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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/142/2020

ATA/313/2021 du 09.03.2021 sur JTAPI/1123/2020 ( LCI )

Parties : SOCIETE PRIVEE DE GERANCE SA / COMMUNE DE VERSOIX, FONDS INTERCOMMUNAL D'ÉQUIPEMENT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/142/2020-LCI ATA/313/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 mars 2021

3ème section

 

dans la cause

 

SOCIÉTÉ PRIVÉE DE GÉRANCE SA
représentée par Me Julien Blanc, avocat

contre

FONDS INTERCOMMUNAL D'ÉQUIPEMENT
représenté par Me Alain Maunoir, avocat

et

COMMUNE DE VERSOIX, appelée en cause

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 décembre 2020 (JTAPI/1123/2020)


EN FAIT

1) La Société Privée de Gérance SA (ci-après : SPG) a déposé une demande d'autorisation de construire le 16 juin 2004 portant sur la réalisation de cinq immeubles de logement sur les parcelles nos 6'870, 6'871 et 6'873 de la commune de Versoix (ci-après : la commune) auprès du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, devenu depuis lors le département du territoire (ci-après : le département) (DD 99'250).

Ces parcelles se situaient en zone de développement 4A et étaient inclues dans le plan localisé de quartier n° 29'196 (ci-après : PLQ) adopté par le Conseil d'État le 4 février 2002.

2) Le 8 octobre 2004, le département a établi un document intitulé « Conditions d'application des normes de la zone de développement », lequel a été signé le 15 octobre 2004 par la SPG.

Le montant de la taxe d'équipement prévu s'élevait à CHF 165'760.-.

3) Par arrêté du 17 novembre 2004, le Conseil d'État a approuvé la délibération du Conseil municipal de Versoix du 20 septembre 2004 concernant le crédit de CHF 930'000.- destiné à la réalisation et au réaménagement du Mail Voltaire, de l'avenue Choiseul et du chemin Pré-Colomb dans le quartier de Versoix-la-Ville.

4) Par arrêté du 16 février 2005, le Conseil d'État a autorisé l'application des normes de la 4ème zone A aux bâtiments de la DD 99'250, se référant au rapport du 8 octobre 2004, lequel faisait partie intégrante de l'arrêté.

5) La SPG a obtenu, le 21 mars 2005, l'autorisation de construire sollicitée.

6) Le même jour, le département a adressé à la SPG une facture n° 167'718 d'un montant de CHF 165'760.- concernant la taxe d'équipement public en lien avec la DD 99'250.

Cette facture indiquait qu'elle était payable dans les trente jours.

7) Par courrier du 23 juin 2005, la SPG a indiqué au département qu'elle n'entendait pas s'acquitter pour le moment de la taxe, celle-ci n'étant pas exigible.

8) Le 21 mars 2008, le département a délivré à la SPG une autorisation de construire complémentaire DD 99'250/2.

9) Le 18 juin 2008, le Conseil d'État a approuvé, par arrêté, le crédit de CHF 900'000.- voté par le Conseil municipal de Versoix le 20 septembre 2004 destiné aux travaux de réaménagement de l'avenue du Choiseul et du quartier de Versoix-la-Ville (2ème étape).

10) Par courriel du 18 septembre 2012, le département s'est adressé à la SPG concernant la taxe d'équipement qui n'avait pas été payée.

11) La SPG a répondu, le 26 septembre 2012, qu'elle estimait que la taxe n'était pas due. Le Conseil d'État avait rendu son arrêté définitif sur l'opération immobilière le 19 mai 2010, soldant les comptes de la promotion.

12) Le 21 décembre 2012, le département a adressé à la SPG une sommation concernant cette taxe d'équipement de CHF 165'760.-.

13) Par courrier du 4 janvier 2013, la SPG a indiqué maintenir sa position. La taxe n'était pas due et le département devait lever la sommation et clôturer le dossier.

14) Le 19 février 2014, le département a adressé à la SPG une nouvelle facture concernant la taxe d'équipement en lien avec la DD 99'250 (facture n° 111-413000081-186127 du 31 décembre 2013). Elle indiquait comme condition de payement un délai de deux ans « à compter de la date du dépôt de la demande ».

Cette facture précisait que, valant décision administrative, elle pouvait faire l'objet d'un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) dans un délai de trente jours.

15) La SPG a informé le département, le 19 mars 2014, qu'elle maintenait sa position quant au fait que cette taxe n'était pas due.

16) Le 22 novembre 2019, le Fond intercommunal d'équipement (ci-après : FIE) a adressé à la SPG un courrier lui demandant de s'acquitter du montant de la taxe d'équipement de CHF 165'760.-. Une facture n° 201900043/0 contenant un bulletin de versement était jointe, laquelle indiquait que, valant décision administrative, elle pouvait faire l'objet d'un recours auprès du TAPI.

La commune lui avait transmis une « Demande de prise en charge » concernant les aménagements en lien avec la DD 99'250 indiquant une dépense finale de près de CHF 800'000.-.

17) Messieurs Paul et Patrick PILLET et la SPG ont répondu à la FIE le 23 décembre 2019.

L'autorisation de construire avait été délivrée en 2004 et sa complémentaire en 2007 (recte 2008). Le PLQ avait été adopté en 2002. Les crédits votés par la commune en 2013 ne pouvaient concerner l'équipement de base du périmètre concerné par le PLQ n° 29'196 dont dépendait l'autorisation. De plus, aucuns travaux d'équipement n'avaient été effectivement réalisés. La taxe d'équipement n'était due qu'en contrepartie d'un investissement concret de la collectivité publique ; la taxe d'équipement demandée n'était tout simplement pas exigible.

18) Par courrier du 6 janvier 2020, la FIE a répondu à la SPG que sa « requête » serait présentée lors d'une prochaine séance du conseil et qu'une décision formelle lui parviendrait en temps utile.

19) Par acte du 10 janvier 2020, la SPG a recouru auprès du TAPI à l'encontre du « bordereau du Fonds intercommunal d'équipement, taxe d'équipement n° 201900043/2 », concluant à la constatation de sa nullité, subsidiairement à son annulation.

Le bordereau mentionnait que « ce titre vaudrait décision » et des voies de recours. Or, la taxe d'équipement avait été décidée avec l'autorisation de construire DD 99'250 délivrée le 21 mars 2005, respectivement le 21 mars 2008 pour sa complémentaire ; le bordereau du FIE ne faisait que matérialiser ces décisions et ne constituait par conséquent pas en soi une mesure individuelle et concrète qui créerait, modifierait ou supprimerait des droits ou des obligations.

Sur le fond, elle estimait que son droit d'être entendue avait été violé, le FIE n'ayant pas expliqué dans son courrier du 22 novembre 2019 en quoi avaient consisté les travaux réalisés par la commune qui, prétendument, incluraient les besoins générés par la DD 99'250. Aucun élément ne permettait de comprendre de quelle manière cette taxe d'équipement avait été calculée.

À ce jour, aucuns travaux n'avaient été effectués par la commune à l'avenue de Choiseul, les crédits votés plus de dix ans après l'adoption du PLQ ne pouvant pas entrer en considération ; tous les travaux d'équipement du terrain avaient été réalisés par ses soins sans un quelconque remboursement par la commune. De ce fait, les conditions de taxation définitive et d'exigibilité de la taxe n'étaient pas réalisées. Le bordereau violait le principe d'équivalence et de couverture des frais.

Enfin, le FIE n'était pas compétent pour rendre une décision concernant la taxe d'équipement ni pour recouvrer cette créance antérieure au 1er janvier 2017, date de l'entrée en vigueur de la loi n° 11'783. À considérer que le bordereau fût une décision, il devait être annulé car rendu par une autorité incompétente. En tout état, la créance relative à la taxe d'équipement était prescrite.

20) Le FIE a conclu le 14 mai 2020 au rejet du recours.

Il ne s'opposait pas à ce que le TAPI considérât que la facture contestée ne fût qu'une mesure d'exécution, non susceptible de recours et que les bordereaux notifiés à la SPG, notamment celui reçu le 19 février 2014, fussent définitifs et exécutoires, faute de recours en temps utile.

Il était bien compétent pour notifier puis prendre en charge le contentieux de la taxe d'équipement litigieuse.

Lui-même, et précédemment le département, avaient clairement exprimé, en 2005, 2012, 2014 et 2019, la volonté des collectivités publiques concernées que la taxe litigieuse soit honorée. Dès lors, la créance de droit public correspondant à la taxe d'équipement litigieuse n'était manifestement pas prescrite. La taxe avait fait l'objet d'une facture n° 167718 adressée le 21 mars 2005 à la SPG, avec un délai de payement de trente jours ; la créance de droit public correspondante était dès lors échue au 20 avril 2005 et un intérêt moratoire était dû dès le lendemain.

Le mode de calcul de la facture n° 201900043/0 était clairement mentionné et rigoureusement le même que celui notifié depuis octobre 2014 à de multiples reprises. Il correspondait à CHF 40.- le m2 pour une surface de 4'144 m2 selon la DD 99'250 (méthode de calcul forfaitaire). Selon un nouveau calcul tenant compte des deux crédits octroyés en 2004 et 2008 par le conseil municipal de la commune, la taxe d'équipement s'élèverait à CHF 294'224.-. Le FIE se réservait le droit de notifier à la recourante, ainsi qu'aux éventuels autres débiteurs, une demande de reconsidération du montant de la taxe litigieuse.

21) Après un nouvel échange d'écritures, le TAPI a, par jugement du 16 décembre 2020, déclaré irrecevable le recours interjeté le 10 janvier 2020 par la SPG contre la facture du FIE du 22 novembre 2019.

En substance, la facture querellée ne modifiait en rien le bordereau initial, lequel était exécutoire et avait fait l'objet de plusieurs rappels, le dernier le 22 novembre 2019, contre lesquels la SPG ne pouvait faire valoir aucun grief quant au fond.

En outre, la SPG, une personne morale, ne faisait pas valoir un droit inaliénable ou imprescriptible qui lui serait propre. Par ailleurs, le droit de propriété, seul droit qui puisse véritablement entrer en considération dans le cas de la contestation d'une taxe, n'appartenait pas à la catégorie des droits fondamentaux inaliénables.

Enfin, de jurisprudence constante, si l'indication erronée d'une voie de droit ne devait, en principe, pas entraîner de préjudice pour la partie qui s'y fiait, une telle erreur ne saurait avoir pour effet de créer une voie de droit inexistante, de sorte que la SPG ne pouvait se prévaloir de l'indication des voies de recours figurant de façon erronée sur la facture du 22 novembre 2019.

En conclusion, l'acte attaquée ne constituait pas une décision sujette à recours.

Se posait toutefois la question de la nullité de la créance initiale, que le TAPI devait examiner d'office. Aucun motif susceptible de justifier le prononcé de la nullité de la décision, soit du bordereau adressé le 21 mars 2005 à la SPG, ne ressortait des éléments au dossier. S'agissant de la violation du droit d'être entendu, sous l'angle du défaut de motivation, alléguée par la SPG au vu de l'absence d'éléments lui permettant de comprendre de quelle manière la taxe d'équipement contestée avait été calculée, conformément à la jurisprudence, une telle violation conduirait à l'annulation de la décision initiale et non à la constatation de sa nullité.

La question de savoir s'il était possible et nécessaire, sur la base des éléments au dossier, de déterminer en quoi avaient consisté les travaux réalisés par la commune incluant les besoins générés par la DD 99'250 et quelle avait été la méthode de calcul appliquée pour obtenir le montant requis au titre de taxe d'équipement revenait à déterminer si le principe de la couverture des frais avait été correctement appliqué. Pour le surplus, la SPG avait été en mesure, de faire valoir devant le TAPI ses arguments à l'encontre de cette problématique.

Une éventuelle violation du principe de couverture de frais, telle qu'alléguée par la SPG, ne saurait constituer un motif de nullité de la facture du 21 mars 2005, mais tout au plus son annulabilité. Par conséquent, le TAPI ne pouvait examiner à ce stade, le respect ou la violation du principe de couverture, comme il aurait pu le faire s'il avait été saisi d'un recours contre le premier bordereau relatif au paiement de la taxe d'équipement du 21 mars 2005.

Le département ayant adressé, en date du 21 décembre 2012, une sommation à la recourante s'agissant de la créance relative à la taxe d'équipement querellée, le délai de prescription y relatif avait été interrompu. Partant, la créance litigieuse n'était pas prescrite.

La question de la compétence de la FIE pour émettre la facture du 22 novembre 2019 pourrait également demeurer ouverte dès lors qu'elle n'était pas une décision.

En conclusion, les vices dont la SPG se prévalait aurait pu et dû être invoqués dans le cadre d'un recours contre le premier bordereau relatif à la taxe d'équipement du 21 mars 2005. En tout état, lesdits vices ne revêtaient pas un degré de gravité suffisant pour admettre la nullité de la décision du 21 mars 2005.

22) La SPG a formé recours à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), par acte expédié le 1er février 2021, concluant principalement à son annulation, de même qu'à celles de tous les bordereaux liés à l'autorisation de construire DD 99'250. Subsidiairement, la chambre administrative devait enjoindre la FIE de rendre une décision formelle de taxation sujette à recours.

23) Interpellés par le juge délégué sur l'appel en cause de la commune, la SPG et le département s'y sont déclarés favorables les 11, respectivement 25 février 2021.

24) La cause a été gardée à juger sur cette question et la suite de la procédure, ce dont les parties ont été informées le 26 février 2021.

EN DROIT

1) a. L'autorité peut ordonner, d'office ou sur requête, l'appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d'être affectée par l'issue de la procédure. La décision leur devient dans ce cas opposable (art. 71 al. 1 l de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). L'appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (art. 71 al. 2 LPA).

b. Cette disposition doit être interprétée à la lumière de celles relatives à la qualité pour recourir en procédure contentieuse. L'institution de l'appel en cause ne doit ainsi pas permettre à des tiers d'obtenir des droits plus étendus que ceux donnés aux personnes auxquelles la qualité pour agir est reconnue (ATA/664/2012 du 2 octobre 2012 consid. 3a ; ATA/281/2012 du 8 mai 2012 consid. 7 ; ATA/623/1996 du 29 octobre 1996 consid. 2a), mais a pour but de sauvegarder le droit d'être entendu des personnes n'étant pas initialement parties à la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 1C_134/2010 du 28 septembre 2010 consid. 4.2 ; 1C_505/2008 et 1C_507/2008 du 17 février 2009 consid. 4.2).

c. L'institution de l'appel en cause est aussi dictée par un souci d'économie de procédure dans la mesure où il a pour fonction d'éviter le déroulement d'une autre procédure sur les mêmes questions litigieuses. Il permet en outre de prévenir le prononcé de décisions ou de jugements contradictoires. Lorsque le juge appelle en cause une partie, il n'a en principe pas besoin d'entendre les participants à la procédure (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 903 ss ad art. 71 LPA et les références citées).

2) En l'espèce, la recourante et l'intimé sont favorables à l'appel en cause de la commune.

Le traitement du recours pourrait nécessiter, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt 8C_80/2020 du 15 octobre 2020) en lien avec le principe d'équivalence et de couverture des frais, que la commune produise les calculs des charges supportées en matière d'équipement, respectivement les revenus qu'elle retire de manière indirecte de la taxe d'équipement, en l'occurrence par le biais des aides octroyées par le FIE. Ce dernier devrait de son côté indiquer les recettes obtenues grâce aux taxes d'équipement et les réserves dont il dispose.

L'apport de ces deux éléments doit permettre de déterminer si la taxe litigieuse respecte le principe d'équivalence et de couverture des frais, la question de la recevabilité du recours contre la facture du 21 mars 2005 restant réservée.

En conséquence, l'appel en cause de la commune sera ordonné et il lui sera imparti, tout comme au FIE, un délai pour produire leurs observations et pièces en lien avec ce qui vient d'être mentionné.

3) Le sort des frais de la procédure est réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

ordonne l'appel en cause de la commune de Versoix ;

communique à la commune de Versoix une copie du recours et de la décision attaquée ;

dit que les pièces de la procédure peuvent être consultées au greffe de la chambre administrative ;

impartit un délai au 13 avril 2021 au Fond intercommunal d'équipement et à la commune de Versoix pour répondre au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laurent Winkelmann, avocat des recourants, à Me Alain Maunoir, avocat du Fonds intercommunal d'équipement, au Tribunal administratif de première instances, ainsi qu'à la commune de Versoix, appelée en cause.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :