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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1160/2003

ATA/5/2004 du 06.01.2004 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : JPT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 6 janvier 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur N. W.

représenté par Me Guy Stanislas, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMISSION D'EXAMENS DES AVOCATS

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur N. W. est titulaire d'une licence en droit délivrée à l'université de Genève. Après avoir accompli un stage de deux ans dans une étude de la place, il s'est présenté à l'examen de fin de stage en vue de l'obtention du brevet d'avocat. Il a échoué à cet examen lors des sessions de mai et de novembre 2002.

 

A la session de mai 2003 (l'examen écrit a eu lieu le 29 avril), il s'est présenté aux mêmes examens pour une troisième et ultime tentative.

 

2. Les modalités de l'examen final sont fixées par une directive de la commission d'examens des avocats (ci-après: la commission) du 1er janvier 2003. Elle prévoit que les candidats se munissent des éditions annotées des codes fédéraux et précise: "Si la solution des questions posées implique le recours à des dispositions légales autres que celles publiées dans les ouvrages précités, les textes utiles sont remis aux candidats au début de la préparation de l'examen".

 

Dans l'épreuve écrite du 29 avril 2003, les candidats devaient identifier les problèmes qui se posaient. Les collaborateurs d'une société commerciale versée dans la vente d'objets confectionnés par des Indiens d'Amérique, avaient quitté celle-ci et fondé une autre société dont la raison sociale et le but étaient quasiment semblables, faisant ainsi concurrence à leur ancien employeur. Ils auraient aussi obtenu le fichier clients en soudoyant d'anciens collègues. De plus, il était aussi question d'un litige de droits d'auteur. Les candidats devaient entreprendre toutes démarches judiciaires utiles en rédigeant le ou les actes nécessaires, puis établir une consultation à l'attention du client relative à divers points de droit.

 

A cet effet, les candidats ont reçu un énoncé et les textes légaux suivants: la loi fédérale du 19 novembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD, RS 241); la loi fédérale du 9 octobre 1992 sur le droit d'auteur et les droits voisins (LDA, RS 231.1), la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ, E 2 05) et la loi de procédure civile du 10 avril 1987 (LPC, E 3 05).

 

La loi cantonale d'application de la LCD, soit la loi sur la concurrence déloyale, les liquidations et opérations analogues et sur les jeux-concours publicitaires du 3 mai 1991 (I 1 10) n'a pas été mise à disposition des candidats. Cette loi détermine notamment l'autorité cantonale qui connaît des litiges résultant de l'application de la loi fédérale, soit en l'occurrence la Cour de justice.

 

3. Le 2 mai 2003, neuf candidats ont écrit à Monsieur Michel Muhlstein, président de la commission, pour se plaindre du fait que ladite loi d'application n'avait pas été mise à disposition, et pour demander qu'il en soit tenu compte lors de la correction des épreuves.

 

Le 15 mai 2003, le président a répondu que les correcteurs avaient décidé de ne pas pénaliser les candidats pour le choix que ces derniers avaient fait de la juridiction compétente en matière de mesures provisionnelles, et qu'ils allaient tenir compte du manque de temps dont les étudiants se plaignaient consécutivement à l'absence du texte légal.

 

4. Le 3 juin 2003, la commission a communiqué à M. W. le résultat de son examen. Il a obtenu les notes suivantes: épreuve écrite (coefficient 2) - 2.00; épreuve orale 1 - 2.50; épreuve orale 2 - 4.50; moyenne des épreuves de procédure et de déontologie - 4.50, soit un total de 15.50. Selon l'article 30 alinéa 2 du règlement d'application de la loi sur la profession d'avocat du 5 juin 2002 (RLPAv - E 6 10.01), l'examen final est réussi si le total des points est égal ou supérieur à 20.

 

La décision précisait que cet échec étant le troisième, il était définitif. Elle indiquait les voies de recours ouvertes. Enfin, une séance de correction collective était annoncée.

 

5. Le 13 juin s'est déroulée la séance de correction collective de l'épreuve écrite, en présence de trois délégués de la commission. A cette occasion, il a été annoncé d'une part que la détermination de l'autorité compétente pour la requête de mesures provisionnelles avait été récompensée par un bonus de 0.25 point - sans pour autant pénaliser les candidats qui n'avaient pas été en mesure de le faire, et d'autre part que les correcteurs avaient fait preuve de mansuétude, voire d'indulgence pour tenir compte du stress supplémentaire possiblement occasionné aux candidats par l'absence de la loi genevoise sur la concurrence déloyale.

 

6. Le 30 juin 2003, le premier secrétaire du Comité du jeune Barreau, Monsieur Fabrizio La Spada, s'est adressé par lettre à Monsieur Muhlstein pour l'informer de la position du Comité du jeune Barreau concernant l'examen de fin de stage. Celui-ci a considéré que, vu le haut niveau de compétence attendu des candidats, il était légitime d'attendre que l'examen se déroule dans des conditions irréprochables et conformes aux exigences légales. Il a également considéré que lorsque l'examen était entaché d'un problème qui perturbait son déroulement de manière significative, il était approprié de donner aux candidats la possibilité de repasser l'épreuve.

 

A propos de l'examen de mai 2003 en particulier, le comité a considéré que les mesures prises par la commission ne permettaient pas de réparer les inégalités créées par l'absence de la loi genevoise.

 

7. Par acte du 7 juillet 2003, M. W. a interjeté recours contre la décision du 3 juin 2003. Il a conclu principalement à l'annulation partielle de la décision précitée et à ce que la commission lui attribue la note d'au moins 4.25 à son examen écrit. Subsidiairement, il a conclu à ce que lui soit octroyée l'autorisation de refaire l'examen écrit.

 

Il a insisté sur le fait que lors de la séance de correction consécutive à l'examen de novembre 2002, les examinateurs avaient insisté auprès des candidats sur l'importance que revêtaient pour eux les questions relatives à la compétence des tribunaux. Or, l'absence de la loi d'application cantonale de la LCD avait engendré un véritable casse-tête procédural qui avait monopolisé une longue période de réflexion. Sur la base des lois fournies, il avait été confronté au dilemme suivant : ou bien il ne traitait que des aspects de concurrence déloyale par une requête en mesures provisionnelles au tribunal de première instance, ou bien il ne traitait que la protection des raisons de commerce, ou encore il rédigeait deux actes. Aucune de ces solutions n'était satisfaisante, puisque l'entier du litige devait être porté devant la Cour de justice. Cette réflexion lui avait fait perdre un temps considérable, à quoi s'ajoutait une forte pression psychologique.

 

M. W. a également protesté contre le fait qu'il manquait une page à son épreuve écrite dont il attribuait implicitement la perte à la commission.

 

Sur le fond, la commission avait violé les principes de l'égalité et de l'arbitraire.

 

8. Dans ses écritures des 5 septembre et 7 novembre 2003, la commission a contesté les griefs avancés par M. W..

 

La loi d'application de la LCD n'était pas indispensable à la résolution du cas. L'analyse du risque de confusion pouvant exister entre deux raisons de commerce pouvait s'effectuer à la seule lumière de l'article 956 du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO - RS 220), disposition qui prévoyait que celui qui subissait un préjudice du fait de l'usage indu d'une raison de commerce pouvait demander au juge d'y mettre fin. Les candidats n'auraient eu aucun problème à déterminer l'autorité compétente pour le dépôt d'une requête de mesures provisionnelles. L'omission de remettre le texte de la loi genevoise n'avait donc eu aucune incidence sur le déroulement de l'examen.

 

Estimant cependant que l'application de la LCD ainsi que de sa loi d'application n'aurait pas été erronée, la commission a décidé non pas de modifier la grille et le barème de correction de l'examen, mais de ne pas pénaliser les candidats qui n'avaient pas été en mesure de déterminer l'autorité compétente, et de faire preuve de générosité dans l'appréciation des prestations, pour tenir compte du stress supplémentaire occasionné par l'absence de la loi d'application de la LCD.

 

S'agissant de la page manquante, la commission a précisé que le risque qu'une page se perde au secrétariat général était pratiquement inexistant. Chaque candidat devait apporter personnellement sa copie. Les pages étaient tenues ensemble par un trombone et les copies étaient directement mises dans un carton. Les épreuves étaient traitées avec beaucoup de précautions par une collaboratrice de toute confiance, habituée à ce genre de travail.

 

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la commission a conclu au rejet du recours.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A LOJ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. En vertu de l'article 31 alinéa 2 RLPAv, le recours peut être formé pour motif d'illégalité ou d'arbitraire. Le recourant soulève plusieurs griefs à l'encontre de la décision attaquée, en premier lieu la violation des dispositions légales déterminant les modalités de l'examen.

 

3. L'article 32 de la loi sur la profession d'avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10) prévoit que l'examen de fin de stage est subi devant une commission d'examens et il renvoie au RLPAv pour l'organisation de la commission et les modalités de l'examen. L'article 21 alinéa 2 RLPAv donne à la commission la compétence de fixer les modalités de l'examen.

 

Le 1er janvier 2003, la commission a adopté des directives réglant notamment les modalités de l'examen final. Il s'agit d'un examen professionnel qui n'a pas pour unique objet de tester les connaissances théoriques des candidats, mais aussi et surtout leurs compétences professionnelles. Les candidats sont donc invités à se placer dans la situation où ils se trouveraient s'ils intervenaient dans une cause réelle.

 

Les directives donnent la liste des ouvrages dont les candidats doivent se munir et précisent que si la solution des questions posées implique le recours à des dispositions légales autres que celles publiées dans les ouvrages mentionnés, les textes utiles seront remis aux candidats au début de la préparation de l'examen.

 

En l'espèce, il s'agit de déterminer si la solution des questions posées à l'examen du 29 avril 2003 impliquait le recours à la loi d'application de la LCD, et quelles sont les conséquences de la non-remise de cette loi aux candidats.

 

4. Selon l'avis de l'autorité intimée, le cas devait être résolu en appliquant les dispositions pertinentes du Code des obligations, mais l'application de dispositions de la LCD, fournie aux candidats, "n'aurait pas été erronée". Il faut conclure de cette appréciation que deux voies juridiques s'offraient aux candidats pour la défense de leur client.

 

Pour l'examen, les candidats disposaient de l'édition "Scyboz & Gilliéron" du CO, laquelle contient également la LCD. Le fait de leur remettre par ailleurs des photocopies de la LCD pouvait donc légitimement être compris comme une invitation à l'utiliser prioritairement pour la résolution du cas.

 

En mentionnant dans la question "les agissements illégaux" auxquels il s'agit de mettre fin, les examinateurs signalent qu'il y a plusieurs problèmes à traiter: celui de la protection de la raison de commerce, certes, mais aussi l'obtention illicite du fichier client et les campagnes publicitaires déjà réalisées ou en voie de l'être. Il n'est pas illogique de penser que ce complexe de faits doit être appréhendé globalement par la législation sur la concurrence déloyale plutôt que par les dispositions du CO concernant les seules raisons de commerce. L'urgence de la situation commandait en outre de préférer les voies, notamment pénales, qu'ouvrait l'application de la loi sur la concurrence déloyale.

 

Enfin, la commission revient à plusieurs reprises sur le fait que l'application de l'une ou l'autre loi aboutit au même résultat, que ce soit sur le fond ou sur le plan de la compétence ratione materiae.

 

A supposer que les deux démarches soient au moins équivalentes, il revient à la commission de s'assurer que les candidats peuvent construire leur raisonnement quelle que soit la solution qu'ils choisissent, ce qui implique de mettre à leur disposition la loi genevoise d'application de la LCD.

 

5. Comme le précisent les directives du 1er janvier 2003, le but de l'examen ne consiste pas tant à tester les connaissances théoriques que les compétences professionnelles des futurs avocats, qui doivent en conséquence rédiger leur examen "comme s'ils intervenaient dans une cause réelle".

 

En situation réelle, les avocats peuvent en tout temps consulter toutes les lois qu'ils jugent nécessaires. En ne donnant qu'une partie des textes légaux utiles, la commission déplace l'objet de l'examen sur les connaissances théoriques des candidats et ne respecte pas le but qu'elle a elle-même assigné à celui-ci.

 

En omettant de fournir aux candidats la loi genevoise d'application de la LCD, la commission a donc violé les directives qu'elle a elle-même émises pour régler les modalités de l'examen de fin de stage. Le grief de violation du droit est donc fondé.

 

6. Selon la jurisprudence, se rapportent à des questions de procédure tous les griefs qui concernent la façon dont l'examen ou son évaluation se sont déroulés (ATF 106 Ia 1, JT 1982 I 227). Un vice de procédure ne justifie cependant l'admission d'un recours et l'annulation ou la réforme de la décision attaquée que s'il existe des indices que ce vice ait pu exercer une influence défavorable sur les résultats de l'examen. Un vice purement objectif ne saurait, faute d'intérêt digne de protection de celui qui s'en prévaut, constituer un motif de recours (décision du Conseil fédéral du 27 mars 1991, in JAAC 56/I, 1992, p. 131).

 

En l'espèce, le vice de procédure a eu diverses conséquences sur les résultats de l'examen. D'abord l'impossibilité de déterminer la juridiction compétente si le candidat choisissait de traiter la question sous l'angle de la LCD. Ensuite, selon le recourant et d'autres candidats, une importante perte de temps qui s'est répercutée sur la résolution des autres questions de l'examen. Enfin, pour un candidat qui, tel le recourant, présentait son ultime tentative, une tension supplémentaire conduisant à la perte de sa concentration et de ses moyens.

 

La commission a reconnu l'influence qu'a pu avoir l'absence du texte légal sur le résultat de l'examen lorsqu'elle a décidé de faire preuve de mansuétude dans la correction "pour tenir compte du stress supplémentaire possiblement occasionné".

 

7. Il reste à déterminer si le vice constaté peut être réparé, notamment en prenant en considération lors de la correction des travaux l'absence de la loi d'application de la LCD.

 

La commission de recours du département fédéral de l'économie publique, statuant sur l'absence, lors d'un examen, du matériel nécessaire à la résolution des problèmes soumis, a considéré qu'il n'était pas possible de déterminer quelle prestation aurait été fournie si le matériel nécessaire avait été distribué. En conséquence, l'examen ne devait pas être évalué, pas même avec un autre barème, et l'étudiant devait pouvoir le refaire (décision de la Rekurskommission EVD du 14 mai 1996, in JAAC 61/I, 1997, p. 336).

 

Cette argumentation est également applicable en la présente cause. Vu les circonstances du cas, il a été retenu que la loi d'application de la LCD était nécessaire à la résolution du cas. Or, il est impossible de déterminer quelles réponses le recourant aurait pu développer s'il n'avait pas perdu son temps et ses moyens à cause de l'absence de ladite loi. Ne pas pénaliser des réponses erronées sur un seul aspect de l'examen ne suffit pas. De même, faire preuve de mansuétude, voire de générosité, ne prend pas en considération le fait que l'ensemble de la prestation du candidat, c'est-à-dire l'élaboration du raisonnement juridique dans sa totalité, a pâti des circonstances dans lesquelles s'est déroulé l'examen.

 

Les mesures prises par la commission ne permettent donc pas de réparer le vice de procédure constaté. Pour les mêmes raisons, il n'est pas possible au tribunal de céans de substituer une autre note au recourant que celle que lui a fixée la commission. Le seul remède possible consiste à refaire l'examen écrit.

 

8. Au vu de l'issue du litige, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés par le recourant, notamment celui concernant la page manquante.

 

Le recours sera ainsi partiellement admis. La décision de la commission d'examens des avocats sera annulée. Les examens oraux n'étant contestés ni dans leur déroulement, ni dans leurs résultats, il n'y a pas de motifs justifiant d'autoriser le recourant à les représenter. Ce dernier sera donc autorisé à repasser l'épreuve écrite de l'examen de fin de stage lors de l'une des prochaines sessions.

 

9. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée au recourant à charge de l'intimée (87 LPA) .

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 7 juillet 2003 par Monsieur N. W. contre la décision de la commission d'examens des avocats du 3 juin 2003;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

annule la décision de la commission d'examens des avocats du 3 juin 2003 en tant qu'elle concerne le résultat de l'épreuve écrite de l'examen de fin de stage;

 

autorise le recourant à se représenter à l'épreuve écrite de l'examen de fin de stage lors d'une prochaine session;

 

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à charge de l'intimée;

communique le présent arrêt à Me Guy Stanislas, avocat du recourant, ainsi qu'à la commission d'examens des avocats.

 


Siégeants : M. Thélin, président, M. Schucani, Mme Bonnefemme-Hurni, juges, MM. Hottelier, Grant, juges suppléants.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le président :

 

M. Tonossi Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

N. Mega