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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/659/2001

ATA/783/2002 du 10.12.2002 ( TPE ) , REJETE

Descripteurs : TPE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 10 décembre 2002

 

 

dans la cause

 

S. SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE S.A.

représentée par Me Christian Buonomo, avocat

 

 

contre

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 



EN FAIT

 

 

1. Le 16 mars 1998, la S. société immobilière suisse S.A. (ci-après: la S.), dont le siège est à Zoug, a acquis l'immeuble sis 26, rue du Mont-Blanc, parcelle n° 5495, sur le territoire de la commune de Genève.

 

2. En date du 17 avril 1998, la S. a, par l'intermédiaire de sa mandataire, la régie P. Immobilière S.A. (ci-après: la régie), fait une demande d'autorisation de transformations et rénovations intérieures de son immeuble (n° APA 14316) auprès du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après: le DAEL).

 

3. Le 3 août 1998, le DAEL a accordé l'autorisation sollicitée et l'a notamment soumise aux conditions suivantes: "le loyer de l'appartement de 4 pièces au 4ème étage n'excédera pas, après travaux, CHF 3'500.- par pièce l'an" et "les loyers des 3 logements aux 5ème et 6ème étages n'excéderont pas, après travaux, CHF 4'500.- par pièce l'an et CHF 4'000.- par pièce l'an pour le studio. Ces loyers seront appliqués pour une durée de 3 ans à partir de leur entrée en vigueur".

Parmi les pièces ayant servi à la délivrance de l'APA, figurent la liste suivante des appartements, avec les loyers maxima par pièce et par an, reçus au DAEL le 17 avril 1998:

 

- 4 pièces au 4ème étage - CHF 3'500.-;

- 4 pièces aux 5 & 6èmes étages - CHF 4'500.-;

- 5 pièces aux 5 & 6èmes étages - CHF 4'500.-;

- 5 pièces aux 5 & 6èmes étages - CHF 4'500.-;

- 1 pièce au 6ème étage - CHF 6'000.-.

 

soit 19 pièces.

 

4. Les 4 et 11 avril 2001, le DAEL a été informé que deux loyers ne respectaient pas les conditions de l'autorisation de construire précitée.

 

Le DAEL a alors interpellé la régie sur le fait que les contrats de bail prévoyaient, dans les frais accessoires, des postes autres que ceux usuels de chauffage et d'eau chaude. Or, ces postes supplémentaires étaient déjà inclus dans le montant des loyers fixés par l'autorisation. Il sollicitait de la régie une prise de position et lui demandait de lui remettre l'état locatif de l'immeuble et les baux d'habitation.

 

5. Le 19 avril 2001, la régie a admis que les loyers exigés n'étaient pas conformes à l'autorisation, sans toutefois pouvoir se l'expliquer. L'état locatif au 31 mars 2001 mentionnait les loyers suivants par pièce et par an:

 

- 4,5 pièces au 4ème étage - CHF 2'528.-;

- 4,5 pièces aux 5 & 6èmes étages - CHF 4'587.-;

- 5 pièces aux 5 & 6èmes étages - CHF 4'560.-;

- 6 pièces aux 5 & 6èmes étages - CHF 4'650.-;

- 1,5 pièces au 6ème étage - CHF 6'240.-.

 

soit 21,5 pièces.

 

6. Par courrier du 9 mai 2001, la régie a indiqué au DAEL que la mise en location des appartements avait, par erreur, été faite sur la base de documents de travail qui ne correspondaient pas à l'état locatif autorisé. Elle s'est engagée à apporter aux contrats les modifications qui s'imposaient, ainsi qu'à rembourser les locataires. S'agissant des frais accessoires, elle n'entendait pas modifier les contrats qui, selon elle, étaient conformes au droit fédéral. Elle relevait en outre que ni la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), ni l'autorisation de construire n'indiquaient que de tels frais étaient inclus dans les loyers après travaux autorisés par le DAEL. Elle reconnaissait toutefois que cette manière de faire ne correspondait pas à la pratique du canton de Genève.

 

7. Le 8 mai 2001, la régie a fait parvenir aux locataires un nouveau contrat de bail, ainsi que des avis de majoration de loyers. Les modifications suivantes ont été apportées:

- 4,5 pièces au 4ème étage :

CHF 11'376.- de loyer annuel, soit CHF 2'528.- pièce/an; CHF 2'580.-/an de frais accessoires;

(pas de trop perçu);

 

- 4,5 pièces aux 5 & 6èmes étages :

CHF 18'000.- de loyer annuel, soit 4'000.- pièce/an;

CHF 2'640.-/an de frais accessoires;

trop perçu : 22 mois à CHF 220.-;

 

- 5 pièces aux 5 & 6èmes étages :

CHF 22'000.- de loyer annuel, soit 4'500.- pièce/an;

CHF 2'760.-/an de frais accessoires

trop perçu : 23 mois à CHF 250.-;

 

- 6 pièces aux 5 & 6èmes étages :

CHF 22'500.- de loyer annuel, soit CHF 3'750.- pièce/an; CHF 2'760.-/an de frais accessoires;

trop perçu : 23 mois à CHF 450.-;

 

- 1 pièce au 6ème étage :

CHF 6'000.- de loyer annuel, soit CHF 6'000.- pièce/an; CHF 960.-/an de frais accessoires;

trop perçu : 22,5 mois à CHF 280.-;

 

soit 21 pièces.

 

Il ressort de ces modifications que la régie a comptabilisé un nombre de pièces supérieur à l'état locatif visé par l'autorisation. En effet, elle a comptabilisé un 4,5 pièces, un 6 pièces et un autre 4,5 pièces en lieu et place des 4 pièces, 5 pièces et 4 pièces autorisées selon l'APA.

 

8. Le 1er juin 2001, le DAEL a ordonné à la régie de rétablir, sous quinzaine, une situation conforme au droit, en réadaptant le loyer de l'appartement de 4 pièces au 4ème étage au montant autorisé, en excluant des frais accessoires la part afférente aux charges courantes d'entretien et, finalement, en retenant le nombre de pièces figurant dans l'état locatif visé par l'autorisation pour chacun des appartements concernés. L'autorisation faisait directement référence à la notion de loyer telle qu'elle résultait de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitations, du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), soit un loyer comprenant l'intégralité des charges d'exploitation de l'immeuble, exception faite des frais de chauffage et d'eau chaude, si le contrat de bail prévoyait que ces derniers étaient facturés séparément au titre de frais accessoires. Compte tenu de la situation, le DAEL a infligé à la S. une amende de CHF 10'000.- en raison de la gravité objective de l'infraction, de son caractère manifestement intentionnel et de l'ensemble des circonstances.

9. Par acte déposé au greffe du Tribunal administratif le 2 juillet 2001, la S. a recouru contre cette décision et conclut à son annulation et à ce qu'une indemnité équitable lui soit allouée; subsidiairement, elle demande la réduction de l'amende.

 

La recourante allègue que le montant du loyer du 4 pièces est conforme à l'autorisation. Sont également conformes les loyers annuels par pièce, malgré un nombre de pièces différent de celui fixé par cette dernière.

 

La recourante soutient que la LDTR est muette sur la notion de frais accessoires et qu'elle doit être comprise à la lumière des règles et de la jurisprudence appliquées dans le cadre du droit privé fédéral.

10. Dans sa réponse, le DAEL conclut au rejet du recours. Il confirme sa décision tout en reconnaissant avoir commis une erreur en retenant que l'appartement de 4 pièces au 4ème étage n'était pas conforme à l'autorisation délivrée.La recourante percevait des frais accessoires qui devaient être intégrés pour partie dans le loyer et s'était écarté de la typologie admise des appartements. Les deux modes de calcul cumulativement retenus par la recourante lui permettaient de réaliser un revenu supplémentaire de respectivement CHF 11'970.- et CHF 4'514.- par année.

 

Les frais accessoires que la recourante percevait comportaient, pour 49,5 % de leur montant total, des frais qui rentraient dans le cadre des prix maxima autorisés pour les loyers.

 

Compte tenu de la gravité objective de l'infraction, de l'attitude de la recourante, le montant de l'amende apparaissait fondé tant objectivement que subjectivement.

 

11. Le 14 mars 2002, le juge rapporteur a ordonné l'appel en cause de la Caisse fédérale de pension Publica, nouveau propriétaire de l'immeuble litigieux depuis le 2 mai 2001, afin qu'elle se détermine sur le litige en tant qu'il portait sur le montant du loyer et le nombre de pièces des appartements concernés.

 

12. La S. a répondu au juge rapporteur, le 24 avril 2002, indiquant être seule partie à la présente procédure. Son recours visait à la fois à sauvegarder ses intérêts et ceux du nouveau propriétaire, la Caisse fédérale de pensions P.,dont deux représentants ont contresigné la lettre.

 

13. Le 29 avril 2002, les parties ont été avisées du fait que l'affaire était gardée à juger.

 

La Caisse fédérale n'a pas autrementréagi à l'interpellation du 14 mars 2002, ni au second courrier avisanttoutes les parties que l'affaire était gardée à juger.

 

14. Le 3 septembre 2002, le greffe du tribunal a informé les parties que les dispositions suivantes étaient prises :

 

1. la caisse fédérale était mise hors de cause et la décision finale lui serait communiquée pour information seulement;

 

2. la S. et le DAEL étaient invités à déposer une écriture portant sur la seule question de la notion de loyer au sens de l'article 11 LDTR. Les parties devaient s'exprimer sur le contenu de cette notion en droit public cantonal et en tirer les conséquences quant au loyer, aux frais annexes et aux charges, figurant dans les avis de hausse et lesbaux à loyer notifiés par la recourante aux locataires concernés au mois de mai 2001. Il appartenait également à chaque partie d'établir précisément le montant de chacun des postes qu'elle considérait admissible en application de la loi précitée et sa ventilation dans les catégories dont elles se prévalaient l'une et l'autre (loyer, frais accessoires ou charges).

 

15. La recourante s'est déterminée par une écriture du 27 septembre 2002. La notion de loyer devait être interprétée dans le sens prévu par le droit privé fédéral. Cette notion n'excluait pas que les frais accessoires soient perçus en sus du loyer au sens de l'article 257 b alinéa premier CO. Selon la doctrine reprise par cette partie (David Lachat, Le bail à loyer, 1997), la pratique, surtout en Suisse alémanique, conduisait à reconnaître d'autres frais accessoires telles les redevances communales pour le déneigement, les frais de nettoyage d'escaliers, en sus de ceux admis par cet auteur, soit les frais d'électricité, de gaz, de climatisation, ceux de conciergerie, ceux résultant encore de l'exploitation d'un ascenseur et les taxes d'épuration des eaux usées ou d'enlèvement des ordures. La recourante, également propriétaire de biens immobiliers en Suisse alémanique, avait précisément pour habitude de conclure des baux prévoyant l'énumération de frais accessoires de ce type. Elle produisait un compte de frais accessoires pour la période du 1er mai 2000 au 31 avril 2001 concernant l'immeuble litigieux et on pouvait y voir figurer les frais répartis entre les locataires en fonction de la surface des objets occupés. Les autres charges courantes comme les primes d'assurance-bâtiment, les honoraires de gérance et sur travaux, l'administration et le contentieux ainsi que les charges d'entretien et encore les charges financières figuraient dans le compte d'exploitation.

 

Sur la base des tableaux "ventilation des comptes de charges" et "répartition des charges annexes par locataire", il appert que la totalité du compte de chauffage, augmentée des honoraires, est répartie entre les locataires au prorata de la surface louée. Il en va de même des frais concernant l'eau chaude ainsi que l'épuration, qui sont également entièrement supportés par les locataires y compris également des honoraires. Quant au dernier poste, intitulé "général immeuble" d'un montant de CHF 15'341,70 auquel s'ajoutent des honoraires pour CHF 660,30, il comporte les rubriques suivantes : "électricité générale", "ascenseur", "dépenses personnelles de service et techniques" et "matériel de conciergerie". Il est également entièrement réparti entre les locataires.

 

16. Le 18 octobre 2002, le DAEL a déposé ses propres observations. Le département avait noté que la recourante n'avait pas donné suite aux instructions du tribunal, persistant simplement dans son argumentation selon laquelle la notion de loyer devait être interprétée dans le sens du droit fédéral. Le DAEL considérait que selon l'article 257 a alinéa premier CO, les frais accessoires pouvaient être mis à la charge des locataires pour autant qu'il s'agisse de prestations du bailleur ou d'un tiers, en rapport avec l'usage de la chose louée mais qui n'étaient pas couvertes par le loyer. Quant à l'article 257 b alinéa premier CO, il fournissait une liste d'exemples de tels frais accessoires. Il fallait toutefois une convention spéciale pour que ces frais soient mis à la charge du locataire, comme cela résulte de l'article 267 a alinéa 2 CO. La recourante fait état de la pratique des cantons alémaniques. Cette indication est toutefois sans pertinence car il faut déterminer les usages en vigueur dans le canton de Genève. Selon les conditions générales et règles et usages locatifs appliqués dans ce canton, qu'il s'agisse de l'édition de 1997 ou de celle de 2001, seuls les frais inhérents au chauffage et à l'eau chaude sont facturés séparément au titre de frais accessoires. Lorsque le Tribunal administratif avait déterminé les loyers maxima accessibles à la majorité de la population, compris entre CHF 2'400.-- et CHF 3'225.--, il avait raisonné sur la base des pratiques en vigueur dans le canton, ce qui implique une uniformité de la notion de loyer, calculé par pièce et par année, mais net des frais de chauffage et d'eau chaude comptabilisés séparément au titre des frais accessoires. Lorsque le législateur cantonal, au mois d'octobre 1999, a adopté la deuxième phrase du troisième alinéa de l'article 6 LDTR, fixant dans la loi des prix par pièce et par année, il l'avait fait sur la base de la pratique genevoise susdécrite, selon laquelle les seuls frais accessoires admissibles étaient ceux liés au chauffage et à l'eau chaude.

 

Le DAEL persistait dès lors à considérer que la notion de loyer, telle qu'elle résultait de la LDTR, devait s'entendre comme un loyer net "soit un loyer franc des frais accessoires, ces derniers ne pouvant comporter que les frais résultant du chauffage et de l'eau chaude".

 

De surcroît, l'attitude de la recourante paraissait emprunte de mauvaise foi car elle n'avait jamais laissé entendre à l'autorité administrative, lors de la requête en autorisation de construire, que les loyers applicables se rapportaient à un montant dont certains postes auraient été exclus pour être comptabilisés au titre des frais accessoires. Enfin, le DAEL avait dû intervenir à deux reprises auprès de la recourante, tout d'abord parce que les loyers ne correspondaient pas aux termes de l'autorisation de construire en force, puis, parce que l'intéressée produisait une construction comptable impliquant la facturation de certains postes dans le cadre des frais accessoires et avait modifié le nombre de pièces recensées à l'occasion de la requête en autorisation de construire.

 

17. Le 22 octobre 2002, le greffe du tribunal a informé à nouveau les parties que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable à cet égard (art. 8 ch. 104 de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai 1970 - LTA - E 5 05, art. 149 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05; art. 63 al. 1 let. a LPA).

 

2. a. En vertu de l'article 60 lettre b LPA, les personnes parties à la procédure de première instance, de même que celles qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée ont qualité pour recourir.

 

b. Le Tribunal administratif a déjà jugé que la lettre a de l'article 60 LPA se lit en parallèle avec la lettre b de ce même article : si la recourante ne peut faire valoir un intérêt digne de protection, elle ne peut être admise comme partie (ATF n.p. P. du 30 septembre 1999 et ATA P. du 11 mai 1999, M. du 8 avril 1997 et B. du 23 octobre 1991). Cette notion de l'intérêt digne de protection est identique à celle développée par le Tribunal fédéral aux articles 103 lettre a de la loi fédérale d'organisation judiciaire (OJF) et 48 lettre a de la loi fédérale sur la procédure administrative (ATA M. précité; V. MONTANI, C. BARDE, La jurisprudence du Tribunal administratif relative au droit disciplinaire in: RDAF 1996 p. 356-357).

c. La qualité pour recourir au sens de l'article 103 OJF implique que l'intéressé doit être lésé par la décision, celle-ci doit lui faire grief. Il suffit que la décision lui occasionne un préjudice de nature économique, idéelle, matérielle ou autre. La recourante doit avoir un intérêt à une modification de la décision, un intérêt digne de protection à l'examen de son recours, c'est-à-dire que sa situation doit être directement affectée par le sort du recours. Il faut donc qu'elle retire un avantage réel de la modification de la décision qu'elle entreprend (ATA M. précité); en d'autres termes, il faut qu'elle ait un intérêt pratique à l'admission du recours, c'est-à-dire que cette admission soit propre à empêcher un dommage matériel ou idéel. Il y a lieu de considérer enfin l'objet de la norme et les buts qu'elle vise (ATF 121 II 361-362; 120 Ib 386-387; 118 Ib 445-446; ATA G. du 15 janvier 1997; P. MOOR, Droit administratif, vol. II, 2ème éd., Berne 2002, pp. 626 et ss.). Selon ce dernier auteur, la relation entre l'issue du recours et l'élimination du préjudice allégué par la recourante "s'exprime aussi dans la condition de l'actualité de l'intérêt à recourir" (op. cit. p. 627, ch. 5.6.2.1 let. a).

 

En l'espèce, la recourante a cédé l'immeuble litigieux le 2 mai 2001. Elle a ainsi perdu la qualité de propriétaire qui lui permettait d'en percevoir les fruits et l'obligeait à en supporter les coûts. La décision litigieuse, dans la mesure où elle a trait au rétablissement de loyers conformes à l'autorisation de construire ne peut pas être contestée par une personne morale qui n'a plus d'intérêt matériel au litige, la question d'un intérêt idéel n'ayant pas de sens en la présente cause. En d'autres termes, le sort de la personne morale recourante n'est plus affecté directement par la décision entreprise. Faute ainsi d'intérêt pratique à l'examen de la question de la fixation des loyers, le recours doit être déclaré irrecevable dans cette mesure.

 

3. La recourante se plaint encore de s'être vue infliger une amende.

 

Elle a conservé un intérêt au contrôle par le juge de cette sanction administrative, de sorte que le recours est recevable sur ce point.

 

a. Est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- tout contrevenant à la loi (article 137 alinéa 1 lettre a LCI, applicable par renvoi de l'article 44 alinéa 1 LDTR) ou aux ordres donnés par le département dans les limites de la loi (lettre c).

 

b. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF n.p. de E. et Association Maison du Bout-du-Monde du 14 janvier 1999), il apparaît que la nature pénale des amendes administratives est aujourd'hui admise, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des amendes ordinaires pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant exister (ATA U. du 18 février 1997; P. MOOR, Droit administratif, les actes administratifs et leur contrôle, vol. II, 2ème éd., Berne 2002, ch. 1.4.5.5, pp. 139-141). En droit genevois, les amendes administratives demeurent régies par les principes généraux du droit pénal et singulièrement par les articles 1 à 110 CP (Charles-André Junod, Infractions administratives et amendes d'ordre, in SJ 1979 p. 184). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une négligence.

 

L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende (ATA Y. du 7 mai 2002 et références citées). La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès.

 

Enfin, il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction (article 137 alinéa 3 LCI).

 

4. Il convient d'examiner à titre préjudiciel la légalité des mesures arrêtées par l'autorité administrative.

 

a. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1er LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR). Une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation de tout ou partie d'une maison d'habitation (article 9 alinéa 1 LDTR). Le tribunal de céans a jugé qu'une mesure visant les loyers était une forme de remise en état au sens de l'article 129 lettre e LCI (ATA S.I. et G.I. du 21 décembre 1999). Au surplus, la validité d'un ordre de rétablir une situation conforme au droit ne dépend ni d'une base légale, ni d'une faute (ATA précité).

 

En l'espèce, le DAEL est donc fondé, dans son principe, d'ordonner le rétablissement d'une situation conforme à une autorisation délivrée en application de la LDTR. Au surplus, l'autorisation du 3 août 1998 est entrée en force de chose décidée et est par conséquent opposable à la recourante.

 

La recourante soutient que, bien qu'elle ait comptabilisé un nombre de pièces différent de celui fixé dans l'état locatif, les loyers annuels par pièce sont toutefois conformes à cet état. En comptabilisant des pièces supplémentaires, elle ne s'est pas conformée à l'état locatif après travaux, partie intégrante de l'autorisation et l'a ainsi violée. L'ordre de remise en état est dès lors pleinement justifié, hormis la situation d'un appartement à propos duquel l'autorité intimée a reconnu qu'elle avait commis une erreur.

b. La recourante reproche encore au DAEL d'avoir, en prenant la décision litigieuse, procédé à une interprétation erronée de la LDTR en intégrant les charges courantes aux montants des loyers. Cette loi, muette sur ce procédé, devait être comprise à la lumière du droit fédéral. Le DAEL devait alors fixer, en sus des montants des loyers, des frais accessoires incluant les charges courantes.

 

c. En droit genevois, le département fixe, comme condition de l'autorisation, le montant maximum des loyers des logements après travaux (article 10 alinéa 1 LDTR).

 

Selon l'article 11 alinéa 1er LDTR dans sa teneur depuis le 16 octobre 1999, l'autorité administrative fixe les loyers en y intégrant notamment le coût des frais d'entretien parmi d'autres facteurs de frais influant le rendement de l'immeuble.

 

d. La loi s'interprète en premier lieu pour elle-même, c'est-à-dire selon sa lettre, son esprit et son but ainsi que selon les valeurs sur lesquelles elle repose, conformément à la méthode téléologique (ATF 124 III 463, 465).

 

1. La LDTR vise à combattre la pénurie de logements. Elle poursuit en parallèle un objectif quantitatif, consistant à maintenir l'effectif des surfaces de logements existantes, et un objectif qualitatif, visant à la conservation sur le marché de certains types de logements qui répondent à un besoin en raison de leur prix et de leur conception (ATF 116 Ia 401 consid. 9c p. 415; cf. également ATF 111 Ia 26 et les arrêts cités). Il ressort de ces arrêts qu'une politique du logement visant notamment à la fixation des prix des appartements est conforme à l'intérêt public.

 

Au vu du but de politique sociale de cette loi, en particulier celui visant au maintien, après transformation, de logements à des prix répondant aux besoins prépondérants de la population, le montant fixé dans l'autorisation ne peut qu'être compris comme incluant loyer et charges courantes. En effet, une interprétation différente des articles 10 alinéa 1er et 11 alinéa 1er LDTR reviendrait, par l'intégration des charges courantes dans les frais accessoires, à supprimer une partie du contrôle de ces loyers par l'État et serait contraire au but visé par la loi.

 

2. Au surplus, ces charges courantes participent au maintien de la qualité du parc immobilier, et contribuent ainsi au respect du but de la LDTR qui est de préserver l'habitat. En outre, il n'a jamais été question que la fixation des loyers par le DAEL ait pour but d'empêcher que des frais découlant d'une exploitation normale, demeurent impayés au bailleur et par conséquent ne soient pas pris en compte dans le montant fixé par l'autorisation.

 

3. Il faut admettre aussi que le mode de calcul retenu par la recourante est contraire au principe de l'égalité en ce sens qu'il diffère de celui adopté par les autres propriétaires de la place.

 

4. À cet égard, le contenu des "Conditions générales et règles et usages locatifs appliqués dans le canton de Genève" dont la dernière édition établie de manière paritaire par la Chambre genevoise immobilière, la Société des régisseurs de Genève et le Rassemblement pour une politique sociale du logement date de 1991 peut être considérée comme une illustration pertinente de la compréhension de la notion de loyer et de charges par les organisations représentatives des bailleurs et des locataires dans la collectivité publique dont il convient d'interpréter le droit public, à savoir le canton de Genève.

 

Sous le titre III, "Chauffage, eau chaude et climatisation", il est spécifié que "le paiement de ces services, lorsqu'ils fonctionnent dans l'immeuble" (art. 14) est à la charge du locataire qui "doit payer les redevances qui en découlent" (eodem loco). Les articles 15 et suivants traitent de la manière de répartir ces frais.

 

Sous le titre VII, les partenaires précités ont décidé que notamment les frais suivants seraient à la charge du bailleur (art. 24) :

 

d) d'entretien et de force motrice de l'ascenseur;

 

...

 

e) d'éclairage des cages d'escalier, des locaux communs et des abords de l'immeuble;

 

f) de conciergerie...

 

g) d'eau utilisée par les locataires;

 

...

Il faut conclure à ce stade que les parties ayant élaboré ces conditions générales avaient décidé dans le canton de Genève que les frais comme l'eau chaude et le chauffage étaient à la charge du locataire, voire ceux de la climatisation le cas échéant. En revanche, tous les autres frais étaient à la charge du bailleur. Il est piquant de constater que les Conditions générales éditées en 2001 par les seules Chambre genevoise immobilière et Société des régisseurs ont conservé la même répartition des frais : seule la consommation de chauffage, d'eau chaude et de climatisation peuvent générer des coûts mis à la charge du locataire en sus du loyer. Ainsi, même les dispositions prises par les propriétaires et régisseurs de la place vont dans le sens de la thèse soutenue par l'autorité intimée.

 

5. C'est le tribunal de céans qui a arrêté par voie de jurisprudence les limites maximales maintenant fixées dans la LDTR. Ces montants avaient été décidés dans un arrêt L. du 5 décembre 1984 : les développements sur le loyer admissible commencent en p. 13 au considérant 5 in fine et se terminent p. 15 (consid. 6). Ils débutent par des considérations sur les revenus imposables des citoyens genevois. Quant à la notion de loyer, elle repose aussi sur des considérations ayant trait au marché genevois. Il en va encore de même des besoins des locataires genevois. Dans un arrêt abondamment cité (ATA S. I. M.-D. 19-21 du 7 décembre 1993), le Tribunal administratif a actualisé les chiffres aux pp. 23 et suivantes (consid. 13 à 16). Il est parvenu à la fourchette connue de CHF 2'400.- à CHF 3'225, voire CHF 3'500.-. Cette actualisation repose à nouveau sur les revenus et les coûts du logement sur un marché, celui du canton de Genève. Il serait contraire à toute la cohérence du raisonnement suivi de prétendre que l'on peut ajouter au coût du loyer usuel sur ce marché des charges qui sont supportées habituellement par le propriétaire, comme en témoignent les Conditions générales précitées, mais ne le seraient pas par un propriétaire isolé. Une telle approche ruinerait le système de la LDTR et celui du contrôle des loyers de nature jurisprudentielle, puis légale.

 

6. On peut enfin rappeler que le Tribunal fédéral a jugé conforme au droit fédéral le dispositif d'expropriation de l'usage des appartements approuvé par le corps électoral genevois le 27 septembre 1992. Il a considéré que l'indemnité prévue par la loi comportant le loyer et les frais accessoires que l'autorité prendrait en considération pour fixer l'indemnité en application de la LDTR était conforme à la garantie de la propriété selon l'article 22ter de la constitution fédérale du 29 mai 1874, alors encore en vigueur. Le Tribunal fédéral a expressément rejeté les arguments des recourants, appuyés sur le droit civil, au motif que le rapport créé par la LDTR était de droit public (ATF 119 Ia 348 consid. 4h p. 361).

 

Pour ces six motifs, le loyer fixé par le DAEL dans l'autorisation inclut les charges courantes hormis les frais accessoires liés au service de l'eau chaude et du chauffage, car cette inclusion correspond au système de la LDTR et à la volonté exprimée au travers de conditions générales par les bailleurs et les locataires de la place. Quant au contrat cadre de bail à loyer romand déclaré obligatoire par le Conseil fédéral le 1er décembre 2001, il est sans incidence sur l'objet du litige.

 

5. La recourante soutient qu'une telle interprétation viole le principe de la force dérogatoire du droit fédéral et que la LDTR doit être interprétée à la lumière du droit fédéral, principalement par les dispositions du droit du bail.

 

a. D'après le principe de la force dérogatoire du droit fédéral consacré à l'article 49 alinéa 1er Cst. féd. (article 2 DT ancienne teneur), les cantons ne peuvent édicter de règle contraire au droit fédéral. En revanche, selon la règle énoncée à l'article 6 CC, les cantons peuvent adopter des normes de droit public dans un domaine réglé par le droit civil fédéral, pour autant que le législateur fédéral n'ait pas entendu réglementer la matière de façon exhaustive, que les règles cantonales se justifient pas un intérêt public pertinent, et qu'elles n'éludent pas le droit civil fédéral, ni n'en contredisent le sens ou l'esprit (ATF 120 Ia 299, 303 et les références citées).

 

b. Même si une législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut toutefois subsister dans le même domaine si la preuve est rapportée qu'elle poursuit un autre but que celui recherché par la mesure fédérale. Il n'y a pas de véritable conflit entre la norme fédérale et la norme cantonale (A. Auer, G. Malinverni et M. Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Volume I, 2000, n° 1031).

 

Outre le fait que la jurisprudence a reconnu à la LDTR sa compatibilité avec les dispositions concernant le droit de propriété et la liberté économique consacrées aux articles 26 alinéa 1 et 27 alinéa 1er Cst. féd. (ATF 116 Ia 401 déjà cité), même si elle pouvait avoir certains effets de politique économique, elle a également reconnu que les règles de droit public cantonal qui soumettaient à autorisation les transformations de maisons d'habitation et imposaient un contrôle des loyers, n'étaient en principe pas contraires aux règles de droit civil fédéral qui régissaient les rapports entre bailleurs et locataires (ATF 116 Ia 401 déjà cité, p. 410).

Enfin la recourante se méprend sur le sens même des normes pertinentes du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO - RS 220). Certes l'article 257 b alinéa premier CO contient une liste de frais accessoires que le bailleur peut mettre à la charge du locataire, après convention spéciale (art. 257 a al. 2 CO). Si une telle répartition est courante dans d'autres parties du pays, elle est contraire aux usages du canton de Genève. De surcroît - et ceci est déterminant - même si des parties conviennent de s'écarter de l'usage commun par le biais d'une convention privée, cela ne saurait modifier les dispositions prises par l'autorité compétente agissant dans le cadre du droit public.

 

Selon la jurisprudence précitée, les règles de la LDTR ayant pour objectif le contrôle des loyers ont été reconnues comme conformes au droit civil fédéral. Dès lors, cette jurisprudence trouve pleinement application in casu dans la mesure où l'autorisation fixe le montant des loyers afin qu'ils n'échappent pas à son contrôle et respectent le but de préservation de l'habitat que vise la LDTR. Le fait que, selon l'article 257 a CO, à défaut de convention spéciale, les frais accessoires sont compris dans le loyer net, ne permet pas de soutenir que la licéité des frais accessoires sur le plan civil aurait pour conséquence de changer le contenu de l'article 11 LDTR et d'autoriser le propriétaire à percevoir des sommes allant au-delà de celles prévues dans l'autorisation de construire.

 

La doctrine admet également que le contrôle des loyers est admissible, car il repose sur un intérêt public suffisant, même si la fixation des loyers s'écarte des règles du CO (D. Favre, Droit de la rénovation et force dérogatoire du droit fédéral, RDAF 2002 I 1-15 not. p. 12).

 

Ainsi, l'argument de la recourante n'est pas pertinent en l'espèce, et l'ordre du DAEL relatif aux frais accessoires apparaît pleinement justifié.

 

6. L'amende est justifiée dans son principe. Sa quotité est déterminée, comme on l'a vu, par la gravité de l'infraction. Considérant les deux procédés dont la recourante a successivement usé, soit des prix surfaits, puis une indication fausse du nombre de pièces, il apparaît qu'une sanction, arrêtée à CHF 10'000.-, dont le montant est inférieur à celui du gain prohibé pour une seule année est parfaitement conforme au principe de la proportionnalité, voire modérée au regard du maximum envisageable de CHF 60'000.-.

 

7. La recourante, qui succombe, sera condamné aux frais de la cause par CHF 3'000.-; elle n'a pas droit à une indemnité de procédure.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

rejette le recours interjeté le 2 juillet 2001 par la S. Société immobilière S.A. contre la décision du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement du 1er juin 2001 dans la mesure où il est recevable;

 

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 2'500.-;

 

dit qu'il ne sera pas alloué d'indemnité;

communique le présent arrêt à Me Christian Buonomo, avocat de la recourante, à la Caisse fédérale de pensions P. pour information seulement ainsi qu'au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.


 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère et Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le la greffière :

 

 

Mme M. Oranci