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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3775/2018

ATA/1229/2018 du 16.11.2018 sur JTAPI/1034/2018 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3775/2018-MC ATA/1229/20018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 novembre 2018

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Dominique Bavarel, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 octobre 2018 (JTAPI/1034/2018)


EN FAIT

1. Monsieur A______, né en 1986, est de nationalité sénégalaise.

2. Il a été appréhendé par la police le 7 mars 2017.

Lors de son audition par celle-ci, il a déclaré être arrivé en Suisse dix jours précédant son interpellation pour suivre une formation de cuisinier. Il a reconnu s'être livré à un trafic de cocaïne, pour la première fois, pour gagner de l'argent. Il n'était pas consommateur de stupéfiants. L'argent saisi sur lui provenait de ses économies, d'un prêt d'un ami et du trafic de cocaïne. Il n'avait ni famille, ni attaches particulières en Suisse et était démuni de moyens de subsistance. Il vivait chez une amie, dont il ne connaissait pas l'adresse.

3. Par ordonnance pénale du Ministère public de Genève du 8 mars 2017, il a été reconnu coupable d'infraction à l'art 19 al. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951
(LStup - RS 812.121) et condamné à une peine pécuniaire de quarante
jours-amende.

4. Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours le 8 mars 2017, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a prononcé son renvoi de Suisse, en application de l’art. 64 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20).

5. Sur ordre du commissaire de police du même jour, l'intéressé a fait l’objet d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de trois mois, en application de l’art. 74 LEtr.

6. Le 27 février 2018, M. A______ a été interpellé à Genève et prévenu d'infraction à la LStup (trafic de stupéfiants et consommation intentionnelle et sans droit des stupéfiants) et à la LEtr (séjour illégal).

Selon le rapport de police, il a été interpellé dans un appartement après avoir vendu une boulette de cocaïne à un toxicomane dans la rue. Dans le cadre de la fouille de sécurité, ont été trouvés sur M. A______ les sommes de CHF 530.- et € 50.-, un téléphone portable, son passeport sénégalais ainsi que son titre de séjour italien. Par ailleurs, dans l'appartement en question, 165,7 grammes de cocaïne ont été retrouvés, disséminés dans l'appartement.

7. Entendu par la police, l'intéressé a déclaré être en Suisse depuis dix mois et être domicilié depuis deux jours dans l'appartement où avait eu lieu son interpellation. Il a avoué s'adonner au trafic de cocaïne depuis deux mois pour le compte d'un ressortissant guinéen, avoir vendu ce jour-là 0,9 gramme de cocaïne à un toxicomane et avoir gagné CHF 2'000.- au total depuis qu'il vendait de la cocaïne. Un individu devait venir récupérer l'argent de la drogue. Il ne pouvait quantifier la totalité de drogue vendue. L'intégralité de l'argent trouvé sur lui provenait de la vente de drogue. Il était également consommateur de marijuana.

8. Le 28 février 2018, M. A______ s'est vu notifier une interdiction d'entrée en Suisse prononcée le 6 juillet 2017 par le secrétariat d'État aux migrations
(ci-après : SEM) et valable jusqu'au 5 juillet 2020.

9. Par jugement du 28 juin 2018, le Tribunal de police a déclaré M. A______ coupable d'infraction grave à la LStup (art. 19 al. 1 let. b, c et d et art. 19 al. 2 let. a LStup), l'a condamné à une peine privative de liberté de seize mois et a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans.

10. Le 4 octobre 2018, sollicitées par les autorités administratives genevoises compétentes, les autorités italiennes ont refusé de réadmettre l’intéressé sur leur territoire, le moment venu.

11. Le 9 octobre 2018, M. A______ a été entendu par l’OCPM et s'est vu notifier une décision de non report d'expulsion judiciaire, rendant celle-ci immédiatement exécutoire.

12. Les services de police ont immédiatement réservé un vol à destination du Sénégal, prévu pour le 26 octobre 2018, à 20h45.

13. Le 26 octobre 2018, à 15h, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de huit semaines. Ce dernier a déclaré au commissaire qu'il s'opposait à son renvoi au Sénégal, dans la mesure où toute sa vie était en Italie.

14. Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le même jour.

15. Le 26 octobre 2018, M. A______ a refusé de partir par le vol devant le ramener au Sénégal.

16. Le 29 octobre 2018, les autorités ont de nouveau procédé aux démarches en vue de l’organisation d’un vol, cette fois-ci avec escorte policière.

17. Entendu le 29 octobre 2018 par le TAPI, M. A______ a déclaré qu’il ne souhaitait toujours pas retourner au Sénégal. Son permis de séjour italien n’était plus valable depuis environ 4 mois. Il vivait en Italie depuis 22 ans. Ses parents et sa famille vivaient là-bas. Ils étaient tous de nationalité italienne. Il n’avait pas de famille au Sénégal. Lorsqu’il avait été interpellé en Suisse, il avait rendez-vous alors en Italie pour renouveler son permis de séjour. Il n’avait pas pu faire ces démarches, étant en détention. Il avait effectué une demande de naturalisation italienne il y avait environ 2 ans et la procédure était toujours en cours. Son conseil a relevé qu’une demande de permis de séjour en sa faveur en Italie, fondée sur le regroupement familial, était pendante.

Le représentant du commissaire de police a indiqué qu’une nouvelle demande de réservation pour un vol avec escorte policière avait été faite pour la période du 12 au 14 décembre 2018. Il a également attiré l’attention du TAPI sur sa pièce 8, à savoir le refus des autorités italiennes du 4 octobre 2018, qui semblait indiquer que la demande de renouvellement du permis de séjour de M. A______ avait été rejetée par le « Questore di Ravenna ».

M. A______ a conclu principalement à la levée immédiate de sa détention, subsidiairement à la réduction de sa durée à 7 jours.

18. Par jugement du 29 octobre 2018, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de huit semaines, soit jusqu’au 21 décembre 2018.

La présence en Suisse de M. A______ constituait une menace sérieuse pour d’autres personnes et la sécurité publique, le risque qu’il continue à s’adonner au trafic de drogues dures étant sérieux. La mesure était proportionnée ; aucune mesure moins incisive ne permettait de s’assurer de la présence de l’intéressé au moment de devoir monter dans l’avion. Si la date de son renvoi entre le 12 et le 14 décembre 2018 paraissait lointaine, elle était due au refus de M. A______ d’embarquer dans le vol du 26 octobre 2018. Le délai n’était donc pas imputable au manque de diligence de l’autorité.

19. Par acte déposé le 8 décembre 2018 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre ce jugement, concluant à son annulation et à sa mise en liberté.

Toute sa famille vivait en Italie. Son permis de séjour italien, arrivé à échéance le 16 avril 2018, n’avait pas pu être renouvelé du fait de sa détention ; une demande de naturalisation était en cours.

Le jugement querellé n’examinait l’application du principe de proportionnalité que sous l’angle de la célérité, mais ne s’intéressait pas à la question de savoir si une mesure moins incisive pouvait être prononcée. Le recourant était d’accord de quitter la Suisse ; il s’opposait toutefois à son renvoi au Sénégal. Il avait sollicité le renouvellement de son autorisation de séjour italienne et était prêt à collaborer à son renvoi de Suisse. S’il était remis en liberté, il pourrait bénéficier de l’aide d’urgence de l’Hospice général, d’un hébergement collectif et de nourriture. Le risque qu’il commette de nouvelles infractions était ainsi minimisé. Une décision d’assignation à territoire et d’obligation de se présenter régulièrement auprès des services compétents respecterait le principe de proportionnalité.

20. Le TAPI n’a pas formulé d’observations.

21. Le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

La détention administrative était la seule mesure propre à garantir la bonne exécution de l’expulsion pénale et l’interdiction d’entrer. Si le recourant n’avait pas refusé le vol de fin octobre 2018 vers le seul pays dans lequel il pouvait séjourner légalement, il serait déjà libre. Le vol du 12 décembre 2018 à 17h15 était confirmé.

22. Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Il a expliqué que son avocat italien avait l’intention d’obtenir la notification de la décision rejetant le renouvellement de son permis de séjour, cette décision n’ayant pas été retirée. Ce dernier la remettrait ensuite au recourant pour qu’il la signe. Ensuite, il introduirait une demande de réexamen. Le recourant devrait, selon l’avocat italien, être par la suite admis à retourner en Italie, à Ravenne, aux fins de l’instruction de la demande.

Complétant sa réplique, il a précisé qu’à la demande de son avocat italien, les autorités italiennes allaient intervenir auprès du consulat d’Italie à Genève pour faire notifier le refus de renouvellement du permis de séjour. Cette étape était nécessaire pour solliciter la reconsidération de la décision.

23. Le commissaire de police a indiqué que ces éléments nouveaux ne modifiaient pas sa position. Si un étranger avait la possibilité de se rendre légalement dans plusieurs pays, l’autorité compétente pouvait le renvoyer dans le pays de son choix. En outre, le recourant n’était pas autorisé à séjourner légalement en Italie.

24. Le recourant ayant renoncé à une ultime réplique, les parties ont été informées ce jour que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 10 al. 1 de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2. Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 8 novembre 2018 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3. À teneur de l’art. 10 LaLEtr, elle est compétente pour apprécier l’opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.) ; elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; le cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l’étranger (al. 3 1ère phr.).

4. a. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 – ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 Cst., ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale.

b. En vertu de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEtr en lien avec l’art. 75 al. 1 LEtr, après notification d’une décision de première instance de renvoi ou d’expulsion au sens de la LEtr ou une décision de première instance d’expulsion au sens notamment des art. 66a ou 66abis CP, l’autorité compétente peut, afin d’en assurer l’exécution, mettre en détention la personne concernée, notamment, si elle menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamnée pour ce motif (art. 75 al. 1 let. g LEtr) ou si elle a été condamnée pour crime (art. 75 al. 1 let. h LEtr).

c. En l’occurrence, les conditions d’application de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEtr, en lien avec l’art. 75 al. 1 let. g et h LEtr, fondant la détention administrative sont remplies.

En effet, le recourant fait l'objet de décisions de renvoi et d’expulsion ; en outre, il a été condamné pour infraction grave à la LStup, ce qui remplit les conditions jurisprudentielles liées à l'art. 75 al. 1 let. g et h LEtr (arrêt du Tribunal fédéral 2C_293/2012 du 18 avril 2012 consid. 4).

La mise en détention administrative est ainsi, sur le principe, fondée.

5. La détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 36 al. 3 Cst.

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

6. En l’espèce, la célérité des autorités suisses n'est, à juste titre, pas remise en cause par le recourant.

Le recourant fait, par ailleurs, en vain valoir qu'une mesure moins incisive que la détention, telle qu'une assignation à territoire et une obligation de se présenter régulièrement à la police, permettrait de sauvegarder le but recherché par la mesure. En effet, il n'a ni domicile ni ressources fixes. En outre, il a refusé son premier renvoi et continue à s’opposer à être renvoyé dans son pays d’origine. Il n'est ainsi pas possible de retenir qu'un contrôle policier, même quotidien, et une assignation à territoire puissent permettre d'assurer sa présence le jour de l'exécution de son renvoi.

Il ne peut non plus être tenu compte de son souhait de se rendre en Italie, plutôt qu’au Sénégal. En effet, s’il peut être retenu que son avocat italien est en train d’entreprendre des démarches pour contester la décision des autorités italiennes refusant de lui délivrer une autorisation de séjour, ces démarches n’en sont qu’à leur début et rien ne permet de considérer, ne serait-ce sous l’angle de la vraisemblance, qu’elles pourraient aboutir en sa faveur, a fortiori à brève échéance. Le recourant n’allègue, en outre, pas que sa présence au Sénégal, seul pays dans lequel il peut, en l’état, séjourner légalement, constituerait un obstacle à la poursuite des démarches entreprises en Italie pour l’obtention d’un titre de séjour italien. Il ne saurait ainsi être question de lui permettre, alors qu'il fait l'objet de décisions de renvoi, d’expulsion et d'interdiction d'entrer, de surseoir à l’exécution de celles-ci jusqu’à l’éventuel moment, indéterminé, auquel il obtiendrait une autorisation de séjour dans le pays de son choix.

Enfin, la durée de la détention administrative, de huit semaines, n’est, à juste titre, pas contestée en tant que telle. En effet, elle est de nature à permettre l’organisation d’un nouveau vol de retour, dans le respect du principe de célérité.

Au vu de ce qui précède, la mise en détention administrative contestée est conforme au principe de la proportionnalité. Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

7. La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu
(art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 novembre 2018 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 octobre 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dominique Bavarel, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. Deschamps

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :