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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3861/2021

ATA/245/2022 du 08.03.2022 ( AIDSO ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3861/2021-AIDSO ATA/245/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 mars 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Catarina Monteiro Santos, avocate

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Madame A______ a bénéficié de l’aide financière de l’Hospice général du 1er novembre 2017 au 30 septembre 2019.

2) Lors de sa demande de prestations, signée le 19 novembre 2017, elle a indiqué être domiciliée chez ses grands-parents au ______ rue B______ à Genève et n’a fait état d’aucune charge de loyer. Elle a signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » par lequel elle s'est engagée, notamment, à donner immédiatement et spontanément à celui-ci toute pièce nécessaire à l’établissement de sa situation personnelle, familiale et économique, en particulier de l’informer immédiatement et spontanément de tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière.

3) Selon l’hospice, lors d’un entretien téléphonique du 1er février 2019, Mme A______ a indiqué à son assistante sociale qu’elle avait quitté le domicile de son grand-père et dormait chez un ami d’enfance, dont elle n’a précisé ni le nom ni l’adresse. Elle n’a pas fait état d’un loyer. Les prestations d’aide financière ont donc été recalculées en tenant compte d’un cohabitant (en lieu et place d’une communauté de majeurs).

4) Lors d’un entretien téléphonique du 10 juillet 2019, Mme A______ a indiqué à son assistante sociale qu’elle était à l’étranger. L’hospice a par la suite appris que Mme A______ effectuait un stage linguistique à Toronto.

5) Après plusieurs appels téléphoniques restés vains, l’assistante sociale a laissé un message téléphonique à Mme A______, le 26 juillet 2019, la priant de la rappeler.

6) Le 18 septembre 2019, le grand-père de l’intéressée s’est présenté au guichet de l’office cantonal des assurances sociales (ci-après : OCAS) en indiquant qu’elle n’était pas domiciliée chez lui et s’était domiciliée à son adresse auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) à son insu. Elle vivait en France, à Ville-la-Grand. L’OCAS a transmis cette information à l’hospice.

7) Les 24, 25 et 30 septembre 2019, un collaborateur du service d’enquêtes de l’hospice s’est présenté au domicile du grand-père de Mme A______. Celui-ci a déclaré, le 30 septembre 2019, qu’elle n’avait jamais habité chez lui et vivait à Ville-la-Grand chez sa mère. L’enquêteur a constaté que le nom de Mme A______ ne figurait ni sur la boîte aux lettres ni sur la porte palière.

8) L’hospice a cessé toute prestation le 1er octobre 2019.

9) Mme A______ n’a plus repris contact avec l’hospice.

10) Par décision du 16 octobre 2020, l’hospice a réclamé à Mme A______ la restitution des montants versés du 1er novembre 2017 au 30 septembre 2019, à savoir CHF 27'129.20. Il ressortait du registre tenu par l’OCPM qu’elle avait quitté Genève pour Ville-la-Grand le 8 janvier 2020. La décision, indiquant comme adresse de l’intéressée celle de son grand-père, a été publiée dans la FAO du 26 octobre 2020.

11) Par courriers des 18 et 25 février 2021, adressés respectivement à l’adresse du grand-père et à celle de la mère de Mme A______ à Ville-la-Grand, le service de recouvrement de l’hospice a invité Mme A______ à s’acquitter de la somme précitée ou, en cas de difficultés, à le contacter afin de mettre en place un plan de remboursement.

12) Par pli du 8 avril 2021, Mme A______ a formé opposition contre la décision du 16 octobre 2020. Celle-ci lui avait été notifiée le 9 mars 2021, date à laquelle elle avait reçu le courrier du service de recouvrement. Elle avait quitté Genève le 8 janvier 2020 pour Ville-la-Grand. L’hospice disposait de son adresse en France puisqu’elle effectuait alors un stage auprès de lui. Pendant la période d’aide financière, elle avait été domiciliée chez son grand-père. Celui-ci avait des sautes d’humeur. Ils se disputaient régulièrement et à plusieurs reprises, il l’avait empêchée de rentrer au domicile, ce qui l’avait contrainte de loger chez sa tante.

Elle a, notamment, produit une attestation sur l’honneur de son grand-père du 10 octobre 2019, selon laquelle elle habitait chez lui depuis le 25 octobre 2017 et une autre, du 21 mars 2021, certifiant qu’elle avait habité chez lui du 25 octobre 2017 au 8 janvier 2020. Elle a également produit une attestation de sa tante et de son demi-frère.

13) Par décision du 11 octobre 2021, l’hospice a déclaré l’opposition irrecevable, car tardive.

14) Par acte expédié le 11 novembre 2021 à la chambre administrative de la Cour de justice, Mme A______ a recouru contre cette décision. Elle a requis son audition ainsi que celle de sa tante, de son demi-frère et de Madame C______. Elle a conclu au constat que son opposition n’était pas tardive et à l’annulation des décisions des 11 octobre 2021 et 16 octobre 2021 [recte : 2020].

Elle avait logé chez son grand-père du 1er novembre 2017 au 30 septembre 2019. Lorsqu’ils se disputaient, ce qui arrivait régulièrement, son grand-père l’empêchait d’entrer chez lui. Il arrivait aussi qu’il déchire son courrier. Lors des contrôles de l’enquêteur, qui avaient eu lieu respectivement à 7h45, 14h15 et 8h30, elle était en cours. Lors du prononcé de la décision querellée, elle effectuait un stage HETS auprès de l’hospice, dans le service « D______ ». Celui-ci connaissait donc son adresse en France. Celle-ci ressortait également du registre tenu par l’OCPM. La notification par voie édictale de la décision de restitution était ainsi irrégulière, dès lors qu’elle ne pouvait intervenir qu’à des conditions restrictives, non réunies en l’espèce.

Elle a également repris et développé ses arguments sur le fond du litige.

15) L’hospice a conclu au rejet du recours.

Les services de l’hospice n’étaient pas autorisés à échanger des informations personnelles indépendantes de leurs activités professionnelles. En outre, vu le nombre élevé de collaborateurs, ceux-ci ne se connaissaient pas tous. Selon les indications données par l’intéressée en février 2019, elle ne vivait plus chez son grand-père depuis décembre 2018 et dormait chez un ami. Ces indications étaient corroborées par le fait que la recourante avait fait retenir son courrier en poste restante à compter du mois de janvier 2019.

L’hospice a joint les ordres donnés par Mme A______ à la Poste de garder son courrier en poste restante à la Poste de E______ du 21 janvier 2019 au 20 avril 2019 au 31 août 2019 et du 10 septembre 2019 au 31 janvier 2020. Il a également produit un courriel des ressources humaines de l’hospice indiquant que la recourante avait travaillé auprès de ce dernier du 10 septembre 2018 au 26 mars 2019 comme stagiaire pré-HETS et du 24 août 2020 au 22 janvier 2021 comme stagiaire D______. L’adresse communiquée aux RH dans ce cadre était celle à la rue B______, puis dès le 13 août 2020 celle de la rue de F______ à Ville-la-Grand.

16) Dans sa réplique, la recourante a insisté sur l’irrégularité de la notification. Elle a contesté avoir dit en février 2019 à la gestionnaire de son dossier qu’elle aurait quitté le domicile de son grand-père ; elle avait uniquement indiqué que compte tenu de l’agressivité de celui-ci, elle dormait ponctuellement chez un ami.

17) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La décision querellée ne portant que sur la recevabilité de l’opposition, seul ce point fait l’objet du litige. La question du bien-fondé de la décision du 16 octobre 2020 ne sera ainsi pas examinée.

Il convient donc de trancher la question de savoir si l’hospice était fondé à déclarer l’opposition irrecevable pour cause de tardiveté.

a. Selon l'art. 51 al. 1 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI – J 4 04), le délai d’opposition est de trente jours à partir de la notification de la décision ; il court dès le lendemain de la notification de la décision contestée (art. 17 al. 1 et 62 al. 3 LPA).

b. Le droit genevois prévoit que lorsque l'adresse du destinataire est inconnue, la notification a lieu par publication (art. 46 al. 4 LPA). Une telle publication intervient ainsi à titre de notification de substitution, lorsque la partie a un domicile inconnu ou est inatteignable ; il s’agit alors d’un mode de notification extraordinaire. En revanche, il n’est pas admissible de passer par la publication lorsqu’il suffit à l’administration de consulter le registre de l’OCPM pour trouver l’adresse de l’administré (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 588 ad art. 46 LPA).

c. Le fardeau de la preuve de la notification d'un acte et de sa date incombe en principe à l'autorité qui entend en tirer une conséquence juridique (ATF 136 V 295 consid. 5.9 avec les nombreuses références).

d. Selon l'art. 47 LPA, une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties.

La jurisprudence n'attache pas nécessairement la nullité à l'existence de vices dans la notification ; la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité (ATF 132 II 21 consid. 3.1). Il y a lieu d'examiner, d'après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l'irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s'en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l'invocation du vice de forme ; ainsi, l'intéressée doit agir dans un délai raisonnable dès qu'elle a connaissance, de quelque manière que ce soit, de la décision qu'elle entend contester (arrêt du Tribunal fédéral 2C_603/2021 du 8 février 2022 consid. 6.1 ; ATF 122 I 97 consid. 3a/aa ; 111 V 149 consid. 4c et les références).

e. L’art. 24 de la loi sur l'Hospice général du 17 mars 2006 (LHG - J 4 07) impose au conseil d'administration, à la direction et aux membres du personnel le strict respect du secret de fonction pour toutes les informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.

f. En l’espèce, il convient, en premier lieu, de relever qu’il ne peut être reproché à l’hospice de ne pas avoir utilisé l’adresse de la recourante que celle-ci avait communiquée au service RH alors qu’elle était employée de l’hospice. Une telle manière de faire se serait heurtée à l’art. 24 LHG.

Il ressort du dossier que la recourante a communiqué à l’OCPM son départ de Suisse pour s’installer à Ville-la-Grand le 8 janvier 2020. Cette information était accessible à l’hospice, qui expose d’ailleurs en avoir eu connaissance. Celui-ci ne connaissait, certes, pas l’adresse exacte de la jeune femme à Ville-la-Grand. Le grand-père de cette dernière avait toutefois indiqué à l’enquêteur de l’hospice, le 30 septembre 2020, qu’elle s’était domiciliée chez sa maman à Ville-la-Grand. L’hospice aurait ainsi pu s’enquérir auprès du grand-père de cette adresse. Une telle démarche était simple à entreprendre. Compte tenu de l’importance de la décision pour l’intéressée, il appartenait à l’hospice d’entreprendre un minimum de recherches au sujet de la nouvelle adresse de celle-ci avant de procéder à une notification par voie de publication. Un tel mode de notification ne doit, en effet, qu’intervenir à titre subsidiaire. L’hospice n’était donc pas fondé à recourir à la notification de la décision du 16 octobre 2020 par voie édictale.

Aucun élément ne permet de retenir que la recourante aurait eu connaissance de cette décision avant de recevoir le courrier du service de recouvrement du 25 février 2021 envoyé à son adresse à Ville-la-Grand. Elle a pu, compte tenu de la date d’expédition qui était un jeudi, recevoir ce courrier au plus tôt le lundi 1er mars 2021. En formant, le 8 avril 2021, opposition à la décision du 16 octobre 2020, elle a agi dans le délai de trente jours suivant la réception du courrier du 25 février 2021, le délai ayant été suspendu du 29 mars au 11 avril 2021 en raison des féries pascales.

Au vu de ce qui précède, l’hospice n’était, dans les circonstances sus-décrites, pas fondé à procéder à la notification de la décision du 16 octobre 2020 par voie de publication et l’opposition formée par l’intéressée dans les trente jours suivant la connaissance qu’elle avait de cette décision aurait dû être déclarée recevable.

Partant, le recours est partiellement admis, la décision d’irrecevabilité annulée et le dossier renvoyé à l’hospice afin qu’il se prononce sur le fond.

3) Vu l’issue du litige, il n’est pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée à la recourante (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 novembre 2021 par Madame A______ contre la décision de l’Hospice général du 11 octobre 2021 ;

au fond :

l’admet partiellement, annule la décision du 11 octobre 2021 et renvoie la cause à l’Hospice général pour nouvelle décision ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l’Hospice général ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Catarina Monteiro Santos, avocate de la recourante, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :