliquées. À cet égard, dans le cadre de la planification prévisionnelle Euphrate, les collaborateurs avaient pu, dans une large mesure, planifier leurs engagements prévisionnels selon leurs disponibilités professionnelles et privées, en accord avec leurs cadres de proximité. D’autre part, tant qu’un ordre d’engagement n’était pas donné, la planification prévisionnelle Euphrate n’était pas figée et les rocades (pour d’éventuels congés, pour des formations, ou pour des activités liées aux besoins du service) demeuraient ainsi possibles.

Enfin, la planification prévisionnelle Euphrate permettait de ne pas devoir mobiliser les collaborateurs dans l’urgence, de leur permettre d’organiser leurs activités professionnelles, et leurs congés ou repos, en ciblant leur disponibilité ultérieure, en accord avec leurs cadres de proximité, de restreindre ainsi l’incidence des engagements opérationnels sur la vie privée et les temps de repos des collaborateurs. Elle permettait également aux cadres de proximité de vérifier l’adéquation des engagements avec le potentiel opérationnel de leur service, ainsi que de garantir l’équité des contraintes supportées par les collaborateurs.

7.7) Par courrier du 13 mars 2017, le conseil du syndicat de la police judiciaire a insisté auprès de M. B______ sur la nécessité de se procurer les fichiers « Excel » des relevés de la planification prévisionnelle Euphrate afin de pouvoir indemniser les collaborateurs concernés.

8.8) Le 7 juin 2017, M. B______ a confirmé au conseil du syndicat de la police judiciaire que les fichiers « Excel » souhaités ne pourraient malheureusement pas être produits. Le calcul du nombre d’heures effectuées sous forme de piquets ferait l’objet d’une analyse et d’un travail trop aléatoire. Dès lors, il était impossible de livrer un résultat fiable.

9.9) Par courrier du 6 octobre 2017, le conseil du syndicat de la police judiciaire a requis du conseiller d’État en charge du département, qu’une décision soit prise. Une décision pour chacun des policiers touchés étant toutefois un travail important, de même que le seraient des procédures judiciaires généralisées, le syndicat de la police judiciaire avait décidé de lui soumettre, pour lui permettre de prendre une première décision individuelle et concrète, la situation d’une seule inspectrice représentative de la problématique, à savoir Madame A______, affectée à la brigade______ et par ailleurs membre du comité du syndicat de la police judiciaire.

Elle avait été, durant quatre mois en 2016, régulièrement planifiée à des astreintes de piquet pour les services Euphrate. Les heures supplémentaires effectuées sur cette période et uniquement en raison des services Euphrate, s’élevaient à 89.6 heures.

Par conséquent, elle sollicitait du conseiller d’État la compensation ou le paiement des heures effectuées et la garantie qu’aucune planification prévisionnelle similaire ne serait plus tolérée.

10.10) Dans sa réponse du 30 octobre 2017, le Conseil d’État a confirmé que le directeur des ressources humaines de la police cantonale genevoise s’était engagé à garantir qu’aucune planification prévisionnelle de ce type ne puisse perdurer à l’avenir.

Les 89.6 heures supplémentaires revendiquées par Mme A______ ne correspondaient pas à la réalité, car il devait tenir compte des heures travaillées, des disponibilités (sans les heures rendues) et des indisponibilités pour arriver à un juste décompte.

Concernant la planification dite prévisionnelle, la contrainte de piquet signifiait en réalité que la personne devait rester atteignable et qu’elle devait être sur son lieu de travail annoncé dans l’heure qui suivait un éventuel appel. Or, ce n’était pas ce qui s’était passé dans les faits, puisque les « réserves » avaient été annulées plusieurs jours à l’avance lorsqu’elles n’étaient pas nécessaires. Les policiers concernés avaient alors pu profiter de leurs week-ends sans aucune contrainte.

Enfin, les fichiers « Excel » demandés étaient inexistants et n’avaient par conséquent jamais été remis à la direction des ressources humaines de la police.

11.11) Par acte du 29 novembre 2017, Mme A______ a interjeté recours contre la décision précitée auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative), concluant préalablement à ce qu’il soit ordonné au département de produire le fichier « Excel » contenant l’intégralité des réserves Euphrate pour toutes les brigades de la police judiciaire dès le 1er mai 2016 ; principalement, à l’annulation de la décision et à ce qu’il soit constaté que la planification prévisionnelle opérée dès le 1er mai 2016 était illicite ; cela fait, à ce que l’État de Genève, soit pour lui le département, soit condamné à compenser les 89.6 heures supplémentaires effectuées par Mme A______, subsidiairement renvoyer la cause au département pour statuer sur le montant de l’indemnité à titre de réparation morale devant être allouée à la recourante. Les conclusions étaient prises sous suite de frais et dépens.

Les réserves Euphrate devaient être qualifiées de service de piquet. Le Conseil d’État avait refusé à tort de constater le caractère illicite de cette pratique et de garantir sa cessation définitive. La compensation de 89,6 heures supplémentaires devait être ordonnée.

Si par impossible la chambre administrative devait considérer qu’il ne s’agissait pas d’un service de piquet, alors elle devait reconnaître les astreintes imposées, sans aucune base légale, ni proportionnalité et portant atteinte à sa sphère privée. La décision du 30 octobre 2017 devait être annulée et la cause renvoyée au département, afin qu’il statue sur le montant de l’indemnité pour tort moral en raison des 592 heures d’astreintes subies illicitement.

12.12) Dans ses observations du 16 février 2018, le département a conclu au rejet du recours.

La planification prévisionnelle Euphrate ne pouvait être assimilée à des piquets. Les policiers concernés n’avaient jamais eu à se tenir prêts à intervenir à bref délai dans un lieu déterminé. Soit ils étaient mobilisés et leur horaire était modifié en conséquence, soit la mission potentielle n’avait pas lieu et ils en étaient informés et jouissaient alors pleinement de leur temps libre.

La nécessité de la planification prévisionnelle Euphrate ne s’était pas confirmée, puisqu’elle n’avait donné lieu qu’à des missions occasionnelles. Cela démontrait qu’elle constituait une organisation provisoire, effectuée de manière anticipée, par rapport aux règles usuellement appliquées, en vue d’une mission théorique.

En raison des réticences exprimées par les collaborateurs, cette organisation avait été abandonnée le 11 novembre 2016. Depuis, la directive DS COPP.03 était strictement appliquée. Dorénavant, les policiers ne pouvaient plus faire connaître leur préférence en termes de date à leur hiérarchie.

Le département était dans l’impossibilité de fournir à la chambre administrative les fichiers « Excel » comportant les noms des collaborateurs inscrits dans le cadre de la planification prévisionnelle Euphrate. Ces documents partagés étaient évolutifs et n’avaient pas été sauvegardés.

13.13) Le 12 mars 2018, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. Mme A______ a confirmé les termes de son recours. Le litige concernait la période d’avril 2016 au 11 novembre 2016. Elle versait à la procédure une note de M. D______ du 21 avril 2016.

L’application « COPP » était utilisée pour enregistrer les heures planifiées, les heures effectivement travaillées, ainsi que les heures de piquet.

Lorsqu’elle était engagée dans la planification prévisionnelle Euphrate, elle se rendait disponible exactement comme lorsqu’elle était de piquet. Elle ne prenait aucun engagement et prévoyait de pouvoir être remplacée, si elle ne pouvait pas être disponible dans l’heure. Dans le cas contraire, elle risquait des sanctions disciplinaires.

b. M. B______ s’est engagé à transmettre les extraits de l’application « COPP » concernant Mme A______.

Les réunions pouvaient être annoncées quelques heures à l’avance seulement. Les collaborateurs recevaient au dernier moment une confirmation de leur engagement effectif, puisque la police devait garder les réserves prévues jusqu’au dernier moment. La planification prévisionnelle Euphrate n’était pas enregistrée dans l’application « COPP », mais sur une feuille de calcul séparée.

c. Selon la note interne du 21 avril 2016 du chef de la police judiciaire à ses collaborateurs, la planification prévisionnelle Euphrate débutait le dimanche 10 avril 2016 et devait se poursuivre jusqu’au 27 avril 2016. Les inspecteurs de la police judiciaire seraient engagés dans des services de protection rapprochée et de sécurité intérieure. Ceux engagés dans la réserve étaient mobilisables dans l’heure. Les piquets seraient inscrits dans l’application « COPP ».

14.14) Le 11 avril 2018, le département a produit l’horaire planifié de Mme  A______ relatif à l’année 2016, accompagné d’une liste des abréviations utilisées, de même que le tableau « Excel » sur lequel figuraient les « réserves Euphrate ». Ce document constituait la dernière version informatique.

Durant la période s’étendant du 10 au 27 avril 2016, des engagements concrets avaient pu être définis car les besoins étaient alors connus, raison pour laquelle des piquets avaient été mis en place.

15.15) Le même jour, Mme A______ a produit un tirage de sa grille horaire, extraite au sein de sa brigade, pour la période de mai à décembre 2016.

16.16) Le 14 mai 2018, Mme A______ a réitéré sa demande d’entendre des témoins, afin d’établir que l’obligation de rester disponible en tout temps affectait sa vie privée, ce que semblait contester le département.

17.17) Une audience d’enquêtes s’est tenue le 24 septembre 2018.

a. Monsieur E______ a été entendu en qualité de témoin. Il était responsable de la brigade______.

Dans le cadre de la planification prévisionnelle Euphrate, la brigade devait mettre à disposition quatre personnes pouvant intervenir dans des délais très courts. Pendant ces périodes, les agents ne pouvaient pas prévoir d’autres instructions demandant une organisation un peu sérieuse. Les week-ends, le personnel qui n’avait pas été appelé le vendredi à 18h00 pouvait considérer qu’il était libre tout en tenant compte qu’il devait rester joignable. Aucune information sur une levée de la mise à disposition ne leur avait jamais été communiquée. Concrètement, les membres de la brigade renonçaient à partir en week-end. Le non-respect de cette obligation aurait certainement eu des conséquences disciplinaires. La planification prévisionnelle Euphrate n’avait pas été comptabilisée en heures sous réserve d’engagement effectif. Il n’avait pas toujours été possible de trouver des personnes d’accord de participer à cette planification. Il n’avait pas compris pourquoi ce système n’avait pas été intégré dans le système normal de gestion des horaires, surnommé l’application « COPP ». Les principes figurant dans la note du 21 avril 2016 étaient restés applicables jusqu’à la fin du dispositif.

b. Monsieur F______ a été entendu en qualité de témoin. Il était chef de la brigade______.

Dans le cadre de la planification prévisionnelle Euphrate, la brigade devait mettre à disposition deux personnes, qui ne pouvaient alors rien prévoir durant cette période, ni à titre privé, ni professionnel, au risque de sanctions disciplinaires. Ces piquets n’étaient pas inscrits dans l’application « COPP ». Pendant ces périodes, la brigade devait renoncer à ses missions quotidiennes souvent complexes et nécessitant du personnel et se limiter à des opérations très simples.

c. Madame G______, inspectrice principale adjointe à la brigade______, a été entendue en qualité de témoin.

Lorsqu’elle était intégrée à la planification prévisionnelle Euphrate, elle ne prévoyait pas d’auditions avec des avocats, interprètes, etc. À titre privé, elle devait organiser la prise en charge de ses enfants. Elle pensait risquer des sanctions disciplinaires si elle n’était pas disponible au moment demandé.

d. Madame H______, inspectrice à la brigade______, a été entendue en qualité de témoin. En 2016, elle était à la brigade______.

La planification prévisionnelle Euphrate était organisée par les chefs sur un tableau « Excel », très souvent modifié. L’organisation de sa vie privée avait été affectée. Alors qu’elle faisait partie de la planification prévisionnelle Euphrate pendant un week-end, elle avait été informée en début de matinée que la réserve était levée, sauf pour deux personnes, puis en fin de matinée, qu’elle était une des deux personnes et, en fin d’après-midi, qu’elle pouvait finalement disposer de son week-end. Professionnellement, la coordination entre les horaires de la brigade et les horaires de la planification prévisionnelle Euphrate ne s’était pas faite sans difficulté et elle avait parfois eu six heures de pause entre deux périodes de travail de huit heures. En cas d’indisponibilité, elle risquait des sanctions.

e. M. D______ a été entendu en qualité de témoin.

Il avait validé la note du 21 avril 2016, qui n’avait pas été amendée et était restée appliquée jusqu’à la fin du dispositif. Du fait qu’elle était prévisionnelle uniquement, la planification ne nécessitait pas une base légale expresse. Elle n’impliquait pas de contrainte pour les collaborateurs et n’entraînait pas de rémunération. Le fait de renoncer à des auditions contradictoires du fait de la planification prévisionnelle Euphrate était une application zélée du dispositif.

En général, le collaborateur savait cinq ou six jours à l’avance, mais au plus tard le vendredi en fin de journée, s’il pouvait disposer de son week-end ou s’il devait être disponible. Dans cette dernière hypothèse, son piquet était entré dans l’application « COPP », comme son horaire d’engagement notamment.

Il n’avait pas été décidé de mettre tout le monde de piquet par respect des finances de l’État et parce que les éléments opérationnels nécessitant un piquet n’étaient pas réalisés.

18.18) Dans ses observations après enquêtes du 31 octobre 2018, le département a persisté dans ses précédentes conclusions.

19.19) Le 21 décembre 2018, Mme A______ a persisté dans son recours.

Elle souhaitait conclure en soulignant que le combat qu’elle menait ne devait pas être interprété comme un manque d’engagement ou de dévouement envers la tâche publique d’importance qui lui était quotidiennement confiée. Mais des « garde-fous » et une stricte délimitation entre la vie professionnelle et la vie privée étaient nécessaires. Ces « garde-fous » étaient en effet indispensables pour permettre aux policiers de disposer des ressources suffisantes pour assurer leurs tâches avec le sérieux, la précision et le dévouement nécessaires.

20.20) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12  septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) À titre préalable, il convient de déterminer le droit applicable au présent litige.

a. La loi sur la police du 27 octobre 1957 (aLPol - F 1 05) et son règlement d’application du 25 juin 2008 (aRPol - F 1 05.01) ont été abrogés respectivement par la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05) et par le règlement sur l’organisation de la police du 16 mars 2016 (ROPol - F 1 05.01), entrés en vigueur le 1er mai 2016.

L’art. 67 LPol relatif aux dispositions transitoires n’est pas pertinent dans le cas d’espèce.

En règle générale, s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause, les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent
(Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, p. 184 n. 2.4.2.3). La rétroactivité d'une disposition légale est contraire aux principes de la sécurité et de la prévisibilité du droit. Elle n'est admise qu'exceptionnellement par la jurisprudence, qui exige, entre autres conditions, qu'elle figure dans une base légale claire
(ATF
116 Ia 207 ; 104 Ib 157 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 200 n. 2.4.3.1).

En l'occurrence, les revendications de la recourante portent sur l’année 2016, et plus précisément sur la période allant du mois d’avril 2016 au 11  novembre 2016, si bien que l’ancienne loi s’applique aux faits survenus avant le 1er mai 2016 et la nouvelle loi à ceux s’étant produits après cette date.

b. Les fonctionnaires de police sont par ailleurs soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et à ses dispositions d'application, sous réserve des dispositions particulières de l’aLPol et de la LPol (art. 26 aLPol, art. 18 LPol et art. 1 al. 1 let. b LPAC, dans sa teneur en vigueur avant et après le 1er mai 2016).

3) a. L’art. 21 al. 1 LPol et l’art. 30 al. 1 aLPol prévoient en substance qu’il peut être fait appel en tout temps au personnel de la police.

b. La durée de travail des fonctionnaires de police est réglementée. Elle est, en moyenne, de 40 heures par semaine, de 520 heures par trimestre
(art. 2 al.1 du règlement général sur le personnel de la police [RGPPol ;
F 1 05.07] ; art 7 al. 1 RPAC ; art. 8 RPAC ; art. 2 aRPAC ; art 4 et 5 aRPAC).

c. Aux termes de l’art. 7 du règlement général sur le personnel de la police (RGPPol ; F 1 05.07), en fonction des besoins avérés du service, le personnel de la police peut être soumis à des piquets (al. 1). Hormis pour les cadres supérieurs, le service de piquet effectué en dehors des heures de travail donne lieu à une compensation de 9 minutes par heure (al. 2). Sauf besoins particuliers des services, la compensation intervient en principe en temps (al. 3).

4.4) a. En l’espèce, il ressort des explications du département et de l’instruction de la cause que la « planification prévisionnelle Euphrate » avait été mise sur pied dans le cadre des négociations sur la paix en Syrie, afin de permettre aux collaborateurs de connaître à l’avance les dates auxquelles ils étaient susceptibles d’être engagés et de s’organiser en conséquence, au lieu d’être appelés dans l’urgence, comme cela avait été le cas entre les mois de janvier et d’avril 2016. C’est ainsi dans l’intérêt des fonctionnaires de la police que la « planification prévisionnelle Euphrate » a été mise en place.

Le législateur a reconnu que la nature même du travail des fonctionnaires de police nécessite que ces derniers se montrent disponibles. Les enquêtes ont toutefois démontré qu’il est arrivé, dans le cadre de la « planification prévisionnelle Euphrate », qu’ils soient libérés la veille au soir, voire le jour même, sans même recevoir d’information formelle en ce sens de leur hiérarchie, alors que toutes les personnes entendues ont confirmé être convaincues – à juste titre – de risquer des sanctions disciplinaires en cas d’indisponibilité.

Il y a en conséquence lieu d’admettre que le dispositif mis sur pied, qui ne prévoyait pas de libérer formellement et à l’avance les fonctionnaires, imposait à ces derniers un service de piquet.

b. L’éventuelle illicéité de la planification prévisionnelle Euphrate de même que de l’existence alléguée d’une atteinte aux droits fondamentaux sont des questions qui peuvent souffrir en l’état de rester ouvertes, ce d’autant plus que cette pratique a été, depuis, abandonnée par le département.

5) Reste à trancher la question du droit à une compensation.

Si la loi prévoit qu’il peut être fait appel en tout temps au personnel de la police, ce dernier doit obtenir une compensation pour le travail effectué. Son temps de repos ne peut pas être supprimé sans contrepartie et le fonctionnaire de police ne saurait être soumis à un travail sur appel. Au contraire, la durée normale du travail est réglementée (art. 7 al. 1 RPAC ; art. 2 aRPAC) de même que les heures supplémentaires (art. 8 RPAC ; art. 4 et 5 aRPAC ; art 3 RGPPol) et les heures de piquet (art. 7 RGPPol).

Par conséquent, la recourante a droit à la compensation de ses heures effectuées en service de piquet.

Le département ne s’étant pas formellement prononcé sur la compensation à laquelle a droit la recourante, le dossier lui sera renvoyé, afin de ne pas priver cette dernière de la possibilité de faire appel au contrôle de la chambre administrative en cas de désaccord avec la décision à rendre.

Vu ce qui précède, le recours sera partiellement admis.

6) Vu l’issue du recours, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’intimé (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 novembre 2017 par Madame A______ contre la décision du département de la sécurité de l’emploi et de la santé du 30 octobre 2017 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du département de la sécurité de l’emploi et de la santé du 30 octobre 2017 ;

renvoie la cause au département de la sécurité de l’emploi et de la santé pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge du département de la sécurité, de l’emploi et de la santé ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de la sécurité, de l’emploi et de la santé.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Thélin, Mme Junod, M. Pagan,
Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :