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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1126/1997

ATA/104/1999 du 09.02.1999 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : RESTAURANT; HOMME DE PAILLE; AMENDE; ACTIVITE ACCESSOIRE; ACTIVITE LUCRATIVE; JPT
Normes : LRDBH.21 al.1
Résumé : L'exploitant d'un établissement public peut exercer une autre activité tant qu'elle lui laisse le temps de gérer effectivement l'établissement. Tel n'est pas le cas d'un chauffeur de taxi qui travaille régulièrement. Amende de CHF 2'000.-. La LRDBH n'interdit pas à l'exploitant d'un établissement public d'exercer une autre activité, dans la mesure où elle lui laisse le temps de gérer effectivement l'établissement, ce qui n'est pas le cas d'un chauffeur de taxi, même s'il passait régulièrement dans l'établissement (cabaret-dancing) et qu'il rencontrait une fois par semaine le représentant de l'entreprise de distribution de boissons pour passer la commande.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 9 février 1999

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur R.

représenté par Me Jacques Roulet, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE ET DES TRANSPORTS

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur R. domicilié à Genève est titulaire du certificat de capacité de cafetier.

 

2. Par requête du 30 avril 1996, il a sollicité au nom et pour le compte de la société M. S.A. l'autorisation d'exploiter le cabaret-dancing à l'enseigne "A.B.C.", rue des Alpes à Genève, propriété de la société X. S.A.

 

3. Le 11 avril 1997, le directeur du service des autorisations et patentes a prié la gendarmerie de contrôler l'horaire de travail de M. R. et de vérifier l'exploitation effective par celui-ci du cabaret-dancing précité.

 

4. Entre le 25 avril et le 25 juin 1997 les agents ont effectué quinze passages entre 23h00 et 4h45 et n'ont rencontré M. R. qu'à trois reprises, uniquement le week-end.

 

5. Entendu par la police, M. R. a déclaré le 29 juin 1997 qu'il se rendait régulièrement à l'A.B.C. entre 2h00 et 5h00 du matin, environ cinq jours par semaine. Tous les jours à midi, il allait manger au restaurant A.B.C. et s'occupait à cette occasion des demandes d'autorisation pour les musiciens du cabaret. Il avait une autre activité professionnelle puisqu'il était chauffeur de taxi, après avoir été électricien. Au mois de septembre 1996, il avait eu un accident de circulation. Depuis qu'il avait repris une activité, il était chauffeur de taxi ayant à sa disposition une voiture à raison de douze heures par jour. Il était le directeur de la société et s'occupait du personnel et de toutes les questions administratives le concernant. Monsieur W. était propriétaire du fonds de commerce. Le directeur du cabaret-dancing était M. A. Lui-même n'était pas rémunéré pour cette activité au sein du cabaret. En revanche, il avait la possibilité de manger tous les jours à midi au restaurant A.B.C.. De plus, M. A. lui offrait un billet d'avion pour se rendre en Tunisie une fois par année avec sa famille.

M. R. recevait parfois CHF 200.-- de M. A.. Ce dernier s'occupait de l'engagement du personnel.

M. R., lorsqu'il était dans le cabaret-dancing, donnait de temps à autre un coup de main au bar et montait ouvrir la porte à des clients.

 

Cependant, vers fin avril - début mai 1997, il s'était rendu moins fréquemment dans cet établissement. En effet, sa femme avait été hospitalisée et il devait alors s'occuper de ses deux fillettes en bas âge.

 

6. M. A. a été interrogé au sujet de son activité au restaurant A.B.C. sis au-dessus du cabaret. Il a déclaré être le directeur de ce commerce et s'occuper de la cuisine, des achats, des menus, des cartes de visite, de la gestion du personnel et du cabaret. Il travaillait au snack de 10h00 à 14h00, puis revenait vers 22h00 pour s'occuper du cabaret jusqu'à la fermeture de celui-ci à 5h00 du matin. Le restaurant était géré par Madame B. A. et M. R. s'occupait du cabaret. M. A. a déclaré de plus qu'au début de l'exploitation, M. R. venait régulièrement quatre heures par jour, mais par la suite, lorsqu'il avait pris un emploi de chauffeur de taxi, sa présence s'était faite moins régulière. Quand sa femme avait été hospitalisée au mois d'avril 1997, il était venu moins souvent au cabaret-dancing, mais il téléphonait régulièrement pour avoir des nouvelles.

 

7. Par courrier recommandé du 16 septembre 1997, le département a informé M. R. qu'il servait de prête-nom à M. A. pour l'exploitation du cabaret-dancing à l'enseigne "A.B.C.". Il était invité à se déterminer avant le prononcé d'une sanction.

 

8. M. A. a reçu une lettre similaire, ainsi que la société X.. Par l'intermédiaire d'un conseil qu'ils ont tous deux constitué, M. A. et M. R. ont adressé leurs observations au département en insistant sur le fait que M. R. s'occupait exclusivement du cabaret-dancing, alors que M. A. gérait le restaurant. De plus M. R. était chauffeur de taxi de jour, disposant d'un véhicule de 5h00 du matin à 17h00 du soir. Enfin, M. R. produisait diverses pièces attestant que son épouse avait rencontré des problèmes de santé en avril et mai 1997. Le rapport de police établi indiquait par erreur que M. R. exerçait l'activité de chauffeur de taxi de nuit. Contrairement aux reproches formulés à son encontre, M. R. indiquait avoir réellement exploité cet établissement. Il engageait en particulier les artistes qui s'y produisaient. Il contestait toute infraction à la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21).

 

9. Malgré ces explications, le département a, par trois décisions distinctes, datées du 23 octobre 1997, retenu que M. R. avait agi comme prête-nom. Il lui a infligé une amende de CHF 3'000.-- et il a prononcé la suspension pour une durée de six mois de la validité de son certificat de capacité. Il a également infligé à M. A. et à la société X. S.A. une amende de CHF 500.-- pour chacun d'entre eux.

 

10. Par acte posté le 24 novembre 1997, seul M. R. a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision du département en concluant à sa mise en néant. Les constatations de la gendarmerie avaient été viciées car les agents étaient partis de l'idée qu'il travaillait de nuit comme chauffeur de taxi, ce qui n'était pas le cas. En raison de l'état de santé de son épouse, il n'avait pas été aussi présent qu'auparavant dans le cabaret-dancing en avril et mai 1997 en particulier. Cependant, il avait continué à s'occuper de l'administration de l'établissement et de l'engagement des employés, ainsi que du bon fonctionnement du cabaret. La loi ne requérait pas sa présence en permanence dans l'établissement. De plus et pendant la maladie de sa femme, il avait pu se faire remplacer par M. A.. Un tel remplacement étant acceptable au sens des articles 21 alinéa 2 et 32 alinéas 2 et 3 du règlement de la LRDBH du 31 août 1988 (RLRDBH - I 2 21.01) sans commettre aucune infraction.

 

11. Le département a persisté dans sa position tout en admettant que M. R. exerçait la profession de chauffeur de taxi. Compte tenu de ses horaires de travail et des temps de repos obligatoires, il ne pouvait matériellement pas exploiter effectivement un cabaret-dancing. Le rapport de renseignements établi le 6 mai 1998 par la Gendarmerie, indiquant les heures de travail effectives de M. R. comme chauffeur de taxi, après contrôle de ses disques tachygraphiques depuis le 3 mars 1997 jusqu'au 5 octobre 1997, établit que l'intéressé travaillait en moyenne 23 heures par semaine, débutant son activité à 9h00 et la terminant entre 17h00 et 19h00 étant précisé que durant ces 26 semaines, M. R. n'a terminé son activité de chauffeur de taxi au milieu de la nuit que durant 6 semaines. Enfin, M. R. n'avait pas à être mis en garde ou averti avant d'être sanctionné. M. R. devait connaître ses obligations d'exploitant et la mise en garde qu'il sollicitait aurait pour effet de rendre impossible la sanction du prête-nom. Enfin, même si M. R. n'était pas rémunéré pour son activité, il en retirait cependant un profit puisqu'il mangeait gratuitement tous les jours au restaurant A.B.C. et recevait de M. A. CHF 200.-- ainsi que des billets d'avion. L'activité de M. R. n'était pas celle d'un exploitant et, en ce sens, la sanction prononcée à son encontre était conforme à la pratique du département d'une part et à la jurisprudence d'autre part.

 

12. Le juge délégué a requis des documents complémentaires. Il est ainsi apparu que Mme R. avait été malade depuis le 21 avril 1997, puis hospitalisée le 9 mai 1997 et qu'elle avait encore subi une consultation de contrôle le 23 mai 1997 en relation avec une fausse couche. Pendant cette période M. R. devait donc s'occuper de ses deux enfants en bas âge.

 

M. R. indiquait encore qu'il avait engagé le serveur du cabaret ainsi qu'une dizaine d'artistes et de musiciens. C'était lui qui avait effectué les démarches auprès de l'office cantonal de la population pour l'engagement de ces personnes. Interrogé à ce sujet, Monsieur S., fonctionnaire au sein dudit service n'a pas été en mesure de confirmer ou d'infirmer les propos de M. R. qu'il n'a pas reconnu formellement lors de l'audience d'enquêtes.

 

M. A. a indiqué pour sa part que c'était bien M. R. qui effectuait ces formalités, lui-même n'écrivant que difficilement le français. M. A. indiquait qu'il travaillait au restaurant A.B.C. tous les jours, sauf le dimanche, de 10h00 à 15h00 et de 19h00 à 24h00. Ensuite il allait boire un verre jusqu'à 4h00 - 5h00 du matin au cabaret-dancing, mais depuis le 1er avril 1998 il avait donné le cabaret en gérance car il était trop fatigué.

 

M. R. a certifié que depuis le 1er avril 1998, il ne s'occupait plus du tout de l'exploitation du cabaret et qu'il n'avait pas pu en reprendre la gérance, ne disposant pas des fonds nécessaires. M. A. a ajouté qu'il était arrivé que les agents du poste de Pécolat étaient venus au cabaret lorsque M. R. était présent; une autre fois, M. R. venait de sortir pour aller boire un verre à l'hôtel Vénitien situé à proximité.

 

13. Quatre gendarmes du poste de Pécolat ont été auditionnés. Deux d'entre eux, MM. V. et O. ont déclaré qu'en 1997, ils avaient vu M. R. dans le cabaret assez souvent vers 4h00 - 5h00 du matin pour le premier et vers minuit ou plus tard encore pour le second. Quant à M. C. il était l'un des deux auteurs du rapport établi le 4 juillet 1997, mais il n'avait personnellement procédé à aucun des contrôles relatés. L'autre auteur du rapport, M. G. avait procédé à quatre ou cinq contrôles durant la période mentionnée et il avait rencontré M. R. à une reprise. Il est apparu également en cours d'enquêtes que tous les contrôles auxquels les agents procédaient étaient notés sur des quotis - soit sur des fiches - conservés quelque temps au poste, puis détruits. Le rapport faisant état des quinze passages des agents concernait bien le cabaret-dancing au vu des heures de passage indiquées. Les agents avaient également noté la présence sur place au cabaret-dancing de M. A., même s'ils n'en connaissaient pas forcément le nom.

 

14. Le juge délégué a encore procédé à l'audition de

M. B., représentant de la maison D. S.A., laquelle livre des boissons aux restaurants et hôtels de la place. Cette personne a exposé qu'elle rencontrait M. R. tous les lundis au restaurant A.B.C. vers 13h00 - 13h30, car c'était M. R. qui lui passait les commandes de boissons pour le cabaret. Les livraisons s'effectuaient sans que M. R. soit forcément présent.

 

 

15. Le tribunal a renoncé à procéder à l'audition de M. M., serveur au cabaret-dancing, qui se trouvait en vacances au moment de l'audience.

 

16. Du dossier, il apparaît que M. A. et la société X. n'ont pas recouru contre l'amende qui leur a été infligée. Quant à l'établissement, il a été fermé effectivement du 23 octobre au 9 novembre 1997, un nouvel exploitant ayant été désigné dès cette date.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 8 al. 1 ch. 51 de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai 1970 - LTA - E 5 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. La loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21) a notamment pour but d'assurer qu'aucun des établissements qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l'ordre public, en particulier la tranquillité et la moralité publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant (art. 2 al. 1 let. a LRDBH).

 

L'exploitation de tout établissement est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département (art. 4 al. 1 LRDBH), laquelle est personnelle et intransmissible (art. 15 al. 3 LRDBH). Ladite autorisation est délivrée à différentes conditions (art. 5 LRDBH) notamment celle de la titularité d'un certificat de capacité (art. 9 et ss LRDBH). L'article 12 fait interdiction au titulaire d'un certificat de capacité de servir de prête-nom et fait obligation à l'exploitant de gérer l'établissement de façon personnelle et effective (art. 21 al. 1 LRDBH).

 

3. La loi n'interdit pas à l'exploitant d'un établissement public d'exercer une autre activité.

 

Toutefois, celle-ci doit lui laisser le temps de gérer effectivement l'établissement dont il entend s'occuper.

 

Or, en travaillant régulièrement comme chauffeur de taxi depuis le 3 mars 1997, M. R. ne pouvait plus être suffisamment présent au cabaret-dancing, ce qu'établit à satisfaction le rapport de renseignements complémentaires daté du 6 mai 1998.

 

Enfin, le recourant devait prendre le temps de se reposer comme l'OTR 2 lui en fait l'obligation.

 

Certes, M. R. rencontrait une fois par semaine le représentant de D. S.A. le lundi à midi.

 

Quant à l'engagement des musiciens se produisant au cabaret, force est d'admettre que même si M. R. a rempli des documents, car M. A. n'écrit pas le français, l'audition du fonctionnaire de l'OCP qui aurait dû reconnaître le recourant n'a pas été probante.

 

4. En conséquence, le Tribunal admettra que M. R. n'a pas géré personnellement cet établissement et qu'il a servi de prête-nom à M. A. (ATA M. du 12 janvier 1999), l'activité administrative qu'il aurait déployée n'étant pas suffisante pour considérer qu'il était bien le gérant.

 

5. L'activité de prête-nom s'étant déroulée du 3 mars 1997 jusqu'en octobre 1997, M. R. ne peut arguer du fait qu'il se serait fait remplacer par M. A., l'article 32 alinéa 2 RLRDBH limitant cette possibilité à trois mois.

 

6. Enfin, M. R. a retiré un gain accessoire de la mise à disposition de son certificat de capacité : il mangeait quotidiennement et gratuitement au restaurant A.B.C., il recevait occasionnellement CHF 200.- et il bénéficiait une fois par année de billets d'avion pour toute sa famille afin de se rendre en Tunisie (ATA V. et K. du 24 novembre 1998).

 

7. Le département peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- en cas de violation de la loi (art. 74 LRDBH).

 

Dans trois arrêts récents (ATA M. et ATA V. et K. précités, ATA S. du 21 avril 1998), le tribunal de céans a à nouveau retenu que le prononcé d'une amende de CHF 3'000.- infligée à la personne qui avait servi de prête-nom, était conforme à la pratique de l'autorité intimée, telle qu'elle a été admise dans de nombreux arrêts (ATA O. du 24 mars 1998, M. du 9 août 1994).

 

Il est arrivé que la juridiction de céans fixe des amendes d'un montant inférieur, pour tenir compte de la situation financière délicate de la personne sanctionnée (ATA R.-L. du 10 novembre 1998).

 

En l'espèce, le Tribunal retiendra que l'activité de chauffeur de taxis ne permet pas actuellement de réaliser des gains conséquents et que M. R. doit entretenir sa famille. Il réduira pour ce motif l'amende à CHF 2'000.-.

 

8. Le recours étant partiellement admis, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de M. R..

 

Il lui sera alloué une indemnité de procédure de CHF 500.- à charge de l'Etat de Genève.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 24 novembre 1997 par Monsieur R. contre la décision du département de justice et police et des transports du 23 octobre 1997;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

fixe l'amende à CHF 2'000.-;

 

réforme en ce sens la décision attaquée;

 

la confirme pour le surplus;

 

met à la charge de M. R. un émolument de CHF 500.-;

 

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 500.- à charge de l'Etat de Genève;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant, ainsi qu'au département de justice et police et des transports.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci