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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/765/2003

ATA/14/2004 du 06.01.2004 ( FIN ) , REJETE

Descripteurs : CALCUL DE L'IMPOT; ACTIVITE LUCRATIVE INDEPENDANTE; PERTE; DEDUCTION DU REVENU; FIN
Normes : LPFi.54; LPFi.86
Résumé : Rappel des conditions d'une déduction de la perte commerciale. La notion de "perte commerciale" doit être interprétée de manière restrictive.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 6 janvier 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame J. et Monsieur M. T.

 

 

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE D'IMPOTS

 

et

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 



EN FAIT

 

1. Dans la déclaration pour l'impôt cantonal et communal 2000 - concernant les revenus réalisés en 1999 - Madame J. M. N. H. et Monsieur M. T. (ci-après : les époux T. ou les contribuables) ont notamment déclaré des revenus provenant d'une activité lucrative indépendante, réalisée par Madame T..

 

L'intéressée avait exploité l'"Institut ...", route de ... 48, à .... Elle avait réalisé un chiffre d'affaires brut de CHF 1'220.- et les pertes commerciales s'élevaient à CHF 31'461.-.

 

Les autres éléments ne sont pas - ou plus - litigieux dans la présente procédure.

 

2. Le 14 août 2000, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a notifié aux époux T. leur bordereau d'impôts 2000. Elle n'avait pas déduit des revenus la perte commerciale de l'activité de Madame T..

 

3. Le 15 septembre 2000, les contribuables ont contesté le bordereau qui leur avait été notifié. Le montant de la perte commerciale n'avait pas été reporté, alors que cette perte était importante et effective. Elle avait entraîné la cessation de l'activité au 31 décembre 1999.

 

4. Le 15 décembre 2001, l'AFC a maintenu sa position. L'activité exercée par Madame T. à titre d'indépendante n'était pas essentielle et ne pouvait être considérée comme une activité lucrative génératrice de profits.

 

5. Les époux T. ont alors saisi la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : la commission). Madame T. n'avait pas exercé une activité de dilettante, mais avait recherché un revenu régulier, indispensable à l'équilibre budgétaire du ménage et au remboursement des dettes. L'office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) avait soutenu la contribuable dans la réalisation de son projet d'indépendante.

 

A ce recours étaient notamment joints :

 


- une décision de l'autorité cantonale en matière d'assurance-chômage, relative à l'allocation d'indemnités journalières pendant la phase d'élaboration d'un projet d'activité indépendante. Madame T. avait eu droit à soixante indemnités, dès le 1er novembre 1999;

 

- un courrier adressé par l'intéressée à l'OCE le 14 février 2000, selon lequel la contribuable avait renoncé à son projet car son institut ne marchait pas. De plus, elle avait rencontré des problèmes de santé. Le chiffre d'affaires était nul.


 

6. L'AFC ayant besoin d'éléments complémentaires pour répondre au recours, elle a demandé aux époux T. de fournir les pièces justificatives des chiffres figurant dans le compte de pertes et profits de l'"Institut ...", arrêté au 31 décembre 1999 :

 

Achat matières CHF 2'474.-

Achats produits CHF 10'506.-

Loyer CHF 3'500.-

Aménagement local CHF 3'074.-

Formation CHF 8'460.-

Publicité CHF 1'839.-

Ventes CHF 1'220.-

 

Les époux T. ont transmis les pièces demandées le 7 août 2002.

 

7. Le 13 novembre 2002, l'AFC a transmis sa réponse à la commission.

 

Les frais d'aménagement du local, ainsi que ceux de publicité, ne pouvaient être totalement mis à la charge de l'exercice commercial 1999. Ils devaient être amortis, selon les règles usuelles, à raison de 20% pendant cinq ans, soit CHF 982,90 pour l'année concernée.

 

Le poste "Achat de produits" ne pouvait entraîner de déduction, car aucun inventaire n'avait été dressé.

 

Les frais de formation ne pouvaient être déduits, car la jurisprudence ne les considérait pas comme des frais d'acquisition du revenu.

 

Ainsi, il y avait lieu de tenir compte de charges commerciales s'élevant à CHF 7'172,80 qui, après déduction des produits, permettait d'admettre une perte de CHF 5'952,80.

 

8. Dans une ultime écriture, les contribuables ont maintenu leur position. La fermeture de l'"Institut ..." avait été causée par la découverte d'une maladie dégénérative de Madame T., incompatible avec l'activité prévue.

 

9. Le 27 mars 2003, la commission a rendu sa décision.

 

En ce qui concernait le poste "Achats", dans la mesure où la contribuable n'avait pas tenu d'inventaire, la perte ne pouvait être retenue qu'à hauteur des recettes réalisées, soit CHF 1'220.-. Les postes "Aménagement du local" et "Publicité", qui devaient être amortis sur cinq ans à raison de 20% par année, avaient entraîné une perte admissible de CHF 982,90. Conformément à la jurisprudence, les frais de formation n'étaient pas en relation directe avec le revenu obtenu et ne pouvaient être considérés comme des pertes. Les frais commerciaux, pour un total de CHF 6'189,90, étaient admis dans leur intégralité. Le total devant être pris en considération ascendait à CHF 8'392,80, dont il fallait déduire la recette en CHF 1'220.-. La perte admise en déduction ascendait à CHF 7'172,80.

 

10. Les époux T. ont saisi le Tribunal administratif d'un recours le 5 mai 2003. La totalité des postes "Frais d'aménagement du local" et "Frais de publicité" devait être déduite, puisque l'"Institut ..." avait cessé ses activités le 31 décembre 1999, à cause d'une maladie dégénérative diagnostiquée au mois de novembre de cette année-là.

 

Le stock des produits non destinés à la vente, périssables et sans valeur, devait aussi être considéré comme une perte.

 

Le coût de la formation suivi par Madame T., indispensable à l'exercice de la profession d'esthéticienne, était en rapport direct avec le revenu obtenu et devait être déduit.

 

11. Le 28 mai 2003, l'AFC s'est opposée au recours. Les pertes entraînées par la fermeture de l'"Institut ..." à la fin de l'année 1999 n'avaient pas un caractère commercial et ne pouvaient être déduites du revenu. La question de la liquidation d'une entreprise était traitée par d'autres dispositions de la loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05) et, en cas de pertes, la fortune du contribuable en était affectée. La jurisprudence avait clairement défini que les frais de formation n'étaient pas considérés comme des frais d'acquisition du revenu, lorsque la formation permettait de commencer une activité professionnelle nouvelle.

 

12. Les parties ont été entendues en comparution personnelle le 30 juin 2003.

 

Les époux T. ont indiqué que la liquidation de l'"Institut ..." avait été motivée par la maladie de la contribuable.

 

Au cours de cette audience, le juge délégué a attiré l'attention des contribuables sur la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc; D 3 17), entrée en vigueur le 1er janvier 2002, qui permet au Tribunal administratif de modifier la taxation au désavantage du contribuable. Un délai de réflexion échéant le 31 août 2003 leur a été accordé, après quoi la cause serait gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (article 56A de la loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; article 63 alinéa 1 lettre a de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. De nouvelles normes fiscales sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001, en application de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, du 14 décembre 1990 (LHID ; RS 642.14). Elles ont abrogé, à partir de cette date, la plupart des dispositions de la LCP. Ces dispositions demeurent cependant applicables, notamment en ce qui concerne l'imposition des personnes physiques, pour les périodes fiscales antérieures à l'année 2001. L'adaptation de la législation fiscale genevoise aux exigences de la LHID est en effet dépourvue d'effet rétroactif, comme l'a relevé le Tribunal administratif selon une jurisprudence constante (ATA AFC c/ M. du 30 septembre 2003; C. du 1er avril 2003; ATA F. du 21 janvier 2003).

 

b. L'objet du présent litige est le traitement fiscal des pertes auxquelles les intimés ont dû faire face en 1999. Il est, compte tenu de ce qui précède, soumis à la LCP dans sa teneur antérieure au 1er janvier 2001 (aLCP, pour ce qui concerne les dispositions légales abrogées dès cette date).

 

c. L'article 86 LPFisc dispose que les règles de procédure prévues par cette loi s'appliquent aux causes qui sont encore pendantes au moment de son entrée en vigueur. La disposition concrétise le principe général qui prévaut en procédure, selon lequel, sauf règle expresse contraire, les nouvelles normes s'appliquent à l'ensemble des affaires en cours, que les faits à établir soient postérieurs ou antérieurs à la nouvelle loi (ATA M. précité et H. du 10 juin 2003 et les références citées). La LPFisc est ainsi applicable au présent litige. Il en est ainsi de l'art. 54 LPFisc, qui donne au Tribunal administratif la compétence de déterminer tous les éléments imposables et, après avoir entendu le contribuable, de modifier la taxation au désavantage de ce dernier.

 

3. a. Selon la doctrine et la jurisprudence constantes, la notion de "perte commerciale" doit être interprétée de manière restrictive (ATA AFC du 12 novembre 2002; H. du 26 novembre 1996). Il faut entendre par là la perte qui résulte du fait que, pour l'année fiscale précédente et en ce qui concerne l'activité commerciale envisagée, les dépenses professionnelles ont dépassé les revenus y relatifs, le contribuable subissant une perte se répercutant sur l'exercice comptable ultérieur (ATA D. du 20 juin 1979 in RDAF 1979, p. 330).

 

Le principe de la généralité de l'impôt prévoit que les déductions, y compris celles des dépenses afférentes à un revenu déterminé, sont soustraites du total du revenu brut et non pas de chacun des éléments du revenu qu'elles concernent (SJ 1964, p. 461). Cependant, il ne peut être fait de déduction lorsque le revenu est inexistant, étant donné la relation de nécessité qui doit exister entre un revenu déterminé et les dépenses consenties pour obtenir ce dernier (RDAF 1992, p. 275).

 

b. Le Tribunal administratif n'a pas admis qu'un artiste-peintre déduise de son salaire d'ingénieur civil les frais exposés dans le cadre de la production de son revenu de peintre, au motif qu'il n'avait pas le droit de faire état des frais d'acquisition d'un revenu inexistant, étant donné la relation de nécessité qui devait exister entre un revenu déterminé et les dépenses consenties pour obtenir ce dernier (RDAF 1984, p. 32).

 

Pour les mêmes raisons, les pertes liées à l'activité de productrice cinématographique, réalisées par une employée de banque, n'ont pas pu être déduites du revenu obtenu en cette dernière qualité (ATA W. du 2 février 1999), ni celles d'une psychologue dont les revenus principaux provenaient de sa fortune (ATA S. du 3 décembre 2002; arrêt du Tribunal fédéral 2A.40/2003 du 12 septembre 2003).

 

4. La situation des recourants ne diffère pas des cas précités. En effet, et même si nul ne nie que les contribuables n'ont pas réalisé un bénéfice dans le cadre de l'activité indépendante de Mme T., pour les motifs qu'elle a exposés, il n'en demeure pas moins que la relation de nécessité précitée fait défaut.

 

Les contribuables ayant été formellement avertis, lors de la comparution personnelle des parties, sur le contenu de l'article 54 LPFisc, le Tribunal administratif modifiera la taxation en leur défaveur, la perte commerciale pouvant être déduite de leur revenu étant fixée à CHF 1'220.-, soit le montant produit par l'activité indépendante de Madame T., auquel cette perte est liée.

 

Le recours sera renvoyé à l'AFC, pour qu'une nouvelle taxation soit réalisée, au sens des considérants.

 

5. Au vu de la situation financière des recourants, aucun émolument ne sera perçu.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 5 mai 2003 par Madame J. et Monsieur M. T. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 27 mars 2003;

 

au fond :

 

le rejette;

 

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 27 mars 2003;

 

renvoie le dossier à l'administration fiscale cantonale pour nouvelle taxation au sens des considérants;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

communique le présent arrêt à Madame J. et Monsieur M. T. ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière d'impôts et à l'administration fiscale cantonale.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mme Bonnefemme-Hurni, juges, M. Hottelier, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega