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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1798/2014

ATA/780/2015 du 28.07.2015 sur JTAPI/208/2015 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : IMPÔT ; IMPÔT SUR LE REVENU ; ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE ; IMPUTATION DES PERTES
Normes : LIFD.25; LIFD.27.al1; aLIPP.30.leta
Résumé : refus de la prise en compte de montants au titre de pertes commerciales. Les pertes ne peuvent être compensées que si le contribuable exerce une activité indépendante pendant la période fiscale concernée. La notion d'activité lucrative indépendante, au sens du droit fiscal, présuppose une intention de réaliser un bénéfice. Les activités du recourant au sein de l'étude d'avocats ne génèrent pas directement de revenu et aucun honoraire ou presque n'a été encaissé en lien avec ces activités. Le recourant déploie donc son activité au bénéfice de ses confrères sans aucune forme de rémunération ou presque. Son activité déficitaire depuis cinq ans n'est pas maintenue pour des raisons économiques du point de vue du contribuable. Les pertes réalisées doivent être qualifiées de dépenses privées et ne sauraient dès lors être déduites du revenu du contribuable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1798/2014-ICCIFD ATA/780/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 juillet 2015

4ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Sett Fiduciaire SA, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FéDéRALE DES CONTRIBUTION

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2015 (JTAPI/208/2015)


EN FAIT

1) Le litige porte sur l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2011 et 2012, de Monsieur A______, domicilié dans le canton de Genève.

2) Le 14 novembre 2012, M. A______ a remis à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) sa déclaration fiscale pour l'année 2011. Son activité indépendante d'avocat, au sein de l'étude Canonica, Valticos, De Preux et associés, avait généré un chiffre d'affaires nul et produit des frais généraux de CHF 192'279.-, engendrant une perte commerciale du même montant.

3) Le 2 octobre 2013, M. A______ a remis à l'AFC sa déclaration fiscale pour l'année 2012. Son activité indépendante avait généré un chiffre d'affaires de CHF 5'835.-. Les frais généraux associés à cette activité s'élevaient à CHF 193'512.-, engendrant une perte commerciale de CHF 187'677.-.

4) Le 26 février 2014, l'AFC a transmis à M. A______ ses bordereaux de taxation ICC et IFD 2011 ainsi que les bordereaux de taxation ICC et IFD 2012. Les pertes déclarées n'étaient pas prise en compte. Dans les explications jointes, il était précisé que s'agissant des frais généraux, en ICC et IFD, pour la quatrième année déficitaires, les charges étaient acceptées à concurrence des gains réalisés.

5) Le 1er avril 2014, M. A______ a contesté les taxations ICC et IFD 2011 ainsi que celles pour 2012, dans la mesure où les charges directes liées à l'étude d'avocats n'étaient pas prises en compte. Les autres associés de l'étude réglaient leurs impôts en tenant compte de sa participation aux frais généraux, ce qui entraînait une double imposition. Il était inscrit au barreau et déployait principalement une activité visant à maintenir la bibliothèque de l'étude, ce qui profitait à toute l'étude et générait des profits.

6) Le 15 mai 2014, l'AFC a rendu quatre décisions sur réclamation identiques concernant l'ICC et l'IFD 2011 et 2012.

Seuls les frais justifiés par l'usage commercial ou professionnels, notamment les dépenses faites pour l'exploitation d'un commerce, d'une industrie ou d'une entreprise et celles qui étaient nécessaires pour l'exercice d'une profession ou d'un métier pouvaient être déduits. Seuls les frais effectivement dépensés, naturellement et logiquement liés à la réalisation du revenu taxé étaient déductibles du revenu. Au regard des pertes successives enregistrées, l'activité n'était pas génératrice de profits. Dès lors, les charges n'étaient admissibles qu'à concurrence des gains qu'elles avaient permis de réaliser.

7) a. Le 19 juin 2014, M. A______ a interjeté quatre recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l'encontre des décisions sur réclamation en concluant à la prise en considération de la totalité de la perte d'exploitation liée à l'activité indépendante.

Son activité était déficitaire depuis l'année 2008, lorsqu'il avait diminué son activité commerciale, pour se consacrer à l'organisation de l'étude. Ses pertes s'étaient chiffrées à, respectivement, CHF 169'423.-, CHF 232'132.- et CHF 75'946.- depuis 2008. L'AFC avait, sur réclamation, accepté en 2010 une perte d'exploitation de CHF 75'946.-.

Un courrier daté du 12 juin 2014 d'un avocat associé de l'étude indiquait que le contribuable exerçait son activité depuis plus de cinquante ans. Il transmettait son savoir et son expérience aux autres membres de l'étude, rédigeait des mémoires et assistait à des audiences, assumait la responsabilité de la bibliothèque et assurait la formation des stagiaires. Il était responsable de la tenue du rôle de l'étude et de l'organisation de la séance plénière et d'ateliers de jurisprudence.

b. Le TAPI a enregistré comme un seul recours les quatre actes datés du 19 juin 2014.

8) Le 24 septembre 2014, l'AFC a répondu au recours en concluant à son rejet.

9) Le 13 octobre 2014, le contribuable a confirmé au TAPI vouloir maintenir son recours.

10) Le 1er décembre 2014, l'AFC a transmis au TAPI un courrier du contribuable, du 9 octobre 2014, dans lequel il contestait le caractère insolite de sa situation. Il était très attaché à l'étude, notamment au fils et au petit-fils de son fondateur. Il avait été amené à participer à des frais d'achat de matériel non négligeables lors d'un déménagement et avait vainement espéré que les revenus provenant de ses dossiers personnels compenseraient tout ou partie de sa participation aux frais généraux. Son activité continuait à se justifier d'un point de vue économique pour l'étude. Les conditions d'une évasion fiscale n'était pas réalisées, sa participation ne visait pas une économie d'impôts.

11) Le 17 février 2015, le TAPI a rejeté le recours du contribuable.

Le contribuable maintenant artificiellement de manière contraire à toute rationalité économique une activité qui ne pouvait plus être qualifiée de lucrative. Son activité était motivée par la passion et il ne pouvait subvenir à ses besoins que grâce à ses autres revenus, soit sa rente AVS et ses revenus mobiliers qui s'élevaient à CHF 345'748.- en 2011 et à CHF 286'360.- en 2012, ou à sa fortune.

12) Par acte posté le 25 mars 2015, M. A______ a interjeté recours, par l'intermédiaire de son mandataire, auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l'encontre du jugement du TAPI, reçu le 23 février 2015 en concluant à son annulation et à ce que l'AFC soit invitée à revoir les décision rendues en prenant en compte les pertes d'exploitation déclarées pour les taxations ICC et IFD, 2011 et 2012.

Après plus de cinquante ans au barreau, il était dans l'ordre des choses que l'activité devînt moins ou guère bénéficiaire mais se justifiait tout de même du point de vue économique. Il ne s'agissait pas d'un hobby. Une perte commerciale, subie dans une activité indépendante n'ayant généré aucun produit, pouvait être déduite de ses autres revenus selon le Tribunal fédéral. Sa participation aux frais généraux de l'étude diminuait les charges et donc augmentait le bénéfice net des avocats et associés de l'étude. Ce supplément était taxé sans autre par l'AFC. En ne prenant pas en compte ses pertes, l'AFC réalisait une double imposition.

13) Le 31 mars 2015, le TAPI a transmis son dossier en renonçant à formuler des observations.

14) Le 28 avril 2015, l'AFC a répondu au recours en concluant à son rejet.

Le contribuable maintenait son activité pour des raisons d'attachement à la profession d'avocat, ce qui était parfaitement louable. Cela n'enlevait rien au fait que le maintien d'une activité dans ces conditions était « artificiel » et contraire à toute rationalité économique. L'AFC avait tenu compte et admis en déduction du revenu brut des pertes commerciales de CHF 158'222.- en 2008, CHF 242'178.- en 2009 et de CHF 75'946.- en 2010. L'absence de tout infléchissement dans ces pertes à répétition permettait d'exclure qu'il s'agissait d'une « mauvaise passe » dans l'activité du contribuable. Les dépenses consenties relevaient de l'emploi du revenu ou de la fortune privée et n'étaient pas déductibles du revenu brut.

15) a. Un délai au 5 juin 2015, prolongé sur demande au 30 juin 2015, a été fixé au contribuable pour produire sa réplique éventuelle.

b. Le 3 juillet 2015, le contribuable a adressé à la chambre administrative une nouvelle demande de prolongation du délai.

c. Le 10 juillet 2015, le contribuable a été informé que la cause était gardée à juger. La demande de prolongation, faite pour un motif dont son mandataire aurait pu se prévaloir en temps utile, a été refusée.

d. Le 16 juillet 2015, le mandataire du contribuable a exposé que la demande du 3 juillet 2015 avait été adressée par erreur. M. A______ n'avait plus d'observations à formuler.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L'objet du litige est le refus de déduire du revenu ICC et IFD 2011 et 2012 du recourant les montants de respectivement CHF 192'279.- et CHF 187'677.-, au titre de pertes commerciales.

3) La question étant réglée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1. ; 2C_60/2013 du 14 août 2013 consid. 1). Le raisonnement juridique sera en conséquence applicable mutatis mutandis tant à l'ICC qu'à l'IFD.

4) L'impôt frappe le revenu net (art. 25 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 et art. 28 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 - LIPP - D 3 08). Ce dernier s'obtient en défalquant du total des revenus bruts les déductions admises par la loi. La ratio legis de l'art. 25 LIFD, qui se fonde sur le principe de la capacité contributive, exige que l'impôt ne frappe que le revenu global net, soit les recettes économiques dont le contribuable peut librement disposer pour couvrir ses besoins privés (ATA/306/2014 du 29 avril 2014 ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 39 n. 28).

Selon ce principe, les déductions admises sont celles qui sont nécessaires à l'acquisition du revenu, soit les dépenses encourues dans le but de réaliser ce revenu. Il suffit qu'économiquement la dépense soit nécessaire à l'obtention du revenu et que l'on ne puisse exiger du contribuable qu'il s'abstienne de la faire (ATF 124 II 29 = RDAF 1999 II 113 ; Xavier OBERSON, op. cit., p. 166 ss).

Les dépenses liées à l'exercice d'une activité lucrative indépendante sont les frais qui sont justifiés par l'usage commercial ou professionnel (art. 27 al. 1 LIFD et art. 30 let. a LIPP). La possibilité de déduire ces frais est en outre conditionnée à la preuve de leur nécessité au regard de l'activité lucrative poursuivie (arrêt du Tribunal fédéral 2C_916/2012 du 28 février 2013 consid. 4.1 ; 2C_132/2010 du 17 août 2010 consid. 3.2).

Pour que l'art. 27 LIFD soit applicable, il faut que le contribuable exerce une activité indépendante et soit ainsi soumis à cette disposition lors de la période fiscale concernée. Les pertes peuvent alors être compensées non seulement avec le revenu de l'activité indépendante, mais aussi avec d'autres revenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_33/2009 du 27 novembre 2009 consid. 2.a).

5) La notion d'activité lucrative indépendante est une notion de droit fiscal. Selon la jurisprudence, on y englobe toute activité par laquelle un entrepreneur participe à la vie économique à ses propres risques, avec l'engagement de travail et de capital, selon une organisation librement choisie, et avec l'intention de réaliser un bénéfice. Cette intention est décisive dans le cadre de l'application des dispositions susmentionnée. Il s'agit d'un critère subjectif qui ne peut être déterminé qu'à l'aide des circonstances du cas d'espèce (ATF 122 II 446 consi. 3c p. 450 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_101/2008 du 18 juin 2008 consi. 2.1 et les références citées).

6) S'agissant du caractère lucratif de l'activité indépendante dans la durée, il est dans l'ordre des choses qu'une telle activité connaisse une période de démarrage au cours de laquelle les charges excèdent les produits ou sont tout juste couvertes par ceux-ci. De même, une activité longtemps bénéficiaire peut, à un moment donné, devenir déficitaire. Tant que ces situations ont un caractère passager et qu'il existe une perspective d'amélioration ou de redressement à terme raisonnable, elles ne font pas perdre à l'activité son caractère lucratif. Si la situation perdure, il s'impose de considérer que l'activité n'a plus de justification économique et il appartient à celui qui l'exerce d'en tirer les conséquences en cessant ou en réorientant son activité. S'il persiste en revanche dans l'exercice de cette activité en y engageant des moyens financiers propres dont il dispose par ailleurs, il opère un choix et maintient de manière purement artificielle une activité économiquement condamnée qui ne saurait plus être qualifiée de lucrative et les dépenses liées à celle-ci ne peuvent plus être considérées comme engagées en vue de se procurer un revenu mais motivées par des considérations extra-économiques qui relèvent de l'emploi du revenu ou de la fortune privé et ne sont pas déductibles du revenu brut (arrêts du Tribunal fédéral 2C_307/2010 du 27 août 2010 consid. 2.2 ; 2A.640/2006 du 7 juin 2007 consid. 3 ; 2A.40/2003 du 12 septembre 2003 consid. 2 et les références citées).

En l'espèce, l'activité du recourant consistait pour les années concernées, à la tenue et la mise à jour de la bibliothèque de l'étude, la tenue du rôle, l'organisation et la tenue des réunions hebdomadaires, la formation des stagiaires. Il se chargeait en outre de diverses démarches et recherches dans plusieurs dossiers traités par l'ensemble de l'étude. Toutes ces activités ne génèrent pas directement de revenu et, au vu des déclarations fiscales, aucun honoraire, ou presque pour 2012, n'a été encaissé par le recourant en lien avec ces activités. Il faut donc considérer que le recourant déploie son activité au bénéfice de ses confrères sans aucune forme de rémunération ou presque.

Compte tenu du fait que l'activité du contribuable au sein de l'étude d'avocats est déficitaire depuis 2008, soit depuis cinq ans et que rien n'indique une évolution dans le sens d'une reprise d'une activité qui produirait un revenu, il faut admettre qu'elle n'est en tout cas pas maintenue pour des raisons économiques, du point de vue du contribuable qui doit être pris en compte ici, même si elle l'est du point de vue des associés de l'étude.

L'activité du contribuable ne répond donc pas à la qualification d'activité lucrative indépendante au sens exposé plus haut.

Il découle de ce qui précède que les pertes réalisées doivent être qualifiées de dépenses privées et ne sauraient être déduites du revenu ICC ou IFD pour les années concernées.

7) Le recourant invoque, de façon peu claire et non motivée, une « double imposition » qui résulterait du fait que sa participation aux frais généraux de l'étude conduirait à une diminution des charges de celle-ci et donc à une augmentation du revenu net taxable de chaque avocat et associé de l'étude.

S'agissant de la taxation du recourant qui constitue l'objet du litige, aucune double imposition du revenu n'est réalisée et s'agissant des taxations de ses confrères, la question sort du cadre du litige.

8) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Compte tenu de l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera alloué aucune indemnité de procédure.


* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 mars 2015 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Sett Fiduciaire SA, mandataire du recourant, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :