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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1901/2003

ATA/140/2004 du 10.02.2004 ( VG ) , ADMIS

Descripteurs : MARCHES PUBLICS
Normes : AIM.15; AIM.6 al.1 litt.a; AIM.7 al.1 litt.a; AIM.7 al.2; AIM.12 al.1 litt.a; RMPC.37; RMPC.38
Résumé : Appel d'offre ayant pour objet la réalisation d'un groupe scolaire. Décision d'adjudication annulée. Violation de la procédure d'interrogation des soumissionnaires par l'autorité adjudicatrice. Le grief selon lequel le consortium évincé n'aurait pas été en mesure de respecter les exigences posées au motif qu'il ne disposait pas du personnel nécessaire doit être écarté, dès lors qu'il ne constitue pas un critère d'aptitude au sens de l'art. 35 let.e du règlement (L 6 05.01). Enfin, l'autorité adjudicatrice a écarté l'offre la moins disante sans aucun argument permettant de s'écarter du critère du prix le moins élevé.
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 10 février 2004

 

 

dans la cause

 

 

SOCIÉTÉS P. D. S.A., T. S.A. & A. S. S.A.

représentées par Me Louis Waltenspuhl, avocat

 

contre

 

VILLE DE GENÈVE

représentée par Me Alain Maunoir, avocat

 

et

 

SOCIÉTÉ M. S.A.

représentée par Me François Membrez, avocat



EN FAIT

 

 

1. Par une publication insérée dans la Feuille d'avis officielle (ci-après : la F.A.O.) datée du 6 janvier 2003, la Ville de Genève (ci-après : la Ville) a procédé à un appel d'offres de constructions ouvert ayant pour objet la réalisation du groupe scolaire des Ouches (ci-après : le groupe scolaire), sis entre la rue Camille-Martin, l'avenue Henri-Golay et le chemin des Ouches, comportant notamment un lot n° 628P9L, installations sanitaires, d'un montant de CHF 950'000.- et devant être réalisé au cours de l'été 2003, dans le cadre de trois crédits de construction totalisant CHF 29'532' 600.-, à teneur du Mémorial du Conseil municipal de la Ville de Genève, 2002, pp. 929-958. Le délai fixé dans la F.A.O. pour le dépôt des offres était au 30 mars 2003, date qualifiée sous ch. 3.9 d'"indicative et d'aléatoire", la date et l'heure définitives faisant foi [...] étant fixées dans le dossier d'appel d'offres". Cette publication ne comporte pas d'indication des critères d'adjudication.

 

2. Le 17 février 2003, la Ville a procédé à une prospection complémentaire en s'adressant directement et par écrit notamment à la société P. D. S.A. (ci-après : D.), l'invitant à soumissionner.

 

3. Les dossiers de soumission remis aux concurrents intéressés comportaient la date du 12 mai 2003 au titre de l'expédition des formules, avec un délai de remise fixé au 27 juin 2003 à 9h15.

 

4. Le 26 juin 2003, D., ainsi que les sociétés T. S.A. et A. S. S.A. (ci-après : le consortium) ont déposé une offre, qui a été reçue le lendemain par la Ville. Le prix arrêté net, TVA comprise, s'élevait à CHF 1'018'972.-, l'offre comportant toutefois les réserves suivantes :

 

a) Travaux non compris :

 

- raccordements électriques,

- percements dans les murs et dalles,

- bouchage et rhabillage des saignées, des percements dans les murs, les dalles et les cloisons,

- fouilles et remblayage,

- les frais relatifs à la gestion, au tri, à l'évacuation et à l'élimination des déchets ne sont pas inclus dans les prix unitaires, sauf mention explicite dans

le devis descriptif,

 

b) Fluctuation dans les prix de la main-d'oeuvre et des matériaux,

 

c) Sous réserve de modification du taux de la TVA,

d) Exigence du Service de sécurité et des Services

publics,

 

e) Taxes de raccordement SIG, assainissement, épuration, travaux de branchement Services industriels,

 

f) Le compte prorata ne comprend pas les frais de gestion, tri, élimination et évacuation des déchets,

 

g) Validité de cette offre : trois mois.

 

Le 27 juin 2003, la société M. S.A. (ci-après : M.) a également déposé une offre qui a été reçue le jour même, pour un prix arrêté net, TVA comprise, de CHF 1'043'720.-.

 

Les deux soumissionnaires parties à la procédure ont signé le même engagement comportant, sur la même page, l'avis selon lequel le prix arrêté de l'offre serait considéré comme prix ferme pour l'examen d'une éventuelle adjudication. La même mention était reprise une seconde fois dans les termes suivants : "l'entrepreneur s'engage [...] à exécuter les travaux désignés pour le montant arrêté figurant sur la page de garde de cette soumission".

 

5. Les offres des concurrents parties à la présente procédure étaient munies du timbre humide de la Ville, daté du 27 juin 2003.

 

6. Le 27 août 2003, M. R. R., agissant pour le bureau technique R. R. et H. S., mandaté par la Ville pour apprécier les offres, a fait suite à un entretien téléphonique du même jour qu'il avait eu avec un fonctionnaire de la Ville. L'adjudication à M. était "tout à fait envisageable, car le blocage des prix matériel + main d'oeuvre et la gestion des déchets étaient estimés à environ CHF 20'000.- à CHF 25'000.-, ce qui voulait dire que les deux premières entreprises étaient à égalité de prix".

 

7. Le 25 septembre 2003, la Ville a informé le consortium qu'elle avait attribué la veille le marché à M.. Cette autorité avait pris en considération le rapport entre prestations et prix ainsi que les avantages directs et indirects pour l'autorité adjudicatrice. Il avait été tenu compte du blocage des prix pour le matériel et la main d'oeuvre jusqu'à la fin du chantier, de la disponibilité en personnel et du respect des délais offerts. La Ville avait estimé que le consortium était "déjà adjudicataire d'un autre ouvrage de grande importance [qui] pouvait se révéler préjudiciable au respect des délais impartis et à la qualité du travail, en raison même de la simultanéité des ouvrages". Ces motifs avaient ainsi amené la Ville à donner un léger avantage à l'offre de M..

 

8. Le lundi 6 octobre 2003, le consortium a recouru contre la décision de la Ville du 25 septembre de la même année. La différence de prix entre les offres était supérieure à 2,4 %. Les trois entreprises membres du consortium occupaient 265 collaborateurs et l'entreprise adjudicataire une soixantaine. Le chantier litigieux nécessitait la présence d'une dizaine de personnes au maximum, soit un technicien, un chef de chantier et huit installateurs sanitaires. Les entreprises recourantes disposaient dès lors de l'infrastructure et des effectifs suffisants pour exécuter ces travaux. La Ville ne pouvait considérer que les entreprises formant le consortium n'étaient pas en mesure de respecter les délais et les critères de qualité. Il était totalement infondé de considérer que ces entreprises auraient été amenées à exécuter les travaux de manière moins satisfaisante que l'entreprise adjudicataire. La Ville avait ainsi constaté de manière incomplète, voire inexacte, des faits pertinents, et sa décision devait être annulée, le dossier devant lui être renvoyé pour nouvelle décision. Le consortium a encore demandé la restitution de l'effet suspensif.

 

9. Par décision présidentielle rendue le 8 octobre 2003, l'effet suspensif a été restitué au recours.

 

10. Le 7 novembre 2003, la Ville a répondu au recours et conclut à son rejet, avec suite de frais et dépens. Le consortium s'était vu attribuer des marchés importants comme celui lié à la construction d'une fabrique d'horlogerie de même que ceux des installations sanitaires du nouveau siège d'une banque privée. Quant à l'entreprise adjudicataire, elle offrait des garanties en matière de disponibilité du personnel, de respect des délais et de qualité du travail "compte tenu notamment du chantier de grande importance déjà adjugé préalablement [...] au consortium". La différence de prix entre les deux offres était inférieure à 2,5 %, mais le consortium avait formulé des réserves, ce qui revenait à combler cet écart de prix. Dès lors, la Ville se considérait en droit de permettre "une certaine rotation entre les entreprises concurrentes dans un secteur déterminé". La Ville a encore demandé la levée de l'effet suspensif octroyé au recours.

 

Le même jour, M. a également répondu au recours. L'entreprise occupait soixante collaborateurs, dont dix ayant des fonctions administratives et quatre apprentis. Elle était une très ancienne entreprise genevoise, fondée en 1886, et toujours située sur le territoire de la commune intimée. Dans le cadre du marché litigieux, l'intimée n'avait émis aucune réserve. Son offre n'était que de 2,429 % moins avantageuse que celle du consortium, ce qui était infime. Or, l'offre la plus avantageuse n'était pas nécessairement la moins chère. De surcroît, il convenait de maintenir la concurrence sur le marché des installations sanitaires et de tenir compte des autres engagements du consortium. M. conclut à la confirmation de la décision entreprise, avec suite de frais et de dépens et à la suppression de l'effet suspensif.

 

11. Par décision du 19 novembre 2003, la requête de levée de l'effet suspensif a été rejetée et l'audition de M. R. ordonnée, de même que celle des parties lors d'une audience qui se tiendrait le 12 décembre 2003.

 

12. Lors de l'audience de comparution personnelle des parties et d'enquêtes du 12 décembre 2003, chacune des entreprises du consortium était représentée, de même que la Ville et l'entreprise adjudicataire.

 

a. Sur question du juge délégué, le consortium a répondu que s'il avait l'habitude d'émettre des réserves (Cf. consid. 1 en fait), celles-ci constituant en l'espèce une erreur, le prix offert étant ferme comme cela ressortait de la page 2 de l'offre. S'agissant des autres marchés remportés par le consortium, il était exact que celui-ci s'était vu attribuer un chantier concernant l'édification des nouveaux locaux d'une entreprise d'horlogerie, de même que ceux d'une banque privée. Disposant toutefois d'un effectif de 180 ouvriers, sur un total de 265 employés, le consortium était à même d'en dégager 10 pour le chantier litigieux. Le consortium a encore relevé qu'il y avait autant d'entreprises dans le secteur que cinq ans auparavant et que leur présence sur le marché n'avait pas empêché notamment M. de se développer.

 

b. Le représentant de l'entreprise adjudicataire a convenu avec ses concurrents que 10 à 12 ouvriers qualifiés étaient suffisants pour mener le chantier litigieux. Cette entreprise était par ailleurs adjudicataire également d'un marché sur le chantier d'une entreprise d'horlogerie; il s'agissait de travaux hautement spécialisés pour lesquels il fallait employer trois équipes de 2 ouvriers compétents ainsi qu'une équipe de soutien. Ce personnel avait été formé spécialement pour de tels travaux. Le représentant de M. a encore convenu que la stabilité des entreprises était bonne malgré quelques faillites, mais il a exposé qu'en sa qualité de président de l'association des maîtres ferblantiers et installateurs sanitaires du canton de Genève, il avait été interpellé à quelques reprises par des collègues quant à la politique commerciale du consortium, qui soumissionnait sous cette forme même pour de petits marchés.

 

c. La représentante de la Ville a exposé qu'au prix offert par le consortium, avait été ajouté le montant des travaux faisant l'objet de réserves. M. R. avait été interpellé pour évaluer le prix de l'exécution des travaux leur correspondant. Le monde de la construction était relativement petit à Genève et la Ville savait que les entreprises du consortium étaient engagées sur les chantiers précités; elle avait des doutes quant à leur volonté de dégager le personnel nécessaire pour le chantier litigieux.

 

d. Entendu en qualité de témoin exhorté à dire la vérité et rendu attentif aux conséquences du faux témoignage, M. R. a exposé qu'il était mandataire de la Ville de Genève. La différence de prix entre les offres des deux premières entreprises était d'un peu plus de 2 %, donc négligeable. L'offre du consortium comportait une annexe englobant une liste de travaux non compris. Interrogé, le représentant de M. avait alors exposé que la plupart de ses prestations étaient comprises dans sa propre offre. Il s'agissait du tri et de la gestion des déchets, ainsi que de la hausse du matériel et de la main-d'oeuvre, soit les points a) dernier paragraphe ainsi que b) de la liste de réserves du consortium. Les autres postes de ces réserves n'étaient pas non plus compris dans l'offre de M., car il s'agissait de prestations dues par d'autres corps de métiers.

 

Dûment questionné sur ce point, le témoin a reconnu ne pas avoir interrogé le consortium sur la contradiction qu'il y avait à s'engager pour un montant arrêté et l'émission de réserves. Il avait cherché seulement à savoir si les points précités étaient compris dans l'offre de M. et il avait proposé à la Ville d'adjuger le marché à l'une des deux entreprises.

 

e. Le consortium a confirmé ne pas avoir été approché par le témoin et le représentant de l'entreprise M. a admis que les questions abordées par le témoin lui avaient bien été posées. Quant à la représentante de la Ville elle a convenu qu'il avait été demandé à M. R. d'examiner les réserves avec M..

 

f. À l'issue de l'audience de comparution personnelle des parties et d'enquêtes, celles-ci ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

13. Par lettre du 14 janvier 2004, le tribunal a toutefois requis la Ville de fournir des renseignements supplémentaires sur trois points : le calendrier imparti aux soumissionnaires pour le dépôt de leur offre, le rapport entre ce calendrier et les conditions particulières contenues sous chiffre 4.1 de la formule remise aux concurrents, de même que la portée du chiffre 4.3 des mêmes conditions particulières, selon lesquelles "le maître de l'ouvrage se réserve toute liberté pour l'adjudication des travaux".

 

Le 27 janvier 2004, la Ville a répondu qu'elle s'était réservé, lors de la parution de l'avis d'appel d'offres dans la F.A.O du 6 janvier 2003, la possibilité de modifier le délai qu'elle avait fixé elle-même de manière indicative au 30 mars 2003. Ce délai avait été reporté au 27 juin de la même année et les entreprises concernées en avaient été informées. Celles qui avaient décidé de soumissionner avaient reçu la formule nécessaire le 12 mai 2003 et les parties à la procédure l'avaient déposée à temps, dûment complétée, avant la date de retour fixée au 27 juin 2003 à 9h15. Les soumissions litigieuses ne pouvaient donc être considérées comme remises après le délai au sens des conditions particulières et la portée du chiffre 4.3 desdites conditions était limitée par "les exigences de la réglementation sur les marchés publics".

 

14. a. Le consortium s'est déterminé par lettre du 4 février 2004. Il avait respecté le délai au 27 juin 2003, tel qu'il avait été fixé par la Ville. Sur la troisième question, le consortium a répondu que les critères du pouvoir adjudicateur manquaient de transparence.

 

b. Par courrier du 5 février 2004, M. a informé le tribunal qu'elle n'avait aucune remarque à formuler à propos du courrier de la Ville, celui-ci étant absolument conforme au dossier et à la réglementation sur les marchés publics.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté dans le délai de dix jours prévu par l'article 15 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L 6 05 - l'AIMP ou l'accord) - mais prolongé au premier jour utile suivant, soit le lundi, en application de l'article 17 alinéa 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) - devant la juridiction compétente au sens de l'article 3 alinéa premier de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L 6 05.00 - la loi), le recours est recevable de ce point de vue (cf. également art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05).

 

2. Le marché litigieux relève de la construction au sens des articles 6 alinéa premier lettre a ainsi que 7 alinéa premier lettre a et alinéa 2 AIMP tant par le type de la réalisation projetée par la Ville, soit un bâtiment scolaire qui relève du domaine des constructions, que par le montant de près de trente millions, valeur totale qui dépasse largement la valeur-seuil de 9,575 mios.

 

3. Quant à la procédure, elle a été de type ouvert au sens des articles 12 alinéa premier lettre a AIMP ainsi que 19 du règlement sur la passation des marchés publics en matière de constructions du 19 novembre 1997 (le règlement - L 6 05.01), même s'il ressort du dossier que des entreprises ont été relancées pour présenter une offre.

 

Le pouvoir adjudicateur s'étant réservé - lors de la publication de l'appel d'offres - la faculté de déterminer la date de la remise des formules aux soumissionnaires et celle de leur dépôt, il n'y a pas lieu de considérer que le marché pouvait être passé de gré à gré au sens de l'article 17 alinéa 2 lettre a du règlement, car le dépôt des offres complétées par les concurrentes s'était fait dans le délai fixé par l'autorité intimée.

 

4. Selon l'article 37 du règlement, l'autorité adjudicatrice peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre. Cette procédure doit être écrite.

 

S'agissant de la violation des règles de procédure, jurisprudence et doctrine fournissent des enseignements nuancés. L'annulation d'une adjudication ne doit être la sanction que d'une informalité qui aurait été susceptible de modifier la décision entreprise (RDAF 2000 I 345 consid. 4b p. 349-350 ainsi que la jurisprudence citée). Une fois admise l'existence d'un vice de procédure, l'autorité de recours doit examiner l'appréciation matérielle des offres par l'autorité intimée pour vérifier si l'erreur a eu ou non une incidence discriminatoire pour le soumissionnaire évincé (Étienne POLTIER, "Les marchés publics : premières expériences vaudoises" in RDAF 2000 I p. 297-313; p. 308).

 

En l'espèce, il est constant que l'autorité intimée a violé de deux manières l'article 37 du règlement. Tout d'abord, la procédure d'interrogation des soumissionnaires quant au caractère ferme ou non du prix offert n'a pas été écrite : le mandataire de la Ville s'est contenté de téléphoner à l'un des soumissionnaires, puis d'adresser une lettre télécopiée à l'autorité intimée sans conserver de trace écrite des questions posées et des réponses, comme l'exige pourtant la disposition précitée. Secondement, il eut été conforme au principe de l'égalité de traitement, soit à l'un des buts fondamentaux du droit des marchés publics (art. premier al. 2 let. b AIMP et art. 7 al. premier du règlement) de poser les mêmes questions aux autres soumissionnaires et singulièrement au consortium dont l'offre pouvait être comprise, selon certaines parties, comme n'étant pas ferme. En priant le témoin d'examiner la question du prix avec la seule entreprise adjudicataire, l'autorité adjudicatrice n'a en fait pas cherché à obtenir des explications du concurrent concerné au sens de l'article 37 du règlement, mais à asseoir la décision qu'elle comptait prendre.

 

Même si cette violation des règles de passation des marchés publics n'était à elle seule pas suffisante pour entraîner l'annulation du marché litigieux, celui-ci devra l'être pour d'autres motifs encore.

 

5. En vertu de l'article 9 du règlement, l'adjudication est toujours faite au prix de la soumission, sous réserve d'un redressement des erreurs de calcul qui peuvent apparaître lors de la vérification.

 

En l'espèce, aucune des parties ne soutient que l'offre du consortium était entachée d'une erreur de calcul. Reste dès lors à déterminer quel était le prix de la soumission, auquel l'adjudication devait se faire. Les deux soumissionnaires parties à la procédure ont signé le même engagement comportant, sur la même page, l'avis selon lequel le prix arrêté de l'offre serait considéré comme prix ferme pour l'examen d'une éventuelle adjudication. La même mention est reprise une seconde fois dans les termes suivants : "l'entrepreneur s'engage [...] à exécuter les travaux désignés pour le montant arrêté figurant sur la page de garde de cette soumission".

 

Or, il ressort de la page de garde des dossiers présentés par les deux soumissionnaires que le consortium avait offert ses services pour un prix arrêté net de CHF 1'018'972.- et M., pour un montant de CHF 1'043'720.-. En fonction de cette indication et de l'engagement figurant en page 2 de l'offre, l'autorité adjudicatrice aurait été habilitée à ne payer au consortium, s'il avait obtenu le marché, que le prix ainsi arrêté. Les réserves formulées par le consortium ne lui étaient d'aucune utilité, puisque contraires au texte de l'article 9 du règlement et à l'engagement pris par les trois entreprises qui le forment de respecter le prix offert.

 

En conséquence, et même sans tenir compte des déclarations des entreprises recourantes lors de l'audience de comparution personnelle des parties, il convient de retenir que le consortium était le soumissionnaire le moins disant, seule cette solution étant à même de garantir l'application entière de la disposition réglementaire précitée.

 

6. L'autorité adjudicatrice et l'entreprise qui a remporté le marché mettent en doute la capacité du consortium évincé à satisfaire les exigences posées.

 

Il est mal aisé de qualifier le grief retenu par l'autorité adjudicatrice vis-à-vis du consortium évincé. Selon l'article 35 lettre e du règlement, l'offre d'un soumissionnaire doit être en principe écartée lorsque l'intéressé ne remplit pas notamment les garanties de bien-facture attendues. Selon la jurisprudence, il appartient à l'autorité d'adjudication d'examiner, dans un premier temps, la capacité des soumissionnaires à exécuter le marché (ATF 129 I 313 consid. 8.1 p. 324; RDAF 2002 I 517, p. 519). Or en l'espèce, l'autorité intimée n'a manifestement pas considéré que l'offre du consortium devait être écartée, celui-ci ne présentant pas les garanties requises. On ne saurait de toute manière faire de l'argument selon lequel une entreprise ne disposerait pas du personnel nécessaire qu'un critère d'aptitude. Il s'agit en effet d'une question d'organisation, portant sur la capacité à mener à bien une prestation (ATA 129 I 313 eodem loco et Olivier RODONDI, "Les critères d'aptitude et les critères d'adjudication dans les procédures de marchés publics", RDAF 2001 I p. 387-413; p. 394-395). L'offre du consortium n'ayant pas été écartée sur cette base, il est exclu de mettre en doute sa capacité à bien mener les travaux requis pour faire de cette interrogation un critère d'adjudication.

 

Il convient donc de retenir que sur ce point la décision entreprise viole le droit des marchés publics.

 

7. Selon l'article 39 du règlement, le marché est adjugé au soumissionnaire ayant présenté l'offre économiquement la plus avantageuse. En dehors du prix, les avantages directs et indirects pour l'autorité adjudicatrice peuvent être pris en considération, comme la qualité, les délais, les coûts d'exploitation, le service après-vente, la protection de l'environnement, la santé et la sécurité au travail, la formation et le perfectionnement professionnel, la valeur technique, l'esthétique, l'assurance qualité, la créativité et l'infrastructure.

 

La jurisprudence reconnaît une grande liberté d'appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98 et ATF n.p. du 6 septembre C. S.A. et consorts contre canton du Jura consid. 2.2; cause n° 2P.161/2002). La juridiction de céans a pleinement reçu ces principes, qu'elle a notamment consacrés dans un arrêt A. SpA du 26 novembre 2002. Encore faut-il que l'autorité intimée exerce sa liberté d'appréciation d'une manière compréhensible pour les entreprises concurrentes et l'autorité juridictionnelle. En particulier, il lui revient, par la publication des critères d'adjudication, de montrer aux entreprises concurrentes quels seront les points sur lesquelles leurs offres seront jugées. Une telle mention est d'autant plus pertinente que le pouvoir adjudicateur entend s'écarter du critère du prix. Ces renseignements font défaut en l'espèce.

 

L'autorité adjudicatrice n'a mis en avant aucun avantage particulier de l'offre retenue qui lui permettrait de s'écarter du critère du prix pour donner la préférence à un concurrent qui offrirait, par hypothèse, des prestations supérieures dans l'un des domaines décrits ci-dessus. C'est donc sans raison de ce point de vue là également que l'offre la moins disante n'a pas été retenue. Le choix opéré excède ainsi les limites de la liberté d'appréciation.

 

8. Bien fondé, le recours des trois entreprises formant le consortium doit être admis. Celles-ci n'ayant toutefois pas requis le tribunal de céans de leur attribuer le marché malgré la faculté qui lui est offerte par l'article 18 alinéa premier première hypothèse de statuer au fond, cette autorité ne le fera pas, faute de quoi elle statuerait ultra petita, violant alors l'article 69 alinéa premier LPA. Il sera simplement fait droit à la conclusion principale des trois entreprises recourantes d'annuler la décision litigieuse et de renvoyer la cause à la Ville pour nouvelle décision.

 

9. En application de l'article 87 alinéa premier LPA, ainsi que du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (le règlement sur les frais - E 5 10.03), la juridiction de céans statue sur les frais de la procédure et les émoluments.

 

Quoiqu'elle succombe, la Ville, qui agit dans l'intérêt public, ne sera pas condamnée auxdits frais. Ceux-ci seront mis à charge de M. à hauteur de CHF 2'500.-. Les membres du consortium recourant ayant conclu à l'allocation de dépens, ceux-ci seront arrêtés à CHF 3'000.- mis solidairement et par quote-part égale à la charge de la Ville et de M. en application de l'article 5 du règlement sur les frais.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 6 octobre 2003 par les sociétés P. D. S.A., T. S.A. et A. S. S.A. contre la décision de la Ville de Genève du 25 septembre 2003;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision de la Ville de Genève;

 

lui renvoie le dossier pour nouvelle décision au sens des considérants;

 

met à la charge de la société M. S.A. un émolument de CHF 2'500.-;

 

alloue une indemnité de CHF 3'000.- aux sociétés recourantes, à la charge conjointement et solidairement de la Ville de Genève et de la société M. S.A.

 

communique le présent arrêt à Me Louis Waltenspuhl, avocat des sociétés recourantes, ainsi qu'à Me Alain Maunoir, avocat de la Ville de Genève, à Me François Membrez, avocat de la société M. S.A..

 


Siégeants : M. Thélin, président, M. Paychère, Mmes Hurni et Bovy, juges, M. Bellanger, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega