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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1102/2001

ATA/317/2002 du 04.06.2002 ( JPT ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.07.2002, rendu le 03.09.2002, REJETE, 2P.155/02
En fait

RÉPUBLIQUE ET

 

CANTON DE GENÈVE

 

ARRÊT

DU

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

2ème section

du 4 juin 2002

dans la cause

 

 

 

Monsieur R. V.

représenté par Me David Bitton, avocat

 

 

contre

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A/1102/2001-JPT


EN FAIT

 

 

Monsieur R. V. est né en 1934 en Italie.

 

Il a exploité des services de taxis dans le canton de Genève de la manière suivante. Le 13 mars 1967, il a été autorisé à exploiter un service de taxis sous le numéro de plaques GE … Le 23 juillet 1970, il s’est vu autoriser à faire immatriculer un second véhicule taxi, sous le numéro de plaques GE ..., immatriculation qu’il a cédée en 1974. Le 12 novembre 1980, il s’est vu autoriser à exploiter à nouveau un second permis de stationnement sous le n°GE .... Le 17 décembre 1992, l’autorité compétente a encore autorisé la reprise de l’immatriculation n°GE ....

 

Le 23 mars 1999, un tiers, M. D. Ve., a demandé un permis de stationnement selon l’article 3 de la loi sur les services de taxis du 14 septembre 1979 (aLst – H 1 30). Il a soutenu exercer la profession de chauffeur de taxis de manière indépendante et n’être que formellement l’employé de M. V..

 

À la suite de cette demande, la brigade transport et environnement (ci-après : la BTE) de la gendarmerie genevoise a mené une enquête. Le véhicule conduit par le dénommé Ve. avait été acheté par ce dernier à un tiers. Il avait d’ailleurs pu le prouver au moyen d’un contrat de vente. Quant à M. V., il pouvait prouver qu’il payait les cotisations sociales et d’autres frais, mais cela ne signifiait pas pour autant que les sommes nécessaires n’étaient pas remises par les chauffeurs de taxis concernés. M. Ve. soutenait verser un montant fixe de CHF 900.— à M. V. pour la location des plaques. Il payait encore pour les réparations de sa propre voiture et il donnait à M. V. les sommes nécessaires pour le paiement de diverses charges sociales ainsi que pour l’abonnement à la centrale d’appels.

 

Le 20 décembre 2000, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS ; auparavant le département de justice et police et des transports) a reproché à M. V. de se livrer à la location de plaques. Un retrait du permis de stationnement considéré était envisagé et l’intéressé était invité à se déterminer.

 

Le 12 janvier 2001, M. V. a soutenu qu’il s’acquittait de tous les frais dont un employeur était redevable. Il n’avait pas loué de plaques.

 

Le 21 février 2001, la brigade de sécurité routière (ci-après : le BSR) a dressé un nouveau rapport. M. V. travaillait à la fois comme chauffeur de taxis indépendant et comme patron d’une entreprise de taxis. Il était le détenteur de trois jeux de plaques et utilisait quatre véhicules, dont deux étaient en fait la propriété de ses chauffeurs. Ces chauffeurs propriétaires payaient eux-mêmes l’entretien de leur voiture et les assurances et ils restituaient à M. V. CHF 100.— par jour ainsi que CHF 0,40 par kilomètre.

 

Le 12 mars 2001, le DJPS a invité M. V. à déposer diverses pièces.

 

Le 20 mars 2001, M. V. déposa une série de pièces dont les décomptes établis par les chauffeurs, les relevés pour la caisse cantonale genevoise de compensation et des certificats d’assurance au sens de la loi sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP – RS 831.40) ainsi que de la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20). Il était déposé encore des pièces ayant trait aux assurances responsabilité civile du véhicule GE ... et ....

 

Le 30 avril 2001, le DJPS a requis encore d’autres pièces.

 

Le 20 juin 2001, le conseil du dénommé Ve. a produit une lettre qu’il avait reçue de celui de M. V. qui lui réclamait la somme mensuelle de CHF 2'700.— en échange de la mise à disposition d’une plaque d’immatriculation. L’existence d’un contrat de location était ainsi établie.

 

Le 29 août 2001, les parties ont été entendues par le secrétaire adjoint du DJPS et un avocat, conseil de cette autorité ( !). MM. V. et Ve. ont convenu que le taxi conduit par le dernier nommé était bien sa propriété. Il ressort encore du procès-verbal que M. Ve. versait en main de M. V. le montant de la TVA, celui de l’AVS (les deux parts), de la LPP (les deux parts), des allocations familiales, un montant de CHF 900.— pour la location des plaques, l’abonnement à la centrale taxi-phone, la prime d’assurance RC, les frais de la société A. et un montant fixe pour les frais administratifs. M. V. a reconnu par ailleurs que le véhicule était à son nom aux yeux du service des automobiles et de la navigation (ci-après : le SAN) alors qu’il n’en était pas le propriétaire et que pour la même raison, son nom apparaissait dans le cadre du contrat d’assurance responsabilité civile.

 

Après avoir donné aux conseils des deux chauffeurs l’occasion de s’exprimer une dernière fois, le DJPS a rendu une décision à l’égard de M. V. en date du 2 octobre 2001.

 

Entre 1967 et 1992, M. V. avait été autorisé à exploiter quatre permis de stationnement, dont un qu’il avait transféré à un tiers. Ces autorisations étaient rigoureusement personnelles et intransmissibles. L’enquête avait établi que M. V., âgé de 65 ans, prétendait continuer à exploiter un service de taxis comprenant plusieurs véhicules dont deux appartenant à ses chauffeurs, ce qu’il niait au début de l’enquête. De surcroît, ces derniers organisaient leur travail comme bon leur semblait et ne le rencontraient qu’une fois par mois. La rémunération convenue comportait notamment un montant de CHF 900.— pour la location des plaques en violation de l’article 36 alinéa premier du règlement d’exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (RLST – H 1 30.01). M. V. se voyait dès lors infliger une amende de CHF 5'000.— et il devait restituer les trois plaques numéros GE ..., ... et ... au SAN.

 

Par un recours daté du 2 novembre 2001, M. V. s’est opposé à la décision précitée. Il a conclu à son annulation avec suite de frais et dépens au motif qu’elle ferait fi d’une pratique tolérée par le département, qu’elle violerait le principe de la bonne foi et celui de la proportionnalité ainsi que celui d’être entendu. M. V. a produit diverses pièces, dont les contrats d’assurance RC concernant les véhicules immatriculés sous les numéros GE ..., ... et ....

 

Le 3 décembre 2001, le DJPS a répondu au recours. L’intéressé avait reconnu que les véhicules conduits par MM. Ve. et K., un autre chauffeur, étaient la propriété de ceux-ci. Les paiements faits par le chauffeur concerné à M. V. comportaient notamment les deux parts des assurances sociales comme l’AVS et la LPP ainsi que les allocations familiales et un montant forfaitaire pour la location des plaques. Le législateur avait voulu réintroduire la notion de numerus clausus en matière de permis de stationnement et il fallait dès lors revenir aux arrêts rendus par le Tribunal administratif en la matière le 25 septembre 1985 et le 21 octobre 1987 notamment qui prohibaient la location de plaques et avaient dès lors confirmé la saisie opérée par les autorités administratives. La location de plaques était clairement établie et il convenait de rejeter le recours.

 

Le 25 janvier 2002, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle.

 

M. V. a exposé qu’une procédure prud’homale l’opposant à M. Ve. était en cours. Le contrat qu’il produisait était un contrat type qu’il remettait à tous ses employés. Le salaire était fixé en fonction de la recette. Les chauffeurs étaient « indépendants » et il ne pouvait les obliger à venir travailler s’ils voulaient prendre congé. Il n’y avait pas de planning des jours de travail, le tout reposant sur la confiance. Le recourant a exposé ensuite le système de remboursement des frais, le salaire déclaré étant sans relation avec la recette. Le recourant a admis par ailleurs que le véhicule utilisé par M. Ve. était bien la propriété de ce dernier et qu’un autre chauffeur était dans le même cas. Quant au troisième véhicule immatriculé à son nom, il était bien sa propriété. Il considérait qu’il payait les cotisations sociales mais admettait que le chauffeur supportait le risque économique, comme un courtier dont le salaire de base serait faible et qui serait rémunéré par des primes.

 

Le représentant du DJPS a fait observer que les explications fournies par le recourant quant au système de rémunération des chauffeurs différaient de celles qu’il avait présentées le 29 août 2001 à ce département. La question de la propriété des véhicules n’était par ailleurs pas la seule qui avait servi à fonder la décision litigieuse.

 

Les parties ont enfin été informées que le tribunal demanderait l’apport de la procédure civile opposant M. V. à M. Ve..

 

Le 28 janvier 2002, le greffe du tribunal a informé les parties que le dossier de la procédure pendante devant la juridiction des Prud’hommes avait été déposée au greffe.

 

Il ressort de ce dossier que par lettre du 28 mars 2001, M. V. avait licencié M. Ve. pour la fin du mois de mai 2001 et qu’ils étaient en litige à propos d’un solde dont M. V. réclamait le paiement à M. Ve., raison pour laquelle le premier nommé avait saisi la juridiction des Prud’hommes.

 

Par jugement du 19 octobre 2001, le Tribunal des Prud’hommes a admis l’exception d’incompétence soulevée par M. Ve. et s’est déclaré incompétent à raison de la matière pour juger de la demande déposée par M. V..

 

Il ressort encore du dossier que le 2 janvier 2002, M. V. a appelé de ce jugement.

 

Dans le délai qui avait été imparti au deux parties, le DJPS s’est déterminé sur la teneur du dossier de la juridiction des Prud’hommes. M. Ve. était entièrement libre de l’organisation de son temps de travail, sa rémunération dépendait exclusivement de ce qu’il décidait - a posteriori – de faire figurer sur sa « fiche de paie », il devait verser à M. V. un montant forfaitaire pour la location des plaques et d’autres sommes, alors que le dernier nommé n’exerçait aucun contrôle sur l’activité du chauffeur et ne lui donnait aucune instruction.

 

M. V. ne s’est pas déterminé.

 

Le 12 février 2002, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

Le Tribunal administratif examine librement et avec un plein pouvoir la recevabilité des recours qui lui sont soumis.

 

Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente au sens de l’article 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ – E 2 05 ; ATA du A. du 15 janvier 2002). Il est recevable.

 

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur les services de taxis du 26 mars 1999 (LST – H 1 30), l’exploitation d’un service de taxis sous la forme d’une entreprise a un caractère strictement personnel et intransmissible (art. 6 LST). L’exploitant d’un tel service a notamment l’obligation d’informer sans délai l’autorité compétente de tous les faits qui peuvent affecter les conditions de l’autorisation (art. 17 LST). Il doit veiller au respect par ses chauffeurs des dispositions fédérales de la LST et de ses dispositions d’application et doit également tenir à jour une documentation complète concernant son personnel et satisfaire à ses obligations d’employeur (art. 22 LST)

 

Il convient enfin de garder présent à l’esprit que selon la LST, actuellement en vigueur, le nombre de permis de stationnement est limité grâce à une délégation de compétence du Grand Conseil au Conseil d’Etat, prévue par l’article 9 de cette loi.

 

L’autorité publique est dès lors fondée à considérer que toute forme d’organisation d’une entreprise de taxis, visant à contourner le système du numerus clausus, n’est pas conforme à la loi. Comme le nombre de permis de stationnement est limité et que l’institution d’une liste d’attente est prévue, l’intérêt public à la répression du « prêt » des permis de stationnement l’emporte sur l’intérêt privé au maintien de l’activité d’une entreprise de taxis, lorsque celle-ci ne respecte pas les conditions légales.

 

En l’espèce, tant les enquêtes diligentées par le DJPS, soit sous forme d’enquêtes de police proprement dites, soit sous forme de comparution personnelle des parties, que l’instruction menée par le tribunal de céans et la conclusion à laquelle est parvenue le Tribunal des Prud’hommes concordent. La relation qui unissait le recourant à ses chauffeurs ne saurait être qualifiée de relation de travail au sens des dispositions pertinentes du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO - RS 220). Le lien de subordination faisait totalement défaut, les chauffeurs étant libres d’organiser leur temps de travail comme ils l’entendaient. Quant au risque économique, il reposait très largement sur les épaules de ce dernier qui devait verser au recourant un montant fixe pour la location des plaques minéralogiques donnant droit au stationnement ainsi qu’un pourcentage de leurs recettes fictives, sommes destinées à s’acquitter des deux parts des assurances sociales, tant celle à la charge de l’employeur que celle à la charge de l’employé.

 

De surcroît, le fait même que les chauffeurs ne rencontrent le recourant qu’une fois par mois, ne permettait pas à ce dernier de respecter ses obligations et de contrôler notamment le temps de travail des chauffeurs, qu’il considère comme membres de son personnel au regard de la législation fédérale pertinente.

 

Il y a donc lieu de considérer qu’il y avait bien location de plaques, procédé expressément prohibé par l’article 11 de la LST. Le département était dès lors fondé à retirer ses trois plaques minéralogiques à l’intéressé, dès lors que les procédés auxquels il avait recours étaient dûment prohibés par la loi et en constituaient une violation crasse. Il n’y avait aucune autre mesure moins incisive qui soit proportionnée. En particulier, le retrait d’une partie seulement des permis de stationnement aurait constitué une violation du principe de l’adéquation, une telle mesure n’étant pas propre à faire cesser les manquements constatés.

 

S’agissant du montant de l’amende, arrêté à CHF 5'000.— par l’autorité administrative, il est modeste au regard de l’article 31 alinéa premier LST qui prévoit un maximum de CHF 20'000.—, considérant la gravité des violations de la loi qui ont été établies.

 

Entièrement mal fondé, le recours doit être rejeté. Son auteur, qui succombe, sera condamné aux frais de la procédure arrêtés en l’espèce à CHF 1'500.—.

 

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal administratif

à la forme :

déclare recevable le recours déposé par M. R. V. le 23 novembre 2001 contre la décision du département de justice, police et sécurité du 2 octobre 2001 ;

 

au fond :

 

 le rejette;

condamne le recourant à un émolument de CHF 1'500.—;

 

communique le présent arrêt à Me David Bitton, avocat du recourant ainsi qu’au département de justice, police et sécurité.

 


 

 

Siégeants : M. Paychère, président, M. Thélin et Mme Bonnefemme-Hurni, juges

 

 

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiqué aux parties.

 

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci