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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/495/1999

ATA/133/2000 du 07.03.2000 ( FIN ) , ADMIS

Descripteurs : IMPOT; SUCCESSION; PRESCRIPTION; PEREMPTION; TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE; LACUNE(LEGISLATION); FIN
Normes : LDS.73; LDS.73 al.1 litt.a; LDS.29
Résumé : Le délai de péremption du droit de taxer (en droit des successions) n'est pas de 10 ans comme l'AFC le soutient. Délai non fixé en l'espèce, le TA constatant uniquement que le droit de taxer est manifestement périmé.

 

 

 

 

 

 

 

du 7 mars 2000

 

 

 

 

 

dans la cause

 

 

Hoirie de feu M. H.B.__________

représentée par Me Antoine Boehler, avocat

 

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE D'IMPOTS

 

et

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 



EN FAIT

 

 

1. M. C.B.__________ est décédé le 26 octobre l986 à Genève, laissant comme héritiers légaux son épouse, Madame Ch.B.__________, et leurs deux enfants Madame S.B.__________ et M. H.B.__________.

 

2. Les héritiers légaux précités ayant demandé le bénéfice d'inventaire et la nomination d'un curateur, la Justice de paix a désigné à cette fin Me Antoine Boehler par décision du 4 décembre l986.

 

3. Alors que la succession de son père n'était pas liquidée, M. H.B.__________, domicilié à Genève également, est décédé accidentellement le 3 octobre l987. Ses héritières légales étaient ainsi sa mère et sa soeur précitées.

 

 

4. Par décision du 6 juin l989, la Justice de Paix a prononcé la liquidation officielle de la succession de feu M. C.B.__________ et en a chargé Me Antoine Boehler.

 

5. Mandaté par l'hoirie de feu M. H.B.__________ (ci-après: l'hoirie) en vue du dépôt d'une déclaration de succession du prénommé, Me Denis Keller, notaire, a sollicité et obtenu à plusieurs reprises de l'administration fiscale cantonale (ci-après: AFC), le report du délai fixé à cet effet, arguant de la difficulté d'établir les droits de feu M. H.B.__________ dans la succession fort complexe de son père.

 

6. Me Keller a finalement déposé le 4 avril l991 une déclaration de succession pour l'hoirie de M. H.B.__________, indiquant, comme actif, des droits pour un montant indéterminé dans la succession non partagée de feu M. C.B.__________.

 

7. Selon l'avis non daté de modification de cette déclaration établi par l'AFC, les droits de feu M. H.B.__________ dans la succession de son père avaient été déclarés pour CHF 0.- alors que l'AFC les fixait à CHF 2'198'518.--.

 

8. L'inventaire officiel de la succession de feu M. C.B.__________ a été enregistré et contresigné par l'AFC le 20 février 1992.

 

9. La déclaration de succession de feu M. C.B.__________ a été déposée le 4 août 1993. Dès cette date, et à plusieurs reprises, l'AFC a sollicité auprès de Me Keller différents justificatifs de l'actif et du passif de cette succession, et des rencontres ont également eu lieu entre les parties. L'AFC a finalement notifié le 13 mai 1996 un bordereau de taxation de la succession de feu M. C.B.__________. Dite taxation a fait l'objet d'une contestation qui s'est achevée en février 1997.

10. Le 7 août l996, la secrétaire de l'étude de Me Keller a reçu un téléphone de Mme Barbara Barnoui Karlen

chef du service des successions de l'AFC, par laquelle elle sollicitait "une lettre de renonciation à la prescription étant donné qu'une procédure est en cours dans le dossier B.__________", selon les termes de la note manuscrite établie par ladite secrétaire le même jour.

 

11. Le 25 août l997, l'AFC a notifié à Me Keller un bordereau d'impôts totalisant CHF 446'330,35 pour la succession de feu M. H.B.__________.

 

12. Le 9 septembre l997, l'hoirie a élevé réclamation à l'encontre du bordereau précité.

 

La péremption du droit de taxer devait être constatée et le bordereau précité annulé.

 

13. Par courrier du 26 septembre l997, l'AFC a rejeté la réclamation, le délai de péremption étant selon elle non échu.

 

14. Par acte déposé le 16 octobre l997, l'hoirie a recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après : la commission) en reprenant son argumentation et ses conclusions précédentes.

 

15. L'AFC a conclu au rejet du recours.

 

16. Par décision du 22 avril l999, la commission a rejeté ledit recours.

 

Aucune des hypothèses visées par l'article 73 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS - D 3 25), qui concernait les délais de péremption - bien qu'il mentionnât la prescription - n'était réalisée. Il convenait donc d'appliquer à titre supplétif l'article 368 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05). Celui-ci prescrivait, avant sa révision en 1995, un délai de 5 ans, qui, malgré son intitulé, était également un délai de péremption. Celui-ci avait débuté au jour du décès de feu M. H.B.__________ et avait donc pris fin bien avant la taxation de sa succession. Cependant, la jurisprudence fédérale avait admis que le débiteur d'une prestation ne pouvait invoquer la prescription lorsqu'il l'avait abusivement obtenue. Ce principe valait également, selon la doctrine, pour la péremption. En l'occurrence, l'hoirie avait fait preuve de mauvaise foi en retardant délibérément le moment où l'AFC serait en mesure d'opérer ladite taxation, soit le moment où le bordereau de taxation de la succession de feu M. C.B.__________ était devenu définitif.

 

17. Par acte déposé au greffe du Tribunal administratif le 26 mai l999, l'hoirie a recouru contre cette décision reçue le 30 avril l999. Elle concluait à sa mise à néant et à l'annulation du bordereau du 25 août l997.

 

Tout en renonçant à se prévaloir de l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS, elle soutenait l'application de la lettre c de la même disposition. La condition de l'omission ou de la fausse déclaration des biens pouvait être élargie au cas présent, où l'hoirie avait déclaré un montant indéterminé pour une partie de la succession. S'il était subsidiairement possible d'admettre l'application de l'article 368 LCP, le délai de cinq ans qu'il faisait courir, soit dès le décès de M. H.B.__________, soit dès le dépôt de la déclaration de succession de ce dernier, était échu au plus tard le 31 décembre 1996. Dans tous les cas, le droit de taxer de l'AFC s'était donc éteint avant la taxation litigieuse. On ne pouvait enfin admettre que l'hoirie avait abusivement cherché à gagner du temps: dès le moment où l'inventaire officiel de la succession de feu M. C.B.__________ avait été dressé, en février 1992, l'AFC aurait été en mesure de compléter d'elle-même la déclaration de succession de feu M. H.B.__________, et de rendre une décision de taxation. Elle disposait d'éléments encore plus précis lors du dépôt de la déclaration de succession de feu M. C.B.__________ en août 1993. Or, elle n'avait plus traité le présent dossier avant 1997 et l'hoirie n'était pour rien dans ce retard.

 

18. L'AFC a conclu au rejet du recours.

 

Contrairement à ce que soutenait l'hoirie, l'article 73 alinéa 1 lettre c LDS ne s'appliquait qu'au cas où un bordereau initial avait déjà été notifié.

L'article 368 LCP, dont la commission proposait l'application à titre supplétif, concernait les impôts périodiques. L'historique de l'article 73 LDS démontrait que le législateur n'avait pas souhaité régler de façon semblable la prescription de l'envoi du bordereau dans la LDS et la LCP. La commission s'était également trompée en faisant partir du décès de M. H.B.__________ les cinq ans de l'article 368 LCP. Puisque l'on était dans le cas d'une succession déclarée, il eût été plus logique de faire partir ce délai du jour du dépôt de la déclaration de succession, en constatant alors qu'il était échu après l'entrée en vigueur du nouvel article 368 LCP, le 1er janvier 1995, qui introduisait un réel délai de prescription. Celui-ci avait recommencé à courir, conformément à la jurisprudence citée par la commission, et dans ce cas la taxation litigieuse était valable.

 

Il fallait par ailleurs considérer que l'hoirie avait fait preuve de mauvaise foi, puisqu'elle avait admis elle-même que la taxation de la succession de feu M. H.B.__________ ne pourrait avoir lieu qu'après celle de son défunt père. C'était également dans cette perspective que l'AFC avait attendu que le bordereau concernant feu M. C.B.__________ devienne définitif. Compte tenu des discussions qui s'étaient engagées au sujet de ce dernier, il paraissait clair qu'une contestation serait inévitable, ce qui s'était effectivement produit. Il était donc illogique de procéder prématurément à la taxation de la succession de feu M. H.B.__________. Il avait été dans l'intérêt de chacun d'attendre d'y voir plus clair concernant le père de ce dernier.

 

En tout état, l'AFC avait en réalité respecté un délai de prescription de dix ans qu'elle appliquait usuellement dans des cas de successions déclarées et qu'elle faisait partir au jour du décès. Il s'agissait d'un décompte plus favorable aux héritiers que celui qui prévalait selon l'article 73 alinéa 1 lettre d LDS dans les cas de successions non déclarées. L'AFC avait mis en place cette pratique, faute pour la LDS d'avoir expressément prévu une limitation dans le temps du droit de taxer une succession déclarée. Sous cet angle également, la taxation litigieuse n'était pas prescrite.

 

19. Lors de l'audience de comparution personnelle du 3 décembre 1999, l'hoirie a admis que le bordereau n'était pas contesté dans sa quotité.

 

Un délai a été donné à l'AFC pour qu'elle produise des renseignements complémentaires sur le téléphone effectué le 7 août l996 par Mme Barnaoui Karlen, sur la pratique du service de la taxation de ne pas procéder à une taxation provisoire dans des cas comme celui-ci, ainsi que sur l'application par l'administration d'un délai de prescription de dix ans dans des successions déclarées.

 

20. Dans sa réponse du 20 décembre 1999, l'AFC a apporté les éléments suivants:

 

- La LDS ne connaissait pas l'institution de la taxation provisoire. Aussi cette pratique n'avait-elle pas lieu, sauf dans des cas où un délai de dix ans dès le décès risquait d'être dépassé.

 

- Le téléphone du 7 août 1996, dans le cadre d'une contestation qui s'annonçait de longue durée au sujet de la taxation de la succession de feu M. C.B.__________, visait à interrompre le délai de prescription de dix ans appliqué par l'AFC. Il ne pouvait s'agir d'un délai de cinq ans, puisque celui-ci aurait été de toute façon échu déjà au moment de cet appel téléphonique.

 

- L'application d'un délai de prescription de dix ans avait fait l'objet de précédents, dont un cas où le décès datait de janvier 1983 et où la taxation avait eu lieu en octobre 1992 (dossier versé à la procédure). Des recherches se poursuivaient au sein de l'AFC pour trouver d'autres cas, qui seraient immédiatement signalés au tribunal de céans. Il fallait relever que l'application d'un délai de dix ans répondait à des exigences pratiques, car un délai de cinq ans à compter du décès obligerait l'AFC à notifier systématiquement des bordereaux surévalués à seule fin de sauvegarder ses droits.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. Les droits de succession sont un impôt frappant toute transmission de biens résultant d'un décès (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDS).

 

La déclaration de succession est l'énonciation des biens délaissés par le défunt (art. 29 al. 1 LDS). Les pièces justificatives de l'actif et du passif de la succession peuvent être exigées par le directeur de l'administration de l'enregistrement et du timbre (art. 30 al. 1 LDS). Si ces pièces ne sont pas fournies dans les délais impartis, le directeur peut taxer la succession d'après les indications et renseignements dont il dispose (art. 30 al. 2 LDS). Le délai pour la remise de la déclaration de succession est de trois mois, à compter du décès, pour les successions ouvertes à Genève; ce délai peut être exceptionnellement prolongé (art. 32 al. 1 et 4 LDS).

 

b. L'article 73 alinéa 1 LDS fixe différents délais de péremption (et non pas malgré sa lettre, de prescription; voir à ce sujet Revue fiscale 1989, p. 90), concernant "les droits de l'Etat résultant de l'assujettissement aux droits de succession", tandis que l'alinéa 2 prévoit un délai de prescription concernant les droits de succession, intérêts, amendes, frais, débours et émoluments. Bien que la distinction ne soit pas clairement énoncée, les délais de l'article 73 alinéa 1 LDS s'appliquent au droit de l'Etat de taxer les successions, alors que celui de l'alinéa 2 entraîne la prescription de la créance de l'Etat (Mémorial des séances du Grand Conseil 1965, p. 927).

 

c. En l'espèce, les parties s'entendent sur cette distinction.

 

En revanche, elles divergent entre elles et avec la commission de recours sur la disposition applicable pour fixer le délai de prescription du droit de taxer une succession, lorsque celle-ci a fait l'objet d'une déclaration au sens de l'article 29 alinéa 1 LDS mais qu'une partie des actifs qui la composent a été annoncée pour une valeur indéterminée.

 

3. a. L'article 73 alinéa 1 lettre a LDS concerne le cas dans lequel un bordereau a déjà été notifié, mais doit être corrigé en vue d'une perception supérieure, suite à "une estimation erronée d'un élément de la succession, d'une erreur de calcul ou de taxation ou de fausse indication sur les qualités et degrés de parentés des ayants droit".

 

L'article 73 alinéa 1 lettre b LDS, sur les reprises d'exploitations immobilières, ne correspond manifestement pas au contexte litigieux.

 

L'article 73 alinéa 1 lettre c LDS concerne les cas d'omission ou de fausse déclaration de biens, dans l'hypothèse d'une déclaration de succession déjà remise à l'administration.

 

L'article 73 alinéa 1 lettre d LDS, au contraire, concerne le cas des successions non déclarées.

 

b. Il découle de la simple lecture de la loi que celle-ci reste muette sur une situation telle qu'en la présente affaire. De façon plus générale, l'AFC considère que la LDS ne prévoit pas de limite temporelle au droit de taxer une succession déclarée.

 

4. a. Selon le Tribunal fédéral, l'interprétation de la loi permet de révéler l'existence d'une lacune (ATF 117 II 494 consid. 6a p. 499).

 

La jurisprudence fait une distinction entre lacunes proprement et improprement dites. Visant ce dernier cas, elle précise qu'une telle situation se présente lorsque la loi donne certes une réponse au problème qui se pose, mais d'une façon si insatisfaisante qu'il faut admettre la possibilité d'y remédier de lege ferenda (ATF 125 V 8 consid. 3, pp. 11 s. et réf. cit.). Le juge introduira alors une nouvelle règle en veillant à ce qu'elle ne "porte pas atteinte à la norme légale telle que l'interprétation en a dégagé l'objet et le sens, ni à d'autres principes fondamentaux" (P. MOOR, op. cit., p. 156), et en s'inspirant des dispositions régissant des situations analogues (ATF 125 III 154 consid. 3a, pp. 156 s).

 

Il se dégage de ces considérations qu'il faut rechercher une solution avant tout au sein de la réglementation lacunaire, avant de faire application analogique d'autres normes.

 

b. La LDS prévoit des délais pour taxer une seconde fois une succession lorsque la première taxation contient des erreurs ou lorsqu'elle se fondait sur une déclaration inexacte (art. 73 al. 1 let. a et c), de même que pour taxer une succession non déclarée (art. 73 al. 1 let. d), mais il convient d'admettre avec l'AFC qu'au-delà de la lacune relative au cas d'espèce, le législateur n'a pas fixé de limite au droit de taxer de façon générale une succession déclarée. Il l'aurait probablement fait en empruntant l'une des trois voies tracées par la LDS: en faisant courir le délai soit dès le jour du décès, soit dès le jour du dépôt de la déclaration, soit encore dès la première présentation à l'administation de l'enregistrement et du timbre d'un acte constatant le décès.

 

c. Le législateur est parti de l'idée qu'une déclaration de succession serait généralement déposée dans le délai légal de trois mois dès le décès, voire de six mois pour les successions ouvertes hors du canton (art. 32 al. 1 LDS). C'est l'explication du court délai de deux ans et trois mois fixé par l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS pour corriger un bordereau de taxation inexact.

Lors de l'adoption de la LDS, en 1960, la pratique de l'administration fiscale en matière de droits de succession était établie depuis plus d'un siècle (Mémorial 1954, p. 1617). Il s'agissait de procéder à une refonte complète du système, visant à "perfectionner les moyens d'action de l'Etat en matière de procédure d'assujettissement, de taxation et de contrôle" (ibid., p. 1618). En adoptant l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS (qui, dans sa teneur en 1960, fixait un délai de deux ans depuis le dépôt de la déclaration de succession), le législateur n'a pas jugé nécessaire de s'écarter de l'article 261 alinéa 1 LCP en vigueur jusqu'alors (et dont le texte figure toujours dans la loi actuelle, bien que désormais inapplicable en vertu de l'article 74 lettre a LDS). En 1983, le Conseil d'Etat a proposé au législateur de modifier l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS, en portant le délai à deux ans et trois mois et en le faisant partir du jour du décès. Ce changement visait à éviter certains abus relatifs à la vente d'immeubles, lorsque, par exemple dans le cadre de successions complexes, le mandataire ou le contribuable obtenait un délai de plusieurs mois ou années pour le dépôt de la déclaration. Il s'agissait en résumé de permettre de considérer comme une plus-value une vente d'immeuble intervenue ultérieurement à ce nouveau délai et pour une valeur supérieure à celle indiquée dans la déclaration de succession (Mémorial 1983, pp. 1367 s. et 4579 et ss). En réglant ce problème, le législateur a créé un paradoxe entre la réalité des déclarations tardives et la règle de l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS, et a également laissé subsister la question du délai dont l'AFC dispose pour procéder à la première taxation. Ce dernier problème existait déjà avant cette révision; en revanche, l'ancienne teneur de la disposition concernée n'entraînait aucun paradoxe, puisque même des déclarations déposées avec des années de retard laissaient à l'AFC un délai d'action fixé d'après la date du dépôt de cette déclaration.

 

d. La création d'une règle permettant de combler la lacune de la loi est dans ces conditions d'autant plus délicate qu'elle ne peut que s'inscrire dans un nouveau paradoxe: si le début du délai de péremption du droit de taxer est fixé au jour du décès, il est alors, à moins d'être plus long que celui fixé pour la correction de ladite taxation (ce qui est absurde), en totale contradiction avec la réalité selon laquelle les successions complexes sont déclarées plusieurs années après le décès. Si le début du délai est fixé au jour du dépôt de la déclaration, il est en contradiction avec l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS.

 

C'est cependant bien cette solution qu'il convient d'adopter, si l'on veut tenir compte de l'intérêt qu'a chaque partie au maintien de la pratique actuelle, consistant à octroyer des prolongations pour le dépôt de la déclaration. Le début du délai au jour du décès aurait pour inconvénient que plus le contribuable ou le mandataire prendrait du retard, plus l'AFC verrait se réduire le délai imparti pour taxer la succession, ce qui entraînerait de part et d'autre des réactions contraires à une saine administration des dossiers.

 

e. S'agissant de la longueur du délai, la solution choisie par la commission de recours correspond à une durée instituée par la plupart des dispositions de prescription ou de péremption de la LCP (art. 340, 341, 342 et 368), ainsi que par l'article 73 alinéa 1 lettre d LDS. Cela ne signifie pas qu'un tel délai corresponde à ce que le législateur aurait réellement décidé pour régler la péremption du droit de taxer les successions.

 

Ici encore, il convient d'observer que selon la première version de l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS, l'AFC n'avait la faculté de corriger une première taxation que dans un délai de deux ans depuis le dépôt de la déclaration, ce qui implique logiquement que l'AFC était considérée avoir pu procéder à cette première taxation dans un délai inférieur. Ainsi, si l'on peut admettre un long laps de temps entre le décès et le dépôt de la déclaration, un délai de deux ans apparaît ensuite comme convenable. Lorsque même ce délai est susceptible d'être dépassé, il appartient cas échéant à l'AFC, notamment lorsque le contribuable n'a pas collaboré avec la diligence souhaitée (art. 30 al. 1 LDS), de taxer la succession sur la base des renseignements à disposition (art. 30 al. 2 LDS).

 

Un délai plus long, soit par exemple de cinq ans, n'est retenu par la LDS que pour laisser à l'AFC le temps de s'apercevoir d'un défaut caché de la déclaration et de corriger une première taxation (art. 73 al. 1 let. c). S'agissant de celle-ci, un tel délai n'apparaît donc pas adéquat pour valoir en tant que règle. La règle doit en effet correspondre à la diligence que l'on est normalement en droit d'attendre de l'administration, compte tenu de situations normales et non de quelques cas exceptionnels. Il s'agit à ce sujet de retenir qu'à deux reprises, soit en 1960 et en 1983 le législateur a implicitement englobé le délai de taxation dans une durée de deux ans, puis deux ans et trois mois.

 

f. Le délai de dix ans retenu par l'AFC, quand bien même il débute au jour du décès, entre complètement en contradiction avec le raisonnement à la base de l'article 73 alinéa 1 lettre a LDS dans son ancienne et son actuelle teneur. Indépendamment de cela, il est manifestement hors de proportion que, par exemple dans un cas où le dépôt de la déclaration a lieu normalement dans le délai de trois mois après le décès, l'AFC dispose encore de plus de neuf ans pour notifier un bordereau. Force est de constater au demeurant que la longue pratique dont fait état l'AFC à ce sujet est restée fort peu documentée.

 

5. Au vu du problème particulier posé en l'espèce, il convient de déterminer ce qu'est une "déclaration de succession" au sens des articles 29 et suivants LDS.

 

a. Dès lors que l'AFC est soumise à un délai relativement bref à partir du dépôt de ce document, il faut que ce dernier lui permette d'entamer immédiatement le travail de contrôle qu'il implique.

 

Une déclaration de succession ne peut en ce sens être considérée comme telle que lorsqu'elle satisfait aux exigences de l'article 29 alinéa 3 LDS, c'est à dire lorsqu'elle indique notamment le détail des biens (actif et passif) composant l'avoir du défunt (let. b), de telle sorte que les auteurs de la déclaration puissent également calculer l'actif net délaissé par le défunt (let. g). Si l'état de l'inventaire successoral ne permet pas d'exiger des héritiers ou ayants droit qu'ils soient en mesure de donner ces indications, on ne voit pas non plus comment l'AFC pourrait calculer le montant des droits successoraux. Tant que la situation reste telle, on ne peut admettre qu'une déclaration puisse être valablement déposée. Le dépôt n'a réellement lieu que lorsque les auteurs de la déclaration, dont c'est le devoir, l'ont complétée au sens de l'article 29 LDS. Une autre solution permettrait de déposer abusivement une déclaration incomplète et, dès ce moment, de bénéficier de l'écoulement du délai tout en paralysant ou en ralentissant le travail de l'AFC.

 

b. En l'occurrence, la recourante a déposé le 4 avril 1991 une déclaration de succession concernant feu M. H.B.__________, dont une partie des actifs consistait en droits dans la succession de son père pour une valeur indéterminée. Le 4 août 1993, l'hoirie de feu M. C.B.__________ a déposé la déclaration de succession relative à ce dernier.

 

La première des deux déclarations, remise le 4 avril 1991, ne satisfaisait pas aux conditions fixées par l'article 29 LDS. Le délai de péremption du droit de taxer ne pouvait donc commencer à courir dès ce moment. En revanche, il est possible de fixer le dies a quo de ce délai à la même date que celle du dépôt de la déclaration relative à feu M. C.B.__________. En effet, la recourante aurait pu déposer le même jour les deux déclarations, entièrement complétées, faisant alors valablement partir le délai du droit de taxer.

 

Même en admettant que l'AFC ne pouvait taxer la succession de feu M. H.B.__________ avant celle de son père, le délai d'enquête qui s'est écoulé concernant ce dernier aurait permis à l'AFC de préparer la taxation du fils.

 

Il résulte de ces considérations que même si l'on devait parler de mauvaise foi de la part de la recourante au moment du dépôt de la déclaration incomplète de feu M. H.B.__________, les conséquences négatives d'un tel comportement ne pouvaient pas s'étendre au-delà du 4 août 1993. La faible collaboration dont la succession de feu M. C.B.__________ a fait preuve dès cette date, ne permet pas non plus, sous l'angle de la mauvaise foi, d'admettre une prolongation du délai de taxation au-delà du moment où l'AFC a notifié le bordereau relatif au père.

 

Par conséquent, force est de constater que le droit de l'Etat de taxer la succession de feu M. H.B.__________ était manifestement périmé le 25 août 1997.

 

6. a. Le recours sera admis et la taxation litigieuse annulée.

 

b. Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument.

 

c. Une indemnité de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante à charge de l'administration fiscale cantonale.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 26 mai 1999 par l'hoirie de feu M. H.B.__________ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 22 avril 1999;

 

au fond :

 

l'admet;

 

constate la péremption du droit de l'AFC de taxer la succession de feu M. H.B.__________;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue à l'hoirie de feu M. H.B.__________ une indemnité de CHF 2'000.--;

 

communique le présent arrêt à Me Antoine Boehler, avocat de la recourante, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière d'impôts et à l'administration fiscale cantonale.

 


Siégeants : M. Thélin, vice-président, Mmes Bovy, Bonnefemme-Hurni, M. Paychère, juges, M. Peyrot, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci