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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/5091/2007

ATA/537/2008 du 28.10.2008 ( FIN ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/5091/2007-FIN ATA/537/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 octobre 2008

 

dans la cause

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

 

contre

 

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

 

 

 

et

 

 

 

M. M______

représenté par Me Michel Lambelet, avocat


 


EN FAIT

1. M. M______, domicilié à Genève, né le ______ 1945, exerce une activité salariée en qualité de copilote.

2. Dans sa déclaration fiscale 2002, l'intéressé a mentionné un revenu et une fortune imposables s'élevant respectivement à CHF 25'480.- et CHF 1'136'601.-. Le revenu brut de son activité dépendante s'élevait à CHF 60'000.- auquel s'ajoutaient des revenus mobiliers pour totaliser CHF 81'860.-. Le contribuable avait mentionné sous chiffre 31.00 CHF 41'046.- au titre de déductions liées à l'activité dépendante, à savoir  :

 

Cotisation AVS/AI/APG/Chômage/AANP/Assurance maternité

CHF 5'226.-

Prévoyance 2ème pilier

CHF 4'320.-

Rachat de la prévoyance professionnelle

CHF 30'000.-

Déduction pour frais professionnels ICC

CHF 1'500.-

3. Le 5 juillet 2004, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a établi un bordereau de taxation ICC 2002 au montant de CHF 6'415,75 calculé sur un revenu imposable de CHF 31'441.- et une fortune imposable de CHF 1'136'601.-. Ce faisant, l'AFC avait admis la déduction pour frais professionnels ICC à hauteur de CHF 614.- et non de CHF 1'500.-.

4. Le 21 juillet 2004, M. M______ par l'intermédiaire de son mandataire a élevé réclamation. La déduction du forfait de 3 % pour frais professionnels ICC devait être admise à hauteur de CHF 1'500.-. Elle devait être calculée sur le revenu brut de l'activité dépendante (code 11.00) dont ne devaient être soustraites que les cotisations sociales (code 31.10, soit les cotisations AVS/AI/APG chômage, maternité et 31.12 soit les cotisations à la prévoyance 2ème pilier) sans tenir compte du rachat effectué au sein de son institution de prévoyance (code 31.30) pas plus que des cotisations au 3ème pilier A (code 31.40). Cette dernière hypothèse n’étant pas réalisée en l’espèce. La déduction professionnelle forfaitaire de 3%, plafonnée à CHF 1'500.-, était en effet moindre si le revenu provenant de l'activité dépendante était amputé des cotisations sociales et du rachat auprès de l'institution de prévoyance.

5. Par décision du 3 février 2005, l'AFC a rejeté la réclamation, les frais forfaitaires ayant été calculés conformément à l'article 3 lettre a alinéa 1 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 22 septembre 2000 (LIPP - V - D 3 16). Cette décision ne comportait pas d'autre motivation.

6. Le 2 mars 2005, le contribuable a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : la commission) en reprenant son argumentation. Le mode de procéder de l'AFC et l’article 3 alinéa 1 LIPP-V violaient l'article 9 alinéa 2 lettres d et e de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14)) et le principe de la généralité de l'imposition.

7. L'AFC a conclu au rejet du recours. Les articles 2 LIPP-V et 9 LHID étaient similaires. La fixation des barèmes, des taux et des montants exonérés d'impôt, ainsi que des déductions sociales étaient de la compétence des cantons. Le plafond de CHF 1'500.- n'était pas absolu car le contribuable avait la possibilité de déduire une somme supérieure à ce montant pour autant qu'il établisse par pièces que ses frais effectifs excédaient les CHF 614.- retenus par l'administration. Le principe de la généralité de l'imposition n'était pas violé.

8. Par décision du 12 novembre 2007, la commission a admis le recours en considérant en substance que le système de calcul des frais forfaitaires imposé par l'article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V conduisait à réduire le montant des frais professionnels admissibles pour le contribuable tenu de verser des prestations de prévoyance professionnelle ou des prestations de prévoyance liée. Ce système heurtait le principe de l'égalité de traitement et violait les articles 9 et 127 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). L'article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V auquel se référait l'AFC était contraire au droit fédéral et l'article 9 alinéa 2 lettre d LHID s'appliquait directement, conformément à l'article 72 alinéa 2 LHID.

9. Par acte déposé au greffe le 21 décembre 2007, l'AFC a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif en concluant à son annulation.

10. Le 8 février 2008, le contribuable a conclu au rejet du recours. Subsidiairement, la déduction pour frais professionnels devait se monter à CHF 1'500.-, celle de CHF 614.- étant erronée.

Il dénonçait une erreur de systématique de la loi qui avait été relevée dans le cadre des travaux préparatoires de la LIPP-V, notamment la rédaction de l'article 3 alinéa 1 de cette loi, qui comportait une anomalie : il consacrait en effet une différence dans la déduction pour frais professionnels en fonction d'éventuels versements de rachat à sa caisse de pension ou de versements à sa prévoyance individuelle liée (pilier 3A).

Ainsi, en l’occurrence, le contribuable disposerait d’une déduction forfaitaire pour frais professionnels de CHF 1’500.- s’il n’avait effectué aucun rachat alors que s’il procédait à un tel rachat à hauteur de CHF 30’000.-, la déduction forfaitaire pour frais professionnels serait réduite de CHF 1’500.- à CHF 614.-.

En outre, si le contribuable faisait valoir ses frais effectifs, à savoir CHF 840.- d’abonnement TPG (cf. point 36.60 page 18 du guide 2002 pour remplir la déclaration d’impôt GE 2002), il pourrait déduire davantage que les CHF 614.- retenus par l’AFC.

11. L'AFC a renoncé à répliquer.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. De nouvelles normes fiscales sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001, en application de la LHID. Il s'agit en particulier de la LIPP-V qui a modifié ou abrogé la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05 ; ATA/231/2008 du 20 mai 2008).

La décision querellée concerne la taxation relative à l'ICC 2002, de sorte que le nouveau droit est applicable.

3. La seule question litigieuse consiste à déterminer quel est le revenu devant servir de base au calcul des déductions opérées par le contribuable au titre de frais professionnels.

4. Selon l'article 9 alinéa 1 LHID, "les dépenses nécessaires à l'acquisition du revenu et les déductions générales sont défalquées de l'ensemble des revenus imposables".

Or, le revenu imposable d'une personne exerçant une activité dépendante s'entend du revenu brut après qu'aient été opérées les déductions générales énoncées exhaustivement à l'article 9 alinéas 2 et 3 LHID, parmi lesquelles figurent les primes versées à l'assurance vieillesse et survivants, à l'assurance invalidité, à une institution de la prévoyance professionnelle (litt d) et celles qui l'ont été en vue de l'acquisition de droits contractuels dans des formes reconnues de la prévoyance individuelle liée, jusqu'à concurrence d'un montant déterminé (litt e).

Ces dispositions ont été reprises à l'article 2 lettres a, b et c LIPP-V.

5. L'article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V, relatif aux déductions liées à l'exercice d'une activité lucrative dépendante, prévoit que sont déduits du revenu "les frais professionnels, soit notamment les frais de déplacement, les frais supplémentaires résultant des repas pris hors du domicile, les frais de vêtements spéciaux, fixés forfaitairement à 3 % du revenu de chaque contribuable, correspondant au revenu brut après les déductions prévues à l'article 2, lettres a à c, à concurrence d'un montant minimum de CHF 500.- et d'un maximum de CHF 1'500.-."

6. L'article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V est conforme dans son principe à l'article 9 alinéa 1 LHID. L'article 2 LIPP-V respecte quant à lui l'article 9 alinéa 2 lettre d LHID.

7. M. M______ a toutefois soutenu avec succès devant la commission que "la méthode de calcul prônée par l’article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V, dans la mesure où elle prévoit le calcul des frais professionnels sur le revenu net, après déduction des cotisations versées à l’AVS et aux institutions de prévoyance, aboutit à priver le contribuable d’une déduction totale de ses cotisations de prévoyance professionnelle, ce qui en définitive serait contraire à l’article 9 alinéa 2 LHID et heurterait de ce fait le principe de la force dérogatoire du droit fédéral, dans la mesure où la prise en compte des cotisations de prévoyance pour la détermination du revenu net réduit la déduction pour frais professionnels et que, partant, ces cotisations ne sont pas déductibles à 100 % mais à 97 %. Le même raisonnement s’applique également à la lettre e de l’article 9 alinéa 2 LHID.

Est ainsi mis en cause l’effet indirect de la méthode de détermination des frais professionnels sur l’article 9 alinéa 2 lettre d LHID prévoyant la déduction totale des versements faits au titre de prévoyance professionnelle.

8. Dès lors, et comme le plaide le contribuable, le forfait de 3% varie sensiblement si le revenu sur lequel il est calculé est un revenu brut ou un revenu amputé du montant - qui peut être substantiel - versé, notamment, en vue d'acquérir des droits dans une institution de prévoyance.

9. En droit cantonal, "sont en principe déductibles, tous les frais nécessaires à l'acquisition du revenu. Il s'agit des déductions organiques essentielles des personnes physiques. Les dépenses d'acquisition du revenu sont celles qui sont soit engagées en vue d'obtenir un revenu, ou celles qui sont directement imputables à l'obtention du revenu imposable (ATF 124 II 29)" (Mémorial des séances du Grand Conseil 2000 22/IV 3566 ad article 3 alinéa 1 LIPP-V).

Quant à "l'article 9 alinéa 2 lettre d LHID, il permet la déduction sans limite des versements faits à titre de prévoyance professionnelle de droit impératif, qu'il s'agisse du montant des primes, de rachat ou de tout autre versement fait en vue d'acquérir des droits" (MGC ibid p. 3565).

10. Les cantons ont la compétence de fixer les barèmes, les taux de l'impôt et les montants exonérés d'impôts ainsi que les déductions sociales. En revanche, les déductions générales, soit les déductions de prévoyance et celles liées à l'activité lucrative, ainsi que les exonérations sont prévues de manière exhaustive par la LHID.

11. S'agissant des dépenses professionnelles déductibles, le Conseil d'Etat a proposé de limiter forfaitairement ces déductions, ce qui facilite grandement la tâche de l'administration (MGC id. 3566).

Le contribuable a ainsi le choix entre la défalcation au forfait de ses frais professionnels, plafonnés toutefois à CHF 1'500.-, ou la déduction des frais effectifs, à charge pour lui d'en rapporter la preuve, cette dernière hypothèse n'étant pas en cause.

12. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

S’agissant plus spécialement des travaux préparatoires, bien qu’ils ne soient pas directement déterminants pour l’interprétation et ne lient pas le juge, ils ne sont pas dénués d’intérêt et peuvent s’avérer utiles pour dégager le sens d’une norme. En effet, ils révèlent la volonté du législateur, laquelle demeure, avec les jugements de valeur qui la sous-tendent, un élément décisif dont le juge ne saurait faire abstraction même dans le cadre d’une interprétation téléologique (ATF 119 II 183 consid. 4b p. 186 ; 117 II 494 consid. 6a p. 499). Les travaux préparatoires ne seront toutefois pris en considération que s’ils donnent une réponse claire à une disposition légale ambiguë et qu’ils aient trouvé expression dans le texte de la loi (ATF 124 III 126 consid. 1b p. 129).

13. Les frais professionnels, soit les frais nécessaires à l'acquisition du revenu, ne peuvent ainsi dépendre du fait que le contribuable a racheté des droits dans une institution de prévoyance.

Or, comme le soutient le contribuable et ainsi qu'en a jugé la commission, la méthode de calcul des frais professionnels prévue par l'article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V entre en contradiction avec la déduction, qui doit pouvoir être faite en totalité, des versements effectués au titre de la prévoyance professionnelle conformément à l'article 9 alinéa 2 lettre d LHID, car elle conduit à réduire les frais professionnels admissibles pour le contribuable qui s'acquitte de tels versements.

14. Selon l’article 127 alinéa 2 Cst., dans la mesure où la nature de l'impôt le permet, les principes de l'universalité, de l'égalité de traitement et de la capacité économique doivent, en particulier, être respectés.

15. Le contribuable compare sa situation à celle d'une personne n'ayant pas effectué un rachat auprès de sa caisse de prévoyance. Les deux cas n'étant pas identiques, leur traitement différent ne peut être source d'inégalité de traitement (ATA/434/2008 du 27 août 2008).

16. Le fait que le contribuable soit obligé d'effectuer de tels versements ou qu'il le fasse volontairement, ou le fait que celui qui effectue un rachat soit plus aisé qu'un autre incapable de le faire est irrelevant.

17. Il en résulte que le recours de l'AFC sera rejeté.

La cause lui sera renvoyée pour qu'elle établisse une taxation en tenant compte des frais forfaitaires calculés sur la base de l'article 3 lettre a alinéa 1 LIPP-V sans déduire du revenu à prendre en considération la somme de CHF 30'000.- correspondant au rachat versé à la fondation de prévoyance.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la recourante. Une indemnité de procédure de CHF 2'500.- sera allouée au contribuable, à charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 décembre 2007 par l'administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 12 novembre 2007 ;

 

au fond :

le rejette ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle taxation au sens des considérants :

met à la charge de l’administration fiscale cantonale un émolument de CHF 1’000.- ;

alloue au contribuable, une indemnité de procédure de CHF 2’500.- à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à la commission cantonale de recours en matière d'impôts ainsi qu’à Me Michel Lambelet, avocat de M. M______.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Thélin, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :