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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1190/2012

ATA/133/2014 du 04.03.2014 sur JTAPI/1509/2012 ( ICCIFD ) , ADMIS

Descripteurs : ; DROIT FISCAL ; IMPÔT À LA SOURCE ; CALCUL DE L'IMPÔT ; DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL) ; OBLIGATION D'ENTRETIEN ; RENCHÉRISSEMENT ; COURS DE CONVERSION
Normes : LIFD.33.al1.letc ; LIPP.33 ; RISP.4
Résumé : Recours contre un jugement du TAPI admis, ce dernier ayant commis une erreur dans le calcul du montant de la contribution d'entretien à déduire des revenus de la contribuable. La convention de divorce prévoyant de réajuster le montant de la contribution d'entretien, il y a lieu d'en tenir compte pour fixer le montant à déduire. Enfin, la contribution d'entretien étant versée mensuellement en faveur d'enfants vivant à l'étranger, il faut appliquer le cours annuel moyen des devises.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1190/2012-ICCIFD ATA/133/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 mars 2014

1ère section

 

dans la cause

 

Madame R______ et Monsieur M______
représentés par Bonnefous & Cie S.A., mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 décembre 2012 (JTAPI/1509/2012)


EN FAIT

1) Ressortissante espagnole alors au bénéfice d'une autorisation de séjour (livret B UE/AELE), Madame R______ (ci-après : la contribuable) a exercé une activité lucrative dépendante à Genève du 1er janvier au 31 décembre 2010, réalisant durant cette période un salaire brut de CHF 237'203.-. Cette rémunération a fait l'objet d'une retenue d'impôt à la source de CHF 52'991,15.

2) Le 18 mars 2011, la contribuable a formé réclamation contre cette retenue auprès de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE).

Elle vivait à Genève avec son époux, Monsieur M______, ressortissant des Etats-Unis d'Amérique au bénéfice d'une autorisation de séjour (livret B UE/AELE) au titre du regroupement familial. Il n'exerçait pas d'activité lucrative à Genève et son salaire était dès lors la seule source de revenu du couple.

Le couple devait assumer une importante contribution d'entretien due par Monsieur M______ en faveur de ses deux enfants mineurs vivant en Colombie et issus d'un premier mariage dissous par divorce. Cette contribution d'entretien était payée exclusivement au moyen de son salaire, son époux ne travaillant pas. Cette contribution d'entretien devait en conséquence être déduite de ses revenus 2010.

3) Par décision sur réclamation du 15 mars 2012, l'AFC-GE a maintenu la taxation aux motifs que l'imposition du 1er janvier au 31 décembre 2010 était conforme aux dispositions légales et que la pension versée par la contribuable n'était pas déductible.

4) Le 16 avril 2012, la contribuable et son époux ont recouru contre cette décision sur réclamation auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Les pensions alimentaires et contributions d'entretien versées par
M. M______ s'élevaient au total à CHF 35'658.- par an. Cette somme, laquelle devait venir en déduction de l'impôt à la source prélevé sur le salaire de la recourante, était vérifiable grâce aux divers documents versés à la procédure, dont notamment :

- une convention signée devant notaire datée du 8 juillet 2009 (ci-après : la convention) et modifiant le jugement de divorce de M. M______ prononcé le
18 mai 2004 à Bogota ; cette convention, laquelle sera détaillée dans l'examen du droit, fixait les montants des contributions d'entretien dues par M. M______ pour ses deux enfants pour les frais en matière d'éducation, d'assurance-maladie, de cours d'anglais et de thérapies ; elle prévoyait, sans toutefois en chiffrer le montant, le paiement partiel des frais relatifs à l'habillement et aux loisirs ;

- une attestation du 23 février 2011, signée par Madame F______, ex-épouse de M. M______, laquelle confirmait avoir reçu en 2010 un montant total de USD 34'235.-, soit CHF 35'658, correspondant au devoir d'entretien de M. M______. Mme F______ était domiciliée à Bogota. La contribuable et M. M______ avaient dès lors émis en sa faveur, auprès de la banque G______, une carte bancaire lui permettant de prélever directement le montant de la pension. Les extraits bancaires pour l'année 2010 ont également été versés à la procédure.

5) Le 30 juillet 2012, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

En matière fiscale, il incombait à celui qui prétendait à l'existence d'un fait de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve. Or, si le principe d'une contribution d'entretien due par M. M______ pouvait éventuellement être admis, rien n'indiquait que l'entier des sommes prélevées sur le compte à la G______ était destiné à l'entretien des enfants. Une partie des prélèvements pouvait avoir servi à autre chose.

6) Le 15 octobre 2012, la contribuable et son époux ont persisté dans leurs conclusions. Le 18 octobre 2012, l'AFC-GE en a fait de même.

7) Par jugement du 10 décembre 2012, le TAPI a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour nouvelles décisions dans le sens des considérants.

La contribuable et son époux fondaient leur prétention sur l'attestation signée par Mme F______ et les extraits de la banque G______. Ladite attestation ne pouvait pas être admise comme preuve suffisante de versements effectifs des subsides d'entretien. En revanche, les extraits bancaires devaient être pris en considération, d'autant que le mode de transfert de la contribution alimentaire par carte de crédit était stipulé dans la convention.

Si le principe de la contribution devait donc être admis, son étendue méritait d'être précisée. En effet, le montant total retiré avec la carte de crédit dépassait largement le montant dû par M. M______. Or, rien n'indiquait que l'entier des sommes avait été retiré pour l'entretien des enfants, une partie de cet argent pouvant avoir servi à d'autres dépenses. Mme R______ et son époux pouvaient également avoir utilisé cette même carte bancaire pour leurs propres besoins lors de leurs déplacements en Colombie.

Dans ces circonstances, il y avait lieu de retenir une contribution d'entretien à déduire s'élevant à CHF 22'445,80, soit 46'280'000.- pesos colombiens
(ci-après : COP) ou encore USD 24'262,90. Cette somme correspondait aux montants chiffrés fixés dans la convention dont aucun élément ne permettait de remettre en cause la valeur probante.

8) Par acte posté le 17 janvier 2013, la contribuable et M. M______ ont recouru contre le jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Ils ont conclu, « sous suite de dépens », à la modification du jugement du TAPI et au renvoi de la cause à l'AFC-GE. Le seul point contesté était le montant de la déduction tel qu'il avait été calculé par le TAPI, soit CHF 22'445,80 ou COP 46'280'000.-.

En effet, l'addition des montants chiffrés dans la convention avait pour résultat COP 52'760'000.-. Ladite convention prévoyant une adaptation au renchérissement annuel, la contribution devait être augmentée de 2% de hausse de l'indice des prix à la consommation comme l'avait retenu le « Departemento Administrativo Nacional de Estadisticas DANE » (ci-après : le département colombien de la statistique). Enfin, le TAPI avait à tort appliqué à la contribution d'entretien le cours de change au 31 décembre 2010 en lieu et place du cours annuel moyen. Au final, le montant déductible de la contribution d'entretien était de CHF 29'504,18.

9) Le 13 février 2013, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Elle a repris son argumentation relative au fardeau de la preuve incombant au contribuable déjà développée devant le TAPI. Dans leur recours du 17 janvier 2013, les recourants persistaient à ne pas produire de justificatifs prouvant les l'utilisation des sommes prélevées par Mme F______. Le TAPI avait fait preuve d'une grande mansuétude en admettant un montant de CHF 22'455,80, montant auquel il fallait se tenir.

10) Le 18 mars 2013, la contribuable et M. M______ ont répliqué et maintenu l'intégralité de leurs conclusions.

La somme de CHF 29'504,18 à laquelle ils avaient conclu dans leur recours résultait de la seule prise en compte des montants alloués dans le cadre de la convention. Ils renonçaient pour le reste à apporter des justificatifs complémentaires pour les montants qui excédaient ceux fixés expressément par cette convention.

11) Invitée à se déterminer, l'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) ne s'est pas prononcée. L'AFC-GE a renoncé à formuler des observations complémentaires.

12) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur le montant de la contribution d'entretien versée par
M. M______ à déduire des revenus de la contribuable pour la période fiscale 2010.

3) a. Sont déduites du revenu la pension alimentaire versée au conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien versées à l'un des parents pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale, à l'exclusion toutefois des prestations versées en exécution d'une obligation d'entretien ou d'assistance fondée sur le droit de la famille (art. 33 al. 1 let. c de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 33 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 - LIPP - D 3 08 ; art. 4 du règlement d'application de la loi sur l'imposition à la source des personnes physiques et morales du 12 décembre 1994 - RISP - D 3 20.01).

b. Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que M. M______ est tenu au versement d'une contribution d'entretien en faveur de ses enfants vivant en Colombie. Le TAPI a admis, dans le jugement du 10 décembre 2012, que seuls les montants chiffrés figurant dans la convention pouvaient être admis en déduction. Les recourants, lesquels ont renoncé à apporter des justificatifs complémentaires pour les montants qui n'étaient pas expressément arrêtés par la justice colombienne, ne remettent pas en cause les limites fixées par le TAPI. Le litige est ainsi circonscrit au seul calcul du montant déductible en application de la convention.

4) Les recourants font d'abord grief au TAPI de ne pas avoir correctement calculé les montants chiffrés figurant dans la convention.

a. A teneur de la convention, laquelle a été versée à la procédure dès la réclamation devant l'AFC-GE, M. M______ s'est engagé à payer à la mère de ses enfants, COP 3'000'000.- par mois, onze fois par an, pour couvrir les frais relatifs à leur éducation (soit COP 33'000'000.- par an), COP 460'000.- par mois pour couvrir leurs frais d'assurance-maladie (soit COP 5'520'000.- par an) et COP 600'000.- par mois pour leurs frais de thérapie (soit COP 7'200'000.- par an). La convention prévoit en outre le paiement de COP 640'000 par mois pour des cours d'anglais « lesquelles contributions ne seront pas étendues au-delà des périodes scolaires », soit, selon le jugement du TAPI qui n'a pas été contesté sur ce point, onze fois par an pour un total de COP 7'040'000.-. Il découle donc de la convention que M. M______ est tenu au versement annuel de COP 52'760'000.-.

b. Le TAPI a pourtant retenu un montant de COP 46'280'000.-, soit
COP 6'480'000.- de moins. Il s'agit d'une erreur de calcul qui trouve son origine dans une mauvaise prise en compte de l'obligation d'entretien due pour les frais de thérapie. A tort, le TAPI a en effet retenu (jugement du 10 décembre 2012, partie en fait, chiffre 2) un montant de COP 60'000.-, soit COP 720'000.- par an en lieu et place des COP 600'000.- par mois, soit 7'200'000.- par an. Le montant total de la contribution d'entretien due selon la convention est donc bien de COP 52'760'000.- comme le soutiennent les recourants.

5) Les recourants font ensuite grief au TAPI de ne pas avoir tenu compte du renchérissement annuel de 2 %.

a. Selon la convention, les montants convenus doivent être réajustés chaque année, à compter du 1er janvier 2010 et successivement conformément aux variations de l'indice des prix à la consommation établi par le département colombien de la statistique. Les recourants ont versé à la procédure un document attestant que cet indice avait été de 2 % en 2010 en Colombie. Ce document est par ailleurs consultable sur le site internet de ce département (http://www.dane.gov.co/index.php/indices-de-precios-y-costos/indice-de-precios-al-consumidor-ipc).

b. Dès lors que l'ajustement annuel aux variations de l'indice des prix à la consommation est expressément prévu par la convention, il doit être pris en compte sans que cela ne remette en cause les limites fixées par le TAPI. Le montant de la contribution pouvant être admis en déduction est bien de
COP 53'815'200.- (COP 52'760'000.- x 2 %) comme le soutiennent les recourants.

6) La contribuable et M. M______ font enfin grief au TAPI d'avoir appliqué à la contribution d'entretien le cours du change au 31 décembre 2010 et non le cours annuel moyen du peso colombien pour l'année 2010. Dans leur réclamation du 18 mars 2011 puis dans leur recours au TAPI du 15 octobre 2012, les recourants avaient déjà conclu à la prise en compte du cours annuel moyen. Ce grief se limite également au calcul de la contribution d'entretien sans remettre en cause les limites fixées par la TAPI.

a. La convention prévoit un paiement mensuel de la contribution d'entretien due par M. M______. En outre, selon les extraits bancaires versés à la procédure devant le TAPI, les retraits effectués sur le compte de la G______ par Mme F______ s'étendent sur plusieurs mois. Il est dès lors pertinent de retenir en l'espèce la prise en compte du cours annuel moyen 2010 et non le cours au 31 décembre 2010 (ATA/539/2008 du 28 octobre 2008). Sur son site internet, à l'adresse http://ge.ch/impots/taux-de-change, l'AFC-GE indique d'ailleurs que le taux de change applicable au revenu est le cours annuel moyen des devises, le taux de change applicable à la fortune étant la devise libre au 31 décembre. L'AFC-GE renvoie à une liste des cours annuels moyens des devises en Suisse en 2010 qui ne contient pas la Colombie. Sur le site de l'AFC-CH, à l'adresse http://www.estv.admin.ch/wehrpflichtersatzabgabe/dienstleistungen/00263/index.htmllang=fr, figure le cours annuel moyen 2010 de la Colombie, étant précisé que tant l'AFC-GE que l'AFC-CH se fondent sur la même source, à savoir la Banque nationale suisse. Pour 2010, le cours annuel moyen était de CHF 0.054825 pour COP 100.-.

b. Au cours annuel moyen 2010, COP 53'815'200.- correspondaient ainsi à CHF 29'504,18, résultat conforme à celui des recourants. C'est donc ce montant qui doit être retenu comme étant déductible des revenus de la contribuable pour la période fiscale 2010.

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. Le jugement du TAPI du
10 décembre 2012 et la décision sur réclamation de l'AFC-GE, à laquelle la cause sera renvoyée dans le sens des considérants, seront annulés.

8) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge des recourants et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- leur sera allouée, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 janvier 2013 par Madame R______ et Monsieur M______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 décembre 2012 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif du 10 décembre 2012 ;

annule la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 15 mars 2012 ;

renvoie la cause à l'administration fiscale cantonale dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame R______ et Monsieur M______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Bonnefous et Cie S.A., mandataire des recourants, au Tribunal administratif de première instance, à administration fiscale cantonale, ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :