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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/803/2002

ATA/215/2003 du 15.04.2003 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : MEDECIN; PROFESSION SANITAIRE; AGISSEMENT PROFESSIONNEL INCORRECT; COMMISSION DE SURVEILLANCE; DEVOIR PROFESSIONNEL; MESURE DISCIPLINAIRE; PATIENT; RADIATION; RAPPORTS SEXUELS; CE
Normes : LPS.1; LPS.103; LPS.139; LPS.141; LPS.142
Résumé : Le médecin qui entretient des relations intimes avec sa patiente durant la prise en charge thérapeutique adopte un comportement professionnel incorrect au sens de la loi sur l'exercice des professions de la santé, des établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical. En l'espèce, la faute du praticien est qualifiée de grave étant donné la fragilité de la plaignante. La radiation temporaire du registre de la profession pour une durée d'un mois est confirmée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 15 avril 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur T.C.

représenté par Me Serge Milani, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur M.T.C. a été autorisé, par arrêté du Conseil d'Etat du 14 juillet 1993, à exercer la profession de médecin dans le canton de Genève.

 

2. Le 29 juin 2001, Madame C.P. a saisi la commission de surveillance des professions de la santé (ci-après : la commission de surveillance) d'une plainte à l'encontre du Docteur C., spécialiste FMH en médecine générale.

 

Elle a exposé avoir suivi un traitement d'hypnothérapie chez ce médecin du mois d'août 1999 jusqu'au mois de juin 2000.

 

Au cours de cette relation thérapeutique, Mme P. et le Dr C. ont noué une relation intime dès le mois de janvier 2000, et ce jusqu'en mars 2001.

 

Selon la plaignante, ce praticien ne pouvait contester cette relation, dans la mesure où il l'avait notamment emmenée à un congrès médical.

 

Si la plaignante avait pleinement consenti à cette relation, elle a souligné que celle-ci avait failli la détruire, étant précisé qu'elle se trouvait dans un état extrêmement grave, sans aucune aide.

 

3. Le Dr C. a fait part de sa détermination le 3 août 2001 à la commission de surveillance.

 

S'agissant de la prise en charge médicale de Mme P., celle-ci avait suivi un traitement par l'hypnose dès le 13 août 1999. Très rapidement, il avait pu poser un diagnostic de troubles dysthymiques avec tendance dépressive. Par la suite, les séances d'hypnose s'étaient espacées (il y en avait eu 5 en tout entre le 13 septembre 1999 et le 19 novembre 1999) et avaient été accompagnées par un traitement antidépresseur ordonné dès le 21 septembre 1999.

 

Une amélioration de l'état de santé de la plaignante et de sa situation socioprofessionnelle en avait résulté. Ainsi, son employeur lui avait notamment accordé une promotion, la nommant cheffe d'équipe.

 

Dès le 15 novembre 1999, il avait pu noter que la plaignante présentait " une nette amélioration, une stabilité clinique ". Partant, il avait cessé le traitement par hypnose. Les quatre visites de contrôle qui avaient suivi, soit les 22 et 29 novembre 1999 ainsi que les 7 et 20 décembre 1999 avaient confirmé l'amélioration et à la fin du mois de décembre 1999, la prise en charge médicale de la plaignante s'était terminée, du moins pour ce qui était des plaintes qu'elle avait exprimées. Elle n'était revenue à son cabinet que pour subir quelques examens complémentaires, en vue d'une intervention chirurgicale que le Dr W. envisageait.

 

Une relation amoureuse s'était nouée avec la plaignante après la prise en charge médicale, pendant environ une année, soit du mois de février 2000 au mois de février 2001.

 

Il n'avait jamais cherché à la dissimuler. Il s'agissait d'une relation amoureuse tout à fait amicale et sincère, entre adultes libres et consentants, sans aucun lien avec sa prise en charge médicale.

 

C'était de son fait que cette relation avait cessé, suite à sa décision de sauver l'union conjugale qu'il formait avec son épouse. Il concevait que Mme P. en ait souffert mais considérait que la plaignante éprouvait un besoin d'assouvir une vengeance qu'elle ne dissimulait pas. Pour sa part, il estimait n'avoir enfreint ni les règles déontologiques, ni les règles de l'art.

 

4. Par courrier du 15 août 2001, le Dr C. a adressé à la commission de surveillance copie d'une lettre que son épouse et lui-même avait envoyée à Mme P. le 15 août 2001, visant à faire cesser ses appels téléphoniques intempestifs.

 

5. Le 3 septembre 2001, Mme P. a adressé à la commission de surveillance copie des notes d'honoraires du Dr C. et de ses ordonnances couvrant la période de traitement qu'elle invoquait dans sa plainte.

 

Selon elle, la dernière séance d'hypnose avait eu lieu en juin 2000. Mme P. a contesté l'amélioration de son état de santé durant le traitement prodigué par le Dr C.. Au contraire, sa fatigue allait grandissant, symptôme qu'elle attribuait à la prescription de Fluctine. Elle en voulait pour preuve que son état de fatigue s'était arrêté au moment où elle avait cessé de pendre ce médicament en 2001. Enfin, si son état de santé s'était amélioré, comme le prétendait le Dr C., il n'aurait pas eu besoin de lui prescrire de l'Arcalion contre l'asthénie.

 

6. Le Dr C. et Mme P. ont été entendus par la commission de surveillance (soit pour elle la sous-commission A), le 7 novembre 2001.

 

a. Mme P. a expliqué que le diagnostic posé par le Dr C. était une dépression, raison pour laquelle il lui avait prescrit de septembre 1999 jusqu'au début de l'année 2001 un traitement antidépresseur, soit de la Fluctine.

 

Par la suite, elle avait consulté le Dr W. pour des douleurs abdominales, ainsi que des nausées aux mois de janvier/février 2000. C'était ce médecin qui l'avait opérée par la suite d'une appendicite. Durant toute l'année 2000, elle avait considéré le Dr C. comme son médecin-traitant.

 

Elle n'avait jamais été suivie par un psychiatre au moment des faits et le Dr C. ne lui avait jamais recommandé ou proposé de consulter un autre médecin.

 

En 2001, elle avait consulté un neurologue pour des migraines persistantes et voyait depuis peu un médecin interniste. Lors de sa première consultation chez le Dr C., elle lui avait indiqué que son précédent médecin lui avait prescrit du Deroxate depuis quelques mois et que le diagnostic posé à cette époque était un état dépressif.

 

A son arrivée à Genève en 1999, elle ne connaissait personne à qui se confier et s'est décrite comme isolée. La seule personne à qui elle pouvait véritablement parler était le Dr C.. A cette époque, elle avait peu d'estime d'elle-même et elle ne s'était pas posé la question de savoir s'il était normal pour un médecin de nouer une relation intime avec une patiente. Elle était simplement heureuse que quelqu'un s'intéresse à elle.

 

Elle avait consulté le Dr C. car elle faisait des cauchemars terribles. Elle a constaté rétrospectivement que la Fluctine avait des effets négatifs et provoquait une importante fatigue. En revanche, l'hypnose l'avait aidée et ses cauchemars avaient disparu.

 

Elle a précisé qu'au retour d'un congrès, le Dr C. avait mis fin au traitement par hypnose. Il lui avait dit que soit elle continuait à être sa patiente pour l'hypnose soit ils avaient une relation. Lors de ce congrès, des questions éthiques avaient été abordées.

 

En réponse aux questions du Dr C., elle a admis que ce praticien n'avait pas caché sa relation avec elle (outre avoir été en Crète ensemble). Il lui avait acheté une cuisinière micro-ondes pour son anniversaire, il était parfois venu la chercher à son travail, il était venu déjeuner à la cantine en sa compagnie, il avait participé à une séance de vaccination du personnel de son entreprise. Elle estimait toutefois avoir été très naïve et que cette histoire avait été très néfaste pour elle. Elle aurait ainsi été très heureuse si la relation qu'il avait décrite dans sa réponse à la commission de surveillance avait été réellement la leur. Elle estimait notamment que le traumatisme qu'elle avait vécu avait été important car elle avait la plus grande confiance dans le Dr C. en sa qualité de médecin.

 

b. De son côté, le Dr C. a admis qu'il avait été le médecin-traitant de la plaignante jusqu'au 20 novembre 2000. Il avait entamé une relation intime avec elle au mois de février 2000, soit avant leur voyage en Crète. A cette époque, elle était certes toujours sous antidépresseurs, mais il la considérait comme une malade stabilisée. Elle était d'ailleurs apparue rayonnante lors du voyage en Crète. De plus, elle avait obtenu une reconnaissance professionnelle, ce qui prouvait qu'elle allait mieux.

 

Il lui avait proposé de voir un autre thérapeute, au début de l'année 2000, mais il n'avait pas documenté ce fait dans son dossier médical. Mme P. avait refusé d'aller voir un autre médecin.

 

Rétrospectivement, le Dr C. estimait qu'il était possible de penser que ses sentiments amoureux à l'égard de la plaignante et la capacité de cette dernière à manipuler l'aient aveuglé, notamment par rapport à sa psychopathologie de base. Il a insisté sur le fait que Mme P. était une femme intelligente, d'une culture très étendue.

 

Le travail de l'hypnose était partiel chez cette patiente et il n'avait fait que poursuivre la prise en charge commencée à Zurich, et adapter le traitement antidépresseur. L'hypnose, à ses yeux, jouait un rôle secondaire dans le traitement. Il avait bénéficié d'une supervision de ses collègues à l'Hôpital cantonal.

 

A la demande de la commission de surveillance, le Dr C. a versé au dossier l'original de son dossier médical concernant la plaignante.

 

7. En date du 29 mai 2002, la commission de surveillance a estimé que le Dr C. avait commis des agissements professionnels incorrects graves justifiant une suspension de son autorisation de pratiquer pour une durée d'un mois.

 

Il était ainsi inacceptable d'engager une relation intime lors d'une prise en charge thérapeutique, comme elle avait eu l'occasion de le souligner dans des cas semblables. De plus, il s'agissait d'une patiente particulièrement fragile comme le démontrait le dossier médical tenu par le Dr C., souffrant, également, d'une maladie chronique.

 

Le Dr C. avait d'ailleurs lui-même posé un diagnostic de dépression, l'avait suivie au long cours et l'avait traitée par hypnose, ainsi que par antidépresseurs.

 

Or, il était constant qu'un médecin contrevenait à son obligation professionnelle lorsqu'il tirait profit de l'état de dépendance d'une patiente qui, en l'espèce, se trouvait également dans un contexte social difficile, étant seule à Genève et sans relation.

 

En outre, le Dr C. aurait dû diriger cette patiente chez un confrère, dans la mesure où il souhaitait nouer une véritable relation intime avec elle.

 

Ainsi, le Dr C. n'avait pas assumé correctement cette prise en charge, notamment compte tenu des traumatismes passés subis par la plaignante et étayés par le dossier médical.

 

8. Par arrêté du 24 juillet 2002, le Conseil d'Etat a décidé de suivre ce préavis et de prononcer, compte tenu de la gravité des faits, la suspension de l'autorisation de pratiquer du Dr C. pour une durée d'un mois.

 

9. Le Dr C. a saisi le Tribunal administratif par acte du 23 août 2002.

 

Il avait pris en charge Mme P. pour un traitement par hypnose, le 13 août 1999 et avait posé un diagnostic de troubles dysthymiques avec tendance dépressive.

 

Le traitement proprement dit avait cessé à la fin de l'année 1999. La dernière séance d'hypnose ayant eu lieu le 19 novembre 1999 et après que les quatre visites de contrôle des 22 et 29 novembre, 7 et 20 décembre 1999 eurent confirmé la nette amélioration de l'état de santé de la plaignante et que le recourant eut indiqué à sa patiente sa volonté de ne plus poursuivre avec elle, une relation thérapeutique, avant que ne se noue une relation amoureuse entre les parties, le 11 janvier 2000. Il a relevé à ce propos que sa volonté de mettre un terme à la relation thérapeutique avait été confirmée par la plaignante dans sa plainte du 3 septembre 2001 et lors de son audition devant la commission de surveillance.

 

Mme P. ne se trouvait pas au moment des faits dans un état particulièrement fragilisé, dans un contexte social difficile, seule à Genève et sans relation. Au contraire, dès le 15 novembre 1999, il avait noté dans le dossier médical qu'elle présentait " une nette amélioration, une stabilité clinique, qu'elle s'achetait des vêtements et qu'elle faisait des voyages ". Durant la même période, sa situation socioprofessionnelle s'était améliorée et son employeur lui avait accordé une promotion en la nommant cheffe d'équipe, ce qui montrait, à tout le moins, que la plaignante était au besoin capable de masquer son état et de donner d'elle-même l'image d'une femme infiniment moins accablée qu'elle ne voulait bien le dire.

 

S'agissant d'apprécier le degré de sa faute, on ne pouvait considérer que son attitude ait correspondu à celle d'un praticien peu scrupuleux qui cherche à tirer profit de l'état de dépendance d'une patiente pour entretenir avec elle une relation intime.

 

Fragilisé à l'époque par ses difficultés conjugales, il n'avait pas été capable de poursuivre totalement et jusqu'au bout sa résolution de mettre un terme à la relation thérapeutique ; s'il avait su refuser à la plaignante, devenue entre-temps sa maîtresse, de poursuivre avec elle dans la voie de la thérapie de l'hypnose, il n'avait pas su en revanche l'exclure totalement de son cabinet et lui refuser le renouvellement de son traitement antidépresseur.

 

Une année et demi s'était écoulée entre le début des faits reprochés et le moment où Mme P. avait rédigé sa plainte. Il avait fallu qu'il mette un terme à la relation amoureuse et décide de tout mettre en oeuvre pour essayer de sauver son mariage et sa famille, pour que la plaignante se décide à agir.

 

Quant à la proportionnalité de la sanction, il avait pris conscience de l'erreur qu'il avait commise et qu'il ne renouvellerait pas. Il mettait également l'accent sur les conséquences dramatiques que pouvaient avoir l'interdiction d'exercer sa profession pour lui-même et la structure qu'il animait.

 

La structure médicale qu'il dirigeait employait à plein temps 3 médecins et 3 secrétaires, il fournissait du travail à 5 médecins consultants, à 3 physiothérapeutes et à 2 psychologues. Le cabinet ne fonctionnait correctement que grâce à sa contribution financière vu qu'il réalisait le plus gros du chiffre d'affaires.

 

10. Le 25 octobre 2002, le Conseil d'Etat a persisté dans ses conclusions tout en précisant que ni lui ni la commission de surveillance s'étaient fondés sur les dates des séances d'hypnose pour établir la durée de la relation thérapeutique. Le Dr C. était spécialiste FMH en médecine générale et sa prise en charge de la plaignante ne s'était pas résumée à des séances d'hypnose. Il avait tenu un dossier médical d'août 1999 à novembre 2000, ce qui prouvait bien que la relation thérapeutique avait pour le moins durée jusqu'à cette date.

 

Sur la base du dossier médical, il apparaissait que Mme P. était une patiente particulièrement fragile, souffrant de plus d'une maladie chronique. Les antécédents familiaux de Mme P. protocolés par le recourant, mettaient en évidence des traumatismes passés subis dans l'enfance et l'adolescence.

 

Le dossier médical révélait également que lors de sa venue à Genève, la plaignante vivait seule, après avoir quitté le canton de Zurich où elle était suivie pour un état dépressif et traitée avec du Deroxate.

 

Dès la première consultation, le Dr C. avait posé un diagnostic de dépression et entrepris un traitement par hypnose puis par la suite par antidépresseurs.

 

Dans ce contexte, on pouvait s'étonner que le recourant soutienne que Mme P. présentait dès le mois de novembre 1999, une nette amélioration, ainsi qu'une stabilité clinique, alors même qu'il lui avait prescrit des antidépresseurs durant toute l'année 2000, comme en attestaient ses prescriptions médicales.

 

Dès lors, il était constant que le Dr C. avait noué des liens intimes avec une patiente qui se trouvait dans un état de dépendance.

 

Le Dr C. aurait dû diriger sa patiente chez un confrère, dans la mesure où il souhaitait entamer une véritable relation intime avec elle.

 

Le Dr C. avait prétendu avoir indiqué à sa patiente qu'elle devrait dorénavant voir un autre médecin, ce qui a été formellement contesté par Mme P. et qui n'était pas documenté dans le dossier médical. Cet argument ne pouvait pas être retenu.

 

Quant à la durée de la sanction, le Conseil d'Etat a confirmé sa décision du 24 juillet 2002 soulignant qu'elle se justifiait vu la légèreté avec laquelle le recourant s'était comporté vis-à-vis d'une patiente qu'il savait fragile.

 

11. En date du 22 novembre 2002, le recourant a dupliqué.

 

Contrairement à ce qu'avait retenu le Conseil d'Etat, la plaignante avait bel et bien confirmé qu'il souhaitait mettre un terme à la relation thérapeutique même si volontairement ou pas, elle situait mal cet épisode dans le temps.

 

La plaignante avait encore effectué 16 visites à son cabinet durant l'année 2000 :

 

- 5 étaient commandées par l'urgence (20 janvier, 25 avril, 14 août, 8 et 20 novembre 2000), le recourant ne pouvait ainsi pas éconduire la plaignante dans ces circonstances ;

 

- 6 s'inscrivaient dans le cadre de la prise en charge par le Dr W. (27 janvier, 8 février, 18 avril, 2 mai, 10 mai et 22 août) ;

 

- 2 étaient sans conséquence (les 24 janvier, 27 mars), la plaignante avait demandé à être rassurée s'agissant de l'opération envisagée par le Dr W. ;

 

- 3 autres enfin (15 février, 23 février et 26 mai) au cours desquelles la plaignante avait demandé :

 

- 1 fois la reprise du traitement par l'hypnose ce que le recourant avait refusé ;

 

- 2 fois le renouvellement de son ordonnance - ce qu'elle avait obtenu.

 

Partant, s'il était inadmissible qu'un médecin entretienne une relation amoureuse avec sa patiente, on pouvait se demander s'il était totalement intolérable qu'un médecin ayant cessé un traitement spécifique (thérapie par l'hypnose) accepte de recevoir dans son cabinet, en urgence ou aux fins de renouveler une ordonnance, une ancienne patiente devenue entre-temps sa maîtresse.

 

Il contestait avoir noué des liens intimes avec une patiente qui se trouvait dans un état de dépendance.

 

La relation thérapeutique ne créait par nécessairement la dépendance, le recourant n'avait jamais rien cherché d'autre que de vivre avec la plaignante une relation amoureuse sincère et durable, ce qu'elle avait voulu également et à quoi elle avait consenti librement, et en toute connaissance de cause.

 

La sanction prononcée était disproportionnée. L'interdiction d'exercer aurait des conséquences fâcheuses pour ses patients.

 

12. En date du 15 janvier 2003, le Conseil d'Etat a répliqué.

 

Ce n'était pas le nombre de consultations ou les motifs qui en étaient à l'origine qui pouvaient exclure l'existence d'une relation thérapeutique.

 

Le nombre de consultations en une année - soit seize - était assez important pour une patiente ne présentant pas d'affection physique particulière.

 

Le fait que Mme P. se soit rendue à cinq reprises en urgence chez le Dr C. démontrait qu'elle le considérait toujours comme son médecin en l'an 2000.

 

La prescription de Fluctine par le Dr C. prouvait bien que c'était lui qui contrôlait la prise en charge psychothérapeutique et psychopharmacologique de Mme P.. Enfin, les autres consultations, dites de routine, entraient bien évidemment dans le champ de compétence d'un médecin traitant.

 

Mme P. était une patiente particulièrement fragile. Ses antécédents familiaux protocolés par le Dr C. mettaient en évidence des traumatismes passés dans l'enfance et l'adolescence (en particulier l'allégation d'un viol de sa sur par leur propre père).

 

La prescription répétée d'antidépresseurs prouvait que Mme P. restait une patiente fragile souffrant d'une maladie chronique. Partant, le Dr C. avait bien entretenu une relation intime avec une patiente se trouvant dans un état de dépendance.

 

Quant à la durée de la sanction, le Conseil d'Etat persistait dans ses développements et ajoutait qu'elle n'était pas dommageable pour d'autres patients vu qu'il disposait d'un remplaçant pour ses absences ou ses vacances.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La loi sur l'exercice des professions de la santé, des établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical (LEPS - K 3 05) a été modifiée le 11 mai 2001. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 2001.

 

En vertu du principe de non rétroactivité, le nouveau droit ne s'applique pas au faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 1994 p. 178; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème édition, Bâle 1991, p.116).

 

Le droit nouveau ne peut avoir un effet rétroactif que si la rétroactivité est prévue par la loi, limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, et motivée par des intérêts publics pertinents, et ne porte pas atteinte à des droits acquis (B. KNAPP, op. cit., p 118).

 

Les faits reprochés au Dr C. s'étant déroulés entre 1999 et mars 2001, les anciennes dispositions de la loi sur l'exercice des professions de santé du 16 septembre 1983 sont applicables (ci-après : aLEPS).

 

3. La LEPS réglemente notamment l'exercice à titre privé des professions de la santé (art. 1 let. aLEPS).

 

Elle prévoit des sanctions administratives pour les infractions aux dispositions de la LEPS ou de ses règlements et pour les agissements professionnels incorrects dûment constatés et qualifiés comme tels par la commission. Les sanctions qui relèvent du département sont l'avertissement, le blâme et l'amende (art. 141 aLEPS). Dans les cas graves, le Conseil d'Etat peut encore prononcer la radiation temporaire ou définitive du registre de la profession (art. 142 aLEPS).

 

Il s'agit là de sanctions disciplinaires, lesquelles sont notamment destinées à assurer que soient respectés les devoirs spécifiques que l'Etat impose à certaines professions libérales ( P. MOOR op. cit. 1991, p.84).

 

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (C.-A JUNOD, Infractions administratives et amendes d'ordre in SJ 1979, p. 165 et ss et p. 184 ; V. MONTANI et C. BARDE, La jurisprudence du Tribunal administratif relative au droit disciplinaire, in RDAF 1996, p.345 et ss, ATA du 18 janvier 1989 en la cause S.).

 

La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire, mettant sur le même pied que l'intention, la négligence inconsciente, ce qui s'explique en égard aux buts de protection du public du droit disciplinaire. La faute disciplinaire peut donc être commise sans intention, par négligence, par inconscience et même par méconnaissance d'une règle (SJ 1981, p. 328).

 

4. L'agissement professionnel incorrect dûment constaté et qualifié comme tel par la commission, au sens de l'article 139 alinéa 2 lettre b aLEPS, constitue une notion juridique imprécise dont l'interprétation peut être revue librement par la juridiction de recours, lorsque celle-ci s'estime apte à trancher en connaissance de cause. Cependant, ces notions font souvent appel à des connaissances spécifiques, que l'autorité administrative est mieux à même d'apprécier qu'un tribunal. C'est pourquoi les tribunaux administratifs et le Tribunal fédéral s'imposent une certaine retenue lorsqu'ils estiment que l'autorité inférieure est manifestement mieux à même d'attribuer à une telle notion un sens approprié au cas à juger. Ils ne s'écartent en principe pas des décisions prises dans ces domaines par des personnes compétentes, dans le cadre de la loi et sur la base de faits établis de façon complète et exacte (A. GRISEL Traité de droit administratif, pp. 336 et 337 ; ATF 109 V 211 ; 109 I b 219 ; RDAF 1985 pp. 303 ss ; ATA du 7 mars 1990 en la cause M. ; ATA du 29 avril 1992 en la cause H.).

 

5. Conformément à l'article 103 de la LEPS la commission de surveillance est notamment composée des membres suivants :

 

a) le médecin responsable de la division de pharmacologie clinique des Hôpitaux universitaires de Genève;

b) le médecin cantonal;

c) le médecin légiste, directeur de l'institut universitaire de médecine légale;

d) le médecin responsable du département de gynécologie et d'obstétrique des Hôpitaux universitaires de Genève;

e) le pharmacien cantonal;

f) le vétérinaire cantonal;

 

et de huit personnes exerçant l'une des professions surveillées.

 

6. L'article 4 du règlement relatif à la commission de surveillance des professions de la santé du 9 novembre 1983 -(K 3 05.20) précise que la commission constitue des sous-commissions qui comprennent au moins un médecin, outre le médecin cantonal.

 

7. A titre liminaire, il convient de déterminer si la relation intime a débuté et s'est poursuivie alors que la plaignante était encore la patiente du recourant.

 

Il n'est pas contesté que la prise en charge thérapeutique se situe en août 1999 et que la relation intime s'est nouée dès le début de l'an 2000, pour se poursuivre jusqu'au mois de février/mars 2001.

 

Les positions divergent quant à la question de savoir à quel moment est intervenue la fin de la prise en charge thérapeutique.

 

Le Conseil d'Etat a fait sienne la position de la plaignante qui a affirmé qu'elle a duré toute l'année 2000.

 

Le recourant, quant à lui, distingue la prise en charge thérapeutique " proprement dite ", limitée au traitement par hypnose et les diverses consultations qu'il a dispensées à la plaignante dans des situations d'urgence ou pour le renouvellement de prescriptions médicales. Ainsi, il soutient avoir mis fin à sa prise en charge thérapeutique en décembre 1999 après avoir informé sa patiente de sa volonté de ne plus poursuivre la relation thérapeutique et avant que ne débute leur relation amoureuse.

 

8. Le fait que le recourant ait signifié à la plaignante son désir de mettre un terme, à un moment donné, à la relation thérapeutique ne figure pas dans le dossier médical, mais semble, finalement, avoir été admis par la plaignante. Cet élément n'est toutefois pas déterminant, puisqu'en réalité le Dr C. a continué à recevoir la plaignante à seize reprises dans son cabinet durant l'année 2000 et, partant, est demeuré son médecin traitant. Il sera relevé à ce sujet que lors de son audition devant la commission de surveillance, le Dr C. a lui même reconnu avoir été le médecin traitant de Mme P. jusqu'au mois de décembre 2000. De plus, les notes d'honoraires adressées à la plaignante ainsi que les ordonnances produites au dossier par cette dernière couvrent largement cette période.

 

Ainsi, quels qu'aient été le motif des consultations, il y a lieu de conclure à l'existence d'une relation thérapeutique entre la plaignante et le recourant jusqu'à fin 2000.

 

9. La question qu'il convient de résoudre est celle de savoir si, en entretenant des relations intimes avec sa patiente, le Dr C. a adopté un comportement professionnel incorrect comme le soutient le Conseil d'Etat.

 

a. Selon la " jurisprudence " de la commission de surveillance, il faut entendre par agissement professionnel incorrect, l'inobservation faite à tous les praticiens d'une profession de la santé, formés et autorisés à pratiquer conformément au droit en vigueur, d'adopter un comportement professionnel consciencieux en l'état actuel de la science. Ces agissements professionnels incorrects peuvent notamment résulter d'une infraction aux règles de l'art, de nature exclusivement technique, par commission ou omission, ou d'une violation de l'obligation générale d'entretenir avec les patients des relations adéquates.

 

b. Dans un arrêt du 6 septembre 1994, le tribunal de céans a admis que la déontologie médicale ne réglementait pas les relations sexuelles entre médecin et patient. En revanche, un médecin contrevenait à ses obligations lorsqu'il tirait profit de la déficience mentale ou de l'état de dépendance extrême de sa patiente pour entamer avec elle une relation sexuelle non désirée (A/674/1993-CE).

 

c. Il y a lieu de nuancer cette jurisprudence. Tout d'abord il sera relevé que le code de déontologie de la Fédération des médecins suisses (FMH) prévoit expressément que dans l'exercice de sa profession, le médecin n'exploite pas l'état de dépendance du patient ; il lui est tout particulièrement interdit d'abuser de son autorité sur lui, tant sur le plan émotionnel ou sexuel que matériel.

 

d. En outre, il est important de rappeler que dans l'histoire de la médecine, la notion d'éthique professionnelle est contraignante pour les membres du corps médical. " Elle s'incarne dans le Serment d'Hippocrate et ses multiples variantes et réinterprétations au fil des siècles qui définit les obligations du médecin dans le cadre d'une relation de confiance qui unit deux hommes libres : le médecin et son patient ()

 

(...) Si l'on tente de dégager " le noyau dur " de l'éthos hippocratique dans ce qu'il conserve d'essentiel aujourd'hui, on peut le résumer sous la forme de quatre obligations fondamentales :

 

1. Viser le bien du patient ()

2. Ne pas nuire ()

3. Respecter l'intimité du patient ()

4. Avoir le souci de la vie () "

 

Quant au respect de l'intimité du patient, " de tout temps, la société a perçu comme un privilège à la fois nécessaire et redoutable l'accès du médecin à une double intimité : celle des corps et celle des relations familiales. Il en résulte un double interdit, celui des rapports sexuels dans le cadre de la relation médecin-patient et celui de révéler les informations reçues dans ce cadre " D. BERTRAND, T.-W. HARDING, M. MANDOFIA BERNEY, M. HUMMEL, Médecin et droit médical, présentation et résolution de situation médico-légales, édit. médecine et hygiène, 1988, p.255 et 256.)

 

Ainsi, en transgressant l'interdit de toute relation intime avec sa patiente, il y a lieu de considérer que le recourant a commis un agissement professionnel incorrect au sens de l'article 139 alinéas 2 lettre b aLEPS, justifiant le prononcé d'une sanction.

 

10. Le Conseil d'Etat a jugé que les faits reprochés étaient graves. En effet, il a retenu que la plaignante était particulièrement fragile, souffrant, de plus, d'une maladie chronique et, partant, que le recourant avait tiré profit de l'état de dépendance de sa patiente.

Le recourant conteste cette analyse et estime que la plaignante ne se trouvait pas dans un contexte social difficile, qu'en particulier elle n'était pas seule et sans relation ayant notamment un emploi. De plus, les constatations faites au début du traitement -enfance difficile- alléguées et tendance dépressive ne soulignaient pas forcément une fragilité de la personnalité. Enfin, il a fait valoir que la plaignante a librement et pleinement consenti à cette relation amoureuse.

 

En l'espèce, il est manifeste que dès lors qu'elle suivait un traitement prodigué par le recourant, la plaignante était bien dans un rapport de dépendance avec celui-ci.

S'agissant de la fragilité de la plaignante, c'est bien le dossier médical tenu par le recourant qui révèle que la plaignante vivait seule lors de sa venue à Genève, après avoir quitté le canton de Zurich où elle était déjà suivie pour un état dépressif et traitée avec du Deroxate (antidépresseur) ; que les antécédents familiaux de Mme P., protocolés par le recourant, mettaient en évidence des traumatismes passés subis dans l'enfance et l'adolescence (en particulier l'allégation d'un viol de sa sur par leur propre père). Que le recourant lui même a posé un diagnostic de dépression, qu'il a entrepris un traitement par hypnose puis, par la suite, par antidépresseurs. En outre, s'il a bien indiqué dans son dossier une " nette amélioration /stabilité clinique " le 15 décembre, il n'en a pas moins continué à lui prescrire de la Fluctine jusqu'à la fin de l'année 2000, ce qui prouvait que sa patiente restait fragile.

S'imposant une certaine retenue face à l'appréciation de l'autorité intimée conformément à la jurisprudence citée au chiffre 3, le tribunal fera sienne l'appréciation du Conseil d'Etat en ce sens que les agissements incriminés doivent être qualifiés de graves.

 

11. Comme indiqué au chiffre 3, la LEPS prévoit une gradation dans l'échelle des sanctions qui va de l'avertissement, au blâme et à l'amende (prononcées par le département) et, dans les cas graves, de la radiation temporaire à la radiation définitive du registre de la profession (prononcées par le Conseil d'Etat ; art. 141 et 142 a LEPS).

 

12. a. En matière de sanction administrative, les autorités intimées jouissent en général d'un large pouvoir d'appréciation (ATA H. du 28 juillet 1998 et les références citées). La juridiction de céans ne censure ainsi les prononcés administratifs qu'en cas d'excès.

 

b. Pour fixer la sanction, l'autorité doit, en application du principe de la proportionnalité, tenir compte d'éléments objectifs, soit de l'atteinte objectivement portée à l'intérêt public et de facteurs subjectifs, comme par exemple des motifs qui ont poussé l'intéressé à violer ses obligations (V. MONTANI, C. BARDE, op.cit. p.348)

Le principe de la proportionnalité comporte traditionnellement trois aspects : d'abord, le moyen choisi doit être propre à atteindre le but fixé (règle d'aptitude); deuxièmement, entre plusieurs moyens adaptés, on doit choisir celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés (règle de nécessité); enfin, l'on doit mettre en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré avec le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (proportionnalité au sens étroit du terme) (cf. ATF 123 I 112 consid. 4e p. 121 et les arrêts cités).

 

c. Les manquements professionnels constatés sont d'une gravité certaine. Ils sont notamment de nature à altérer la confiance que les patients doivent pouvoir nourrir à l'égard du corps médical.

 

13. En limitant la sanction à une durée d'un mois, l'autorité intimée est restée dans le bas de l'échelle des sanctions applicable en cas de faute grave. Elle a ainsi tenu compte des éléments du cas d'espèce dont, notamment, le fait que le recourant est en mesure de se faire remplacer, comme il le fait durant ses vacances, par les autres médecins du cabinet. En outre, quant à la perte financière invoquée, elle est raisonnable, eu égard à la gravité de la faute retenue. Partant, la radiation pendant une durée d'un mois doit être considérée comme appropriée aux circonstances. Elle respecte le principe de la proportionnalité.

 

14. Le recours sera ainsi rejeté.

 

15. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 28 août 2002 par Monsieur T.C. contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 24 juillet 2002;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'500.-;

communique le présent arrêt à Me Serge Milani, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Paychère, président, M. Thélin, M. Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci