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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/793/2000

ATA/74/2001 du 06.02.2001 ( FIN ) , REJETE

Descripteurs : IMPOT; VENTE; ACTION(PAPIER-VALEUR); ACTIONNAIRE; IMPOT SPECIAL; IMPOT SUR LE BENEFICE DES ENTREPRISES; RESERVE LATENTE; GOODWILL; FIN
Normes : LIFD.19; LCP.88 al.1
Résumé : L'art. 88 al.1 LCP dont le pendant en droit fédéral est l'art. 19 LIFD reprend l'art. 21 al.1 litt.d LIFD et les règles que la pratique avait développées en cas de reprise par une socitété anonyme d'une raison individuelle. Pour que le transfert des actifs d'une raison individuelle à une société anonyme puisse être considérée comme fiscalement neutre, quatre conditions doivent être remplies dont la condition qu'il faut que les participation des actionnaires de la société restent proportionnellement les mêmes. Le transfert de 150 actions d'une entreprise individuelle dont une personne est restée propriétaire à une société anonyme dix mais après le transfert à ladite société des actifs de l'entreprise ne remplit pas cette condition. S'agissant des réserves latentes, le TA suit la doctrine qui estime que dans l'hypothèse d'une vente partielle des titres, on devrait admettre que les réserves ne sont réalisées que proportionnellement, dans la mesure où l'actionnaire en cause conserve une participation déterminante dans la société. Dans le cas d'espèce, l'actionnaire a revendu l'ensemble de sa participation, c'est donc à juste titre que la commission de recours a fait porter l'assiette de l'imposition sur l'ensemble des réserves latentes réalisées après l'apport des actifs de l'entreprise à la SA.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 6 février 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur P__________

représenté par Me Vincent Jeanneret, avocat

 

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

 

 

et

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE



EN FAIT

 

 

1. Monsieur P__________, né le _________ 1953, est domicilié ____________ Genève.

 

2. Le 2 mars 1988, M. P__________ a acquis de Monsieur B__________, contre le paiement d'une rente viagère annuelle de CHF 180'000.--, son entreprise individuelle de D__________ de voitures à Peney-Satigny. L'entreprise a pris le nom de "D__________ B__________, successeur P__________" (ci-après : l'"entreprise B__________").

 

3. M. P__________ s'est ensuite rendu acquéreur, en 1989, de 200 actions de CHF 1'000.--, soit l'intégralité du capital-actions de la société A__________ S.A..

 

4. Le 16 décembre 1991, M. P__________ a passé avec M.  F__________ une convention prévoyant :

 

a. La cession par M. P__________ à M. F__________ de 100 actions de A__________ S.A. pour le prix de CHF 1'500'000.--, soit CHF 15'000,-- par action.

 

b. L'augmentation à CHF 600'000.-- du capital de A__________ S.A. d'ici au 31 décembre 1991 par l'émission de 400 nouvelles actions de CHF 1'000.--, au pair, souscrites par moitié par M. P__________ et par moitié par M. F__________.

 

c. L'intention des parties de revendre, d'ici au 31 mars 1992, à M. G__________ 200 actions, dont 100 actions par M. P__________, moyennant un prix global de CHF 1'200'000.--, soit CHF 6'000.-- par action.

 

d. La reprise par A__________ S.A., d'ici au 31 décembre 1992, de la totalité des actifs et passifs de l'entreprise B__________ dans des termes à négocier par les parties.

 

5. M. F__________ a payé les actions acquises de M. P__________. L'augmentation du capital de la société est intervenue au mois de janvier 1992. Enfin, le 15 janvier 1992, A__________ S.A. a modifié sa raison sociale en D__________ S.A. (ci-après : "D___________.").

 

6. Le 15 septembre 1992, M. B__________ a consenti à M. P__________ le rachat de sa rente viagère, afin de permettre à ce dernier la transformation de la raison individuelle en société anonyme. La convention passée par les parties a pris pour base d'estimation de l'entreprise B__________ la valeur de son G__________ non amortissable, soit CHF 2'265'500.--. Les parties ont convenu d'une valeur de rachat net de CHF 1'200'000.-- qui a été payée par M. P__________ à M. B__________. La valeur du goodwill était notamment déterminée par l'existence d'un droit de superficie sur des terrains appartenant à l'Etat, situés dans la zone industrielle de Peney-Satigny.

 

7. La vente de 100 actions de D___________ à M. G__________ selon la convention du 16 décembre 1991, n'a pas eu lieu. Par contre, M. P__________ a indiqué avoir vendu le 29 octobre 1992 150 actions de D___________ à M. M___________ pour le prix de CHF 400'000.--, soit CHF 2'667.-- par action. La copie du contrat de vente n'a été produite que le 15 septembre 2000.

 

8. La reprise par D___________ des actifs et passifs de l'entreprise B__________ a été entérinée par une convention datée du 1er mai 1993 sous la signature de M. P__________, lequel intervenait dans ce document tant à titre personnel au nom de l'entreprise B__________ que comme représentant de D___________. La convention faisait remonter ses effets au 1er octobre 1992. Elle prenait pour base la valeur comptable de l'entreprise B__________ telle que ressortant de son bilan de liquidation au 30 septembre 1992, soit CHF 362'732.--. La contre-valeur a été portée au crédit du compte courant de M. P__________, au passif de D___________.

 

9. A l'état des titres de sa déclaration ICC 1993, prenant pour assiette sa situation au 31 décembre 1992, M. P__________ a fait figurer 200 actions de D___________ ainsi qu'une créance de CHF 317'302.-- contre la société. Il a par ailleurs mentionné une dette de CHF 267'673.-- qu'il devait à l'UBS et une dette de CHF 1'252'129.-- vis-à-vis de la Banque Migros, garantie par une hypothèque sur sa maison de Lancy.

 

10. A l'état des titres de sa déclaration ICC 1994, prenant pour assiette sa situation au 31 décembre 1993, M. P__________ n'a plus fait figurer que 150 actions de D___________. Le montant de son compte courant a été réduit à CHF 277'680.--. Son endettement vis-à-vis des banques est demeuré pratiquement inchangé.

 

11. Le 30 mars 1994, M. P__________ a vendu à la société H__________ S.A. les 150 actions dont il était resté propriétaire dans D___________ pour le prix de CHF 1'700'000.--, soit CHF 11'333.-- par action.

 

 

12. Le 31 août 1995, M. P__________ a abandonné la créance de CHF 227'782.-- dont il était titulaire dans les livres de D___________.

 

 

13. L'administration fiscale cantonale (ci-après : l'administration), a notifié le 11 décembre 1996 à M. P__________ un bordereau d'impôt spécial sur les bénéfices d'aliénation de remise ou de liquidation totale ou partielle de certaines entreprises calculé sur un gain imposable de CHF 1'035'000.-- au taux de 25%. L'impôt dû s'élevait à CHF 258'750.--.

 

Le procès-verbal de taxation annexé au bordereau était rédigé ainsi :

 


"Remise à la valeur comptable, selon bilan au 1er octobre 1992, de l'actif et du passif de l'entreprise D__________ A__________ B__________, P__________. à D__________ A__________ S.A. et vente de la totalité des actions (D__________ A__________ S.A.) détenues par M.  P__________.

 

Prix de vente des actions CHF 3'300'000.-- 

moins

goodwill (2'265'000.--)

bénéfice imposable 1'035'000.--".

 

 


14. Le 23 décembre 1996, M. P__________ a élevé réclamation contre le bordereau. Il a contesté le montant retenu comme prix de vente des actions et celui du goodwill.

 

15. L'administration a écarté la réclamation par décision du 27 août 1997 pour le motif qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences de forme de l'article 349 de la loi genevoise sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

 

16. M. P__________ a recouru le 25 septembre 1997 contre la décision de l'administration.

 

Il n'avait retiré que CHF 1'700'000.-- de la vente des 150 actions cédées à H__________ S.A. De ce chiffre, devaient ensuite être déduits :

 


- le montant de son abandon de

créance CHF 227'782.--

- la part de valeur de D___________ avant

l'incorporation de

l'entreprise B__________ CHF 1'000'000.--

- le goodwill CHF 2'265'000.--

 

 


Du solde comptable de l'opération résultait une perte de CHF 1'792'782.--.

 

17. Dans sa réponse du 16 juin 1998, l'administration, tout en admettant la recevabilité du recours, a confirmé le montant de l'imposition : lorsque les actifs et passifs d'une entreprise sont apportés à une société de capitaux, et que les droits de cette dernière sont aliénés peu de temps après, il fallait procéder à un décompte fiscal de la plus-value. Le bénéfice imposable de CHF 1'035'000.-- avait été calculé en cumulant notamment le produit des ventes successives à M. F__________, M. G__________ et H__________, ainsi que la valeur estimée de la vente supposée de 50 actions manquant dans la déclaration ICC 1994 du contribuable. Du montant brut des ventes ainsi estimé à CHF 4'300'000.--, l'administration avait déduit le G__________ et la valeur de base de D___________ évaluée à CHF 1'000'000.--. L'abandon de créance de CHF 227'782.-- n'était pas déductible en l'absence d'insolvabilité ou refus de payer de D___________.

 

 

18. Lors de la procédure, M. P__________ a indiqué qu'il n'avait pas vendu d'actions à M. G__________, mais en lieu et place, cédé 150 actions à M. M___________ pour le prix de CHF 400'000.--; que les ventes à MM. F__________ et M___________ étaient antérieures à la reprise de l'entreprise B__________ dont les réserves latentes étaient en fait inexistantes; quant à l'abandon de sa créance, il n'y avait consenti que pour éviter la mise en faillite de D___________.

 

Invité par la commission de recours à produire les bilans des sociétés et entreprises objet des rachats, le recourant n'a fourni qu'une partie des pièces demandées. Il n'a par contre pas produit le contrat de vente des 150 actions à M. M___________ dont la production avait été exigée par la commission de recours.

 

19. a. La commission de recours, dans sa décision du 22 juin 2000, a rejeté le recours. Le bénéfice dégagé lors des ventes d'actions en 1991 et 1992 étant antérieur à la reprise de l'entreprise B__________, et portant sur la cession d'actions faisant partie de la fortune privée du contribuable, ce dernier ne pouvait être imposé sur la base de l'article 88 alinéa 1 LCP.

 

La différence de CHF 1'300'000.--, entre la valeur de 150 actions vendues en 1992 à M. M___________ et celle de 150 actions vendues en 1994 à H__________ S.A., 10 mois après la reprise de l'entreprise B__________, ne s'expliquait par contre que par le transfert des réserves latentes de la raison individuelle et donnait lieu à imposition lors de la revente.

 

b. M. P__________ n'ayant pas fourni les pièces probantes demandées, la commission de recours a procédé ainsi à la détermination des réserves latentes:

 

Valeur vénale au 30 mars 1994

(CHF 1'700'000.-- x 4) CHF 6'800'000.--

 

./. valeur nominale du capital CHF 600'000.--

 

Résultat : CHF 6'200'000.--

 

Valeur vénale de D___________

au 30 octobre 1992

(CHF 400'000.-- x 4) CHF 1'600'000.--

 

./. valeur nominale du capital CHF 600'000.--

 

Résultat : CHF 1'000'000.--

 

 

En déduisant le goodwill - montant non contesté - de la différence de CHF 5'200'000.-- entre les deux estimations, la commission a fixé à CHF 2'935'000.-- la valeur des réserves latentes soumises à l'impôt, entraînant de ce fait une imposition de CHF 733'750.--. Compte tenu de l'absence de reformatio in peius, elle n'a fait que confirmer le bordereau litigieux.

 

20. Le 10 juillet 2000, M. P__________ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif contre la décision de la commission de recours. Ce dernier a, par l'entremise de son avocat, complété son recours les 9 août et 15 septembre 2000.

 

Le recourant n'avait pas revendu sa participation pour réaliser un profit, mais sous la seule pression de ses créanciers et associés, à la suite d'une condamnation pénale qu'il avait subie. Le prix de vente de sa participation dans D___________ avait été fixé au regard des dettes qu'il avait dû rembourser aux banques, soit CHF 1'600'000.--. Enfin, il avait fourni une copie de la convention de vente de 150 actions à M. M___________.

 

21. Dans sa réponse du 16 octobre 2000, l'administration a conclu au rejet du recours. La nouvelle jurisprudence en matière d'impôt sur le bénéfice de liquidation en cas de vente des droits de participation, ne liait pas le prélèvement de l'impôt à une intention d'évasion fiscale mais trouvait son fondement dans le seul principe de l'imposition égale devant la loi. Pour le surplus, M. P__________ ne contestait pas le calcul effectué par la commission de recours.

 

22. Le 16 octobre 2000, M. P__________ a produit un bordereau de pièces complémentaires d'où il ressortait qu'en 1994 il avait remboursé des dettes à concurrence de CHF 110'000.-- à la Banque Paribas et CHF 321'615.-- à l'UBS.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la Loi sur l'organisation judiciaire du 11 juin 1999 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 let. a de la Loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Le 1er janvier 2001 est entrée en vigueur la nouvelle loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques - LIPP, divisée désormais en quatre parties (LIPP-I, LITPP-II, LIPP-III et LIPP-IV), qui a modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques, parmi lesquelles les articles 17, 21 et 88 LCP.

 

En vertu du principe de la non-rétroactivité, le nouveau droit ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, vol. I, 1988, p. 144; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, p. 116). Le droit nouveau ne peut avoir un effet rétroactif que si la rétroactivité est prévue par la loi, est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (B. KNAPP, op. cit., p. 118).

 

En l'espèce, les nouvelles dispositions du droit fiscal genevois ne prévoient pas un effet rétroactif. Au contraire, l'article 6 de la nouvelle loi sur l'imposition dans le temps des personnes physiques - LITPP-II - D 3 12 prévoit même expressément que la détermination de la période de taxation (art. 2 al. 1 LITPP-II remplaçant l'art. 17 LCP) n'est régie par le nouveau droit qu'à partir de l'exercice 2001.

 

L'application de la nouvelle loi ne serait pour le surplus pas susceptible d'améliorer la situation du contribuable; en effet :

 

- La liste des déductions Autorisées sur le revenu (art. 21 LCP) a été abrogée et remplacée par une liste exhaustive d'exonération (art. 10 de la loi sur l'imposition des personnes physiques - impôt sur le revenu (LIPP-IV) - D 3 14) dont le caractère est plus restrictif que l'ancienne loi.

 

- Quant aux règles découlant précédemment de l'application de l'article 88 LCP, elles ont intégralement été reprises dans le nouvel article 4 LIPP-IV, cette dernière disposition intégrant désormais dans le texte de la loi la pratique précédemment dégagée par la jurisprudence.

 

Ainsi l'imposition de M. P__________ est régie par le droit en vigueur au moment de la taxation.

 

3. a. L'article 88 alinéa 1 LCP prévoit qu'un impôt spécial est prélevé sur les bénéfices d'aliénation, de remise ou de liquidation totale ou partielle d'une entreprise située dans le canton. Cette réglementation est le pendant cantonal de l'article 19 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) lui même reprenant notamment l'ancien article 21 alinéa 1 lettre d de l'arrêté du Conseil fédéral concernant l'impôt fédéral direct et les règles que la pratique avait développées en cas de reprise par une société anonyme d'une raison individuelle.

 

b. Ces principes, par ailleurs repris à l'article 4 LIPP-IV, ont été posés par la jurisprudence du Tribunal fédéral, plus particulièrement dans un arrêt 115 Ib 265 : "Conformément à l'article 21 alinéa 1er lettre d AIFD, les bénéfices en capital sont considérés comme obtenus, dans une entreprise astreinte à tenir des livres, lorsque des éléments de la fortune commerciale sont aliénés ou réalisés. N'est pas une aliénation dans ce sens, selon les circonstances, le changement de la forme juridique d'une entreprise. Tel peut être le cas notamment lorsque le titulaire d'une entreprise individuelle transfère son entreprise à une société anonyme nouvellement constituée, dans la mesure où l'exploitation se poursuit sans changement et que les participations ne sont pas destinées à être aliénées. Si la totalité des actifs et des passifs sont repris ensemble à leur valeur comptable, le transfert ne constitue pas une liquidation ou une aliénation au sens économique. Sous l'angle fiscal, il n'y a pas non plus de réalisation des réserves latentes transférées. Selon la jurisprudence et la pratique des Autorités fiscales, on renonce dans un tel cas - moyennant le respect des conditions précitées - à l'imposition des réserves latentes". La jurisprudence a précisé un certain nombre de conditions, notamment que "l'article 19 alinéa 1 lettre a LIFD exige en cas de transformation que les participations restent proportionnellement les mêmes et que l'exploitation se poursuive sans changement" (RDAF 2000 II 32), et que les valeurs transférées doivent rester soumises à l'impôt suisse et avoir été reprises à leur dernière valeur déterminante pour l'impôt sur le revenu (RDAF 2000 II 32).

 

c. Pour que le transfert des actifs de l'entreprise individuelle B__________ à D___________ puisse être considéré comme fiscalement neutre, quatre conditions devaient donc être réalisées :

 

aa. En premier lieu, il fallait que les éléments commerciaux en cause demeurent assujettis à l'impôt au même endroit. En l'espèce, l'entité ayant acquis l'ensemble des éléments commerciaux est une société anonyme soumise à l'impôt sur le revenu dans le canton de Genève, comme l'était l'entreprise transférée. La condition est remplie.

 

bb. Deuxièmement, les éléments commerciaux devaient être repris à leur dernière valeur déterminante pour l'impôt sur le revenu. En l'espèce, cette condition est également réalisée puisque l'entreprise B__________ fut transférée pour sa valeur comptable telle qu'elle ressortait de son bilan à la fin du mois de septembre 1992, la convention de transfert ayant fait remonter ses effets au 1er octobre 1992. La condition est également réalisée.

 

cc. Il fallait, en troisième lieu, que l'exploitation se poursuive sans changement après sa transformation. Les parties ne se sont pas déterminées sur ce point; à aucun moment cependant l'intimée n'a allégué qu'un tel changement aurait exclu la réalisation de cette condition.

 

dd. Enfin, il fallait que les participations des actionnaires de la société restent proportionnellement les mêmes. Il a été admis dans la pratique de fixer une limite temporelle de cinq ans au cours de laquelle l'aliénation n'était pas admise et pendant laquelle les conditions de la neutralité fiscale devaient être remplies (RDAF 2000 II 32; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 1998, ch. 2 § 7, N° 60 W; W. RYSER et B. ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, 1994, p. 207). Dans un arrêt S. du 28 décembre 1998, le Tribunal fédéral a précisé que ce dernier critère devait s'apprécier de manière purement objective, dans la mesure où "l'imposition de l'excédent de liquidation pendant le délai de carence trouve son fondement non pas dans un acte constitutif d'impôt éludé, mais dans l'imposition égale de circonstances de fait économiquement comparables. La tentative du contribuable de prouver qu'il a aliéné les actions prématurément pour d'autres raisons que des motifs fiscaux (par exemple en raison de problèmes de santé, qui l'ont contraint à cesser son activité) est de ce fait vouée à l'échec" (RDAF 2000 II 33). En l'espèce, M. P__________ a revendu 150 actions soit la totalité des actions, dont il était resté propriétaire, de la société à laquelle il avait transféré l'entreprise B__________. La vente a eu lieu quelque dix mois après le transfert à la société anonyme des actifs de la raison individuelle. De ce seul fait, la condition mise au maintien de proportions identiques dans les participations sociales n'est pas réalisée. Peu importe notamment que la cause de la cession des 150 actions à H__________ S.A. ait été des difficultés financières liées aux conséquences d'une condamnation pénale; sur ce point, il convient de relever que l'importance des difficultés alléguées n'a nullement été prouvée par le recourant, dont l'endettement est resté stable tout au long des exercices concernés, les remboursements opérés notamment en faveur de la Banque Paribas et de l'UBS n'ayant aucune commune mesure avec le montant de CHF 1'700'000.-- retiré de la vente des 150 actions.

 

d. Peut donc rester ouverte la question de savoir si, bien qu'antérieure à la reprise par D___________ de l'entreprise B__________, la vente en date du 16 décembre 1991 de 100 actions de la société anonyme et celle de 150 actions de cette même société en date du 29 novembre 1992 n'auraient pas également dû être considérées comme faisant obstacle à la neutralité fiscale du transfert de la raison individuelle, dès lors que le prix de vente des actions à cette époque tenait déjà expressément compte du fait que la valeur de la société allait être augmentée de l'apport des actifs de l'entreprise B__________. On en veut pour preuve le fait que ces actions avaient été acquises en 1989 pour un prix par action de CHF 1'000.-- alors que la transaction du 16 décembre 1991 entre M. P__________ et M. F__________, mettant comme une condition de la vente des titres la reprise de l'entreprise B__________ par la société anonyme, stipulait un prix unitaire de CHF 15'000.--. L'ensemble des transactions qui, entre le 16 décembre 1991, alors qu'il en était actionnaire unique, et le 30 mars 1994, a vu M. P__________ revendre le solde de ses actions de la société, apparaît lié à l'intégration de l'entreprise B__________ dans D___________. La décision de l'administration du 11 décembre 1996 tenait effectivement compte de toutes les reventes intervenues.

 

e. Le Tribunal administratif se bornera cependant à constater que la condition de l'exploitation inchangée n'est pas remplie du simple fait de la vente intervenue, moins d'une année après le transfert de l'entreprise B__________, des 150 actions de D___________ cédées le 20 mars 1994 à H__________ S.A.. Le transfert de l'entreprise B__________ à D___________ n'est pas fiscalement neutre; il doit donc être imposé conformément aux articles 88 et ss LCP.

 

4.   L'article 17 LCP dispose que l'impôt est perçu sur la base du revenu réalisé par le contribuable pendant l'année qui précède celle au cours de laquelle l'impôt est exigible. Les déductions admises sur le revenu brut réalisé par les contribuables sont énumérées de manière exhaustive à l'article 21 LCP : en matière de pertes, le fisc ne déduira dudit revenu que les pertes commerciales comptabilisées de l'exercice déterminant selon l'article 17 (let. l) ainsi que les pertes commerciales comptabilisées des trois exercices commerciaux précédant ledit exercice déterminant, pour la part qui n'a pas pu être déduite dans la taxation de l'impôt d'années antérieures (let. m). De jurisprudence constante, un revenu est considéré comme réalisé lorsque le contribuable peut effectivement en disposer, c'est à dire lorsqu'un bien ou une prestation a passé en sa possession ou lorsqu'il a acquis un droit ferme à obtenir un bien ou une prestation, soit en espèces, soit sous forme de l'acquisition d'un droit de créance déterminé (ATF 73 I 140 consid. 8). Il n'est fait exception à ce principe que lorsque le débiteur est insolvable ou qu'il n'est pas disposé à s'acquitter de sa dette. L'imposition n'est alors effectuée qu'au moment de l'exécution de la prestation (DCCR N° 201/96, p. 5).

 

M. P__________ n'a renoncé à sa créance que le 31 août 1995. Il était donc logique que cette modification de la valeur comptable de la société n'ait pas été prise en compte dans la détermination du prix fixé le 30 mars 1994 à l'occasion de la vente des 150 actions à H__________ S.A. L'argument soulevé par le recourant consistant à dire que le montant de la créance à laquelle il a renoncé en 1995 devait être soustrait du montant imposable des réserves latentes ne saurait cependant être admis. Le cas d'espèce ne réalise aucune des hypothèses mentionnées à l'article 21 LCP. En effet, la renonciation litigieuse : est postérieure de plus d'une année à la vente des 150 actions à H__________ S.A.; elle est postérieure de près de 3 ans et n'a aucun rapport direct avec les opération commerciales ayant amené M. P__________ le 1er octobre 1992 à céder l'entreprise B__________ à D___________; elle porte enfin sur une part d'actifs qui, le 31 août 1995, n'était plus liée à une quelconque activité commerciale du recourant, et donc exclue du champ d'application des lettres l et m de l'article 21 LCP.

 

Certes, M. P__________ a, par la suite, indiqué n'avoir renoncé à sa créance que dans le but d'éviter la mise en faillite de D___________. Il n'a cependant apporté aucun élément de preuve à l'appui de la prétendue insolvabilité de la débitrice - il n'a notamment produit aucun bilan de la société - dont il sied de relever que 16 mois plus tôt il estimait encore à quelque CHF 6'800'000.-- la valeur intrinsèque.

 

C'est à bon droit que l'administration n'a pas admis la déduction de l'abandon de créance de CHF 227'782,- dans le calcul du montant des réserves latentes de D___________ soumises à l'impôt.

 

5. Le goodwill avait été fixé par M. P__________ et M. B__________ à CHF 2'265'500.--. Ce montant, qui reste dans l'ordre de grandeur du total des sommes effectivement payées par M. P__________, est admis par les parties.

 

La commission de recours a par ailleurs retenu le chiffre de CHF 1'000'000.- comme estimation des réserves latentes de D___________., avant l'incorporation de la plus-value résultant de l'apport de la raison individuelle à la société anonyme. Pour parvenir à ce résultat, la commission s'est basée sur le prix des actions tel que stipulé sur l'acte produit à la suite de la vente à M. M___________, soit CHF 400'000.- x 4, dont elle a soustrait la valeur nominale des titres, soit CHF 600'000.-. La question de la réalité économique de ce chiffre peut rester ouverte.

 

Par définition, les réserves latentes sont la différence entre la valeur vénale d'une société et sa valeur comptable. La soustraction qui doit être opérée donne, en l'espèce, le résultat suivant :

 

Valeur vénale au 30 mars 1994

(CHF 1'700'000.-- x 4) CHF 6'800'000.--

 

./. valeur nominale du capital

et des réserves CHF 600'000.--

Réserves latentes : CHF 6'200'000.--

 

Valeur vénale de D___________

au 30 octobre 1992

(CHF 400'000.-- x 4) CHF 1'600'000.--

 

./. valeur nominale du capital

et réserves CHF 600'000.--

Réserves latentes : CHF 1'000'000.--

 

 

Entre le 30 octobre 1992 et le 30 mars 1994 les réserves latentes de D___________ se sont ainsi accrues CHF 5'200'000.--. Ce chiffre n'a d'ailleurs pas été contesté par le recourant. En déduisant de ce montant les CHF 2'265'000.-- du goodwill, la valeur des réserves latentes soumises à l'impôt s'établit à CHF 2'935'000.--.

 

6. a. La loi ne précise pas si l'assiette de l'impôt porte sur l'ensemble des réserves latentes, conséquence de l'apport réalisé, ou si seule doit être imposée la part des réserves latentes correspondant proportionnellement aux actions aliénées. Il n'existe pas non plus de réponse claire dans la jurisprudence. Pour la doctrine, dans l'hypothèse d'une vente partielle des titres, on devrait admettre que les réserves ne sont réalisées que proportionnellement, dans la mesure où l'actionnaire en cause conserve néanmoins une participation déterminante dans la société. (X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 1998, § 7, N° 60). Il convient de suivre cette approche dans la mesure où elle est conforme à la logique du système de l'imposition des réserves latentes et de celui de la neutralité fiscale du transfert d'une entreprise individuelle à une société anonyme. En effet, le critère essentiel à l'octroi de la neutralité fiscale d'une telle opération est le fait que l'exploitation se poursuit de manière inchangée. Dans la mesure où l'actionnaire conserve une participation déterminante dans une société, on peut admettre que, pour cette fraction au moins, la condition de l'exploitation sans changement perdure effectivement.

 

b. En l'espèce, M. P__________ qui, jusqu'en décembre 1991, était actionnaire unique de D___________, n'avait plus conservé aucune action dans cette société après que le 30 mars 1994 il eut vendu ses 150 dernier titres à H__________ S.A. Ainsi donc, si la question peut se poser de savoir quel est le niveau de la participation que doit conserver l'actionnaire cédant pour contraindre le fisc à ne procéder qu'à une imposition proportionnelle, il n'en est en revanche pas de même dans le cas du contribuable qui aura revendu l'ensemble de sa participation. Cette solution s'impose d'autant plus au cas d'espèce où, comme le Tribunal administratif l'a déjà relevé plus haut, les transactions qui ont vu M. P__________ revendre progressivement l'ensemble de ses actions de D___________, apparaissent toutes liée à l'intégration dans la société anonyme des actifs de l'entreprise B__________. C'est à juste titre que la commission de recours a fait porter l'assiette de l'imposition sur l'ensemble des réserves latentes réalisées ensuite de l'apport à D___________ des actifs de l'entreprise B__________.

 

c. L'article 90 lettre c LCP fixe à 25 % le taux de l'impôt sur le montant global du bénéfice dû à raison de la transaction intervenue, dès lors que la personne qui l'a aliénée l'a en l'espèce exploitée pendant plus de 4 ans, soit du 2 mars 1988 au 30 septembre 1992. En appliquant ce taux à l'assiette de CHF 2'935'000.--, l'impôt dû s'élève à CHF 733'750.--. Compte tenu de l'absence de reformatio in peius (Revue fiscale 1996 p. 346), la commission de recours ne pouvait dès lors que confirmer le montant initialement fixé par l'administration.

 

7. Le recours sera ainsi rejeté.

 

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 3'000.- sera mis à la charge du recourant.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 10 juillet 2000 par Monsieur P__________ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 22 juin 2000;

 

au fond :

 

le rejette;

 

met à la charge de M. P__________ un émolument de CHF 3'000.-;

 

communique le présent arrêt à Me Vincent Jeanneret, avocat du recourant, à l'administration fiscale cantonale et à la commission cantonale de recours en matière d'impôts.

 


Siégeants : M. Thélin, président, Mme Bonnefemme-Hurni, MM. Schucani, Paychère, juges, M. de Boccard, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj: le vice-président :

C. Goette Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci