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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/925/2000

ATA/68/2001 du 30.01.2001 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : PROFESSION; AGENT DE SECURITE PRIVE; JPT
Normes : CST.27; CES.9 al.1 litt.a
Résumé : Le refus d'autoriser une personne à exercer la profession d'agent lorsqu'elle a été condamnée dans les dix ans précédant la requête, sur la base de l'art.9 al. 1 litt.a du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15), ne viole pas la liberté économique prévue à l'art.27 CST.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 30 janvier 2001

 

 

 

dans la cause

 

G. S.A.

 

et

 

Monsieur M.C.

représenté par Me Jacques Barillon, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE ET DES TRANSPORTS

 



EN FAIT

 

 

1. Après avoir obtenu un certificat fédéral de capacité de vendeur de pièces détachées, Monsieur M. C., né en 1972, s'est orienté vers la profession d'agent de sécurité.

 

2. Par arrêté du 12 mai 1997, le département de justice et police et des transports (ci-après : le département) a autorisé l'agence X S.A. à procéder à l'engagement en qualité d'agent de sécurité de M. C.

 

Celui-ci a cessé toute activité au sein de la société X en mars 2000.

 

3. Le 13 octobre 1996, au petit matin, Monsieur M. O. et Monsieur A. T. se sont rendus dans une discothèque sise à Lausanne. Il s'agissait en fait d'une expédition punitive de M. O. qui avait été passé à tabac par plusieurs individus, dont Monsieur S. K. Aidés par M. C., alors agent de sécurité dans cette discothèque, M. O. et M. T. ont dans un premier temps contraint M. K. à se dévêtir à l'intérieur de l'établissement, puis ils ont emmené Monsieur K. à l'extérieur et l'ont passé à tabac durant une dizaine de minutes. Ils ont ensuite abandonné leur victime, qui saignait abondamment au visage, et qui reposait prostrée dans une alcôve. M. C. n'a pas participé aux événements qui se sont produits à l'extérieur de l'établissement.

 

Le Tribunal correctionnel de Lausanne a considéré que M. C. n'avait pas réagi autrement que par la violence, tant il est vrai que la contrainte s'assimile précisément à une forme de violence. En outre, en choisissant de fonctionner comme agent de sécurité, cet accusé se devait d'assumer son choix et d'agir comme un professionnel. Il a lourdement failli à cette règle.

 

Le 29 octobre 1999, M. C. a été condamnée pour contrainte à deux mois d'emprisonnement avec sursis.

 

4. Le 4 avril 2000, l'entreprise G. SA (ci-après : G.) a déposé auprès du département une requête en vue d'obtenir l'autorisation d'engager M. C. en tant qu'agent de sécurité.

 

5. Par décision du 12 avril 2000, le Bureau des armes du commissariat de police a accordé au G. l'autorisation de pratiquer sur le territoire genevois. Cet accord était valable pour l'engagement du personnel temporaire, dont M. C. faisait partie. Ce personnel pouvait être engagé sur des missions de sécurité, sans arme, dans l'attente de l'entrée en vigueur du concordat intercantonal sur les entreprises de sécurité.

 

Dès l'adhésion formelle du canton de Genève à ce concordat, ce personnel devait requérir une autorisation auprès du département.

Cette décision n'a jamais été contestée.

 

6. Le 24 mai 2000, le G. a sollicité l'autorisation d'engager, en qualité d'agent de sécurité, Monsieur C.

 

7. Par arrêté du 21 juillet 2000, le département a refusé l'autorisation sollicitée par le G. d'engager M. C. en qualité d'agent de sécurité, en raison de la condamnation récente de celui-ci.

 

Le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15; ci-après : le concordat), auquel le canton de Genève a adhéré avec effet au 1er mai 2000, prévoit à son article 9 alinéa 1 lettre c que l'autorisation d'engagement d'un agent de sécurité par une entreprise est subordonnée notamment à la condition que l'agent proposé n'ait pas été condamné, dans les dix ans précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée.

8. Le 17 août 2000, le G. et M. C. ont recouru auprès du Tribunal administratif.

 

Les recourants ont insisté sur le fait qu'aucun reproche, hormis celui qui avait été sanctionné par le jugement rendu par le Tribunal correctionnel le 29 octobre 1999, n'avait jamais pu être formulé à l'encontre de M. C. durant plus de huit années d'activité dans le domaine de la sécurité.

 

S'agissant du jugement lui-même, presque toutes les charges retenues contre M. C. avaient été écartées. Selon le jugement, ".L'acte de contrainte auquel s'était livré cet accusé n'est pas admissible, même s'il peut trouver un début d'explication dans le climat général qui prévalait à l'époque". Aussi, le Tribunal correctionnel avait prononcé une peine privative de liberté "relativement modérée".

 

L'article 9 alinéa 1 lettre c du concordat violait le principe constitutionnel de la proportionnalité en prévoyant une sanction disproportionnée dans la mesure où elle pouvait avoir pour conséquence, suite à un simple écart de conduite, d'empêcher quelqu'un d'exercer une profession et ce, pendant dix ans.

 

L'arrêté du département violait l'article 30 du chapitre VII relatif aux dispositions finales et transitoires du Concordat. A la lumière de cet article, force était d'admettre que, quand bien même M. C. ne remplissait pas les conditions exigées à l'article 9 du concordat, celui-ci avait le droit pendant le délai fixé par l'art. 30, c'est-à-dire pendant 8 mois, d'exercer la profession d'agent de sécurité.

 

L'autorité avait violé le principe de la confiance en adoptant un comportement contradictoire. Le 12 avril 2000, elle avait autorisé le G. à engager M. C. en tant qu'agent de sécurité privé, et le 21 juillet 2000, elle a refusé l'autorisation sollicitée par le G. d'engager M. C. en tant qu'agent de sécurité.

 

A titre préalable, les recourants ont prié le Tribunal administratif de statuer sur requête d'effet suspensif.

 

9. Invité à s'exprimer sur la demande préalable des recourants, le département a conclu à son rejet.

 

Sur le fond, ni l'article 9 alinéa 1 lettre c du Concordat, ni l'article 4 alinéa 2 lettre d de l'ancienne loi sur la profession d'agent de sécurité privé du 15 mars 1985 ( aLASP - I 2 15) n'autorisaient l'engagement d'une personne ayant subi une condamnation telle que celle retenue à l'encontre M. C.

 

En refusant au G. l'autorisation de procéder à l'engagement de M. C., suite à sa condamnation récente pour contrainte, le département a fait une saine application de l'article 9, alinéa 1, lettre c, du concordat et sa décision respecte parfaitement le principe de la proportionnalité.

 

L'article 4, alinéa 2, lettre d de l'ancienne loi sur la profession d'agent de sécurité privé, du 15 mars 1985, n'aurait de toute manière pas permis l'engagement de M. C. par une nouvelle entreprise de sécurité suite à une condamnation pour contrainte.

 

10. Par décision sur mesures provisionnelles du 31 août 2000, le président du Tribunal administratif a rejeté la requête d'effet suspensif.

 

 

 

EN DROIT

 

1 Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 05).

 

2. L'article 27 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (RS 101; ci-après: Cst féd.) garantit la liberté économique en tant que droit fondamental.

 

Le libre accès à une activité économique lucrative privée est l'un des fondements de la liberté économique.

 

3. L'article 36 de la Cst féd. régit la restriction des droits fondamentaux. Une telle restriction suppose que trois conditions soient réalisées:

 

a. Toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi (art. 36 al. 2 Cst féd.).

 

b. Toute restriction d'un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst Féd.).

 

c. Toute restriction d'un droit fondamental doit être proportionnée au but visé.

 

De plus, l'essence des droits fondamentaux est inviolable (art. 36 al. 4 Cst féd.).

 

4. En l'espèce l'article 9 alinéa 1 lit. c du concordat n'autorise l'engagement du personnel que si l'agent de sécurité n'a pas été condamné, dans les dix années précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée.

 

Cet article limite le libre accès à la profession d'agent de sécurité, ce qui constitue une restriction à la garantie de la liberté économique.

 

Il s'agit de déterminer si cette restriction respecte les 3 conditions posées par l'article 36 de la Cst.

 

a. Il faut d'abord que la restriction soit fondée sur une base légale générale et abstraite, qui peut être contenue dans une loi formelle (FF 1997/1 p. 197).

 

Dans le cas concret, la norme critiquée, est l'article 9 al. 1 lit. c du concordat, auquel le Conseil d'Etat a déclaré adhérer le 19 avril 2000, conformément à la loi concernant le concordat sur les entreprises de sécurité du 2 décembre 1999. Approuvé de la sorte, le concordat est une base légale suffisante (P. MOOR, Droit administratif, Berne, 1991, vol. I, p. 336).

 

La restriction à la liberté économique dont se plaint le recourant n'est ainsi pas dépourvue de base légale.

 

b. Il faut encore examiner si la disposition litigieuse repose sur un intérêt public suffisant et prépondérant.

 

En l'espèce, le concordat s'inspire très largement de la loi genevoise sur la profession d'agent de sécurité privé, du 15 mars 1985 (I 2 15; ci-après : la loi), son but est de fixer des règles communes régissant l'activité des entreprises de sécurité et de leurs agents, et d'assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1999/IX, p.9051). En 1985, de l'avis du Conseil d'État genevois, il y a lieu d'admettre que la profession d'agent de sécurité privé, qualifiée quelquefois de profession à hauts risques, peut elle-même présenter, suivant la façon dont elle est exercée, des risques de perturbation de l'ordre public (.). Aussi convient-il de se donner les moyens, autant que possible, de prévenir les abus, par un contrôle de l'accès à la profession d'agent de sécurité privé et par la surveillance de son exercice, et, au besoin, de prendre les mesures répressives adéquates (.). Le but est de protéger l'ordre public (..). La condition d'honorabilité fixée à l'article 3 alinéa 1 lit. d de la loi s'impose (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1983/III, p. 4005 et ss.). Cette condition permet d'atteindre l'intérêt public poursuivi par le législateur d'avoir une police privée respectant l'ordre public.

 

L'article 9 alinéa 1 lit. c du concordat prévoit que l'autorisation d 'engager du personnel n'est accordée que si l'agent de sécurité n'a pas été condamné, dans les dix ans précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d'activité professionnelle envisagée. Cette disposition ne fait que reprendre la condition d'honorabilité fixée par la loi et permettant d'atteindre le but fixé par le législateur.

 

La décision du département fondée sur l'article 9 alinéa 1 lit. c du concordat qui n'autorise pas le recourant à exercer la profession d'agent de sécurité, vu sa condamnation pour contrainte exercée dans le cadre de sa profession d'agent de sécurité, répond à un intérêt public.

c. La restriction doit également respecter le principe de la proportionnalité. Selon ce principe la mesure envisagée doit être propre à atteindre le but recherché, tout en respectant le plus possible la liberté de l'individu, si bien qu'un rapport raisonnable existe entre le résultat recherché et les limites à la liberté nécessaires pour atteindre ce résultat (ATF 102 Ia 522).

 

Pour être considérée comme proportionnelle, une norme, de même qu'une mesure fondée sur celle-ci, doit satisfaire aux trois sous-principes de l'adéquation, de la subsidiarité et de la nécessité (B. KNAPP, Précis de droit administratif, pp. 113 ss).

 

aa. Quand elle permet, dans un cas concret, d'atteindre le but d'intérêt public recherché, la norme est réputée adéquate.

 

En l'espèce, le fait de ne pas autoriser une personne à exercer la profession d'agent de sécurité lorsqu'elle a été condamnée est propre à sauvegarder l'ordre public.

 

Il s'agit donc d'une mesure adéquate pour atteindre le but visé, soit l'ordre public.

 

ab. Le principe de la subsidiarité est respecté lorsque, parmi diverses mesures concevables permettant d'atteindre le but recherché, celle en cause compte parmi celles qui ménagent le plus les intérêts opposés et les autres intérêts publics qui peuvent être affectés par la mesure.

 

In casu, il n'a pas été démontré qu'il existe une autre solution qui soit moins incisive que celle interdisant l'accès aux personnes condamnées pendant les dix dernières années pour une infraction en rapport avec la profession d'agent de sécurité et qui permette d'atteindre le même but.

 

Le motif de refus prévu à l'article 9 alinéa lit. c du concordat respecte donc le sous-principe de la subsidiarité.

 

ac. Enfin, la norme doit respecter le principe de la nécessité. Tel est le cas lorsque les atteintes aux autres intérêts publics et causées par la mesure adéquate et subsidiaire qu'elle instaure ne sont pas si graves qu'il faille renoncer à inclure ladite mesure dans la loi examinée.

 

En l'espèce, les recourants font essentiellement valoir une atteinte à la liberté économique. Or, il apparaît que cette mesure est grave, mais il est impossible de laisser exercer une telle profession à des gens qui ont été condamnés pour des infractions incompatibles avec cette profession. Cette atteinte n'est donc pas si grave qu'il faille renoncer à la prendre. Les recourants n'ont d'ailleurs pas démontré qu'il était impossible pour M. C. de trouver une autre profession.

 

Le principe de la nécessité est donc également respecté.

5. Cette restriction à la liberté économique respecte les conditions fixées à l'article 36 al. 1 de la Cst féd.

 

6. Les recourants allèguent également que la décision du département viole le principe de la bonne foi.

 

En vertu de ce principe, l'autorité qui a fourni des renseignements inexacts est, à certaines conditions, liée par ces renseignements malgré un texte légal contraire (P. MOOR, Droit administratif, 1988, p.360).

 

L'une des conditions est que la législation ne se soit pas modifiée entre le moment où l'autorité a fait ses déclarations ou a eu son comportement et celui où le principe de la bonne foi est invoqué. Cette dernière ne protège, en principe, pas contre les changements de législation car l'administration ne saurait lier le législateur par des promesses ou des assurances (ATF 102 Ia 337; B. KNAPP, op. cit., no 509, p 109).

 

7. En l'espèce, le département n'a jamais autorisé ou promis, ni même laissé croire aux recourants que M. C. pourrait exercer un jour l'activité d'agent de sécurité pour des missions armées; il a délivré une autorisation provisoire, qui n'a d'ailleurs jamais été contestée, d'exercer la profession d'agent de sécurité pour des missions non armées. La promesse de pouvoir exercer un jour la profession d'agent de sécurité pour des missions armées n'a jamais été faite. Le département n'a donc violé à aucun moment le principe de la bonne foi.

 

Même si le département avait avant l'entrée en vigueur du concordat promis ou laissé croire que le recourant pourrait un jour exercer la profession d'agent de sécurité pour des missions armées, il n'était pas lié par de telles promesses ou croyances après l'entrée en vigueur du concordat. En effet, la bonne foi ne protège pas contre les changements de législation, car le département ne saurait lier le législateur genevois par de telles promesses ou assurances.

 

8. Le seul tort du département est d'avoir négligé de faire application de la loi alors en vigueur.

 

Selon l'ancienne loi en effet, l'agent de sécurité privé devait offrir, par ses antécédents et son comportement, toute garantie d'honorabilité, la condamnation précitée de M. C. constituait assurément un motif de refus de l'autorisation d'exercer cette profession. Cette même condamnation constitue également un motif de refus de l'autorisation selon le concordat en vigueur actuellement.

 

Cette négligence du département ne saurait autoriser les recourants à se prévaloir d'une violation du principe de la bonne foi, puisque l'autorisation avait été accordée à titre provisoire.

 

9. En tous points infondé, le recours de M. C. et du G. sera par conséquent rejeté.

 

Reposant sur un concordat qui n'entraîne pas une atteinte illicite à la liberté économique, la décision du département fondée sur l'article 9 al. 1 lit. c du Concordat de ne pas autoriser M. C. à exercer la profession d'agent de sécurité pour des missions armées doit par conséquent être confirmée.

 

10. Vu l'issue du litige un émolument de CHF 1'000.- sera mis conjointement et solidairement à la charge des recourants, qui succombent.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 17 août 2000 par le G. et Monsieur M. C. contre l'arrêté du département de justice et police et des transports du 21 juillet 2000;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge des recourants conjointement et solidairement un émolument de CHF 1'000.-;

communique le présent arrêt à Me Jacques Barillon, avocat de Monsieur M. C., à G., ainsi qu'au département de justice et police et des transports.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le président :

 

C. Goette D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci