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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4051/2018

ATA/438/2019 du 16.04.2019 ( AMENAG ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR;VOISIN;CONSTRUCTION ET INSTALLATION;PROTECTION DES MONUMENTS;PROCÉDURE DE CLASSEMENT
Normes : LPA.4; LPA.7; LPA.60; LPMNS.7
Résumé : Demande de mise à l’inventaire d’un immeuble par des voisins. Recours contre le courrier de l’office des patrimoines et sites les informant qu’aucune suite ne sera donnée à leur requête. L’art 7 LPMNS est une lex specialis par rapport aux art. 7 et 60 LPA. Seules les communes du lieu de situation ainsi que certaines associations d’importance cantonale ont le droit de recevoir une décision et donc de recourir contre celle-ci lorsqu’elles demandent à l’autorité d’inscrire un immeuble à l’inventaire. In casu le courrier n’est pas une décision et le recours est irrecevable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4051/2018-AMENAG ATA/438/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 avril 2019

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______
représentés par Me Paul Hanna, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OPS

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est propriétaire d'un appartement sis B______ à ______. Il y vit avec Madame A______ (ci-après : les voisins).

2) Le bâtiment sis C______ (ci-après : le bâtiment) est l'ancienne manufacture de cadrans D______.

3) Par arrêté du 16 juin 2016, le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : le département ou le DT), a refusé la mise à l'inventaire du bâtiment.

4) Des requêtes en autorisation de construire et de démolir le bâtiment ont été déposées le 23 novembre 2017. L'instruction est en cours.

5) Le 12 octobre 2018, les voisins ont sollicité la mise à l'inventaire du bâtiment.

6) Le 18 octobre 2018, l'office des patrimoines et des sites (ci-après : OPS) a informé les voisins qu'il n'entendait pas donner suite à leur requête. L'arrêté du 16 juin 2016 était en force. Les particuliers n'avaient pas qualité pour agir ou exiger une reconsidération de la décision prise.

7) Par acte du 19 novembre 2018, les voisins ont recouru contre la « décision » de l'OPS auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Ils ont conclu à l'annulation de la décision de l'OPS et à ce qu'il soit ordonné au DT d'instruire la demande de mise à l'inventaire. Ils ont sollicité des mesures provisionnelles. La décision de démolir (M 1______) devait intervenir très prochainement, risquant de rendre le recours sans objet. L'instruction de la requête en démolition devait être suspendue. L'art. 7 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976
(LPMNS - L 4 05) relatif à la qualité de partie avait été violé et un déni de justice formel commis par le département.

Des conclusions subsidiaires portaient sur la demande de mise à l'inventaire des façades des mêmes bâtiments. Plus subsidiairement, il devait être constaté que la passivité du département constituait une violation de l'art. 7 LPMNS.

Ils développaient le contexte administratif, citant notamment des exemples d'arrêtés admettant la mise à l'inventaire d'immeubles proches.

C'était à tort que l'OPS avait considéré qu'ils n'avaient pas la qualité pour agir dans le cadre de la procédure non contentieuse en inscription d'un bâtiment à l'inventaire. La loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
(LPA - E 5 10) avait abandonné la différence entre la qualité de partie dans les procédures administratives contentieuses et non contentieuses. L'art. 7 LPA résumait l'art. 60 LPA. L'art. 7 al. 1 LPMNS conférait la qualité de partie à la commune du lieu de situation de l'immeuble en cause ou aux associations en sus de la définition de la qualité de partie de l'art. 7 LPA. La qualité de partie à la procédure des voisins devait être examinée au regard de l'art. 7 LPA. Ils avaient un intérêt digne de protection à participer à la procédure et à faire valoir leurs arguments. Propriétaires d'un appartement dans l'immeuble séparé de quelques mètres seulement du bâtiment dont la protection était demandée, les voisins se trouvaient, avec l'objet de la procédure, dans un rapport suffisamment étroit, spécial et digne d'être pris en considération. Ils étaient touchés dans une mesure et avec une intensité plus grande que l'ensemble des administrés. Enfin, l'intérêt était actuel dans la mesure où l'autorisation de démolir était en cours d'instruction.

Ils détaillaient les éléments nouveaux justifiant que la demande doive être admise, indépendamment de la question de savoir s'il s'agissait d'une demande de reconsidération ou d'une nouvelle demande.

Subsidiairement, ils invoquaient l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), garantissant à toute personne le droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire.

Enfin, l'autorité avait adopté une attitude contraire à l'art. 7 al. 1 LPMNS en restant passive et en n'entreprenant aucune démarche pour protéger l'usine Stern en danger de démolition.

8) Le DT s'est opposé au prononcé de mesures provisionnelles.

9) Les recourants n'ayant pas répliqué dans le délai qui leur avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur mesures provisionnelles.

10) Par décision du 20 décembre 2018, la présidence de la chambre administrative a refusé d'ordonner les mesures provisionnelles.

11) Au fond, l'OPS a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

12) Les voisins n'ont pas répliqué dans le délai qu'il leur avait été accordé.

13) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. À teneur de l'art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit traitée équitablement. Une autorité est tenue de traiter une requête qui lui est adressée et ne saurait garder le silence à propos d'une demande qui exige une décision. Le principe vaut pour toutes les requêtes, même celles qui ne revêtent pas la forme prescrite. Il existe donc un droit d'obtenir une décision par lequel l'autorité explique qu'elle justifie la position qu'elle entend adopter (Andrea AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 2ème éd., 2006, n. 1220 et 1221, p. 570).

b. Au sens de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c). Les décisions doivent être désignées comme telles, motivées et signées, et indiquer les voies et délais de recours (art. 46 al. 1 LPA) ; elles sont notifiées aux parties, le cas échéant à leur domicile élu auprès de leur mandataire, par écrit (art. 46 al. 2 LPA).

c. En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021). Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2 ; ATA/1502/2017 du 21 novembre 2017 consid. 3b). Ce n'est pas la forme de l'acte qui est déterminante, mais son contenu et ses effets (ATA/185/2019 du 26 février 2019 consid. 1b et les références citées).

3) a. Selon l'art. 7 LPMNS, l'autorité compétente dresse un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4 de cette loi. Si une demande d'inscription à l'inventaire est faite sous forme d'une requête motivée par la commune du lieu de situation de l'immeuble en cause ou par une association d'importance cantonale et active depuis plus de trois ans qui, aux termes de ses statuts, se voue par pur idéal à l'étude de questions relatives à l'aménagement du territoire, à la protection de l'environnement ou à la protection des monuments, de la nature ou des sites, l'autorité compétente pour dresser l'inventaire est tenue de statuer par une décision motivée (al. 1).

b. Lorsqu'une procédure de mise à l'inventaire est ouverte, le propriétaire en est informé personnellement (al. 3).

Le département doit alors rendre sa décision dix-huit mois au plus tard après cette ouverture et la procédure doit être menée avec diligence. En cas de dépassement du délai, un recours pour déni de justice peut être déposé auprès de la chambre administrative par le propriétaire, la commune du lieu de situation ou l'auteur de la demande de mise à l'inventaire (al. 4).

Si l'autorité chargée d'instruire la demande de mise à l'inventaire conclut à son rejet, elle est tenue d'examiner l'opportunité d'une autre mesure de protection éventuelle, telle que le classement, le classement partiel ou l'adoption d'un plan de site et, le cas échéant, de soumettre la proposition au Conseil d'État pour décision (al. 6).

c. L'art. 9 LPMNS règle les effets d'une inscription à l'inventaire. Les immeubles concernés doivent être maintenus et leurs éléments dignes d'intérêt préservés (al. 1). Lorsque le propriétaire désire effectuer des travaux, il doit annoncer son intention à l'OPS (al. 2), lequel dispose alors d'un délai de trois mois pour ouvrir une procédure de classement, délai au cours duquel les travaux en question ne peuvent être effectués (al. 3). Si aucune procédure de classement n'est ouverte au terme du délai, les travaux projetés peuvent être réalisés, pour autant qu'une autorisation de construire ait été délivrée ou ne soit pas nécessaire (al. 4).

4) Selon le texte clair de la LPMNS, seule la commune du lieu de situation ainsi que les associations d'importance cantonale répondant à un certain nombre d'exigences ont le droit de recevoir une décision - et en conséquence de recourir contre celle-ci - lorsqu'elles demandent à l'autorité d'inscrire un immeuble à l'inventaire (ATA/491/2013 du 30 juillet 2013 consid. 4).

En l'espèce, les recourants ne sont que voisins du bâtiment dont ils ont sollicité de l'OPS l'inscription à l'inventaire. Les considérants qui précèdent valent en conséquence dans leur situation.

Il ressort aussi de ce qui précède que l'art. 7 LPMNS est une lex specialis par rapport aux dispositions de la loi de procédure administrative genevoise, notamment ses art. 7 et 60.

Dans ces conditions, les recourants n'ont pas droit d'obtenir une décision. Le courrier litigieux du 18 octobre 2018 de la directrice de l'OPS ne revêt pas le caractère d'une décision au sens de l'art. 4 LPA.

Le raisonnement est identique si la demande des voisins devait être considérée comme une demande de reconsidération de l'arrêté départemental du 16 juin 2016 refusant la mise à l'inventaire du bâtiment n° A ______ et la parcelle n° ______.

5) Au vu de ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable. Un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée
(art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 19 novembre 2018 par Madame et Monsieur A______ contre la correspondance du 18 octobre 2018 de l'office des patrimoine et des sites ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de Madame et Monsieur A______, pris conjointement et solidairement ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Paul Hanna, avocat des recourants, ainsi qu'au département du territoire, soit pour lui l'office des patrimoines et sites.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mmes Krauskopf et Junod, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :