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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/766/1999

ATA/105/2000 du 15.02.2000 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : RESTAURANT; HOMME DE PAILLE; AMENDE; JPT
Normes : LRDBH.5 al.1 litt.c; LRDBH.15 al.3; LRDBH.12
Résumé : Prête-nom établi. Amende réduite de CHF 3000.- à CHF 2000.-- en raison de la situation précaire du recourant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 15 février 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur S.

représenté par Me Philippe de Boccard, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE ET DES TRANSPORTS

 



EN FAIT

 

 

1. Par requête du 20 janvier 1999, Monsieur S., né en 1934, a sollicité au nom et pour le compte de la société d'exploitation L. S.A. l'autorisation d'exploiter le bar à champagne N.V., situé au 1207 Genève, anciennement le B. & C., propriété de la société B. SARL.

 

M. S. est titulaire du certificat de capacité depuis 1961.

 

2. Dans le même temps, les sociétés B. SARL et L. S.A. ont passé un contrat de gérance libre signé le 28 janvier 1999, au terme duquel Monsieur L. devait exploiter lui-même et personnellement le commerce susmentionné (art. 9).

 

M. L. était nommé directeur de L. S.A., avec signature individuelle, tandis que M. S. était nommé fondé de pouvoir, avec signature collective à deux. Ce dernier avait reçu de L. S.A. une lettre du 25 janvier 1999, signée de son administrateur, Monsieur M., ainsi libellée : "Nous avons le plaisir de vous confirmer votre engagement en qualité de responsable, en collaboration avec Monsieur L., ceci dès le 1er février 1999. Vous recevrez un salaire de 5 % du chiffre d'affaires. En votre qualité de responsable, vous serez inscrit au RC en tant que fondé de pouvoir ...".

 

3. A la suite d'une dénonciation anonyme, un contrôle de police a eu lieu le 10 mars 1999. Cinq jeunes femmes ont été contrôlées au bar, dont une seule possédait une autorisation de séjour et de travail.

 

A cette occasion, M. L. a déclaré qu'il travaillait dans son bar à champagne quotidiennement, sauf le dimanche. Il a expliqué qu'il avait également engagé M. S., titulaire d'une patente, rémunéré à raison de CHF 1'000.- par mois. M. L. a également indiqué que lui seul était responsable de l'engagement du personnel. M. L. a encore ajouté que M. S. n'était pas au courant du personnel qu'il avait engagé.

 

4. Le dossier alors en possession du département de justice et police et des transports (ci-après : le département) comportait la trace de neuf passages effectués au N.V. entre le 11 février et le 16 avril 1999. Ces contrôles avaient eu lieu entre 18h30 et 23h00. M. L. était présent à chaque contrôle, tandis que M. S. ne l'a été à aucun d'eux.

 

5. M. S. a été entendu par la gendarmerie le 20 avril 1999. Il a déclaré que sa tâche consistait à être présent dans l'établissement. Il a précisé qu'il ne s'occupait pas de l'exploitation proprement dite, à savoir la gestion. En ce qui concernait la commande des fournitures, l'engagement et la rétribution des employées, c'était M. L. qui s'en occupait. Il y avait deux personnes qui travaillaient pour lui dans l'établissement, soit M. L. et une fille dont il ne se souvenait pas du nom. Quant aux autres filles qui avaient travaillé durant le mois de mars, il n'avait jamais été au courant de leur engagement.

A cette occasion, M. S. a reconnu qu'il n'avait pas géré l'établissement de façon effective.

 

6. Interrogé le même jour, M. L. a indiqué notamment que M. S. avait été opéré des yeux et que son absence avait duré un mois et demi. Pendant cette période, il avait géré le bar. Au moment de son audition, M. S. était présent tous les jours de 18h30 à l'heure de fermeture. M. L. a encore déclaré qu'il travaillait en qualité de directeur de l'établissement. Il effectuait les commandes de fourniture et réglait les factures courantes. En ce qui concernait les cinq employées qui travaillaient au mois de mars dans les locaux, il a reconnu en avoir engagé lui-même deux, sans en avoir avisé M. S., les autres étant des "amies".

 

7. Par lettre du 26 mai 1999, le département a annoncé à M. S. qu'il envisageait de suspendre la validité de son certificat de capacité pendant une durée de 6 à 24 mois, et de lui infliger une amende.

 

Un délai expirant le 11 juin 1999 lui était fixé pour qu'il s'exprime.

 

M. L. a reçu une lettre semblable.

 

8. Par l'entremise de son conseil, M. S. a répondu par lettre du 11 juin 1999. Il a tout d'abord déclaré que l'opération chirurgicale aux yeux s'était faite en traitement ambulatoire et qu'il avait pu regagner son domicile le jour même. Pendant sa convalescence, il avait pu ainsi assurer une présence quotidienne dans l'établissement à raison de trois heures par jour. Pendant cette période, il avait laissé la gestion courante de l'établissement à M. L., mais il en avait assuré néanmoins la supervision. Cependant, M. L. avait profité de sa convalescence pour diriger l'établissement à sa guise, sans en rapporter à quiconque. S'agissant du personnel présent dans l'établissement, M. S. n'avait posé aucune question à M. L. à ce sujet, car d'une part, le chiffre d'affaires de l'établissement correspondait à ce que pouvait rapporter un bar avec une seule hôtesse. D'autre part, les quatre personnes sans permis interpellées par la police se faisaient passer pour des clientes.

 

Dès le 12 mars 1999, il avait de nouveau pu accomplir normalement ses fonctions et assurer une présence plus soutenue dans l'établissement. Enfin, M. L. avait disparu en emportant la caisse.

 

9. Par décision du 30 juin 1999, le département a prononcé la suspension pendant six mois de la validité du certificat de capacité de M. S., et lui a infligé une amende administrative de CHF 3'000.-.

 

Par décisions du même jour, une amende de CHF 1'000.- a été infligée à B. SARL, qui l'a payée, et une amende de CHF 1'500.- a été prononcée à l'endroit de M. L..

 

10. M. S. a recouru au Tribunal administratif par acte du 2 août 1999. Il a renouvelé ses explications. M. L. l'avait trompé et avait profité de sa convalescence. Il n'avait pas remarqué les nouvelles hôtesses qu'il avait prises pour des clientes. Quant aux déclarations qu'il avait faites à la police, elles avaient été mal interprétées. Il ne s'exprimait pas parfaitement en français, étant de langue maternelle italienne.

 

S'agissant des contrôle de présence, ils ne prouvaient pas qu'il n'était jamais présent dans l'établissement.

 

Dans ses écritures, il a conclu expressément à être entendu par le tribunal.

 

11. Le département s'est opposé au recours. Il s'est référé à la nombreuse jurisprudence du Tribunal administrative relative au prête-nom.

 

12. Dans sa réplique, M. S. a ajouté qu'il connaissait des ennuis financiers. Ses ressources étaient faibles. Elles se limitaient à une rente AVS de quelque CHF 1'320.- par mois et un revenu brut (1998) de près de CHF 34'800.-. Il s'est étonné que M. L. ait été frappé d'une amende de CHF 1'500.- alors que la sienne s'élevait à CHF 3'000.-.

 

Dans sa duplique, le département a expliqué qu'il sanctionnait toujours plus sévèrement la personne titulaire du certificat de capacité, laquelle ne pouvait pas ignorer l'illégalité de la situation, plutôt que la personne qui exploitait en fait l'établissement sans autorisation et sans certificat de capacité.

 

Compte tenu des difficultés financières que connaissait le recourant, le département a accepté de réduire l'amende administrative à CHF 2'000.- moyennant le retrait du recours.

 

13. Invité à se prononcer sur cette proposition, M. S. a décidé de maintenir son recours.

 

14. Entendu en audience de comparution personnelle, le recourant a ajouté qu'il exploitait l'établissement La S. à la rue P. Aussi était-il possible que lors des contrôles, il était présent à l'autre établissement. Quant au bar N.V., il venait d'ouvrir au moment des faits et le chiffre d'affaires était très faible.

 

Lors de cette audience, le Tribunal administratif a attiré une nouvelle fois l'attention du recourant sur le fait que le refus d'accepter la proposition du département d'abaisser l'amende à CHF 2'000.- moyennant le retrait du recours risquait d'entraîner pour lui des frais en cas de rejet du recours.

Le tribunal a encore observé que M. S. parlait parfaitement le français.

 

Le recourant a souhaité entendre plusieurs clients de l'établissement, la serveuse, ainsi que le gérant du bar voisin.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. L'exploitation de tout établissement régi par la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21) est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département (art. 4 al. 1 LRDBH). Cette autorisation doit en particulier être requise lors de chaque création, changement de catégorie, agrandissement et transformation d'établissement, changement d'exploitant ou modification des conditions de l'autorisation antérieure (art. 4 al. 2 LRDBH).

 

L'autorisation d'exploiter est notamment subordonnée à la condition que le requérant soit titulaire d'un certificat de capacité (art. 5 al. 1 let. c LRDBH). Cette autorisation est strictement personnelle et intransmissible (art. 15 al. 3 LRDBH).

 

Selon l'article 12 LRDBH, il est interdit au titulaire d'un certificat de capacité de servir de prête-nom pour l'exploitation d'un établissement.

 

L'exploitant doit gérer l'établissement de façon personnelle et effective (art. 21 al. 1 LRDBH).

 

a. Il ne peut être donné par établissement qu'un seul nom et qu'une seule enseigne, qui ne doivent pas être susceptibles d'induire le public en erreur sur la catégorie à laquelle appartient l'établissement (art. 32 al. 3 LRDBH).

 

b. Le département peut prononcer la suspension pour une durée de six à vingt-quatre mois de la validité du certificat de capacité dont le titulaire sert de prête-nom pour l'exploitation d'un établissement (art. 73 LRDBH).

 

Il peut en outre infliger une amende administrative de CHF 100.-- à CHF 60'000.-- en cas d'infraction à la loi et à ses dispositions d'application (art. 74 al. 1 LRDBH).

 

3. Dans la présente affaire, le Tribunal administratif tiendra pour établi que le recourant a volontairement prêté son nom à M. L., personnage non titulaire du certificat de cafetier, moyennant rétribution. Le tribunal a constaté que le recourant parlait parfaitement le français. C'est en vain qu'il essaie de soutenir que ses déclarations parfaitement claires, faites lors de son audition par la police le 20 avril 1999, seraient contraires à la réalité. Les aveux qu'il a faits sont corroborés par les déclarations de M. L., entendu le même jour, de même que par le contrat que ce dernier a signé au nom de L. S.A. avec B. SARL, selon lequel M. L. assurait lui-même l'exploitation du bar.

 

Cela étant, tout démontre que M. S., pendant la période en question, ne gérait pas lui-même, personnellement l'établissement en question. Durant la période de sa convalescence qui s'est terminée le 12 mars 1999, trois contrôles avaient été effectués, et sa présence n'avait pas été constatée. A partir du 12 mars, alors que selon lui, sa présence était plus soutenue, six contrôles ont été effectués, tous négatifs.

 

Quant aux autres arguments soutenus par le recourant, ils manquent de consistance. M. S. ne peut pas à la fois soutenir que M. L. a profité de sa convalescence pour le tromper et gérer l'établissement à sa place, pour prétendre que le traitement médical n'était qu'ambulatoire, ce qui lui avait permis d'être chaque jour dans son établissement à raison de trois heures. En outre, s'il avait réellement assuré la supervision de l'établissement, il se serait aperçu que les quatre jeunes femmes qui fréquentaient l'établissement au mois de mars n'étaient pas des clientes, mais des hôtesses. De même se serait-il souvenu du nom de l'unique employée avec permis travaillant aux côté de M. L..

 

4. Etant donné que les faits sont clairement établis et incontestables, le tribunal se dispensera d'ordonner des enquêtes, en l'espèce parfaitement inutiles.

 

5. Dans deux arrêts très récents (ATA S. du 21 avril 1998 et O. du 24 mars 1998), le tribunal de céans a à nouveau retenu que le prononcé d'une amende de CHF 3'000.- infligée à la personne qui avait servi de prête-nom est conforme à la pratique de l'autorité intimée, telle qu'elle a été admise dans de nombreux arrêts (ATA S. et O. précités, M. du 9 août 1994 et les arrêts cités).

 

Il est arrivé que la juridiction de céans fixe des amendes d'un autre montant, lorsqu'elle a estimé que des circonstances particulières l'y amenaient. C'est ainsi qu'une amende d'un montant de CHF 4'000.- a été prononcée dans le cas de l'exploitation d'un dancing à la personne agissant comme prête-nom, dans un dessein de lucre, pendant une période de 12 mois (ATA L. du 21 juin 1996 in SJ 1997 p. 440). Précédemment, une amende d'un montant de CHF 5'000.- a été infligée à une personne servant de prête-nom, compte tenu du dessein de lucre et des nombreuses infractions commises par les exploitants de fait de l'établissement concerné (ATA S.-C. du 4 octobre 1994 in SJ 1995 p. 587).

 

b. Dans d'autres cas, le Tribunal administratif est resté en deçà du montant habituel de CHF 3'000.-. Il a ainsi fixé l'amende à CHF 2'000.- à une personne qui servait de prête-nom, mais qui se trouvait sur les lieux pratiquement en permanence, les mêmes locaux abritant deux établissements (ATA H. du 27 janvier 1998). Dans l'arrêt S. précité, il a réduit l'amende à CHF 1500.- au motif notamment que la personne intéressée n'avait tiré qu'un faible profit de l'opération de prête-nom. Dans l'arrêt M. également précité, il a tenu des graves difficultés personnelles et familiales du recourant qui aidait personnellement et financièrement une fille majeure très malade et handicapée: il a alors diminué le montant de l'amende à CHF 1'500.- Une amende encore plus réduite, d'un montant de CHF 1'000.- seulement, a été infligée au titulaire d'un certificat de capacité qui accepte de servir de prête-nom, car il n'avait jamais été autorisé à exploiter l'établissement et ne l'avait jamais fait effectivement (ATA D. du 8 avril 1992 in SJ 1993 p. 565).

 

6. Dans le cas particulier, n'étaient les difficultés d'argent que connaît le recourant, une amende de CHF 3'000.- se révélerait tout à fait appropriée. Cependant, pour tenir compte de la situation précaire du recourant, l'amende sera réduite à CHF 2'000.-.

 

7. Le recours sera ainsi partiellement admis. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant qui succombe pour l'essentiel.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 2 août 1999 par Monsieur S. contre la décision du département de justice et police et des transports du 30 juin 1999;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

réduit l'amende à CHF 2'000.-;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'500.-;

communique le présent arrêt à Me Philippe de Boccard, avocat du recourant, ainsi qu'au département de justice et police et des transports.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci